Remarques sur le polycentrisme
Preuves
mars 1966

Le terme de
polycentrisme
est désormais entré dans le langage courant; il est commode, mais non sans équivoque. En gros, il désigne la perte, par l'Union soviétique, du pouvoir quasi absolu qu'elle possédait entre 1945 et 1953 à l'intérieur de l'univers communiste ou que, tout au moins, les Occidentaux étaient enclins à lui prêter. Rétrospectivement, en effet, nous mettons en doute que Staline lui-même ait jamais eu les moyens de commander à Mao Tsé-Toung après la victoire de celui-ci, ou qu'il se soit jamais fait les illusions à cet égard. En fait, Staline a immédiatement, dès 1950, traité la Chine en grande puissance, tout autrement que les États d'Europe orientale en tout cas. Il y a probablement quinze ans que le bloc communiste, dit monolithique, a deux têtes.
Par le terme de polycentrisme, nous visons deux phénomènes différents, bien qu'ils soient de diverses manières liés l'un à l'autre: la querelle sino-soviétique, l'autonomie croissante des États d'Europe orientale par rapport à l'Union soviétique, autonomie en fait de gestion de leurs propres affaires ou en fait de politique étrangère.
Le début du premier phénomène est difficile à dater; l'année décisive, pour le deuxième, est 1956, l'année des révoltes polonaise et hongroise. Quant au conflit sino-soviétique, il ne prend toute sa portée pour les États d'Europe orientale et pour l'Occident qu'à partir du jour où il devient public et où les porte-parole des deux Grands du communisme s'accusent réciproquement de trahir la vérité doctrinale dont ils se réclament l'un et l'autre. Les premières difficultés entre Moscou et Pékin sont peut-être antérieures à la mort de Staline. Les techniciens russes furent retirés de Chine en 1960. Mais c'est en 1963 - année du traité sur la suspension partielle des expériences nucléaires - que les lettres d'invectives que s'adressèrent les deux comités centraux des deux partis russe et chinois furent publiées.
Le polycentrisme commence-t-il avec les premières divergences entre Moscou et Pékin, ou seulement avec la mise en forme idéologique de la querelle et la rupture de la IIIe Internationale? C'est là, après tout, affaire de définition. Il importe seulement de reconnaître le fait essentiel: bien que l'univers communiste ait eu virtuellement deux centres depuis 1950, le polycentrisme a pris un caractère nouveau quand chacun d'eux a prétendu donner la seule interprétation authentique d'une vérité universelle. La traduction en termes idéologiques du conflit enfermait les rivaux en une série de contradictions. Si une vérité universelle comportait des interprétations contradictoires, elle cessait d'être universelle. Si un des partis prétendait imposer son interprétation à tous, il divisait sous prétexte d'unir. La protestation chinoise contre la désintégration du bloc communiste accentue dialectiquement cette désintégration. L'Union soviétique essaye de limiter cette désintégration en l'acceptant, mais n'y parvient pas: elle n'y parviendrait qu'avec le consentement chinois, qu'elle ne peut obtenir. Et peut-être les hommes de Moscou se résigneraient-ils moins aisément à une Internationale-boîte aux lettres si la Chine populaire ne récusait pas leur autorité.
La querelle sino-soviétique, devenue depuis 1960 ou depuis 1963 un schisme à l'intérieur de l'univers dont le marxisme-léninisme est la doctrine d'État, n'a pas été à l'origine des révoltes polonaise et hongroise de 1956. Celles-ci ont marqué un épisode tragique de la déstalinisation. Les successeurs de Staline n'ont pas pu ou pas voulu maintenir le despotisme d'un seul qui n'obéit à aucune loi et règne par la terreur (pour reprendre les termes de Montesquieu). Ils consentaient à la modification des rapports entre l'Union soviétique et les États d'Europe orientale, ils n'ont pas toléré la révolution hongroise, les partis multiples, la déclaration de neutralité. Mais la répression cruelle de la révolution hongroise n'a pas arrêté l'évolution vers une autonomie croissante des pays d'Europe orientale.
À ce point de l'analyse, les questions se multiplient: l'autonomie des États d'Europe orientale a-t-elle entraîné une diversité accrue des régimes intérieurs? Une diversité accrue des politiques étrangères? Quelle est la relation entre l'une et l'autre de ces diversités? En d'autres termes, la politique étrangère de chacun des États d'Europe orientale est-elle fonction de la forme donnée à l'intérieur au socialisme ou au soviétisme?
Commençons par tenter une réponse à cette dernière question. Il n'y pas de corrélation visible entre le
degré de libéralisation
à l'intérieur et le
degré d'indépendance diplomatique
à l'extérieur. La Roumanie, qui est le seul des États d'Europe orientale à revendiquer des territoires annexés par l'Union soviétique, et qui s'est dressée contre les plans du Comecon avec plus de résolution que tout autre, a entrepris plus tard que d'autres démocraties populaires la libéralisation intérieure.
S'il y a un trait commun à l'évolution de tous les pays d'Europe orientale au cours de ces dernières années, c'est l'
affirmation nationale
. J'emploie volontairement l'expression vague d'affirmation nationale afin d'englober des sentiments et des actions hétérogènes. Tous ces pays ont mis l'accent sur leur culture, sur leur histoire originale; ils ont rejeté les tentatives de russification et repris, avec plus ou moins d'ardeur, des relations intellectuelles avec l'Ouest. Tous ces pays ont proclamé sans réticence les caractères propres de leurs problèmes économiques, ils n'ont pas fait mystère des oppositions possibles d'intérêt entre pays socialistes, ils se sont querellés à propos des conditions financières des échanges de marchandises. Plus s'affaiblissait l'autorité de Moscou, plus les socialismes devenaient
nationaux
: les hommes au pouvoir, en dépit de leur doctrine universelle se veulent des représentants d'
une
nation, soucieux à la fois d'un passé unique, d'intérêts particuliers et d'une indépendance aussi grande que possible à l'égard de leurs protecteurs.
On pourrait dire, en recourant au style dialectique ou ironique, que la diversité même, de pays socialiste à pays socialiste, est l'expression de leur sort commun puisqu'elle est l'expression de la même nationalisation du socialisme, qui les rapproche en les séparant (ou les sépare en les rapprochant). Mais, dirait-on, jusqu'où va la diversité? Pour répondre avec précision à une telle question, il faudrait une connaissance directe et détaillée de ces différents pays, que je ne possède pas. Je m'en tiendrai donc à des remarques relativement brèves.
On observe une première sorte de diversité, celle qui tient à la phase différente du développement que chacun des pays est en train de traverser. Roumanie et Tchécoslovaquie se situent aux deux pôles: l'une en est à une phase de l'industrialisation durant laquelle les techniques autoritaires et simples de planification suffisent, l'autre semble connaître les mêmes difficultés que l'Union soviétique. Une économie industrielle complexe se passe difficilement de certains mécanismes de prix et de marché, que les doctrinaires rejetaient comme inséparables du capitalisme et dont ils admettront peut-être la nécessité demain et, du même coup, la neutralité par rapport aux idéologies. Il y a longtemps que des économistes socialistes, tel Oscar Lange, avaient admis que les planificateurs intelligents devraient se servir du mécanisme des prix. Il n'est pas question de Liberman en Roumanie, il en est question en Tchécoslovaquie et en Hongrie.
Une deuxième sorte de diversité, elle aussi économique, concerne la paysannerie. La Pologne de Gomulka accorde à la propriété individuelle, dans l'agriculture, un sursis qui se prolonge. L'efficacité de cette tolérance n'apparaît pas avec évidence dans les statistiques. Il n'en reste pas moins que chaque gouvernement se réserve le droit de traiter ses problèmes, y compris celui de la propriété du sol, selon ses préférences ou les circonstances.
Une troisième sorte de diversité est d'ordre politico-intellectuel. Qu'est-ce que les intellectuels peuvent écrire ou dire sans danger dans chacun de ces pays? Quels risques doivent-ils courir s'ils franchissent les limites, d'ailleurs mal tracées, de la liberté qui leur est accordée? Nulle part ne subsiste plus la discipline stalinienne qui obligeait chacun à répéter les propos délirants du despote de Moscou. Entre ces deux négations subsiste une marge de variation. On est loin encore, en Tchécoslovaquie, en Hongrie ou en Pologne, d'écrire tout ce que l'on dit. Gomulka attaque les intellectuels qui ont contribué à le ramener au pouvoir et qu'il a déçus. À maints égards, Hongrie ou Tchécoslovaquie sont aujourd'hui plus avancées sur la voie de la libéralisation que la Pologne. Il faudrait vivre dans ces pays pour sentir la portée exacte de ces nuances.
Les conclusions que j'aimerais tirer de ces analyses sont au nombre de trois. La première est que les régimes économico-politiques des pays d'Europe orientale continuent d'appartenir au même genre, et que les différences en ce qui concerne les institutions inséparables du régime (propriété collective des instruments de production, planification, parti unique) ne touchent pas encore à l'essentiel. La vie politique reste concentrée dans le parti, qui n'est pas en prise directe sur la société. Les planificateurs commencent seulement de faire des concessions aux consommateurs. Ils ne savent pas encore comment utiliser les mécanismes du marché, dont ils soupçonnent la nécessité. En ce qui concerne le régime, ces pays me semblent plus proches les uns des autres que ne le sont ceux d'Europe occidentale, qui eux aussi appartiennent tous à un régime de même type économico-politique.
La deuxième conclusion est que les originalités nationales n'ont pas été effacées par la domination temporairement exercée par l'Union soviétique. Varsovie et Prague ont conservé leur physionomie. Je ne saurais définir exactement ce qui constitue un
climat de culture
. À Varsovie, j'ai le sentiment de vivre dans le même climat de culture qu'à Paris, tandis qu'à Moscou je respire un air différent. L'architecture, les traditions religieuses, le style des relations interindividuelles, des faits massifs et des détails apparemment insignifiants contribuent à créer des impressions vagues et tenaces. En ce sens, les nationalités durent, alors que les régimes passent.
La troisième conclusion est l'échec radical de l'Union soviétique en Europe orientale. L'Union soviétique n'a pas "russifié" l'Europe orientale, elle n'a pas converti les peuples au marxisme-léninisme, elle ne les a pas convaincus des mérites des institutions élaborées en Russie depuis la révolution de 1917. Certes, aucun des partis communistes d'Europe orientale ne critique ces institutions en tant que telles puisque tous lui doivent le pouvoir. Mais tous, revenus dans les fourgons de l'étranger (sauf les minorités qui ont combattu les Allemands dans la résistance intérieure), s'efforcent depuis dix ans de manifester leur indépendance pour accroître leur ascendant moral sur les peuples. Ils sont acceptés dans la mesure où ils sont ou paraissent nationaux, et non dans la mesure où ils se réclament du marxisme-léninisme.
À l’époque de la guerre froide, 1949-1953, les Occidentaux croyaient n'avoir en face d'eux en Europe qu'un seul ennemi, un État dirigeant et des satellites. En Asie, dès la guerre de Corée, ils n'ignoraient pas que la Chine était non un satellite mais un allié de l'Union soviétique. Ils n'en ont pas moins agi longtemps comme si ces alliés étaient unis sur l'essentiel, c'est-à-dire dans leur hostilité aux Occidentaux. À l'heure actuelle, cette hypothèse de base est manifestement démentie. Non seulement Chine et Union soviétique ont chacune leur politique propre en chaque partie du monde, mais chacun des deux Grands du communisme attache à sa rivalité avec l'autre une importance extrême, peut-être une importance supérieure à celle de son hostilité de principe ou d'idéologie à l'égard des États-Unis ou de "l'impérialisme".
Il est loisible de plaider que l'objet initial du conflit a été le choix d'une stratégie à l'égard des guerres de libération nationale, du tiers monde ou de l'Occident. Tel a été en tout cas un des thèmes des débats entre Russes et Chinois. Mais, à supposer même que tel ait été originellement un des enjeux principaux du conflit sino-soviétique, celui-ci a maintenant changé de caractère et de portée. Ce qui est en question, c'est la direction du mouvement communiste mondial. Et l'Union soviétique se trouve prisonnière d'une contradiction. Elle ne veut ni ne peut renoncer à être un État idéocratique. Elle ne consent pas à devenir un État "comme un autre", avec des intérêts nationaux: un tel aveu ébranlerait le fondement même du régime. En tant qu'elle est marxiste-léniniste, l'Union soviétique
doit être
l'ennemie des États-Unis et de tous les pays capitalistes, même si elle admet la coexistence pacifique. Elle craint que la Chine populaire ne s'empare peu à peu du monopole de l'idée révolutionnaire.
À cette contradiction, les dirigeants de Moscou pouvaient chercher théoriquement une solution dans deux directions: ou bien rivaliser avec Pékin dans la violence au moins verbale, ou bien continuer en dépit des invectives chinoises la diplomatie modérée de coexistence pacifique et contrer Pékin par une surenchère de modération. Ou bien les hommes de Moscou se présenteraient comme plus révolutionnaires que ceux de la Cité interdite, ou bien ils tenteraient de disqualifier ces derniers aux yeux du monde en les faisant apparaître comme de redoutables boutefeux.
Manifestement, les successeurs de M. Khrouchtchev ont choisi le deuxième terme de l'alternative, comme l'avait fait ce dernier. Non seulement ils maintiennent la ligne de la coexistence pacifique, en dépit de la guerre du Vietnam, mais tout se passe comme si la logique de la rivalité avec les dogmatistes de Pékin l'emportait sur la logique de l'hostilité avec le monde capitaliste. Ils préfèrent probablement un gouvernement non marxiste-léniniste à un gouvernement marxiste-léniniste d'obédience chinoise.
Il n'est pas exclu que les Chinois raisonnent de même. Pour l'instant, ils n'ont pas les moyens matériels nécessaires pour combattre directement les États-Unis. Ils incitent probablement le gouvernement du Nord-Vietnam à continuer jusqu'au bout de la lutte; ils y trouvent, à plusieurs points de vue, un avantage: cette guerre freine le rapprochement entre les États-Unis et l'Union soviétique, qu'ils craignent par-dessus tout. Ils dénoncent la médiocrité du soutien que l'Union soviétique apporte à un État socialiste victime de l'agression impérialiste (ils ne soutiennent pas davantage le Nord-Vietnam, mais ils peuvent répondre à leurs critiques qu'eux ne possèdent pas encore l'arsenal thermonucléaire). Les États-Unis, embourbés dans une guerre terrestre en Asie, s'affaiblissent matériellement et plus encore moralement. L'Union soviétique souhaiterait probablement une solution de compromis, surtout si elle pouvait en obtenir le bénéfice aux yeux du monde.
Dans cette compétition, les deux Grands du communisme ont l'un et l'autre des cartes. La Chine est plus proche des nations prolétaires, elle parle un langage que comprennent mieux les partis désireux de passer à une action violente. Il y a ou il y aura des tendances chinoises ou castristes (alliées ou rivales) à l'intérieur de maints partis dans les pays du tiers monde, mais surtout à l'intérieur des partis encore dans l'opposition. En effet, la plupart des pays du tiers monde qui se réclament du socialisme (arabe, africain, etc.), mais non du marxisme-léninisme, se sont toujours déclarés favorables à la coexistence pacifique; ils ont invité les deux Grands à coopérer et non à se combattre. La ligne de Moscou n'est donc pas nécessairement impopulaire parmi les non-engagés. Tout annonce que la compétition entre Moscou et Pékin va se poursuivre longtemps encore. Les Occidentaux, qui ont moins que jamais une politique commune, n'ont pas en face d'eux un bloc soviétique mais deux stratégies, celle de Moscou, celle de Pékin, sans compter les stratégies multiples des États d'Europe et d'Asie qui se réclament plus ou moins du marxisme-léninisme.
En Asie, les partis communistes d'Indonésie et même de l'Inde penchent du côté de la Chine. Corée du Nord et Nord-Vietnam semblaient d'obédience chinoise, la première surtout. Au cours de ces derniers mois, quelques signes apparaissent d'un infléchissement de la politique étrangère de ces deux États. Probablement, ceux-ci souhaitent-ils suivre l'exemple qui leur a été donné par les États de l'Est européen et s'assurer une certaine liberté de manœuvre, à la faveur du schisme sino-russe.
Mais quelle est la liberté de manœuvre réelle des États d'Europe orientale? Les deux blocs n'ont jamais été que des blocs européens. Ils ont été créés par la rencontre symbolique des soldats russes et américains au milieu du Vieux Continent. Ils n'ont pas disparu, puisque le partage de Berlin par le mur s'est ajouté en 1961 au partage de l'Allemagne et de l'Europe. Soldats russes et occidentaux continuent de se faire face des deux côtés de la Potsdamerplatz. Dans l'ancienne capital du Reich, il n'est pas faux de reprendre la vieille expression: "les Occidentaux". En effet, quelles que soient les relations entre Paris et Washington, Français et Américains agissent ensemble, discutent en commun la stratégie quand il s'agit de ce que les Soviétiques appellent les suites de la deuxième guerre mondiale, c'est-à-dire essentiellement la question allemande. Trouvent-ils en face d'eux le bloc soviétique ou tout simplement l'Union soviétique?
En première approche, il me semble bon de distinguer trois domaines de politique étrangère pour les États de l'Est européen: le premier est celui du commerce économique ou intellectuel avec l'Occident, en dehors du problème allemand ou du problème territorial; le deuxième est celui de la politique mondiale, aux Nations Unies et avec le tiers monde; le troisième est celui du problème allemand ou européen. J'ai énuméré intentionnellement ces trois domaines dans cet ordre, l'ordre de la liberté de manœuvre décroissante des États d'Europe orientale.
La Roumanie a sa propre politique commerciale à l'égard de l'Europe occidentale ou des États-Unis, elle a sa propre politique d'échanges culturels. Elle n'a pas accepté les directives du Comecon, et ses partenaires, frères en socialisme, n'ont pas eu recours aux grands moyens pour la contraindre. Chaque gouvernement d'Europe orientale détermine lui-même les relations avec l'Occident qu'il juge compatibles avec le maintien du régime et avec les circonstances.
Certes, ni en fait de culture ni en fait de marchandises, les gouvernements et les partis communistes ne sont entièrement libres. Ils doivent assurer un minimum de discipline idéologique. De plus, leur économie est intégrée au système constitué par l'ensemble des économies socialistes. Et les dirigeants de l'Union soviétique n'ont nul besoin de les contraindre ou de les menacer pour obtenir la sauvegarde du système: les États d'Europe orientale auraient autant de peine à en sortir que les États d'Europe occidentale à sortir du Marché commun ou de la zone de libre-échange. La marge d'autonomie laissée à chacun d'eux est réelle mais elle est aussi étroite. On peut hésiter entre les deux formules: désintégration du bloc soviétique en Europe orientale ou stabilisation du bloc grâce à la tolérance des autonomies nationales. On ne manque pas d'arguments en faveur de la thèse de la désintégration. Laissons même de côté le cas spécial de l'Albanie, qui s'est rangé du côté chinois et qui ne reconnaît plus d'aucune manière l'autorité de Moscou. Les revendications territoriales, refoulées pendant vingt ans, reviennent au jour. La Roumanie revendique la Bessarabie, la Hongrie la Transylvanie. À l'intérieur du Comecon ou des autres conseils socialistes, chaque État se fait gloire de défendre jalousement les intérêts nationaux. L'Union soviétique tolère les propos roumains sur la Bessarabie comme elle tolère les propos chinois sur la province maritime. Les successeurs du successeur de Staline ne font plus peur. Les hommes du Kremlin auraient-ils perdu la qualité indispensable aux dirigeants d'un État impérial, la volonté de régner?
En sens contraire, on peut faire valoir qu'en Europe du moins cette tolérance des nationalismes ne met pas en péril l'essentiel. La méthode stalinienne ne pouvait survivre à un Staline. L'échec de l'empire russe étant acquis - les peuples d'Europe orientale refusaient la domination russe - le régime de liberté surveillée, tel qu'il s'est provisoirement établi, est peut-être le plus conforme à l'intérêt bien entendu de l'Union soviétique
et du mouvement communiste lui-même
. Effectivement, au cours des prochaines années, les deux grands partis communistes d'Europe occidentale, surtout le parti italien, vont retrouver une chance précisément à cause de la désintégration du bloc soviétique. Hier les partis communistes d'Occident promettaient une double "russification": l'importation du régime instauré en Union soviétique, la soumission à cette dernière. Désormais, les propagandistes pourront plaider, en Italie comme en France (à condition que le parti français retrouve quelque souffle de vie), qu'il n'est plus question ni de l'une ni de l'autre. Les églises marxistes-léninistes vont être autocéphales.
En attendant, il ne semble pas qu'aucun des pays d'Europe orientale ait aux Nations Unies ou dans le tiers monde une politique étrangère qui diverge sensiblement de celle de l'Union soviétique (même si, de temps à autre, tel ou tel d'entre eux ne vote pas comme l'Union soviétique). Autant que l'on en puisse juger, l'aide que la Tchécoslovaquie ou l'Allemagne orientale, par exemple, apportent aux pays sous-développés résulte moins d'une initiative propre à ces deux pays que d'une politique commune ou tout au moins coordonnée. Ajoutons que de toute manière aucun des pays d'Europe orientale n'est assez puissant pour jouer un premier rôle sur la scène mondiale, même dans l'hypothèse où il jouirait d'une complète liberté d'action. Disons donc que ces États demeurent tous engagés et non, à la manière de la Yougoslavie, non engagés. Les partis communistes sont assurés de leur pouvoir
dans le contexte international présent
; ils en sont d'autant plus assurés que la puissance soviétique est toute proche et qu'ils affectent de lui résister. Ils ont intérêt à la fois au maintien du système et au maximum d'autonomie à l'intérieur de ce dernier. Tous ces États redoutent l'Allemagne et la réunification allemande. Sur le seul problème de politique mondiale qui les concerne directement, ils sont spontanément d'accord. Quand les dirigeants de Moscou demandent aux Occidentaux de "reconnaître" la D.D.R., ils n'ont aucune peine à obtenir l'assentiment des dirigeants de Varsovie ou de Prague. Le partage de l'Allemagne, le
statu quo
territorial peuvent n'être pas à long terme
des solutions
. Toute modification du
statu quo
semblerait aux Polonais ou aux Tchèques chargées de périls.
Nous arrivons ainsi à la conclusion suivante: le schisme sino-soviétique a pour conséquence deux politiques essentiellement différentes de deux puissances mondiales; l'autonomie des États d'Europe orientale, autre expression du polycentrisme, n'a pas la même portée pour les Occidentaux, au moins aussi longtemps qu'aucun règlement européen n'intervient. L'Union soviétique laisse à chacun des États d'Europe orientale, bon gré mal gré, une certaine liberté non pas seulement dans la gestion des affaires intérieures, mais aussi dans les propos, dans les relations culturelles et économiques avec les Occidentaux. Liberté qui peut être effective sans être à proprement parler redoutable. Tant que Russes et Américains se font face au milieu de Berlin et de l'Europe, nul, ni à l'Est ni à l'Ouest, ne peut traduire en acte les paroles subversives ou les projets grandioses.
Depuis 1947, les relations internationales se décomposent d'elles-mêmes en trois domaines: la diplomatie à l'intérieur des blocs, la diplomatie entre les blocs, la diplomatie entre les blocs et les non-engagés. Nous voudrions, pour terminer, indiquer brièvement quelques-unes des conséquences les plus visibles du polycentrisme en chacun de ces trois domaines.
À l'intérieur du bloc soviétique, la querelle sino-soviétique se déroule dans un style qui ressemble à celui des querelles entre fractions à l'intérieur d'un parti communiste. Chinois et Soviétiques, comme jadis bolcheviks et mencheviks, multiplient les efforts pour convaincre les hésitants. Tout se passe, en surface, comme s'il s'agissait d'obtenir une majorité dans un congrès. La réalité est naturellement différente de l'apparence. Les partis communistes au pouvoir en Pologne ou en Albanie ne sont pas semblables aux factions à l'intérieur du parti social-démocrate en 1900, ou du parti italien en 1965. Le schisme entre Russie soviétique et Chine populaire est d'un autre ordre que la scission entre mencheviks et bolcheviks. Il reste que, dans la phase actuelle, les dirigeants russes sont soucieux de rallier à leur "ligne" le plus possible de partis marxistes-léninistes. Ceux de ces partis qui sont au pouvoir participent donc à un grand
jeu
qui a pour
objet
l'autorité de Moscou ou de Pékin, la forme d'organisation de l'Internationale. Cette liberté d'engagement ou de non-engagement en faveur d'un des centres ou de l'autre n'intéresse peut-être pas beaucoup les peuples; elle donne aux dirigeants communistes le sens de leur autonomie et de leur importance.
À l'intérieur du bloc occidental, l'autorité de Washington est également contestée, mais la contestation, qui vient surtout de la France, a été favorisée mais non provoquée par le polycentrisme à l'intérieur du bloc soviétique. Le général de Gaulle a toujours été hostile à l'"hégémonie américaine", à l'intégration militaire de l'O.T.A.N., il a toujours refusé les liens permanents, toujours eu pour objectif une liberté d'action aussi grande que possible par rapport à tous, alliés ou ennemis. Il avait évoqué plusieurs fois le thème de l'Europe "de l'Atlantique à l'Oural" bien avant la rupture ouverte entre Pékin et Moscou. Le partage de l'Europe en deux zones, chacune définie par le régime intérieur des États, lui paraît à la fois un héritage de Yalta et contraire à la "nature des choses", donc détestable pour ces deux motifs. Il est contraire à la "nature des choses" que les régimes intérieurs et non pas les intérêts nationaux déterminent les alliances. Enfermée dans une zone d'influence, la France ne pourrait accomplir sa vocation mondiale.
Une question ne s'en pose pas moins: la diplomatie gaulliste ne coïncide-t-elle pas avec celles des États de l'Est européen? La réunification de toute l'Europe ne condamnent-elle pas à l'anachronisme les tentatives d'unité de la petite Europe (celle des Six) ou celle même de tous les États d'Europe occidentale? En bref, le slogan gaulliste "de l'Atlantique à l'Oural" ne prend-il pas aujourd'hui une authentique actualité alors qu'il semblait, il y a quelques années encore, appartenir à la spéculation philosophique ou à la prophétie historique?
Depuis la chute de M. Khrouchtchev, les dirigeants du Kremlin s'intéressent davantage à la France. Les premiers ministres de Roumanie, de Hongrie, de Pologne sont venus à Paris. Malgré tout, il ne s'agit encore que de voyages et de discours. Le temps des négociations authentiques est-il proche? Je ne le crois pas. Le jour où commenceraient les négociations sur l'unité allemande et le retrait des armées russes et américaines, les États d'Europe orientale seraient-ils capables de rester unis et de maintenir un front commun? J'en doute. Depuis vingt ans, tous les Européens ont compris la vérité d'une formule typiquement française:
il n'y a que le provisoire qui dure
. Le scepticisme français, au deuxième degré, ajouterait: le provisoire ne dure qu'à la condition que l'on répète chaque jour qu'il ne peut pas durer.
Quoi qu'il en soit, le polycentrisme en Europe n'en a pas moins pour effet tout à la fois d'atténuer la tension dans l'immédiat et d'éveiller l'espoir d'une pacification authentique. Depuis la crise cubaine de l'automne 1962 et l'acceptation soviétique du
statu quo
berlinois, les Européens de l'Ouest n'affectent même plus de craindre une agression soviétique. Les controverses sur la stratégie nucléaire ont perdu leur virulence et ont quitté la première page des journaux. Chacun suppose, pour ainsi dire immédiatement, que l'Union soviétique, menacée en Asie par les revendications nationales et les prétentions idéologiques de le Chine populaire, n'a d'autre ambition que de maintenir la sécurité de ses frontières occidentales.
Le polycentrisme a des conséquences exactement opposées dans le tiers monde, et en particulier en Asie. Ni la guerre du Vietnam ni celle entre l'Inde et le Pakistan n'ont été provoquées par la Chine populaire. Aucun soldat chinois n'y prend part. Mais la première ne se prolongerait pas et la seconde n'aurait pas éclaté si la diplomatie chinoise était autre qu'elle ne l'est, violente en paroles contre "l'impérialisme américain", usant avec habileté des moyens diplomatiques plus que des moyens de force, favorisant le Pakistan et humiliant l'Inde afin d'attiser le conflit du Cachemire.
Toute l'Asie du Sud-Est est menacée de sombrer dans le chaos parce qu'aucun ordre stable n'a remplacé l'ordre impérial d'hier. Quand l'Union soviétique et les États-Unis s'affrontaient directement, la "double hégémonie" créait un ordre au moins apparent. La rivalité sino-soviétique ranime les querelles locales sans éliminer l'affrontement des communistes et des anticommunistes. Les deux Grands ne sont plus assez hostiles l'un à l'autre pour imposer chacun une sorte de discipline à leurs alliés respectifs, ils ont encore trop d'intérêts opposés pour régner ensemble en Asie du Sud-Est ou ailleurs. Si l'on se réfère aux moyens militaires, le système diplomatique est encore bipolaire, mais la capacité de convaincre n'est pas proportionnelle à la capacité de détruire. On craint de moins en moins la grande guerre au fur et à mesure que les petites se multiplient. Ce monde toujours plus complexe promet d'être le paradis des analystes et l'enfer des hommes d'État. Ceux-là y manifesteront leur subtilité et ceux-ci y découvriront les limites de leur pouvoir.
Politique française Articles 1944-1977
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