Le serment et le contrat
Contrepoint
Hiver 1971

La
Critique de la Raison dialectique
raconte, en une sorte de roman philosophique, l'odyssée de la conscience qui s'aliène dans l'objet, se perd dans le pratico-inerte, la matérialité et la sérialité, s'arrache ensuite à la servitude ou, mieux encore, à la glu qui l'enserre et l'enferme, se reconquiert elle-même par la révolte, pour le combat et enfin, pour vaincre, perd ses raisons de vaincre. La révolte, pour ne pas succomber aux coups de ses ennemis, devient révolution; celle-ci ne survit que par l'organisation, puis l'institution; l'État, le Souverain naissent ou renaissent de la révolution triomphante, mais trahie par son triomphe. La conscience qui s'est libérée par la révolte retombe peu à peu par l'intermédiaire de la praxis commune, dans le pratico-inerte.
Univers infernal de
l'Être et le Néant
modifié par une théorie des
ensembles pratiques
, ou analyse transcendantale de la socialité: l'objectivation par l'autre se complète par l'insertion des collectifs dans la conscience individuelle et l'objectivation dévalorisante des collectifs les uns par les autres, Mais de cet univers que Sartre a rendu infernal, en assimilant toute socialisation à la chute dans l'inertie et la passivité, en décrétant l'alternative de la totale liberté ou du total asservissement, en confondant la volonté de différenciation ou de supériorité par laquelle chaque collectif s'affirme par rapport aux autres avec la négation de l'humanité de l'autre – de cet univers infernal comment l'homme va-t-il sortir? Le groupe va-t-il ouvrir une voie de salut? L'opposition radicale de la série et du groupe sera-t-elle justifiée, en tant que typologie ou en tant qu'alternative ontologico-existentielle?
Prenons pour point de départ, la distinction apparemment banale, innocente de l'
exis
et de la
praxis
, de l'être-de-classe ou de la praxis-de-classe.
Je porte en moi un être de classe et je le reconnais, objectivé, dans le regard, les propos de l'autre. Celui-ci me fait présent là où je ne suis pas, il me rend responsable de ce que je ne fais pas, solidaire d'autres que j'ignore. Je puis assumer, fuir ou ignorer le destin que m'imposent les autres du fait qu'ils ne voient en moi qu'un exemplaire de juif ou un membre de la classe ouvrière ou bourgeoise. Pour le Juif, puisqu'à l'intérieur d'une société, en immense majorité non juive, la révolte ne constitue pas une espérance ou une possibilité, il n'y aura d'autre choix qu'entre fuir et assumer la judéité que lui impose la «discrimination» du monde environnant. En revanche, la classe opprimée ou exploitée, elle, a le choix entre
la soumission à l'inertie
– accepter le collectif classe ouvrière, la dispersion et la multiplicité à partir de laquelle se constitue par totalisation objectivante et inachevée l'être-de-classe, c'est-à-dire l'asservissement – et la
révolte
, l'action commune dont le groupe en fusion représente l'origine transcendantale, et, apparemment, la forme pure, exemplaire. Sartre me paraît le premier philosophe, qui, en Occident, ait admiré sans réserves la foule révolutionnaire, la tête du gouverneur d'une prison presque désaffectée au bout d'une pique, le premier qui ait salué dans le groupe en fusion l'accès de l'individu à l'authentique humanité.
Le modèle de la dialectique, aux yeux de Sartre, ce n'est pas le dialogue, la relation
entre
des consciences, mais la conscience solitaire, la totalisation par le regard de ce qui s'offre à lui, l'unification du champ grâce au projet qui rassemble les données en vue d'un avenir. Libre comme le Dieu de Descartes, souveraine elle-même puisqu'elle n'est guettée que par la mauvaise foi et non asservie par l'inconscient, pourtant incertaine d'elle-même puisqu'elle n'est jamais ce qu'elle est, néant et absolu tout à la fois, la conscience ou la praxis individuelle ne sort de sa prison hautaine que pour se perdre pour ainsi dire dans la foule. Le Dieu de Descartes – la conscience de Sartre – doit se résigner à son isolement ou s'encanailler. Avant 1940, elle semblait s'orienter vers le premier terme de l’alternative; depuis que l'existentialisme est devenu un humanisme, elle a choisi le deuxième terme. Mais, du même coup, elle a choisi l'humanisme de la violence. Si l'humanité commence avec la révolte, elle commence aussi avec la violence. Un philosophe fasciste souscrirait aisément à cette thèse du «commencement de l'humanité».
Psychologiquement, le mouvement du pour au contre, de la conscience solitaire au groupe en fusion, de la conscience individuelle, principe de toute réalité sociale, à la foule entraînée vers un objectif commun par un vouloir spontané s'explique facilement. L'admiration de Sartre pour la commune estudiantine de la Sorbonne en mai 1968, l'admiration pour l'analyse sartrienne du groupe en fusion qu'éprouve Épistémon, professeur touché par la grâce révolutionnaire à Nanterre, se situent dans la logique de la
Critique de la Raison Dialectique
, philosophie de la spontanéité révolutionnaire plus que du marxisme-léninisme, bien que le livre s'efforçât de justifier à la fois celui-ci et celle-là. Mais la justification du marxisme-léninisme n'apparaît qu'à la fin de la dialectique sartrienne, très près de la retombée dans le pratico-inerte.
Il reste, malgré tout, que la foule révolutionnaire a la nature éphémère des instants parfaits; groupe de combat, elle doit s'organiser pour vaincre. À quelles conditions garde-t-elle dans l'organisation l'humanité qu'elle emprunte à la révolte?
La
Critique
donne, me semble-t-il, comme modèle d'une organisation qui échappe au pratico-inerte, qui maintient la liberté de la praxis, l'équipe de football. Chacun des joueurs conserve une marge d'initiative bien que tous visent le même but. Chacun répond librement à l'initiative de son coéquipier, chacun compte sur tous et tous comptent sur chacun sans que, pour autant, personne n'aliène son autonomie au profit d'un autre ou d'un Souverain. Si l'on oppose l'
équipe
à la
strate
, la distinction apparaît en toute clarté entre l'
exis
et la
praxis
: la
strate
des ouvriers d'usines ou des employés de niveau intermédiaire ne constitue qu'une manière d'être, elle ne figure pas une manière de faire ni une action collective. Mais que l'on substitue à la strate des ouvriers d'usine, les ouvriers qui travaillent ensemble dans un atelier. Faut-il les assimiler à l'
équipe
ou à la
strate
? Eux aussi, comme les équipiers, orientent leur travail les uns aux autres. Probablement chaque ouvrier a-t-il moins d'initiative dans l'exécution de sa tâche que le joueur de football, bien que celui-ci se soumette à une discipline et à une stratégie (l'entraîneur est responsable de la stratégie). L'équipe de travail appartient-elle à la même catégorie que l'équipe de jeu ou reste-t-elle à l'intérieur du pratico-inerte? Il me paraît difficile d'en décider par la seule analyse de l'organisation. Le groupe de travail ressemble au groupe de combat organisé avec différenciation des tâches et accentuation de l'autorité organisationnelle. Mais, comme après la révolution, le groupe de travail ne peut pas disparaître ni changer fondamentalement de nature, il faut bien qu'entre le travail organisé sous un régime d'oppression et le régime organisé dans l'ardeur révolutionnaire, le philosophe découvre une différence essentielle.
La théorie du
serment
fournit, me semble-t-il, la réponse à la question, le principe de différenciation. Le
serment
tient dans la philosophe de Sartre la place du contrat chez J.J. Rousseau: principe de tout ordre social qui puisse se donner pour humain, de ce fait même équivoque et peut-être insaisissable à l'observation empirique. Ni le serment ni le contrat ne sont en tant que tels des événements originels ou historiques. Certes, les révolutionnaires, chaque parti révolutionnaire, renouvelle d'une certaine manière le serment de fidélité qui fonde la fraternité et accepte à l'avance la terreur. En ce sens, chaque groupe révolutionnaire, chaque équipe de
guerrilleros
renouvelle pour son compte, effectivement, le serment de fraternité. Le contrat de Rousseau échappe à l'expérience, bien que toute expression de volonté nationale, de résistance à l'oppression étrangère constitue l'équivalent du contrat, la volonté de
vivre
ensemble répond à la volonté de
combattre
ensemble, la cité à la classe. Entre le serment et le contrat, une similitude essentielle: l'idée que la société naît à partir d'une liberté originelle, d'une praxis constituante et que le pouvoir de l'homme sur l'homme ou plutôt l'existence même des collectivités dérive en droit de l'unanimité essentielle. Avant que le régime ne fixe les règles selon lesquelles quelques-uns exercent une autorité sur tous, il faut que tous aient souscrit à ces règles mêmes, donc à la collectivité elle-même. Le
nous
, créateur de la collectivité libre, Sartre le trouve dans le groupe en fusion de l'apocalypse révolutionnaire, J.J. Rousseau dans le contrat.
L'opposition entre la foule qui s'empare de la Bastille et l'assemblée du peuple illustre, à un niveau inférieur, le contraste des souvenirs ou des mythes historiques. L'un rêve de 1789 ou de 1917, l'autre des assemblées du peuple sur l'agora ou le forum, des cités bourgeoise encore vivantes au XVIIIème siècle. À un niveau supérieur l'opposition répond à celle de la guerre et de la paix, de la violence et de la loi. L'acte de naissance de la cité, selon Rousseau, est un contrat qui engage tous les citoyens totalement et définitivement; l'acte de naissance du groupe et de la société éventuellement libre est un serment par lequel chacun jure fidélité à tous et légitime à l'avance les sanctions qui le frapperont en cas de trahison. L'homme avant le contrat jouit de la liberté: il ne peut aliéner celle-ci que par un acte libre, donc volontaire et pacifique, le contrat. L'homme avant la révolte est englué dans le pratico-inerte, il ne peut s'arracher au pratico-inerte que par une rupture violente, la révolte. Par le contrat, le citoyen accepte à l'avance qu'on le force d'être libre, c'est-à-dire de demeurer fidèle à l'engagement qui l'a fait citoyen. Par le serment, le révolutionnaire se soumet à l'avance aux rigueurs de la discipline et de l'épuration; il se méfie de sa propre liberté qu'il ne peut aliéner (l'homme est liberté) mais, sachant qu'il risque de trahir son serment, il jure librement qu'il payera le prix de sa trahison et qu'il veut lui-même ce châtiment. L'un aboutit à la souveraineté de la loi et l'autre au règne de la terreur.
Retour à l'opposition entre Hobbes et Rousseau, entre un état de nature défini par la guerre de tous contre tous et un état de nature dans lequel s'épanouit la liberté joyeuse et anarchique de chacun? En un sens, il en va bien ainsi. La rareté fait de l'homme l'ennemi de l'homme; l’homme n'a pas de nature, donc, liberté pure, il ne mérite aucun qualificatif, ni celui de bon ni celui de méchant; mais tant que sévit la rareté, tout se passe comme si l'homme était un loup(1) pour l'homme. En apparence, le contraste subsiste: selon Hobbes, la société se constitue par la soumission au Souverain, soumission librement décidée par les individus qui préfèrent l'obéissance au risque de mort. Par le serment révolutionnaire, en revanche, la liberté renonce volontairement à elle-même en vue de l'efficacité et du combat, mais elle ne s'aliène pas, parce qu'elle ne dispose pas de son avenir, elle autorise les autres à en disposer. Contraste incontestable, aisément explicable puisque l'un veut exorciser le démon de la guerre civile et l'autre le maintenir, en vie et gloire. Mais, ne l'oublions pas, malgré tout, la fraternité-terreur aboutit au culte de la personnalité:
«Il est
vrai
que Staline était le parti de l’État. Ou plutôt que le parti et l'État étaient Staline» (p.630). «L'expérience historique a révélé indéniablement que le premier moment de la société socialiste en construction ne pouvait être – à le considérer sur le plan encore abstrait du pouvoir – que l'indissoluble agrégation de la bureaucratie, de la Terreur et du culte de la personnalité».
En bref, le groupe révolutionnaire monopolise pour lui-même la praxis, la force et s'institutionnalise en un ensemble de séries. L'absolutisme de Staline dans le culte de la personnalité ne le cède en rien à l'absolutisme du Souverain de Hobbes.
Il reste une différence: le groupe révolutionnaire qui a monopolisé l'action continue d'incarner la révolte et le serment. S'il ne l'incarne plus, il n'appartient plus à la dialectique constituante, il tombe dans la dialectique constituée. Par ce biais, nous revenons de Hobbes à J.J. Rousseau: un pouvoir légitime suppose le consentement, la volonté de vivre ensemble que le contrat symbolise; il suppose, dans la
Critique
, l'équivalent de ce contrat à chaque fois renouvelé, autrement dit le renouvellement du serment. Mais comment discerner te renouvellement ou le non-renouvellement du serment?
Du contrat découle un ordre légitime, puisque les citoyens se sont engagés unanimement à se soumettre à la loi majoritaire. Rien de pareil chez Sartre puisque les procédures de la démocratie formelle (élections, représentation) appartiennent au sériel, au pratico-inerte, impliquent l'hétéro-conditionnement et excluent l'épanouissement total de la liberté. Dès lors, les institutions, le groupe révolutionnaire monopolisant l'État ne se différencient du despotisme pur et simple que par leur origine (ils incarnent le libre serment unanime des révolutionnaires) et leur projet (si l'on admet que Staline prolongeait le projet révolutionnaire du groupe). Mais comment savoir s'il en allait ainsi? À la rigueur, la persistance ou non persistance du contrat dans les institutions réelles se prête à une détermination objective ou rationnelle: loi majoritaire, constitution. Acte légal, le contrat se prolonge par le règne de la loi. Consécration d'un acte révolutionnaire, par quoi se prolonge le serment? Qui peut dire si et dans quelle mesure les compagnons de Lénine se jugent tenus par leur serment de reconnaître le prolétariat et le parti dans Staline? De plus, si «les contradictions internes du monde socialiste mettent en relief à travers les immenses progrès accomplis, l'exigence objective d'une débureaucratisation, d'une décentralisation, d'une démocratisation», la question se pose immédiatement de savoir en quoi cette «démocratisation» différera de la démocratie occidentale, comment elle évitera la chute dans la sérialité, l'hétéro-conditionnement, en bref les collectifs, caractéristiques non d'un régime social en particulier mais de la socialité en tant que telle?
De nouveau, nous avons le choix entre deux réponses: la différence subsiste ou bien grâce à la substitution des équipes aux collectifs inertes, mais il y a des «équipes» dans toutes les sociétés et tous les ensembles pratiques ne peuvent revêtir la forme d'équipes; ou bien par la persistance du serment révolutionnaire même à l'époque du culte de la personnalité, mais qui peut en décider? Définir indéfiniment un régime par le projet de ses fondateurs, c'est commettre l'erreur que Marx imputait aux historiens bourgeois ou idéalistes; juger un homme ou un régime sur l'idée qu'il se fait de lui-même, non sur l'être réel (toute réserve étant faite sur la définition de cet «être réel»).
Certes, la retombée dans le pratico-inerte commence non avec l'organisation mais avec l'institution. Celle-ci apparaît en même temps que la cristallisation d'un ordre hiérarchique qui prend pour ainsi dire de la distance par rapport aux individus. Comment l'
organisation
pourrait-elle ne pas glisser peu à peu vers l'
institution
et celle-ci à son tour vers le
groupe souverain
vers l'État, ni légitime ni illégitime, l'État auquel les individus obéissent parce qu'ils ne peuvent pas faire autrement, sans se reconnaître en lui? De deux choses l'une: ou l'
organisation
devient nécessairement
institution
et, en ce cas, la retombée dans le pratico-inerte obéit à une dialectique descendante inexorable; ou bien cette retombée peut être évitée. Dans le premier cas, l'homme ne sort pas de la caverne, de l'asservissement, tout au plus réussit-il de brèves sorties vers le soleil de la Bastille, vers la fête révolutionnaire, vers la communion du combat, moments éphémères mais exaltants, dont il garde la mémoire et l'émotion, durant la grisaille du pratico-inerte, durant la longue attente de la prochaine sortie. Doctrine de la révolution permanente, au sens propre plutôt qu'au sens trotskyste. L'homme n'échappe à la solitude et à l'asservissement que dans une révolte toujours vaincue, tantôt par la victoire et tantôt par la défaite. Dans le deuxième cas, il reste à indiquer, sinon à préciser, les organisations, voire les institutions qui représenteraient la perpétuation de la révolte et l'élimination, ou à défaut une atténuation, de l'inertie, de l'atomisme et de la sérialité, qui semblent inséparables de la société complexe, diffuse, multiple.
La pensée sartrienne oscille entre les deux termes de cette alternative, plus proche en profondeur du premier que du deuxième, condamnée à suggérer le deuxième pour ne pas prendre trop de distance par rapport au marxisme-léninisme, toujours ramenée au premier par son penchant intime.
«Dans quelle mesure une société socialiste bannira-t-elle l'atomisme
sous toutes ses formes
? Dans quelle mesure les objets collectifs, signes de notre aliénation, seront-ils dissous dans une véritable communauté intersubjective où les seules relations réelles seront celles des hommes entre eux et dans quelle mesure la nécessité pour toute société humaine de rester totalité détotalisée maintiendra-t-elle la récurrence, les fuites et, partant, les unités-objets comme limites de l'unification vraie? La disparition des formes capitalistes de l'aliénation doit-elle s'identifier avec la suppression de
toutes
les formes d'aliénation?»
À cette dernière question, le bon sens et Sartre répondent en même temps
non
. Sartre a donné des arguments irréfutables au bon sens. Matérialité, sérialité, inertie constituent des données immédiates de la socialité, et plus encore de la socialité moderne. La praxis ne se développe avec une totale liberté qu'en niant la socialité, c'est-à-dire dans le combat. Une fois de plus nous arrivons à une philosophie de la violence.
En vérité, Sartre demeure, dans la
Critique
, beaucoup plus sartrien que marxiste. Par la distinction de trois termes,
être-de-classe
(la classe ouvrière comme strate, comme unité de situation. unité non totalisée de multiplicité),
institution
(syndicats ouvriers) et
groupe de combat
(les soviets), il fonde philosophiquement le parti, reprise organisée des soviets, et lui accorde une dignité qu'il retire à la classe et aux syndicats. Mais cette distinction, sur le plan de la description sociologique, ne présente pas d'originalité par rapport à ce que l'on trouve chez Lénine ou chez les sociologues empiriques. Le lien entre le parti et le groupe de combat, c'est-à-dire la révolte en sa phase initiale, le groupe en fusion, permet de combiner une philosophie de la spontanéité des masses avec une justification indirecte et réticente du parti totalitaire. Mais ces compromis avec le marxisme-léninisme ne dissimulent pas le pessimisme sartrien de
l'Être et le Néant
qui perce malgré toutes les concessions d'origine politique, dans la
Critique de la Raison dialectique
. J'entends par pessimisme la fatalité de l'aliénation, nouvelle expression de la contradiction qui ne comporte pas de solution entre le pour-soi et l'en-soi.
«L'aliénation fondamentale ne vient pas, comme
L'Être et le Néant
pourrait le faire croire, à tort, d'un choix prénatal: elle vient du rapport univoque d'intériorité qui unit l'homme comme organisme pratique à son environnement.»
Cette formule, obscure pour le non-spécialiste, sert de conclusion à une analyse, elle, parfaitement claire:
«L'agent pratique (l'homme) est un organisme (un être vivant) se dépassant par une action et dont la saisie objective de soi-même le découvre comme objet inanimé, résultat d'une opération, que ce soit une statue, une machine ou son intérêt particulier... Cette matérialité inerte de l'homme comme fondement de toute connaissance de soi par soi est donc une aliénation de la connaissance en même temps qu'une connaissance de l'aliénation.»
Quelle révolution pourrait supprimer cette «aliénation fondamentale», résultant de la projection de la praxis dans la matérialité: matérialité par l'intermédiaire de laquelle la praxis se connaît elle-même, mais se connaît aliénée et acquiert une connaissance aliénée d'elle-même?
L'odyssée de la conscience, la phénoménologie des ensembles pratiques conduisent-elles,
sur le plan politique
, au parti communiste ou au gauchisme? Au moment où le livre fut publié – en 1960 – la déduction transcendantale du culte de la personnalité justifiait, en apparence, la collaboration
malgré tout
avec le parti communiste. Sartre affirmait explicitement que la
Critique
appartenait à la période post-stalinienne, impossible avant la dénonciation du culte de la personnalité, possible pour tous dès lors que le marxisme sclérosé, l'idéalisme volontariste du parti communiste durant la phase stalinienne se critique lui-même. En découvrant rétrospectivement que le culte de la personnalité avait marqué une phase inévitable du projet socialiste, le philosophe jouait de sa virtuosité pour marquer du sceau de la nécessité un pouvoir absolu dont il avait nié les horreurs auparavant et qu'il exorcisait en l'interprétant après coup.
Cette lecture de la
Critique
, nous l'avons vu, n'est pas la seule possible. Certes, dans la dualité de l'
exis
et de la
praxis
, celle-ci l'emporte sur celle-là, donc, en un sens, le parti sur la classe. Mais le parti ne demeure pas, en tant que tel, partout et toujours, la praxis. Celle-ci s'incarne dans le groupe de combat et ce dernier à son tour coïncide avec les soviets, avec la foule révolutionnaire avant de s'organiser en parti. Contre l'institution syndicale, le parti reste apparemment action mais il peut lui aussi, se dégrader en institution. Au lieu de lire dans la
Critique
la nécessité du culte de la personnalité, rien n'empêchait d'y découvrir l'exaltation de la révolte, du combat, de la reprise infatigable d'un projet toujours vain mais qui ne saurait admettre la défaite sans renoncer à lui-même, donc sans que l'homme renonce à sa propre humanité. En bref, la
Critique
se prête à une lecture gauchiste tout autant qu'à une lecture marxiste-léniniste.
Laquelle des deux traduit le plus fidèlement la pensée de Sartre, se conforme le plus exactement au texte? De telles questions ne comportent pas de réponse catégorique. En faveur de l'interprétation marxiste-léniniste, on peut invoquer la nécessité du Souverain, le rôle décisif du groupe de combat comme troisième terme dans la dialectique de la classe ouvrière-
exis
et du syndicat-institution, les précautions de style pour réserver une place à l'existentialisme, en marge du marxisme, philosophie indépassable de notre temps. Mais, en sens contraire, comment méconnaître la différence de ton à mesure que l'expérience critique glisse de la révolte au culte de la personnalité? Avec la révolte, commence l'humanité, dans le groupe en fusion s'exprime l'activité pure, non encore affectée d'inertie ou de passivité. Peut-être la révolte se dégrade-t-elle inévitablement en révolution et le groupe en institution mais cette dégradation nécessaire n'en reste pas moins aliénation ou symbole de l'aliénation. L'homme
est
liberté: or, c'est dans la révolte, l'acte pur que se manifeste sans équivoque cette liberté. L'homme cesse d'être l'ennemi de l'homme lorsqu'il reconnaît l'autre comme un partenaire dans une entreprise commune et que tout autre devient tiers médiateur entre deux autres. Pas de chef sinon celui que tous désignent spontanément en vue d'une tâche singulière. Pas d'institution qui établisse une hiérarchie et qui réduise la praxis à la fonction. La phénoménologie de la foule révolutionnaire, Épistémon n'a pas tort d'y voir la description anticipée du mouvement du 22 mars. Sartre allait, en 1968, interviewer Cohn-Bendit, chef qui ne voulait pas l'être, homme parmi les hommes, tiers médiateur, pour quelques instants ou quelques semaines, entre les étudiants, par dizaines, centaines, milliers, qui le suivaient parce que lui exprimait tout haut, tout joyeux, sans retenue, ce qu'eux-mêmes éprouvaient ou rêvaient d'éprouver.
Faut-il dire que Sartre a déployé des trésors de sophistique pour justifier(2) le marxisme-léninisme, Staline, les camps de concentration faute d’apercevoir une autre incarnation de la volonté révolutionnaire? Qu'il n'a pas eu la patience d'attendre le gauchisme, la révolte selon son cœur? Oui et non, dirai-je en l'imitant. «Moment parfait», le groupe en fusion ne peut pas durer, il a la pureté de l'illusion lyrique, il laisse des souvenirs exaltants qui feront surgir, plus tard, d'autres révoltes, nées, elles aussi, de l'impossibilité d'une vie impossible. Autres révoltes, non la même révolte car celle-ci s'est perdue elle-même, victime de ses ennemis ou de la nécessité de survivre. Socialement, c'est le passage de l'organisation à l'institution qui marque la chute dans le pratico-inerte, l'instauration d'une hiérarchie inerte et autoritaire, la condamnation de la plupart à une praxis passive, à une obéissance anonyme. Humainement, la tragédie de la révolte commence immédiatement, à la minute même où s'achève l'apocalypse. Chacun de nous se dépouille de sa liberté afin de s'assurer contre elle, afin de se garantir à lui-même sa propre fidélité. Pour simplifier, nous avons écrit plusieurs fois l'homme ou la conscience
est
liberté mais il faut bien entendre, que ni l'homme ni la conscience ne
sont
à la manière de choses. La liberté appartient à la conscience instantanée ou encore elle la constitue. Ce qui me contraint à prêter serment, c'est que, seul, je ne puis répondre de moi-même puisque ma praxis se projettera demain vers l'avenir comme elle le fait aujourd'hui sans être prisonnière de sa décision présente.
Qu'on ne s'y trompe pas: le problème existait pour Sartre avant que la guerre, l'occupation, la gestapo, la torture aient donné à tous l'expérience de la conscience angoissée par sa propre liberté. J'ai gardé le souvenir d'une conférence de J.-P. Sartre, en 1938, aux soirées philosophiques de Gabriel Marcel qui avait précisément pour thème le serment(3). Celui-ci lui paraissait, à l'époque, une sorte d'automystification. Si je veux aujourd'hui, qu'ai-je besoin de jurer? Et que restera-t-il du serment demain, si je ne veux pas? Tout serment, en dernière analyse, ressemblerait à un serment d'ivrogne, inutile lorsque je suis à jeun, impuissant quand la bouteille me fascine. La conscience sartrienne n'a pas plus de continuité que d'intériorité. Ni vie intérieure puisque la conscience est essentiellement conscience de quelque chose, transcendance du donné vers l'avenir. Ni unité à travers le temps puisque le moi est un objet noématique, l'horizon commun de noèses successives, en nombre indéfini. L’humanisme de Sartre – ce que lui-même après 1945 appelle humanisme – ne connaît ni vie spirituelle (au sens religieux) ni personne. Chacun est ce qu'il fait et il ne sait pas aujourd'hui ce qu'il fera demain.
La fraternité devient donc terroriste non par accident, mais par nécessité. L’ivrogne ne peut, à moins de mauvaise foi, jurer qu'il ne boira plus, ni le joueur qu'il ne jouera plus, ni le militant qu'il ne trahira pas, mais il peut, par son serment, transférer sa volonté présente aux autres et vouloir le châtiment que les autres lui infligeront à bon droit puisqu'ils exécuteront l'arrêt imposé par son serment actuel. La révolte commence au cri: la liberté ou la mort. Elle continue avec le serment: la fidélité ou la mort. C'est mon frère, mon compagnon qui me donne contre l'avenir imprévisible, contre ma liberté même l'assurance de ne pas me manquer à moi-même.
Comment choisir entre les deux lectures, marxiste-léniniste et gauchiste? Elles s'impliquent l'une l'autre, comme la liberté et la nécessité, la dialectique et l'antidialectique, le groupe en fusion et la fraternité-terreur, l'organisation et l'institution et finalement la praxis individuelle et le culte de la personnalité. Ou, du moins, le choix exigerait ce que le premier tome n'apporte pas: la dialectique cumulative et non pas les seules conditions statiques d'une dialectique qui illustre le mythe de Sisyphe. Est-ce en surmontant la rareté (donc par le développement des forces productives) ou par la propriété collective des instruments de production que la lutte de classes totalisera l'histoire tout entière en lui donnant un sens, direction et achèvement tout à la fois? L'expérience critique devait fonder le matérialisme historique: l'a-t-elle fait?
(1)
Symbole mal choisi puisque, en fait, le loup ne tue pas son semblable vaincu.
(2)
Justifier en ce sens précis que rien de ce qu'il condamnait moralement plutôt que politiquement, ne l'amenait à rompre avec le parti communiste ou à lui dénier le statut de représentant de la classe ouvrière et du socialisme.
(3)
La semaine suivante, je repris le même sujet et discutai des analyses de Sartre.
Politique française Articles 1944-1977
titlepage.xhtml
part0001.html
part0002.html
part0003.html
part0004.html
part0005.html
part0006.html
part0007.html
part0008.html
part0009.html
part0010.html
part0011.html
part0012.html
part0013.html
part0014.html
part0015.html
part0016.html
part0017.html
part0018.html
part0019.html
part0020.html
part0021.html
part0022.html
part0023.html
part0024.html
part0025.html
part0026.html
part0027.html
part0028.html
part0029.html
part0030.html
part0031.html
part0032.html
part0033.html
part0034.html
part0035.html
part0036.html
part0037.html
part0038.html
part0039.html
part0040.html
part0041.html
part0042.html
part0043.html
part0044.html
part0045.html
part0046.html
part0047.html
part0048.html
part0049.html
part0050.html
part0051.html
part0052.html
part0053.html
part0054.html
part0055.html
part0056.html
part0057.html
part0058.html
part0059.html
part0060.html
part0061.html
part0062.html
part0063.html
part0064.html
part0065.html
part0066.html
part0067.html
part0068.html
part0069.html
part0070.html
part0071.html
part0072.html
part0073.html
part0074.html
part0075.html
part0076.html
part0077.html
part0078.html
part0079.html
part0080.html
part0081.html
part0082.html
part0083.html
part0084.html
part0085.html
part0086.html
part0087.html
part0088.html
part0089.html
part0090.html
part0091.html
part0092.html
part0093.html
part0094.html
part0095.html
part0096.html
part0097.html
part0098.html
part0099.html
part0100.html
part0101.html
part0102.html
part0103.html
part0104.html
part0105.html
part0106.html
part0107.html
part0108.html
part0109.html
part0110.html
part0111.html
part0112.html
part0113.html
part0114.html
part0115.html
part0116.html
part0117.html
part0118.html
part0119.html
part0120.html
part0121.html
part0122.html
part0123.html
part0124.html
part0125.html
part0126.html
part0127.html
part0128.html
part0129.html
part0130.html
part0131.html
part0132.html
part0133.html
part0134.html
part0135.html
part0136.html
part0137.html
part0138.html
part0139.html
part0140.html
part0141.html
part0142.html
part0143.html
part0144.html
part0145.html
part0146.html
part0147.html
part0148.html
part0149.html
part0150.html
part0151.html
part0152.html
part0153.html
part0154.html
part0155.html
part0156.html
part0157.html
part0158.html
part0159.html
part0160.html
part0161.html
part0162.html
part0163.html
part0164.html
part0165.html
part0166.html
part0167.html
part0168.html
part0169.html
part0170.html
part0171.html
part0172.html
part0173.html
part0174.html
part0175.html
part0176.html
part0177.html
part0178.html
part0179.html
part0180.html
part0181.html
part0182.html
part0183.html
part0184.html
part0185.html
part0186.html
part0187.html
part0188.html
part0189.html
part0190.html
part0191.html
part0192.html
part0193.html
part0194.html
part0195.html
part0196.html
part0197.html
part0198.html
part0199.html
part0200.html
part0201.html
part0202.html
part0203.html
part0204.html
part0205.html
part0206.html
part0207.html
part0208.html
part0209.html
part0210.html
part0211.html
part0212.html
part0213.html
part0214.html
part0215.html
part0216.html
part0217.html
part0218.html
part0219.html
part0220.html
part0221.html
part0222.html
part0223.html
part0224.html
part0225.html
part0226.html
part0227.html
part0228.html
part0229.html
part0230.html
part0231.html
part0232.html
part0233.html
part0234.html
part0235.html
part0236.html
part0237.html
part0238.html
part0239.html
part0240.html
part0241.html
part0242.html
part0243.html
part0244.html
part0245.html
part0246.html
part0247.html
part0248.html
part0249.html
part0250.html
part0251.html
part0252.html
part0253.html
part0254.html
part0255.html
part0256.html
part0257.html
part0258.html
part0259.html
part0260.html
part0261.html
part0262.html
part0263.html
part0264.html
part0265.html
part0266.html
part0267.html
part0268.html
part0269.html
part0270.html
part0271.html
part0272.html
part0273.html
part0274.html
part0275.html
part0276.html
part0277.html
part0278.html
part0279.html
part0280.html
part0281.html
part0282.html
part0283.html
part0284.html
part0285.html
part0286.html
part0287.html
part0288.html
part0289.html
part0290.html
part0291.html
part0292.html
part0293.html
part0294.html
part0295.html
part0296.html
part0297.html
part0298.html
part0299.html
part0300.html
part0301.html
part0302.html
part0303.html
part0304.html
part0305.html
part0306.html
part0307.html
part0308.html
part0309.html
part0310.html
part0311.html
part0312.html
part0313.html
part0314.html
part0315.html
part0316.html
part0317.html
part0318.html
part0319.html
part0320.html
part0321.html
part0322.html
part0323.html
part0324.html
part0325.html
part0326.html
part0327.html
part0328.html
part0329.html
part0330.html
part0331.html
part0332.html
part0333.html
part0334.html
part0335.html
part0336.html
part0337.html
part0338.html
part0339.html
part0340.html
part0341.html
part0342.html
part0343.html
part0344.html
part0345.html
part0346.html
part0347.html
part0348.html
part0349.html
part0350.html
part0351.html
part0352.html
part0353.html
part0354.html
part0355.html
part0356.html
part0357.html
part0358.html
part0359.html
part0360.html
part0361.html
part0362.html
part0363.html
part0364.html
part0365.html
part0366.html
part0367.html
part0368.html
part0369.html
part0370.html
part0371.html
part0372.html
part0373.html
part0374.html
part0375.html
part0376.html
part0377.html
part0378.html
part0379.html
part0380.html
part0381.html
part0382.html
part0383.html
part0384.html
part0385.html
part0386.html
part0387.html
part0388.html
part0389.html
part0390.html
part0391.html
part0392.html
part0393.html
part0394.html
part0395.html
part0396.html
part0397.html
part0398.html
part0399.html
part0400.html
part0401.html
part0402.html
part0403.html
part0404.html
part0405.html
part0406.html
part0407.html
part0408.html
part0409.html
part0410.html
part0411.html
part0412.html
part0413.html
part0414.html
part0415.html
part0416.html
part0417.html
part0418.html
part0419.html
part0420.html
part0421.html
part0422.html
part0423.html
part0424.html
part0425.html
part0426.html
part0427.html
part0428.html
part0429.html
part0430.html
part0431.html
part0432.html
part0433.html
part0434.html
part0435.html
part0436.html
part0437.html
part0438.html
part0439.html
part0440.html
part0441.html
part0442.html
part0443.html
part0444.html
part0445.html
part0446.html
part0447.html
part0448.html
part0449.html
part0450.html
part0451.html
part0452.html
part0453.html
part0454.html
part0455.html
part0456.html
part0457.html
part0458.html
part0459.html
part0460.html
part0461.html
part0462.html
part0463.html
part0464.html
part0465.html
part0466.html
part0467.html
part0468.html
part0469.html
part0470.html
part0471.html
part0472.html
part0473.html
part0474.html
part0475.html
part0476.html
part0477.html
part0478.html
part0479.html
part0480.html
part0481.html
part0482.html
part0483.html
part0484.html
part0485.html
part0486.html
part0487.html
part0488.html
part0489.html
part0490.html
part0491.html
part0492.html
part0493.html
part0494.html
part0495.html
part0496.html
part0497.html
part0498.html
part0499.html
part0500.html
part0501.html
part0502.html
part0503.html
part0504.html
part0505.html
part0506.html
part0507.html
part0508.html
part0509.html
part0510.html
part0511.html
part0512.html
part0513.html
part0514.html
part0515.html
part0516.html
part0517.html
part0518.html
part0519.html
part0520.html
part0521.html
part0522.html
part0523.html
part0524.html
part0525.html
part0526.html
part0527.html
part0528.html
part0529.html
part0530.html
part0531.html
part0532.html
part0533.html
part0534.html
part0535.html
part0536.html
part0537.html
part0538.html
part0539.html
part0540.html
part0541.html
part0542.html
part0543.html
part0544.html
part0545.html
part0546.html
part0547.html
part0548.html
part0549.html
part0550.html
part0551.html
part0552.html
part0553.html
part0554.html
part0555.html
part0556.html
part0557.html
part0558.html
part0559.html
part0560.html
part0561.html
part0562.html
part0563.html
part0564.html
part0565.html
part0566.html
part0567.html
part0568.html
part0569.html
part0570.html
part0571.html
part0572.html
part0573.html
part0574.html
part0575.html
part0576.html
part0577.html
part0578.html
part0579.html
part0580.html
part0581.html
part0582.html
part0583.html
part0584.html
part0585.html
part0586.html
part0587.html
part0588.html
part0589.html
part0590.html
part0591.html
part0592.html
part0593.html
part0594.html
part0595.html
part0596.html
part0597.html
part0598.html
part0599.html
part0600.html
part0601.html
part0602.html
part0603.html
part0604.html
part0605.html
part0606.html
part0607.html
part0608.html
part0609.html
part0610.html
part0611.html
part0612.html
part0613.html
part0614.html
part0615.html
part0616.html
part0617.html
part0618.html
part0619.html
part0620.html
part0621.html
part0622.html
part0623.html
part0624.html
part0625.html
part0626.html
part0627.html
part0628.html
part0629.html
part0630.html
part0631.html
part0632.html
part0633.html
part0634.html
part0635.html
part0636.html
part0637.html
part0638.html
part0639.html
part0640.html
part0641.html
part0642.html
part0643.html
part0644.html
part0645.html
part0646.html
part0647.html
part0648.html
part0649.html
part0650.html
part0651.html
part0652.html
part0653.html
part0654.html
part0655.html
part0656.html
part0657.html
part0658.html
part0659.html
part0660.html
part0661.html
part0662.html
part0663.html
part0664.html
part0665.html
part0666.html
part0667.html
part0668.html
part0669.html
part0670.html
part0671.html
part0672.html
part0673.html
part0674.html
part0675.html
part0676.html
part0677.html
part0678.html
part0679.html
part0680.html
part0681.html
part0682.html
part0683.html
part0684.html
part0685.html
part0686.html
part0687.html
part0688.html
part0689.html
part0690.html
part0691.html
part0692.html
part0693.html
part0694.html
part0695.html
part0696.html
part0697.html
part0698.html
part0699.html
part0700.html
part0701.html
part0702.html
part0703.html
part0704.html
part0705.html
part0706.html
part0707.html
part0708.html
part0709.html
part0710.html
part0711.html
part0712.html
part0713.html
part0714.html
part0715.html
part0716.html
part0717.html
part0718.html
part0719.html
part0720.html
part0721.html
part0722.html
part0723.html
part0724.html
part0725.html
part0726.html
part0727.html
part0728.html
part0729.html
part0730.html
part0731.html
part0732.html
part0733.html
part0734.html
part0735.html
part0736.html
part0737.html
part0738.html
part0739.html
part0740.html
part0741.html
part0742.html
part0743.html
part0744.html
part0745.html
part0746.html
part0747.html
part0748.html
part0749.html
part0750.html
part0751.html
part0752.html
part0753.html
part0754.html
part0755.html
part0756.html
part0757.html
part0758.html
part0759.html
part0760.html
part0761.html
part0762.html
part0763.html
part0764.html
part0765.html
part0766.html
part0767.html
part0768.html
part0769.html
part0770.html
part0771.html
part0772.html
part0773.html
part0774.html
part0775.html
part0776.html
part0777.html
part0778.html
part0779.html
part0780.html
part0781.html
part0782.html
part0783.html
part0784.html
part0785.html
part0786.html
part0787.html
part0788.html
part0789.html
part0790.html
part0791.html
part0792.html
part0793.html
part0794.html
part0795.html
part0796.html
part0797.html
part0798.html
part0799.html
part0800.html
part0801.html
part0802.html
part0803.html
part0804.html
part0805.html
part0806.html
part0807.html
part0808.html
part0809.html
part0810.html
part0811.html
part0812.html
part0813.html
part0814.html
part0815.html
part0816.html
part0817.html
part0818.html
part0819.html
part0820.html
part0821.html
part0822.html
part0823.html
part0824.html
part0825.html
part0826.html
part0827.html
part0828.html
part0829.html
part0830.html
part0831.html
part0832.html
part0833.html
part0834.html
part0835.html
part0836.html
part0837.html
part0838.html
part0839.html
part0840.html
part0841.html
part0842.html
part0843.html
part0844.html
part0845.html
part0846.html
part0847.html
part0848.html
part0849.html
part0850.html
part0851.html
part0852.html
part0853.html
part0854.html
part0855.html
part0856.html
part0857.html
part0858.html
part0859.html
part0860.html
part0861.html
part0862.html
part0863.html
part0864.html
part0865.html
part0866.html
part0867.html
part0868.html
part0869.html
part0870.html
part0871.html
part0872.html
part0873.html
part0874.html
part0875.html
part0876.html
part0877.html
part0878.html
part0879.html
part0880.html
part0881.html
part0882.html
part0883.html
part0884.html
part0885.html
part0886.html
part0887.html
part0888.html
part0889.html
part0890.html
part0891.html
part0892.html
part0893.html
part0894.html
part0895.html
part0896.html
part0897.html
part0898.html
part0899.html
part0900.html
part0901.html
part0902.html
part0903.html
part0904.html
part0905.html
part0906.html
part0907.html
part0908.html
part0909.html
part0910.html
part0911.html
part0912.html
part0913.html
part0914.html
part0915.html
part0916.html
part0917.html
part0918.html
part0919.html
part0920.html
part0921.html
part0922.html
part0923.html
part0924.html
part0925.html
part0926.html
part0927.html
part0928.html
part0929.html
part0930.html
part0931.html
part0932.html
part0933.html
part0934.html
part0935.html
part0936.html
part0937.html
part0938.html
part0939.html
part0940.html
part0941.html
part0942.html
part0943.html
part0944.html
part0945.html
part0946.html
part0947.html
part0948.html
part0949.html
part0950.html
part0951.html
part0952.html
part0953.html
part0954.html
part0955.html
part0956.html
part0957.html
part0958.html
part0959.html
part0960.html
part0961.html
part0962.html
part0963.html
part0964.html
part0965.html
part0966.html
part0967.html
part0968.html
part0969.html
part0970.html
part0971.html
part0972.html
part0973.html
part0974.html
part0975.html
part0976.html
part0977.html
part0978.html
part0979.html
part0980.html
part0981.html
part0982.html
part0983.html
part0984.html
part0985.html
part0986.html
part0987.html
part0988.html
part0989.html
part0990.html
part0991.html
part0992.html
part0993.html
part0994.html
part0995.html
part0996.html
part0997.html
part0998.html
part0999.html
part1000.html
part1001.html
part1002.html
part1003.html
part1004.html
part1005.html
part1006.html
part1007.html
part1008.html
part1009.html
part1010.html
part1011.html
part1012.html
part1013.html
part1014.html
part1015.html
part1016.html
part1017.html
part1018.html
part1019.html
part1020.html
part1021.html
part1022.html
part1023.html
part1024.html
part1025.html
part1026.html
part1027.html
part1028.html
part1029.html
part1030.html
part1031.html
part1032.html
part1033.html
part1034.html
part1035.html
part1036.html
part1037.html
part1038.html
part1039.html
part1040.html
part1041.html
part1042.html
part1043.html
part1044.html
part1045.html
part1046.html
part1047.html
part1048.html
part1049.html
part1050.html
part1051.html
part1052.html
part1053.html
part1054.html
part1055.html
part1056.html
part1057.html
part1058.html
part1059.html
part1060.html
part1061.html
part1062.html
part1063.html
part1064.html
part1065.html
part1066.html
part1067.html
part1068.html
part1069.html
part1070.html
part1071.html
part1072.html
part1073.html
part1074.html
part1075.html
part1076.html
part1077.html
part1078.html
part1079.html
part1080.html
part1081.html
part1082.html
part1083.html
part1084.html
part1085.html
part1086.html
part1087.html
part1088.html
part1089.html
part1090.html
part1091.html
part1092.html
part1093.html
part1094.html
part1095.html
part1096.html
part1097.html
part1098.html
part1099.html
part1100.html
part1101.html
part1102.html
part1103.html
part1104.html
part1105.html
part1106.html
part1107.html
part1108.html
part1109.html
part1110.html
part1111.html
part1112.html
part1113.html
part1114.html
part1115.html
part1116.html
part1117.html
part1118.html
part1119.html
part1120.html
part1121.html
part1122.html
part1123.html
part1124.html
part1125.html
part1126.html
part1127.html
part1128.html
part1129.html
part1130.html
part1131.html
part1132.html
part1133.html
part1134.html
part1135.html
part1136.html
part1137.html
part1138.html
part1139.html
part1140.html
part1141.html
part1142.html
part1143.html
part1144.html
part1145.html
part1146.html
part1147.html
part1148.html
part1149.html
part1150.html
part1151.html
part1152.html
part1153.html
part1154.html
part1155.html
part1156.html
part1157.html
part1158.html
part1159.html
part1160.html
part1161.html
part1162.html
part1163.html
part1164.html
part1165.html
part1166.html
part1167.html
part1168.html
part1169.html
part1170.html
part1171.html
part1172.html
part1173.html
part1174.html
part1175.html
part1176.html
part1177.html
part1178.html
part1179.html
part1180.html
part1181.html
part1182.html
part1183.html
part1184.html
part1185.html
part1186.html
part1187.html
part1188.html
part1189.html
part1190.html
part1191.html
part1192.html
part1193.html
part1194.html
part1195.html
part1196.html
part1197.html
part1198.html
part1199.html
part1200.html
part1201.html
part1202.html
part1203.html
part1204.html
part1205.html
part1206.html
part1207.html
part1208.html
part1209.html
part1210.html
part1211.html
part1212.html
part1213.html
part1214.html
part1215.html
part1216.html
part1217.html
part1218.html
part1219.html
part1220.html
part1221.html
part1222.html
part1223.html
part1224.html
part1225.html
part1226.html
part1227.html
part1228.html
part1229.html
part1230.html
part1231.html
part1232.html
part1233.html
part1234.html
part1235.html
part1236.html
part1237.html
part1238.html
part1239.html
part1240.html
part1241.html
part1242.html
part1243.html
part1244.html
part1245.html
part1246.html
part1247.html
part1248.html
part1249.html
part1250.html
part1251.html
part1252.html
part1253.html
part1254.html
part1255.html
part1256.html
part1257.html
part1258.html
part1259.html
part1260.html
part1261.html
part1262.html
part1263.html
part1264.html
part1265.html
part1266.html
part1267.html
part1268.html
part1269.html
part1270.html
part1271.html
part1272.html
part1273.html
part1274.html
part1275.html
part1276.html
part1277.html
part1278.html
part1279.html
part1280.html
part1281.html
part1282.html
part1283.html
part1284.html
part1285.html
part1286.html
part1287.html
part1288.html
part1289.html
part1290.html