Les Juifs et l’État d’Israël
Le Figaro littéraire
24 février 1962

Un éditeur américain m’avait demandé, il y a quelques mois, d’écrire un essai pour un recueil publié en hommage à la mémoire de C. Weizmann, premier président de la République d’Israël. J’avais accepté cette invitation sans dissimuler que mes opinions personnelles étaient fort éloignées de celles des sionistes, quelles que fussent mes sympathies pour l’État d’Israël. Récemment, l’éditeur américain m’informa que la conception du volume avait changé et que tous les essais traiteraient de la biographie du grand homme.
Pierre Brisson a jugé que ce texte pourrait intéresser les lecteurs du
Figaro littéraire
. J’espère qu’il ne blessera aucun de mes coreligionnaires. R.A.
Peut-on être un juif hors de la Terre promise à partir du moment où fleurit de nouveau un État d’Israël? La question a été posée, il y a quelques mois, par M. Ben Gourion. Elle a été passionnément discutée, les tenants du oui et ceux du non n’étant pas en peine d’emprunter aux sages du passé des citations favorables à leur thèse respective. Mais, au-delà des querelles scolastiques ou talmudiques, un fait ne prête pas au doute: les juifs de Babylone ne sont pas retournés en Palestine quand, au début du sixième siècle avant notre ère (vers 520), le temple de Jérusalem, relevé de ses ruines, fut offert au culte de Iaveh. Peut-être les juifs ont-ils, à travers les siècles, rêvé de la patrie perdue, peut-être ont-ils, d’ailleurs avec une force variable, aspiré à ce retour. Il n’a jamais été d’obligation religieuse pour un juif de vivre en Palestine et de devenir citoyen de l’État qui, il y a plus de deux mille ans et depuis 1948, s’est reconstitué autour de Jérusalem.
Il ne m’appartient pas, à moi qui ne suis pas un croyant au sens ordinaire du terme, de prendre part à cette controverse. Mais la question posée par M. Ben Gourion, dépouillée de ses références bibliques, s’adresse à tous les juifs. L’État d’Israël est un État séculier, qui se veut semblable aux autres États de notre siècle, bien qu’il présente certains caractères qui le rendent unique entre tous. Le juif français, anglais, américain doit-il se sentir attaché à l’État d’Israël comme à sa patrie? Mais alors il n’est plus en droit de revendiquer en France, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis les privilèges du citoyen. Chacun peut aimer sa patrie et son Dieu, chacun peut appartenir à une communauté religieuse et à une unité politique. Mais nul ne peut revendiquer le droit à une double citoyenneté, car l’essence de la citoyenneté, c’est l’obéissance aux commandements de l’État et avant tout aux obligations militaires. Je puis être un Français de religion juive, je ne puis être à la fois Français et Israélien. Quelle que soit la sympathie que j’éprouve à l’égard d’Israël, je ne dois pas me dissimuler qu’entre les intérêts nationaux de la France et ceux d’Israël il n’existe pas d’harmonie préétablie. Si, pour éviter un conflit déchirant, je postule
a priori
que les intérêts de ces deux patries coïncident, je manque à mon devoir de Français, d’Anglais ou d’Américain. Car mon devoir de citoyen est de ne pas apprécier «l’intérêt de ma patrie» en fonction
d’une
considération exclusive, de ne pas le subordonner à l’avance aux intérêts d’une autre unité politique. L’égoïsme national n’est pas sacré, mais les nations sont – et sont condamnées à être – égoïstes.
Vainement on objectera que les intérêts de ma patrie de la
diaspora
ne peuvent pas entrer en conflit avec les intérêts d’Israël parce que la France, la Grande-Bretagne ou les États-Unis manqueraient à leur vocation et me délieraient de mon serment de fidélité s’ils combattaient ou simplement abandonnaient Israël. Une telle objection n’est pas valable, elle est sophistique: les relations entre unités politiquement souveraines ne sont pas soumises ni à des lois ni à des tribunaux. Nulle force de police n’est capable de discipliner des volontés de puissance spontanément rivales. Chaque État aspire à survivre et, pour survivre, doit être prêt, sinon à commettre l’injustice. La France, en tant qu’elle est une unité politique, avec des ressources limitées, soumise à des dangers constants, n’a pas plus de devoirs à l’égard d’Israël qu’à l’égard de n’importe quel autre État. Je risque d’être un mauvais Français si j’use de mon influence pour convaincre mes compatriotes d’accorder à Israël un préjugé favorable. Ces sortes de spéculation paraîtront peut-être inactuelles ou inutiles, France et Israël étant depuis quelques années liés par une alliance non écrite, pour le meilleur et pour le pire. Mais cette situation peut aisément se renverser.
Israël.. . déviation ou vocation de l’histoire juive
Quand l’État d’Israël fut proclamé, le gouvernement français hésita d’abord à le reconnaître, par crainte des réactions des musulmans d’Afrique du Nord. L’alliance de fait avec Israël résulta aussi de la conjoncture d’Afrique du Nord. Il n’est pas impossible de concevoir, au-delà du conflit algérien, que le souci d’une réconciliation avec les pays musulmans d’Afrique du Nord détourne la France d’Israël.
Au reste, à quoi bon insister sur une évidence? Du jour où les sionistes ont décidé de devenir Israéliens, c’est-à-dire de créer un État national, de type séculier, ils ont du même coup rompu avec leurs coreligionnaires qui n’avaient ni le moyen ni le désir de les rejoindre en Palestine. Les Israéliens déclarent implicitement au moins que la communauté juive est d’essence et de vocation nationales alors que les juifs de la diaspora maintiennent que cette communauté est d’essence religieuse ou culturelle et qu’elle n’est pas de vocation nationale dans la mesure où l’idée nationale ne s’accomplit que dans et par l’indépendance étatique.
Certes, les communautés juives de la diaspora étaient divisées avant la constitution de l’État d’Israël. Il serait absurde d’imputer à celui-ci la responsabilité d’une fragmentation qui est constitutive du fait même de la diaspora. De 1914 à 1918, les juifs de France et d’Allemagne ne se sont pas séparés de leur pays d’adoption, ils se faisaient face des deux côtés de la ligne de feu, ils se combattaient sans hésitation et sans remords. «Français et Allemands comme les autres.» Mais il n’en allait pas autrement des catholiques et des protestants: eux aussi, dans les tranchées de Verdun, s’entre-tuaient bien que le Dieu d’amour auquel ils croyaient fût le même et que des prêtres appartenant à la même Église fussent prêts à les assister en leurs derniers instants. Mais, quand les juifs français et les juifs allemands se battaient, ils étaient d’un côté des soldats français et de l’autre des soldats allemands; d’aucun côté ils n’étaient, en tant que soldats, juifs. Si l’État d’Israël se trouvait en guerre avec un État qui comprend une minorité juive, des juifs de la diaspora seraient aux prises avec des juifs, soldats en tant que juifs.
Cette éventualité, heureusement improbable dans les circonstances actuelles ou actuellement prévisibles, n’a pas d’autre objet que d’illustrer un possible déchirement ou, si l’on préfère, une situation extrême, et, du même coup, de poser le problème que n’importe quel juif, qu’il soit ou non croyant, qu’il soit conscient de son judaïsme ou qu’il soit déjudaïsé, doit regarder en face. Qui suis-je? Que veux-je être par rapport à Israël?
Si je regarde autour de moi, j’aperçois quatre «catégories» ou «types» de juifs: 1° ceux qui adhèrent pour l’essentiel à la foi traditionnelle; 2° ceux qui, sans croire au pacte d’alliance entre Dieu et son peuple, sans même croire en Dieu, sont attachés aux traditions et à la culture juives et en veulent sauvegarder l’originalité; 3° ceux qui ont été «assimilés» par le milieu environnant au point que, entièrement détachés de la communauté juive, ils ne connaissaient plus la culture de cette communauté que de l’extérieur; 4° enfin ceux qui sont ou veulent devenir Israéliens et qui, curieusement, se recrutent aussi bien parmi les croyants que parmi les non-croyants encore attachés à la tradition ou même parmi les juifs assimilés (quand une déception ou une crise d’antisémitisme les frappe brutalement). Que les juifs qui aspirent à la nationalité israélienne, ou l’ont obtenue, ne soient pas tous d’esprit religieux, le fait est incontestable et il n’est pas surprenant. Quand le sionisme s’est développé en Europe, au siècle dernier, il n’a pas été d’inspiration religieuse, mais politique. Il a été un choc en retour du nationalisme européen. Les fondateurs du sionisme croyaient plus au judaïsme qu’en Dieu. Ils ne justifiaient pas un foyer juif ou l’État juif par l’exigence religieuse du retour à la Terre promise. Ce n’est pas pour enrichir la prière qu’ils rêvaient de Jérusalem. Ce n’est pas le temple qui enflammait leur imagination, mais l’État. Des juifs d’Europe ont voulu se donner un État. Et puisque les Russes, ou les Polonais, ou même les Allemands et les Français refusaient de les accueillir comme des citoyens à part entière, ils construiraient une nation dans laquelle ils ne seraient pas des intrus puisqu’elle serait juive. Historiquement, c’est le nationalisme européen du dix-neuvième siècle qui a provoqué la naissance du sionisme, donc indirectement de l’État d’Israël. Cet événement doit-il être considéré comme une déviation du cours de l’histoire juive? Ou comme l’accomplissement d’une antique promesse et d’une permanente vocation?
La communauté juive est-elle ethnique, culturelle, religieuse ou nationale? La réponse reflète inévitablement la complexité du réel, les équivoques de ces concepts et la singularité de l’expérience juive.
Ethniquement, l’unité juive est pour le moins imparfaite. Les communautés juives de l’Inde ou de la Chine avaient, pour origine principale, selon toute probabilité, la conversion d’Indiens ou de Chinois et non l’immigration de juifs de Palestine. Les études menées sur la fréquence comparée des groupes sanguins dans les différentes communautés juives, dans celles-ci et dans les populations environnantes, n’aboutissent pas à des conclusions indiscutables, mais elles rendent au moins probable que les juifs européens d’aujourd’hui ne descendent pas tous des juifs palestiniens. Durant les premiers siècles de notre ère à l’Ouest, plus tardivement à l’Est, il y eut des conversions, individuelles ou massives, à la religion juive. Même si l’on admettait que la plupart des juifs d’aujourd’hui, grâce à l’endogamie pratiquée ou imposée, descendent des juifs de Palestine, il serait inexact de parler de race. Les juifs ne constituent pas un groupe anthropologique distinct, comparable à ceux que les savants appellent une race. Il n’est pas exclu, bien qu’il ne soit pas démontré, que certains gènes, entraînant certains traits physiques ou certaines prédispositions psychologiques, soient plus fréquents dans les populations juives que dans d’autres. Les particularités héréditaires, dont la réalité, encore une fois, n’est encore qu’une hypothèse, sont bien loin de constituer une unité ethnique et, moins encore, une conscience d’unité ethnique. Un juif d’Europe n’éprouve nulle conscience d’unité ethnique avec un juif yéménite (même lorsque l’un et l’autre sont citoyens de l’État d’Israël).
En revanche, les juifs ont constitué des «communautés culturelles et religieuses», à plusieurs égards sans équivalent. En effet, ces communautés étaient toutes, en ce qui concerne la culture, influencées, positivement ou négativement, par le milieu environnant, par la culture de la société au milieu de laquelle elles vivaient. Aussi ces communautés dispersées n’avaient-elles en commun que la religion (non sans variations secondaires des croyances et surtout des rites). Par rapport au milieu, les communautés juives étaient plus qu’une communauté religieuse. Les unes par rapport aux autres, elles n’avaient d’autres liens qu’une foi, fondée sur un livre et ses commentaires. En l’absence d’une Église et d’une hiérarchie ecclésiastique, les communautés juives dispersées ne vivaient pas la même histoire et n’avaient pas consciemment la volonté d’être une nation.
Citoyens des pays d’accueil
On ne saurait cependant affirmer que les juifs aient été, à travers les siècles, étrangers à l’idée nationale. Il est même possible d’écrire l’histoire du peuple juif en mettant au centre «la volonté des juifs de maintenir une identité nationale». Ainsi dans son douzième tome de
A study of history
, Arnold Toynbee écrit(1):
«On peut définir les juifs comme les héritiers conscients et déterminés, représentants du peuple du royaume de Juda, qui fut anéanti par le roi de Babylone Nabuchodonosor dans la seconde décennie du sixième siècle avant Jésus-Christ. Depuis cet effroyable désastre national, le but suprême des Judaïtes déportés à Babylone et de leurs descendants juifs a toujours été de préserver intacte leur identité
nationale
(2) particulière… Cet exploit est admis, aussi bien par les observateurs favorables qu’hostiles au judaïsme, comme une extraordinaire preuve de ténacité ou d’obstination – selon que l’observateur se sent enclin à utiliser l’un ou l’autre mot. Cela n’a été possible que parce que les juifs ont toujours, uniformément, parmi tous les objectifs qui étaient les leurs, accordé la priorité à celui qui visait à la préservation de leur identité nationale.»
Ce texte est caractéristique parce qu’il illustre le glissement d’une proposition de fait, en elle-même indiscutable, à une interprétation pour le moins susceptible d’être discutée. Que les juifs aient, depuis deux mille cinq cent ans, maintenu leur «identité», c’est un fait. Qu’ils aient voulu la maintenir, c’est une inférence très probable, la non-assimilation, sur une durée aussi longue, ne pouvant s’expliquer exclusivement par le refus (qui n’a pas été constant) du milieu. Quand cette identité était-elle «nationale»? Les juifs étaient-ils un peuple au même titre que Français et Allemands en sont devenus un?
Toynbee, en posant au point de départ que les juifs sont «les héritiers et représentants, conscients et volontaires, du peuple du royaume de Juda, royaume détruit dans la seconde décennie du sixième siècle avant Jésus-Christ», se donne à lui-même le droit d’appeler les juifs un peuple, et l’identité que les juifs ont voulu maintenir une «identité nationale». Mais lui-même, d’une certaine façon, dément sa propre interprétation puisqu’il constate, à bon droit, que les juifs ont régulièrement, au cours de ces vingt-cinq siècles, préféré, en immense majorité, rester dans la diaspora. «La vitalité de la diaspora juive et sa signification, pour l’ensemble de l’humanité, de probable «vague de l’avenir», sont mises en évidence par le contraste entre la permanence avec laquelle la diaspora a réussi à survivre – en dépit des sanctions, des persécutions, des massacres – et le caractère peu satisfaisant de toutes les tentatives effectuées jusqu’à aujourd’hui, depuis la captivité en Babylone, pour rétablir un État juif sur le sol palestinien. La première de ces tentatives fut faite – avec la permission et l’assentiment de Cyrus, fondateur de l’empire des Achéménides – moins de un demi-siècle après que Nabuchodonosor eut anéanti le royaume de Juda et déporté ses notables à Babylone. La dernière tentative s’effectue actuellement. Il est pourtant remarquable qu’à toutes les époques, chaque fois qu’il fut offert aux juifs en diaspora d’émigrer vers un État juif en Palestine, la grande majorité d’entre eux a préféré invariablement demeurer en diaspora. Il en fut ainsi en 539-538 avant J.-C. Il en est ainsi aujourd’hui, et il en a toujours été ainsi tout au long des vingt-cinq siècles écoulés.(3)»
S’il en a été ainsi – et comment le nier? – l’identité que les juifs ont voulu maintenir est-elle bien nationale? Unis à travers les frontières par une religion, mais acceptant la dispersion même quand ils avaient la chance d’y mettre fin, ils n’étaient peut-être pas une «communauté religieuse comme les autres», mais ils n’étaient pas non plus une «nation comme les autres». Cette singularité n’est pas mystérieuse. D’une part, les juifs, même s’ils étaient des gentils convertis au judaïsme, avaient tendance à se considérer ou à être considérés par la société environnante comme les descendants des Palestiniens. La religion elle-même contribuait à donner à ses fidèles la conscience plus ou moins illusoire ou mythique d’être un peuple et non une simple Église. D’autre part, les croyances et les règles morales du judaïsme influaient sur l’ensemble de l’existence, profane et sacrée, et déterminaient pour ainsi dire une manière de vivre. Ainsi la communauté religieuse devenait communauté de culture.
L’attitude des sociétés au milieu desquelles vivaient les juifs accentuait cette «singularité culturelle». Dans la mesure où les juifs étaient tenus en suspicion ou persécutés, ils réagissaient en accentuant leur originalité, ils se rendaient autonomes, ils voulaient se suffire à eux-mêmes, trouver dans la communauté juive ce que les autres hommes trouvaient dans des communautés multiples, religieuse, politique, culturelles. Enfermée dans les ghettos, la communauté juive devenait inévitablement quasi nationale puisque les juifs n’avaient pas d’autre patrie. Sortis des ghettos, autorisés à prendre part aux activités sociales du milieu chrétien, les juifs ont gardé ou perdu la foi de leurs ancêtres, ils ont accepté ou refusé l’assimilation (au sens où celui-ci entraînerait la perte de la culture spécifiquement juive), mais, au moins dans le monde occidental, ils sont, en immense majorité, devenus citoyens des pays d’accueil, sans ressentir un conflit déchirant entre la citoyenneté française ou allemande et l’appartenance à la communauté juive. À l’intérieur d’une civilisation libérale qui tolérait la religion juive comme les autres et accordait à tous les individus les mêmes droits, les juifs, même croyants, même attachés aux traditions, ne se sentaient pas «déjudaïsés» par la citoyenneté française ou allemande. L’adjectif juif s’appliquait à une religion et non pas à une nation. Les premiers sionistes n’étaient pas des orthodoxes, mais des juifs d’esprit moderne.
L’éternel dialogue
Est-il contraire ou conforme à l’inspiration des livres sacrés, à la vocation de ceux qui croient au Dieu d’Isaac ou de Jacob, que des juifs de la diaspora deviennent une nation, avec un territoire, un État (laïc), une armée, et, du même coup, inévitablement, des amis et des ennemis, des guerres et des injustices, des revers et des succès et le cortège historique des combats et des cruautés? Je m’en voudrais de donner une réponse catégorique, qui pourrait choquer tels de mes lecteurs. Mais le grand homme à qui ce livre est dédié respectait par-dessus tout la vérité et ceux qui la cherchaient sincèrement.
Réfléchissons sur les relations d’Israël à la religion juive, forme actuelle de l’éternel dialogue, à l’intérieur du judaïsme, entre le nationalisme (l’alliance de Dieu et de
son
peuple) et l’universel (le Dieu unique qui est celui de l’humanité entière).
La constitution, en Palestine, d’un État qui se déclare laïc et dont la population vient en majorité des communautés juives de la diaspora n’est pas un élément de l’histoire sacrée, elle ne saurait être interprétée comme l’accomplissement des promesses eschatologiques. Quelles que soient les citations que l’on empruntera à la Bible ou au Talmud, ce serait prostituer la foi, la ramener au niveau préprophétique que d’interpréter l’État d’Israël par rapport aux promesses millénaristes. Tous les juifs, qu’ils soient croyants ou incroyants, citoyens d’Israël ou d’un autre pays, doivent reconnaître que la création de l’État d’Israël est un épisode de l’histoire tout humaine, non une fin ou un tournant de l’histoire du peuple juif par rapport à son Dieu.
Événement profane, l’État d’Israël est-il seul, désormais, à offrir aux juifs la chance de vivre pleinement leur existence, de réaliser pleinement leur «judaïsme»? De tels propos, même sous une forme interrogative, me paraissent, je l’avoue, presque dénués de signification et tout aussi bien irritants. Si nous sommes croyants, et même si nous sommes orthodoxes, la meilleure, la seule manière d’être de bons juifs, c’est d’obéir aux commandements, selon la lettre et selon l’esprit, il n’est pas besoin de vivre en Israël pour réaliser son judaïsme si celui-ci se définit par une foi et une pratique religieuses. Si, d’autre part, le judaïsme se définit, à nos yeux, par une culture, il est vrai que la culture en Israël sera plus juive que celle de la diaspora. Mais la culture juive, depuis deux mille cinq cent ans, dans la mesure où elle ne s’est pas confondue avec la religion, a été diverse selon les pays, selon les époques. La culture israélienne ne sera pas moins différente de celle des communautés askénazis de Pologne ou de Russie dont la langue était le yiddish, que la culture des Askénazis, au dix-neuvième siècle, était différente, à son tour, de celle des sephardims du onzième siècle, dans le bassin méditerranéen. La culture qui naîtra en Israël sera tout aussi marquée par des circonstances particulières que celle de n’importe quelle communauté juive. Elle ne sera pas, elle ne pourra pas être la culture de tous les juifs à travers le monde. Dira-t-on qu’elle sera seule une culture au plein sens du terme parce que, seule, elle bénéficiera du cadre national, de l’indépendance politique? Les juifs d’Israël, il est vrai, seront les seuls à posséder un État étroitement lié à leur judaïsme. Mais est-ce là un avantage ou un inconvénient, une sorte de faiblesse ou de force? Les Israéliens se refusent à concevoir un État et un Dieu à la manière dont l’un et l’autre étaient conçus au temps du roi David. L’État israélien est laïc et les plus éclairés des Israéliens croyants aiment un Dieu qui impose aux juifs des obligations particulières, mais qui demeure le Dieu de l’humanité entière.
Quand j’étais en Israël, il m’a semblé que «l’idéologie nationale», enseignée aux recrues venues de multiples pays, d’Europe et du Proche-Orient, tendant à établir une continuité entre les royaumes d’Israël et de Juda et l’État d’Israël, après la deuxième guerre mondiale. La Bible est utilisée, mais autant comme un livre d’histoire que comme un livre sacré. Les Israéliens que j’ai rencontrés étaient tous des lecteurs fervents de la Bible, même quand ils ne croyaient pas en Dieu. Ils voulaient qu’Israël fût un État «comme les autres», ils se voulaient une patrie semblable à celle que possèdent les autres hommes (les autres Européens surtout). Je comprends cette aspiration à une patrie qui ne pourrait plus nous être refusée. Mais cette aspiration demeurera inassouvie pour la majorité des juifs et même les Israéliens ne seront pas demain «citoyens comme les autres» d’une «patrie comme les autres».
En Israël, croyants et rationalistes demeureront incertains, au fond d’eux-mêmes, sur le sens de leur commune entreprise. Les juifs venus de Russie, de Pologne et d’Europe n’éprouvent aucun sentiment
spontané
de solidarité avec les juifs venus du Yémen et du Maroc. À supposer qu’ils descendent tous des juifs palestiniens – ce qui est douteux – les deux mille cinq cents ans écoulés depuis les origines de la diaspora ont effacé la conscience de cette origine commune. On invoque cette communauté d’origine pour créer une communauté nationale, objet d’une entreprise menée au nom d’une idéologie archaïsante. L’âme de cette entreprise n’est pas religieuse, mais politique, bien que l’on compte sur la force d’une tradition religieuse pour soutenir cette entreprise politique, de même que l’on compte sur les ressources financières des juifs qui refusent de devenir Israéliens pour donner à Israël les moyens de vivre. Ni les Israéliens croyants, liés à leurs coreligionnaires de la diaspora qui partagent leur foi plus qu’à leurs compatriotes qui ne cherchaient sur la Terre promise qu’une patrie au sens européen et moderne du terme, ni les Israéliens incroyants, passionnément attachés à leur État tout neuf, mais qui le justifient par les souvenirs d’un royaume, depuis plus de deux mille années disparu, ni les uns ni les autres ne sont comme les Français ou les Anglais établis sur leur sol, conscients d’avoir fait ensemble de grandes choses dans le passé et de vouloir en faire d’autres dans l’avenir, qui distinguent sans effort communauté nationale et Église. (Encore une fois, je songe surtout aux non-juifs d’Europe. En dehors d’Europe, il n’est pas rare que «communauté de religion» et «communauté de culture» aient été confondues et que ni l’une ni l’autre n’aient aspiré à l’accomplissement politique, à la souveraineté militaire.)
Un accident historique?
Pour les Israéliens, authentiquement religieux, l’État d’Israël n’est pas essentiel: on peut être un bon juif à Babylone aussi bien qu’à Jérusalem. Pour les Israéliens incroyants, l’État d’Israël permettra enfin aux juifs d’avoir une patrie, mais la nation israélienne est encore à créer: à supposer que les juifs du royaume de Juda aient été une nation, ils ont perdu leur nationalité au cours des deux mille cinq cents années de la diaspora, ils doivent la reconquérir sur la Terre promise. Ni les uns ni les autres ne pourront se séparer réellement de la diaspora, ni les uns ni les autres ne pourront mettre un terme au destin tragique ou, si l’on préfère, à l’existence paradoxale et par suite menacée du judaïsme. L’existence sera d’autant plus menacée qu’elle sera paradoxale, elle sera d’autant plus paradoxale qu’elle donnera d’elle-même une définition plus contradictoire au regard du monde extérieur. Si les juifs, comme les fidèles de toutes les religions de salut, adorent un même Dieu, mais appartiennent à des nations différentes, ils ont une chance de partager le sort commun bien que, rebelles aux enseignements des deux religions sorties du Vieux Testament, ils risquent d’être l’objet de la haine ou du mépris des fanatiques tant qu’ils vivent au milieu des chrétiens ou des musulmans. Dans la mesure, au contraire, où, en réaction au milieu ou bien spontanément, ils se déclarent «peuple de David» et «nation juive», ils se mettent eux-mêmes en marge du sort commun à l’âge des nationalités. Les sionistes ont eu l’illusion qu’ils surmonteraient le paradoxe: puisque les juifs n’étaient pas pleinement acceptés par les nations, ils auraient leur propre nation. Le résultat est opposé: puisque les juifs ne peuvent ni ne veulent retourner tous en Palestine, leur communauté ni purement religieuse ni pleinement nationale apparaît plus paradoxale encore. L’État laïc d’Israël, bâti et maintenu par l’épée, n’est pas moins paradoxal en lui-même et par rapport à la diaspora.
J’ai tenté, dans les pages précédentes, d’analyser sans porter de jugement, de n’écrire ni en croyant ni en incroyant. Il va de soi, d’ailleurs, que cette impartialité apparente, même si je n’y ai pas manqué, passera pour une forme d’engagement aux yeux de mes coreligionnaires engagés (en faveur d’Israël ou de l’orthodoxie religieuse). Laissons le style impersonnel et passons à la première personne.
Je suis citoyen de France et non d’Israël. Je ne suis pas croyant, au moins dans l’acceptation banale de ce mot. Comme disait Spinoza, je ne peux pas croire que Dieu ait jamais conclu un pacte avec un peuple en tant que tel. Un peuple est proche de Dieu dans la mesure où il surmonte l’orgueil tribal et se conforme aux commandements de la loi ou de l’amour. Chacun a droit à une patrie et l’attachement au groupe est naturel. Mais le groupe qui se croit une mission divine est celui qui manque le plus à l’esprit religieux (tel que je le conçois, bien entendu). Du nationalisme et de l’universalisme, tous deux inclus dans le judaïsme, c’est ce dernier qui me paraît répondre à la vocation authentique du judaïsme et de toutes les religions de salut. L’édification, en Palestine, d’un État laïc, qui se proclame le continuateur du royaume de Juda, n’est, à mes yeux, qu’un accident historique auquel seul l’idolâtre (celui qui accorde à la nation une valeur suprême) prêtera une signification proprement religieuse.
Sur le plan de l’histoire profane, l’État d’Israël est pour tous les juifs un grand événement. Il ne peut pas ne pas établir en nous tous les sentiments forts. Un juif, même s’il a perdu la foi, ne peut pas ne pas être indifférent au destin d’Israël. Personnellement, j’ai été profondément sensible à ce que Arthur Koestler a appelé «un miracle» (non sans l’analyser rationnellement), à ce que j’appellerais l’épopée des pionniers d’Israël. Quel que soit l’avenir, les Israéliens ont conquis leur indépendance au cours de la «guerre de libération», ils la sauvegardent jalousement grâce à la force de leur armée, à chaque instant en alerte, ils ont écrit des pages de gloire militaire. Ils ont offert à des centaines de milliers de juifs un refuge. Ils ont changé l’image que des non-juifs avaient des juifs. Ils ont démontré que des juifs pouvaient de nouveau, comme à l’époque de l’Empire romain, être réputés pour leur valeur militaire. À beaucoup d’égards, l’œuvre des juifs en Israël fait honneur au judaïsme et à l’espèce humaine.
Mais Israël n’appartiendrait pas à l’histoire profane s’il n’était marqué par les imperfections de toutes les œuvres humaines. Ou, pour mieux dire, expression d’une histoire paradoxale, il demeure étrangement paradoxal lui-même. La terre de l’État d’Israël a été achetée d’abord aux propriétaires musulmans grâce aux fonds réunis par les juifs de la diaspora. La fuite des musulmans, au début de la «guerre de libération», a permis la prise de possession d’un territoire qui comprend les lieux saints des trois religions de salut. Les Israéliens affirment, à juste titre, qu’ils n’ont pas chassé les musulmans; que ceux-ci sont partis en espérant un retour victorieux. Mais les péripéties importent moins, aux yeux des Arabes, que le fait brutal: les musulmans, établis en Palestine depuis plus de dix siècles, ont dû céder la place à des juifs qui prétendent ranimer la tradition du royaume de Juda.
Que les Israéliens invoquent les droits historiques d’antériorité ne convainc personne. Au bout de quelques siècles, il y a prescription. Quand Nehru s’est emparé de Goa par la force des armes, en niant les titres fondés sur cinq siècles d’occupation, l’opinion occidentale s’est indignée (ou, du moins, a manifesté une indignation sincère ou feinte). Comment reconnaîtrait-elle un titre de propriété datant de plus de deux mille années? L’État d’Israël a été taillé à grands coups d’épée: à cet égard enfin, les juifs ont réussi à ressembler fidèlement aux gentils. Mais, du même coup, l’hostilité du monde devient intelligible, inévitable et, selon toute probabilité, irréductible.
Provisoirement, un million sept cent mille juifs (dont une petite moitié venue d’Europe) sont capables de mobiliser une armée supérieure, à elle toute seule, à la coalition de toutes les armées des États arabes du Proche-Orient. L’équilibre des forces locales favorise Israël: la rivalité des grandes puissances contribue à maintenir cet équilibre. Les États-Unis accordent une certaine protection à l’État israélien et l’Union soviétique est plus désireuse de lui manifester son hostilité que de le détruire. L’un des Grands souhaite une réconciliation et l’autre veut l’empêcher. Ce dernier l’emporte évidemment: s’il est relativement facile d’empêcher des petits États de se combattre à mort, il est malaisé de les contraindre à s’entendre.
L’avenir prévisible d’Israël, au cours des prochaines années et peut-être beaucoup plus longtemps encore, demeurera celui d’un peuple menacé, vivant en une sorte de camp retranché, comptant sur ses armées pour survivre. Né par l’épée, Israël ne peut, provisoirement, vivre que par l’épée et sous la menace d’une autre épée (provisoirement moins acérée que la sienne). Certes, il est facile de comprendre que ceux qui ont survécu aux plus grands massacres de l’histoire se soient juré de ne plus faire face, les mains nues, au couteau des assassins. Mais il serait vain de se dissimuler que les Israéliens ont choisi de vivre dangereusement, en un carrefour de lignes stratégiques, en un lieu du monde qu’ont hanté les dieux et piétiné les soldats. Ils sont devenus un pion sur l’échiquier international, condamnés à prendre part au jeu diabolique de la «politique de puissance». Les voici citoyens d’un État qui baptise sacré son égoïsme. Mais sacré ou non, cet égoïsme est celui d’un État qui ne comptera jamais plus de quelques millions de citoyens, sur un territoire qui est et sera lilliputien à l’échelle des moyens modernes de transport et de destruction.
Je ne veux pas exclure l’hypothèse d’une réconciliation entre Israël et ses voisins, encore que je la tienne pour durablement improbable. Le royaume chrétien de Jérusalem a duré deux siècles, non deux décennies ou deux générations: il n’a pas été, pour autant, accepté par les musulmans. En guerre froide avec ses voisins, l’État d’Israël est voué à un destin héroïque et limité. Il ne vivra qu’en transformant les juifs venus du Maroc, de Tunisie, du Yémen en citoyens d’un État moderne. Faute d’une population assez nombreuse, Israël ne pourra accomplir certaines œuvres de science ou de technique qui demandent de grandes concentrations de moyens matériels, il ne maintiendra une participation honorable à la culture que par un effort sans cesse renouvelé sur les tentations de la facilité. Israël doit demeurer, en dépit de la géographie, partie intégrante de la civilisation occidentale, au moins jusqu’au jour où le monde musulman aura réussi sa propre conversion à la modernité.
Quelle que soit la grandeur de la tâche que les Israéliens venus d’Europe ou des États-Unis se sont assignée en Palestine – l’intégration de quelques centaines de milliers ou, à la rigueur, de deux ou trois millions de juifs non occidentaux en une nation de type occidental – l’entreprise israélienne est, dans le monde du vingtième siècle, provinciale. D’une certaine façon, Israël aura d’autant plus de chance de ne pas se dégrader en un État levantin qu’il s’enracinera moins sur son sol, se fermera moins sur lui-même, restera davantage en communication avec l’Europe et les États-Unis. Espérons que l’égoïsme nécessaire au nationalisme militant ne contredira pas aux nécessités des frontières ouvertes.
Quelle que soit la réussite d’Israël, si le judaïsme se confondait avec un petit État du Proche-Orient, il sortirait de l’histoire universelle. Je comprends que, las des malheurs et des persécutions, nombre de juifs rêvent d’une telle issue. Mais il ne s’agit que d’un rêve, cette issue nous est fermée puisque Israël et les communautés juives de la diaspora subsisteront côte à côte comme aux derniers siècles avant le Christ, les juifs de Babylone et ceux de Palestine. À des juifs pris individuellement la totale assimilation, le changement de nom offrent cette issue souhaitable. Aux juifs considérés collectivement, il n’est pas donné encore de surmonter le paradoxe légué par plus de vingt siècles d’histoire. Ayant vécu parmi des musulmans et des chrétiens, c’est-à-dire des fidèles de religions qui sont sorties du judaïsme, les juifs ont été et sont encore à leurs propres yeux comme aux yeux de ceux qui les entourent les héritiers du peuple de David, peuple que Dieu a choisi mais qui n’a pas reconnu le Christ sauveur, peuple qui croit au Dieu de tous les hommes, mais se croit aussi lié à lui par un lien singulier. Si j’étais croyant, orthodoxe ou libéral peu importe, je n’accepterais pour rien au monde qu’un État, même enraciné sur la Terre promise, prétendit incarner une foi qui se dégrade misérablement si elle n’est offerte à tous les hommes. Incroyant (au moins par rapport à l’interprétation courante de la religion), je ne marchanderai pas ma sympathie à Israël, mais je lui refuse un loyalisme national qui va à ma patrie. Même «assimilé», perdu pour la culture proprement juive, je n’ai pas trahi ce qu’il y a de meilleur dans le message religieux du judaïsme, si j’ai, par-delà les attachements nationaux, conservé le sens des valeurs universelles dans la connaissance et dans l’action.
Ce que les juifs ont à dire à l’humanité ne sera jamais traduisible dans le langage des armes.
[
Le Figaro littéraire
, 17 mars1962:
Post-scriptum
J’avais exprimé le vœu que mon article «Les Juifs et l’État d’Israël» ne blessât aucun de mes coreligionnaires. Ce vœu n’a pas été exaucé et, probablement, ne pouvait-il pas l’être. Mon tort a été d’oublier qu’il est certains problèmes que peut-être il vaut mieux ne pas discuter. Survivants du plus grand massacre de leur histoire et de l’histoire moderne, les juifs, aujourd’hui, ont le droit d’avoir la sensibilité à vif. Et les Israéliens, nation en armes qu’entourent les ennemis, ont le droit de s’irriter contre les propos d’un juif qui affirme sa sympathie, mais refuse l’engagement.
Il va de soi, tout d’abord, que je n’ai jamais eu la prétention de parler en un autre nom qu’en mon propre nom. Mais comment pourrait-il en être autrement? Un juif, dans le monde actuel, doit se choisir lui-même, en assumant d’une façon ou d’une autre son judaïsme. Un Français de religion chrétienne qui a perdu la foi n’a pas à assumer son christianisme: il demeure un Français comme les autres. La religion est affaire privée, et l’État ne fait pas de différence entre croyants et non-croyants. Un juif qui a perdu la foi et ne va plus régulièrement au temple demeure un juif, mais il s’interroge lui-même sur le sens de ce mot.
Parfois le juif de France ou d’Angleterre qui ne participe plus de la culture proprement juive reçoit son judaïsme du monde environnant et de l’antisémitisme. C’est à ce juif pour ainsi dire déjudaïsé que s’appliquent les «Réflexions sur la question juive» de J.-P. Sartre. Mais, si assimilé qu’il soit ou se juge, le juif garde un sentiment de solidarité et avec les ancêtres et avec les autres communautés juives de la diaspora. Surtout à notre époque, après les persécutions hitlériennes, un juif ne peut pas fuir son destin et ignorer ceux qui, ailleurs, ont cru ou croient au même Dieu d’Isaac et de Jacob qui fut celui de ses ancêtres.
Une fois cette solidarité reconnue et pour ainsi dire vécue, plusieurs voies s’ouvrent à chacun de nous. Je ne doute pas un instant qu’une nation israélienne soit née en Palestine. Je comprends que des juifs choisissent la nationalité israélienne. Je n’ai ni à blâmer ni à louer ceux qui préfèrent ce choix. Mais un choix différent n’est pas pour autant condamnable. La décision appartient à chacun. Il est vrai, ainsi que me l’a écrit un correspondant, qu’il existe des cas individuels de double nationalité. Je ne crois pas qu’un groupe, tel le groupe juif, puisse aspirer au privilège de la double nationalité. Cela va sans dire, me répondent des lecteurs. J’y consens, mais si cela va sans dire, est-il si grave de le dire.
Quand j’ai évoqué l’hypothèse d’une divergence possible entre l’intérêt national de la France et celui d’Israël, je n’étais ni prisonnier de l’angoisse séculaire des persécutés ni subtilement machiavélique. La fin de la guerre d’Algérie ne signifie pas, à mes yeux, la fin de l’amitié franco-israélienne. Combien d’Israéliens, au cours de ces dernières années, m’ont exprimé leur regret que l’amitié qu’ils souhaitaient durable entre France et Israël parut fondée sur une commune hostilité. Plusieurs des membres de la société France-Israël ont été partisans d’une solution libérale en Algérie, sans ignorer que nombre de juifs quitteraient une Algérie indépendante.
Comment pouvez-vous, s’étonnent quelques lecteurs, recommander l’assimilation après les horreurs d’un récent passé? Je n’ai nullement recommandé l’assimilation: un juif qui se veut citoyen français peut garder intactes, jalousement, la culture et la religion qu’il a reçues en héritage. La question est de savoir s’il veut appartenir pleinement à la nation qui est, par naissance et par volonté, la sienne. À cette question, je réponds oui. Ni les événements d’hier que me rappellent certains, ni les éventualités de demain qu’évoquent d’autres, ni l’antisémitisme persistant ne me paralysent. Nous autres juifs, que nous le voulions ou non, nous vivrons dangereusement en Israël ou ailleurs. Le temps du mépris peut revenir. Mais les Israéliens qui ont montré tant de courage ne pourraient sans se contredire eux-mêmes critiquer les juifs de la diaspora, sous prétexte que ces derniers risquent, quelque jour, d’être privés de la nationalité qu’ils veulent entière et sans réserves.
Comment maintenir les liens moraux entre les juifs d’Israël et ceux de la diaspora? Je ne suis pas inconscient de la gravité de la question qui m’est posée, bien que je ne détienne évidemment pas toute faite une solution miraculeuse grâce à laquelle les juifs vivant des histoires nationalement distinctes, sauvegarderaient malgré tout un sentiment d’unité. Mais pourquoi ne pas faire confiance à l’avenir? Comme me l’a rappelé mon ami Manès Sperber, les communautés juives dispersées ont su, à travers les siècles, ne pas perdre le sens de leur unique vocation. L’histoire du judaïsme sera écrite à la fois par les Israéliens et par les juifs de la diaspora. La condition première de cette histoire commune c’est qu’ils se comprennent et se respectent réciproquement. Un fanatisme qui dénoncerait les juifs qui se veulent citoyens de France ou des États-Unis serait fatal.
Je sais que ce fanatisme est étranger à ceux qui ont bâti et qui maintiennent l’État d’Israël.]
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Souligné par moi. – R.A.
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