Le financement de la construction
Le Figaro
4 décembre 1959
L'annonce que la France va contracter aux
États-Unis un emprunt de cinquante millions de dollars (25
milliards de francs) éveille des sentiments divers.
Le commentateur est enclin d'abord à se
féliciter que la France soit de nouveau en mesure d'emprunter à
l'étranger. Les réserves de devises continuent à s'accumuler de
semaine en semaine, et les autorités ont donc pu admettre, sans
imprudence en dépit des échéances extérieures de 1960 et de 1961
qui, avant les remboursements anticipés, s'élevaient à environ cinq
cents millions de dollars pour chacune de ces deux années, une
augmentation de la dette extérieure, augmentation d'ailleurs
inférieure au surplus mensuel des comptes extérieurs depuis les
mesures prises en décembre 1958. Les titres de cet emprunt, lancé
vers le 9 décembre, doivent être retirés de la circulation d'ici à
vingt ans, un fonds d'amortissement commençant ses opérations en
1964.
D'autres considérations moins
satisfaisantes se présentent aussi à l'esprit. Cet emprunt, dont le
principal et les intérêts sont garantis par l'État français, est
émis au nom du Crédit Foncier. Il est destiné à financer un
programme supplémentaire de construction. Emprunter des dollars
pour bâtir des logements en France: le fait est paradoxal et laisse
rêveur.
L'activité du bâtiment est de celles qui
consomment le moins de devises étrangères. Les matériaux se
trouvent ou se produisent en France. Les salaires, directs ou
indirects, représentent une proportion considérable du prix total.
Il n'est pas besoin d'importer plus pour construire des logements
plus nombreux. Les dollars empruntés par l'intermédiaire des
banques américaines viendront grossir les réserves du Fonds de
stabilisation. Ils n'augmenteront probablement pas l'offre de
matières premières, de machines ou de main-d'œuvre. Ils garantiront
le caractère financièrement orthodoxe du programme de construction,
sans modifier sensiblement, sinon par des circuits compliqués, le
rapport entre demande globale et offre globale, ni même le rapport,
sur le marché de la construction, entre disponibilités des
entreprises et commandes des particuliers ou des organismes
publics.
Même si l'on juge que l'apport étranger
supprime ou atténue l'effet inflationniste qu'aurait eu le même
programme supplémentaire de construction financé par des procédés
de crédit, il n'en reste pas moins que le recours à des banques
américaines pour placer un emprunt du Crédit Foncier, est
déconcertant et nous rappelle ce qui reste aujourd'hui au centre de
la crise du logement: les difficultés du financement.
M. Sudreau a donné, il y a quelques jours,
des informations, précises et optimistes, sur les résultats
obtenus. Deux cent vingt-huit mille logements ont été terminés
depuis janvier (12% de plus qu'en 1958), ce qui laisse espérer un
total de 305.000 pour l'ensemble de l'année: un tel montant
constituerait un record.
Le ministre a ajouté que l'accélération de
l'activité du bâtiment avait été obtenue sans hausse de prix, alors
que celle-ci avait été de 5% en 1957 et de 2% en 1958. Étant donné
les hausses de prix des biens achetés par les entreprises de
construction, celles-ci ont dû, pour maintenir la stabilité de
leurs propres prix, comprimer les coûts de revient de 6 à 7%.
Ce bilan conduit à une constatation
importante. Les progrès accomplis par l'appareil de production
depuis dix ans sont tels que désormais un programme de 350.000
logements pourrait être exécuté sans hausse de prix. Quelles que
soient les améliorations techniques souhaitables et encore
possibles, l'essentiel est désormais de trouver des fonds
supplémentaires. Que la France parvienne à consacrer deux à trois
cents milliards de plus à la construction, et en peu d'années on
passera de 300.000 à 350.000 puis à 400.000 logements par an.
Ce qui est encore, à l'heure présente,
malsain, c'est l'insuffisance de la contribution des particuliers
au financement de la construction. Notre économie est, pour
l'essentiel, fondée sur la propriété privée. Il est impossible, à
la longue, que l'État se charge de presque tout le financement de
la construction. Faire payer des loyers plus élevés à ceux qui en
ont les moyens, accroître le volume de l'épargne privée affectée au
logement, tel est le but évident auquel doivent tendre des mesures
qui seront fatalement aussi diverses et compliquées que la
législation dans laquelle elles s'insèrent.
Là aussi, le retour à la nature des choses
ne va pas sans peine.