En 1960, l'expansion doit s'accélérer
Le Figaro
1er janvier 1960
L'année qui s'achève a été celle de
l'assainissement monétaire et le gouvernement est en droit
d'affirmer qu'il a gagné tous les paris que comportait la "nouvelle
politique".
La hausse des prix, telle que la révèlent
les statistiques - et le commentateur doit se fier aux statistiques
plus qu'aux impressions des ménagères et aux protestations des
lecteurs - n'a pas dépassé les prévisions. L'indice des prix de
gros (1949 = 100) est passé de 166,9 en décembre 1958 à 178,3 en
novembre 1959, celui des produits alimentaires de 161,9 à 167,5,
celui des produits industriels de 166,3 à 181,1. Quant à l'indice
des 179 articles, il était à 113,65 en décembre 1958 (juillet 1957
= 100), il est à 121,37 en novembre 1959. L'indice des salaires
horaires qui est monté de 128,6 au 1er janvier 1959 à 134,1 au 1er
octobre, a moins progressé que celui des 179 articles. Si l'on
tient compte de la durée du travail et des allocations familiales,
le pouvoir d'achat des salariés pris globalement doit être, à la
fin de cette année, approximativement égal à ce qu'il était à la
fin de l'année dernière, il demeure inférieur au niveau atteint au
printemps de 1957.
Le pari sur le renversement du mouvement
des capitaux et la reconstitution des réserves de change a été lui
aussi gagné. La balance commerciale depuis mai dernier est chaque
mois excédentaire. En volume, les exportations ont augmenté de 28%
au cours des neuf premiers mois par rapport à la même période de
l'année précédente alors que les importations diminuaient. À la fin
de l'année dernière, nos engagements extérieurs à court terme
dépassaient de plus d'un demi-milliard de dollars nos réserves d'or
et de devises. À la fin de cette année, nos réserves, déduction
faite de nos dettes extérieures à court terme, atteignent près d'un
milliard de dollars. Le rétablissement monétaire préparé par le
dernier gouvernement de la IVe République est aussi spectaculaire
que celui qui suivit en 1926 le retour au pouvoir de Raymond
Poincaré.
Que ces résultats incontestables se
heurtent ici au scepticisme et là à l'hostilité, que les uns s'en
prennent aux technocrates et les autres à M. Rueff est, pour moi,
en chaque occasion un sujet de stupéfaction. Il ne s'agit pas de
savoir si l'on aime ou non le président de la République ou le
premier ministre, si l'on préfère M. Pinay 1952 à M. Finay 1959 ou
inversement, il ne s'agit même pas de savoir si l'on aurait préféré
sur tel ou tel point une autre méthode. Le fait essentiel reste
acquis: le danger que faisait courir à la France le manque de
devises a été écarté sans que le prix payé pour l'assainissement
ait été excessif. La preuve a été donnée qu'une technique classique
- budget en équilibre, restriction de crédit, dévaluation,
confiance politique et économique - n'a pas cessé d'être efficace
en dépit de l'incrédulité de tant d'experts.
Ce bilan une fois appelé, que nous ne
songerions pas à évoquer si tant d'hommes politiques, oublieux de
leurs fautes passées, ne s'obstinaient à le méconnaître, il est
temps d'envisager l'étape suivante. La production industrielle est
de nouveau en progression. Corrigé des variations saisonnières,
l'indice de la production industrielle qui se situait à 159 en mai
1959 contre 156 en mai 1958 a atteint 165 en octobre. Par rapport
au même mois de l'année précédente la progression est de 7%.
Il n'en est pas moins vrai, comme l'a
rappelé il y a quelques jours le commissaire au plan, que les
résultats sont en retard sur les prévisions. Pour l'année 1960, le
problème est de favoriser une expansion accélérée sans compromettre
la stabilité reconquise. Il serait facile d'obtenir une telle
accélération par des hausses de salaires, mais cette politique de
facilité serait dangereuse. Je ne pense pas non plus que la baisse
du taux d'intérêt à haut terme puisse être à elle seule un facteur
décisif.
Les principales mesures à prendre se
distribuent, me semble-t-il, sous trois rubriques: immigration,
crédit, lutte contre les réglementions malthusiennes. Il est
lamentable que la République fédérale allemande ouvre ses
frontières aux travailleurs étrangers avec plus de générosité que
la France sous-peuplée. La vente des biens de consommation durable,
et la production de ces biens tient aujourd'hui une large place
dans notre économie, peut être favorisée par l'assouplissement des
conditions de crédit. Enfin, la commission présidée par le premier
ministre et dont les vice-présidents sont MM. Armand et Rueff, doit
pourchasser les règlements innombrables inspirés depuis une
génération par la peur du progrès et le désir de sauvegarder les
situations acquises.
Elle aura beaucoup à faire, ce qui signifie
qu'on en peut beaucoup attendre.