Les désillusions de la liberté
Les Temps modernes
octobre 1945

Les prophètes de malheur ont eu tort: les optimistes aussi. Aucune des catastrophes dont on nous menaçait - bain de sang, troubles révolutionnaires, anarchie persistante - ne s'est produite. Mais si les craintes se sont dissipées, les espoirs ne se sont pas réalisés. Le pays n'a pas secoué le poids du passé, il n'a pas éliminé les poisons répandus par quatre années d'Occupation, il ne s'est pas jeté avec une allégresse unanime dans la grande œuvre de reconstruction.
Un an après la Libération, le décor a été planté. Nous avons de nouveau un État, une armée, une administration. De la Bastille à l'Étoile, les défilés militaires font accourir des foules enthousiastes qui échappent pour quelques heures aux misères du présent et s'abandonnent à l'illusion des jours de gloire. Mais le train de l'existence quotidienne est tout autre: le marché noir sévit, la majorité des producteurs s'appauvrit, seuls les intermédiaires - profiteurs de la pauvreté commune - s'enrichissent en prélevant une dîme exorbitante sur des échanges chaotiques.
Politiquement, le conflit latent qui opposait depuis des mois le gouvernement et les milieux politiques de l'Assemblée consultative, a éclaté à propos des projets constitutionnels. On a discuté de la Constituante, prévue pour sept mois, comme si l'avenir de la nation en dépendait. Au-dehors, la France n'a pas été invitée à Potsdam et notre "grandeur" reste méconnue et solitaire.
Ici et là, rien d'irréparable n'est encore survenu. Il est normal que nous ne figurions pas parmi les Grands de ce monde puisque nous ne possédons pas les instruments de la grandeur temporelle. Il est normal que les partis s'inquiètent des conditions dans lesquelles le régime provisoire prendra fin et cédera la place à une démocratie réelle. Ce qui n'est pas normal, ce qui rend l'air irrespirable, c'est la méfiance. Méfiance entre la France et les Alliés auxquels nous devons notre liberté. Méfiance entre le gouvernement et les partis qui l'ont choisi et dont les représentants continuent de siéger dans le Conseil des ministres.
Si cette méfiance était insurmontable, il faudrait dire que la France a raté une expérience politique de plus. Le régime actuel, sous une forme ou sous une autre, peut bien se prolonger des mois, voire des années: on ne réussira pas une rénovation nationale dans un tel climat.
1. La lutte pour le pouvoir
À la fin du mois d'août 1944, le général de Gaulle prit le pouvoir avec l'assentiment unanime de la nation. De l'extrême gauche à l'extrême droite, tous les partis, toutes les familles spirituelles acclamaient le premier Résistant de France, l'homme qui symbolisait l'honneur de nos armes, qui avait maintenu la patrie dans la guerre et dans la victoire.
Mais cette chance unique n'était pas sans contreparties. Les espérances contradictoires que les Français liaient à la personne du général de Gaulle rendait inévitable la déception des uns ou des autres (peut-être des uns
et
des autres). L'homme du 18 juin pouvait-il simultanément rétablir une démocratie parlementaire et prendre la tête d'une révolution? Pouvait-il faire la guerre aux "trusts" alors qu'il continuait la guerre contre l'Allemagne? Pouvait-il prendre l'initiative immédiate de réformes profondes, alors qu'il était soucieux, avant tout, d'ordre et de tranquillité sur les arrières du front, c'est-à-dire sur toute l'étendue de la France?
Matériellement, les circonstances compliquaient démesurément l'œuvre que la situation politique semblait suggérer. Chacun se déclarait prêt à accepter n'importe quelle mesure, même radicale, mais quelle mesure, même modérée, était-il possible de prendre avec une administration désorganisée, des moyens de transport déficients, un pays découpé en morceaux par les destructions? Bien plus, si le gouvernement n'était pas discuté, il s'en fallait de beaucoup qu'il fût partout obéi. Au début d'octobre encore, un commissaire de la République, au sud de la Loire, parlait avec un certain détachement du "Gouvernement de Paris".
Les derniers mois de l'année 1944 furent absorbés par ces tâches sans éclat: rétablissement de l'unité matérielle du territoire (chemins de fer, télégraphe, téléphone), rétablissement de l'unité politique du territoire par le refoulement des formations insurrectionnelles (CNR et CDL). En dépit de quelques crises (à propos des FFI et des Milices patriotiques), cette évolution prévisible aboutit en quelques mois à son terme: le gouvernement s'assura en fait le monopole du pouvoir auquel il prétendait en droit. Les FFI furent dissoutes ou absorbées dans l'armée régulière, les CDL réduits à des fonctions consultatives et à une collaboration, parfois efficace, avec les autorités locales, les Milices patriotiques, défendues puis abandonnées par le parti communiste, entrèrent peu à peu en sommeil.
Cette issue du conflit, dit "des deux pouvoirs", était fatale. Un gouvernement régulier, maître de l'appareil de l'État, n'a jamais de véritable rival dans les organisations spontanées, sorties d'une insurrection populaire, du moins quand celles-ci, comme c'était le cas en France, n'ont pas, au fond, d'intentions révolutionnaires. Malgré tout, les incidents de ces premiers mois commencèrent de séparer gouvernement et Résistance.
Le général de Gaulle n'avait pas seulement été plébiscité par le pays; il avait été désigné et voulu par les mouvements de Résistance (ou du moins ceux qui parlaient en leur nom). Mais ceux-ci ne connaissaient guère celui qu'ils avaient choisi pour chef, de même que celui-ci, en dehors des résistants qui avaient fait les voyages de Londres et d'Alger, connaissait mal les responsables des organisations métropolitaines. La découverte réciproque ne fut pas sans entraîner des déconvenues des deux parts. La plupart des membres du CNR n'apparurent pas à la hauteur du rôle qu'ils étaient censés avoir joué. L'équipe, recrutée en majorité dans l'exil, qui entourait le général de Gaulle, surprit et heurta les résistants qui ne s'attendaient pas à recevoir un gouvernement du dehors. Ceux des résistants qui n'étaient entrés ni au gouvernement ni dans l'administration se trouvèrent exclus des lieux où les décisions étaient prises et exprimèrent leur amertume dans une guérilla d'articles et d'ordres du jour. Le CNR tenta de survivre aux circonstances qui justifiaient son action et offrit, à plusieurs reprises, solennellement, une collaboration qu'on ne lui demandait pas - offre qui ne fut ni acceptée ni repoussée, comme si le gouvernement ne savait que faire de cette encombrante bonne volonté.
Mais rapidement, l'enjeu du conflit s'élargit. Qu'il s'agît de l'épuration ou de réformes de structure, l'impatience de la Résistance venait se briser vainement sur la prudence résolue du gouvernement.
Une sorte d'unanimité s'est établie pour proclamer que l'épuration était un échec. On n'oserait donc rompre cette unanimité. Mais l'opposition, presque toujours, s'est bornée à dénoncer des cas scandaleux dans l'un ou l'autre sens. Or, on ne juge pas une politique d'après ses "ratés". Il aurait fallu articuler les griefs. À quoi en avait-on? À l'insuffisance des dossiers? Mais si on voulait poursuivre jusqu'aux lampistes de la collaboration, les dossiers se comptaient par centaines de milliers et exigeaient de l'administration une compétence et une efficacité improbables. À l'insuffisance des tribunaux? Mais les cours de justice n'ont pas été discutées dans leur principe. Les jurés étaient recrutés parmi les résistants, ils devaient donc, dans l'ensemble, être plus sévères que la moyenne de l'opinion publique. À l'insuffisance des magistrats? L'épuration des épurateurs aurait dû, certes, précéder l'épuration du pays, mais si elle avait été poussée jusqu'au bout, combien aurait-on gardé d'épurateurs? À l'insuffisance des textes? Mais la presse politique n'a presque jamais discuté les ordonnances relatives à l'épuration.
On s'est arrêté finalement à l'idée que les concepts juridiques, qui figurent dans les lois en vigueur en 1939, suffisent à la répression des actes de collaboration. Pour la collaboration économique, l'ordonnance du 29 mars 1945 a recours à la notion de commerce avec l'ennemi et se borne à en préciser les conditions d'application, en tenant compte des circonstances exceptionnelles: occupation du territoire, existence d'un gouvernement de fait, etc. Pour les autres formes de collaboration, les notions essentielles sont celles d'intelligences avec l'ennemi et d'atteinte à la sûreté de l'État. Inévitablement, cette législation laisse une large part à l'interprétation des magistrats et des jurés. On aurait pu réduire sensiblement cette marge d'incertitude en promulguant après coup une législation conçue pour répondre à la situation sans précédent d'un pays en symbiose, sous régime d'armistice, avec un occupant. Cette solution a été écartée parce qu'elle aurait comporté le scandale juridique de la rétroactivité et elle aurait entraîné probablement d'autres inconvénients.
Tant que l'on ne proposait ni d'autres lois, ni d'autres cours, on en était amené inévitablement, et l'on ne s'en fit pas faute, à dénoncer les freinages, les contrastes entres des impunités et des rigueurs également choquantes. Mais les cours de justice, semi-populaires, étaient vouées à l'avance à ces inégalités et les freinages ne venaient pas tous de l'administration. Combien de collaborateurs avaient des amis ou des parents parmi les résistants? Combien avaient pris un début de contre-assurance? Cela dit, il est probable que les autorités ont eu tendance à freiner.
Le gouvernement, soucieux de remettre en marche la machine administrative et économique, souhaitait conserver à la nation, dans toute la mesure du possible, les hommes compétents. L'opposition peut se permettre d'ignorer ces sortes de considération, mais les résistants, quand ils ont été à leur tour responsables de l'efficacité, dans la presse par exemple, n'y ont pas été insensibles, eux non plus.
À l'Est de l'Europe, l'épuration devint l'équivalent d'une véritable révolution: des classes entières furent éliminées ou décapitées. Peut-être certains auraient-ils rêvé, en France, d'une épuration analogue. Le gouvernement, en tout cas, n'y songeait pas, il considérait l'épuration comme une affaire d'État à traiter comme telle, conformément aux lois, en respectant les formes. Mais, d'un autre côté, l'épuration ne pouvait pas ne pas être révolutionnaire, puisqu'elle avait pour fondement une légalité insurrectionnelle et que le gouvernement du Maréchal était rétroactivement décrété illégal (en 1940, reconnu par les États-Unis et l'Union soviétique, il avait toutes les apparences de la légalité, voire de la légitimité). L'épuration fut un acte révolutionnaire mis en forme légale, condamné par définition à ne satisfaire ni les révolutionnaires ni les légalistes.
La querelle est au fond analogue dans le cas des nationalisations; ce mot connaît aujourd'hui une fortune éclatante. Bien que la formule "nationalisation des industries clés" traîne dans les programmes de la CGT depuis près d'un demi-siècle, elle occupe la première place dans les plans de rénovation lancés par la Résistance et les partis politiques. L'équivalence établie entre nationalisation et réforme de structure, réforme de structure et révolution, transfigure en un bouleversement l'opération prosaïque qui consiste à substituer des directeurs nommés par l'État aux administrateurs de sociétés.
Le gouvernement décréta la nationalisation des mines du Nord, des usines Renault, de Gnôme-et-Rhône, d'Air France; il annonça celles du crédit et de l'électricité, mais les adversaires des trusts ne se tenaient pas pour satisfaits.
La répugnance du gouvernement à réaliser, dans l'immédiat, des nationalisations plus étendues, comporte des explications faciles. Une nationalisation en elle-même ne rapporte et ne résout rien. Elle touche les masses populaires, dans la mesure où celles-ci prennent au pied de la lettre l'expression "retour à la nation des grandes sources de richesse collective". Le plus souvent, ni les conditions de travail, ni le rendement ne sont améliorés de manière immédiate, et une déception s'ensuit. L'État se trouve chargé d'une responsabilité supplémentaire, celle de trouver des hommes capables de faire marcher les entreprises devenues propriété de la nation.
Or, depuis 1940, l'État est pratiquement responsable de toute l'économie, en ce sens qu'il en dirige le fonctionnement: l'État fait produire ce qu'il veut, par qui il veut, aux conditions qu'il veut (on est tenté de substituer "peut" à "veut", mais la faute en est à la résistance des choses bien plus qu'à celle des hommes, à la pénurie plus qu'aux trusts). Si, trop souvent, la volonté de l'État demeure vaine, l'insuffisance des organes d'exécution, la paralysie bureaucratique en portent la responsabilité principale.
Dès lors, pourquoi l'État serait-il impatient de diriger directement des entreprises qui, pour la plupart, fonctionnent aussi bien (ou aussi mal) sans lui? Sur le plan économique, la pensée de gauche a tendance à surestimer l'importance de la propriété et à méconnaître celle du fonctionnement. Dans le régime intermédiaire que Grande-Bretagne et France veulent édifier, l'État se charge de contrôler l'ensemble, c'est-à-dire, en temps normal, d'assurer le plein emploi, à l'heure présente d'organiser la pauvreté, de toute manière, de répartir rationnellement, pour le plus grand profit de la collectivité, les ressources disponibles. Dans un tel cadre, la nationalisation de telle ou telle branche industrielle devrait être discutée surtout en termes d'opportunité, d'avantages techniques.
Ces considérations, il est vrai, négligent ce qui, aux yeux des révolutionnaires, est probablement l'essentiel. Ceux-ci n'affirmeraient pas que l'entreprise nationalisée sera à coup sûr mieux gérée. Ils avoueraient que l'État a les moyens de diriger l'ensemble de l'économie, sans devenir patron de mines ou d'aciéries. Mais la nationalisation n'en garderait pas moins à leurs yeux une double vertu: elle implique un changement de personnes, elle enlève aux propriétaires des grandes entreprises la puissance qu'ils devaient à la possession des instruments de production. La théorie des réformes de structure est moins économique que politique. De ce fait même, le général de Gaulle n'était pas impatient d'en généraliser l'application puisqu'elle ne rapportait rien dans l'immédiat et qu'elle inaugurait des changements profonds auxquels il n'était ni définitivement hostile, ni vraiment résolu.
La méthode selon laquelle le chef du gouvernement exerça son autorité créa une autre cause de friction. L'Assemblée consultative fut consultée de temps à autre, mais on tint peu de compte de ses avis. Le projet de loi sur les comités d'entreprises, que l'Assemblée avait modifié dans le sens de l'élargissement des attributions des comités, fut modifié ensuite par le Conseil des ministres dans le sens contraire. Le mécontentement au sujet de la gestion des ministres du Ravitaillement, de la Justice, de l'Information n'aboutit qu'au bout de plusieurs mois. Et encore, le remplacement de M. de Menthon par M. Teitgen ne suffit pas à combler les vœux de ceux qui critiquaient l'un et l'autre à la fois. L'arrivée de M. Soustelle ne répondait pas exactement à l'attente de ceux qui critiquaient le précédent ministre de l'Information.
D'une certaine manière, la querelle des deux pouvoirs réapparaissait sous une forme nouvelle. Partis, mouvements, Assemblée, réclamaient une participation réelle au pouvoir et se contenaient de plus en plus malaisément de la participation par l'intermédiaire de leurs délégués au Conseil des ministres. Au fond de la querelle constitutionnelle, on retrouve cette unique et décisive question.
Au point de départ, il s'agit d'une alternative simple et claire. La Constitution de 1875 était-elle suspendue ou abrogée? Dans le premier cas, il conviendrait d'élire une Chambre des députés et un Sénat qui, réunis en Assemblée nationale, modifieraient les lois organiques de 1875. Dans le second, il suffirait d'élire au suffrage universel, comme en 1848 et en 1871, une Assemblée constituante unique qui rédigerait une nouvelle Constitution. Radicaux et modérés, les uns par attachement à la IIIe République, les autres parce qu'ils escomptaient une Assemblée nationale moins "avancée" qu'une Assemblée constituante (en raison de la présence des sénateurs élus au suffrage indirect), se ralliaient à la première solution. Résistants, socialistes, communistes, MRP, fidèles à la légalité insurrectionnelle de 1944, par volonté de rénovation, préféraient la deuxième. Les décisions des partis ne laissaient guère de doute sur les résultats d'un éventuel référendum: la Constituante avait toutes les chances de l'emporter.
Le général de Gaulle parut d'abord favorable, en dépit de ses discours de Londres et d'Alger, à un retour à la Constitution de 1875 (du moins à en croire les journaux officieux). Puis il adopta la formule du référendum, mais au lieu de se borner à un référendum sur l'alternative:
deux
Chambres ou
une
Constituante, il proposa une Assemblée unique chargée de rédiger la Constitution, mais dont les pouvoirs seraient doublement limités: elle élirait le président du Conseil, mais celui-ci choisirait ses ministres et ne serait plus responsable devant l'Assemblée. Cette sorte de régime présidentiel équivalait à prolonger pour sept mois le régime actuel, dans lequel le chef du gouvernement possède et exerce seul l'autorité effective.
Le projet fut immédiatement en butte aux critiques les plus vives. Était-il légitime d'obliger les électeurs à renoncer soit à la Constituante, soit à la responsabilité ministérielle? Que se passerait-il en cas de conflit entre cet exécutif irresponsable et cette Assemblée unique? Cette Constitution provisoire n'avait-elle pas d'étranges ressemblances avec celle de 1848 dont on connaît l'aboutissement? Le gouvernement répondait que l'Assemblée n'aurait pas trop de sept mois pour rédiger la Constitution et n'aurait pas le temps de contrôler la gestion quotidienne des affaires publiques. En cas de conflit, ne suffirait-il pas d'attendre quelques mois pour obtenir, aux élections suivantes, la réponse du pays?
Cependant, le gouvernement provisoire consentit bientôt une concession, au fond décisive. Cette organisation provisoire des pouvoirs publics fut soumise, elle aussi, au référendum: elle fit l'objet d'une deuxième question. En cas de réponse négative, on en venait finalement à la Constituante souveraine. Cette concession ne suffit pas à désarmer les critiques. Le référendum, proclamaient de nombreux membres de l'Assemblée, avait un caractère plébiscitaire. Si le pays acceptait la proposition du gouvernement, c'est au général de Gaulle personnellement qu'il remettait pour sept mois un pouvoir quasi absolu. En théorie, l'Assemblée était libre d'élire un autre président du Conseil, en pratique il n'y aurait probablement pas d'autre candidat. Par suite, le vote des électeurs signifierait moins l'approbation d'une idée que le choix d'un homme.
Jusque-là, la controverse se déroule normalement et, si l'on ose dire, honnêtement. On peut penser que l'enjeu de la querelle ne justifie pas les flots d'encre et les transports d'indignation prodigués de part et d'autre. Il ne s'agit après tout que de sept mois d'hiver au cours desquels personne ne sera anxieux de recueillir la charge du pouvoir, au cours desquels la stabilité politique s'impose à la France dont les positions dans le monde paraissent vulnérables et ébranlées. Malgré tout, le retour à un régime constitutionnel, le rétablissement de la responsabilité ministérielle devant les élus du peuple, le partage du pouvoir entre l'Exécutif et le Législatif (c'est-à-dire entre le général de Gaulle et la future Assemblée) ne s'imposent pas moins et ne s'opposent pas nécessairement à l'impératif de stabilité.
Malheureusement, au lieu de chercher une conciliation qui était possible, l'Assemblée consultative chercha avant tout et parvint à marquer son hostilité au gouvernement. Elle ne rejeta pas seulement le référendum plébiscitaire, elle rejeta tout référendum (et pourtant elle comptait, parmi ses membres, des partisans des deux Assemblées et des partisans de l'Assemblée unique: pourquoi donc prétendait-elle interdire au gouvernement de faire trancher le débat par le suffrage universel?). Une coalition de modérés, de radicaux, de communistes écarta le contre-projet Vincent Auriol qui donnait satisfaction, pour l'essentiel aux vœux de l'Assemblée, puisqu'il prévoyait une Constituante souveraine et se bornait à prendre des précautions contre l'instabilité ministérielle (motion de censure, majorité absolue des effectifs de l'Assemblée seraient nécessaires pour qu'un vote de méfiance entraînât une crise ministérielle). Que radicaux et communistes s'unissent sur les principes de la responsabilité ministérielle, soit qu'ils s'unissent pour empêcher tout accord dans une attitude commune et négative d'opposition, c'est le premier exemple de ces combinaisons subtiles qui ont tant fait pour le discrédit du Parlement et que le parti radical, revenu à la vie, s'empresse de rééditer.
Le gouvernement fut ainsi contraint de présenter un projet constitutionnel désapprouvé à l'avance par l'Assemblée consultative. En fait, il reprit le projet Vincent Auriol qui prévoyait moins une limitation qu'un aménagement de la souveraineté de l'Assemblée.
Les socialistes se tinrent pour satisfaits: radicaux et communistes ne désarmèrent pas. Quand Édouard Herriot donna son adhésion au MURF créé par la minorité communisante du MLN, il commença de transformer ce qui avait paru d'abord une manœuvre de couloirs en une alliance politique. Partisans du parlementarisme intégral et partisans des soviets rééditaient la coalition de 1936, mais avec une pointe contre les socialistes et surtout contre le gouvernement.
Les communistes n'avaient pas eu la moindre intention de renverser le général de Gaulle auquel ils ont, depuis la Libération, apporté un "soutien oppositionnel" (dès les premiers jours de la crise constitutionnelle, ils avaient proclamé qu'ils ne rappelleraient pas leurs ministres, quelle que fût la solution adoptée), mais ils avaient atteint leur objectif. Ils s'étaient mis au premier rang des défenseurs de la démocratie (formelle) et ils avaient affaibli le gouvernement. Ils n'avaient pu, il est vrai, sur le sujet du référendum, établir un front commun des gauches. Ils n'en saisirent qu'avec plus d'ardeur l'occasion que leur offrit un mode de scrutin injuste. Mais il ne suffit pas d'être d'accord contre une loi électorale pour être capable de gouverner ensemble.
2. Économie sans moteur
Un an après la Libération, la production industrielle représente à peu près les deux tiers de celle de 1943, le tiers de celle d'avant-guerre. Ce résultat décevant est le poste principal du passif du gouvernement provisoire, du passif de la France.
Le gouvernement avait recueilli l'héritage des quatre années d'Occupation, héritage qui, dans l'ordre économique, comportait quatre éléments essentiels.
Destructions.
- Le système de transport était délabré, 445.000 maisons détruites, plus d'un million sérieusement endommagées. L'appareil de production, en dépit des machines enlevées par les Allemands et des usines touchées par les bombardements, subsistait dans l'ensemble, mais usé, faute d'entretien et de renouvellement. La terre, privée d'engrais, était appauvrie.
Pénurie.
- Charbon, essence, matières premières, tout manquait.
Surabondance monétaire.
- La circulation fiduciaire dépassait 600 milliards contre 140 avant la guerre.
Chaos des prix.
- Il n'y avait plus ni prix ni marché unique pour le même produit. Selon les marchés, officiel ou non, selon les régions, des décalages de cours considérables apparaissaient. De plus, la politique des autorités d'Occupation, les circonstances exceptionnelles avaient amené une hausse disproportionnée des prix des différentes marchandises.
On s'attaqua immédiatement, avec une ardeur et une efficacité également admirables, aux dommages subis par le système de transport. Le nombre des locomotives disponibles passa de 2.900 au 1er septembre à 6.350 au 1er janvier. Les chemins de fer, dès le printemps de 1945, cessaient d'être "le goulot d'étranglement" et répondaient aux besoins d'une économie, il est vrai, anémiée. En revanche, la reconstruction des villes ne dépassa pas la phase du déblayement.
Des trois autres maux, la pénurie est évidemment le plus grave. Le chaos des prix est, en une large mesure, inévitable en période de disette; il contribue à rendre plus inéquitable encore la répartition des ressources; il est funeste dans la mesure où il freine la production en réduisant la marge de bénéfices des entreprises industrielles. La surabondance monétaire nourrit le marché noir et fait monter les prix, mais, aussi longtemps que l'on manque du nécessaire, comment ne se trouverait-il pas des gens prêts à payer n'importe quel prix pour acquérir un kilo de beurre ou de viande?
Si la pénurie se retrouve à l'origine de tout, il est plus facile, en apparence, d'agir sur l'excès des moyens de paiement que sur l'insuffisance des richesses. Les finances se prêtent à des mesures spectaculaires que la production ne permet guère. Aussi les discussions qui remplirent la première moitié de l'année eurent-elles presque uniquement pour objet la politique financière - prix, budget, circulation.
Le ministre de l'Économie nationale proposait une expérience comparable à l'expérience belge (inspirée elle-même par les mesures prises en Corse par les autorités françaises). Le plan avait été conçu avant même la libération de la France, mais les conditions matérielles d'exécution (répartition des billets, organisation du service d'échange) ne furent réalisées que vers le mois de mars. À ce moment-là, l'opposition latente entre M. Mendès France et M. Pleven éclata en un conflit ouvert et aboutit à la démission du premier.
Quel aurait été le but, quels auraient été les résultats possibles, d'une expérience Mendès France, c'est-à-dire de l'échange des billets avec blocage partiel? S'il s'agissait seulement de réduire la circulation fiduciaire, l'impôt de la Libération, puis l'échange sans blocage ont effectué, au moins temporairement, une "ponction monétaire". Au lendemain de l'échange, la circulation est tombée au-dessous de 450 milliards (environ 50 milliards non remis à l'échange et 100 milliards de billets transformés en dépôts bancaires), mais les avantages de cette réduction sont faibles. Ni les billets détruits ou emportés ni ceux qui étaient entassés dans les lessiveuses ne pesaient sur le prix. Le blocage aurait-il maintenu plus durablement la circulation à un niveau inférieur? On peut en douter: étant donné le mode actuel des échanges, les prix pratiqués et les revenus distribués, il n'y a guère d'excédent de circulation.
S'agissait-il de liquider, aussi équitablement que possible, les comptes des années d'Occupation, c'est-à-dire de reprendre un pourcentage important des sommes accumulées par les profiteurs de la défaite? L'expérience Pleven vise au même objectif par des méthodes médicales, à froid: confiscation des profits illicites, impôt sur les enrichissements et impôt sur le capital. On a prononcé 18 milliards de confiscation, on attend 125 milliards en quatre ans de l'impôt de solidarité. La politique actuelle, ces chiffres en font foi, comporte donc une large part de résignation. (Chaque année, le marché noir du beurre atteignait un chiffre d'affaires de l'ordre de 20 à 30 milliards de francs.) Aurait-on pu faire mieux? On aurait pu et dû joindre le recensement des obligations et rentes aux autres mesures d'inventaire des fortunes. On aurait pu opérer plus vite et plus brutalement et ainsi réduire les trafics divers qui se sont multipliés et qui ont permis à beaucoup des possesseurs de dissimuler une fraction des biens mal acquis. La différence de rendement, plus ou moins sensible, n'aurait pas été d'importance décisive.
S'agissait-il enfin de réduire en général les moyens de paiement à la disposition du public? Sur ce point, le rendement de la méthode Pleven est à peu près nul. La transformation des billets en compte courant n'a en rien diminué la puissance d'achat susceptible d'affluer sur les marchés vides. Mais le blocage aurait-il été à cet égard beaucoup plus efficace? Pour ramener une sorte d'équilibre entre les marchandises offertes et les moyens de paiement, il aurait fallu bien plus qu'une mesure financière, brutale et unique. Aussi longtemps que la masse des revenus dépasse, et de très loin, la valeur des produits estimés aux cours officiels, la hausse des prix et le développement du marché noir demeurent inévitables. Le blocage, à supposer qu'il l'eût atténuée pour un certain temps, n'aurait certainement pas éliminé l'opposition entre le manque de marchandises et le gonflement des revenus.
Autrement dit, les méthodes financières rigoureuses, conçues par M. Mendès France, n'auraient pris leur sens que dans le cadre d'une politique générale des prix, des revenus et de la production, différente de la politique effectivement suivie depuis la Libération. La question du blocage, à elle seule, ne justifiait pas la démission. Mais le refus du blocage se rattachait à la deuxième hausse des salaires, c'est-à-dire à l'acceptation d'une hausse rapide des prix
avant même le commencement de la reconstruction
. C'est l'ensemble de cette politique que le ministre de l'Économie nationale n'approuvait pas.
Le ministère des Finances, dont on peut critiquer les théories mais non méconnaître la solidité et la qualité technique, a fourni, en un an, un travail considérable. Emprunt de la Libération, commissions de confiscation, échange des billets, impôt de solidarité ont été - une fois la conception globale admise - judicieusement réalisés. L'échange, dont tant d'experts nous décrivaient à l'avance les insurmontables difficultés, se déroula sans frottement. Mais quelque jugement que l'on porte sur elle, cette gestion des finances publiques ne saurait créer ni les richesses, ni même les conditions favorables à la création des richesses.
Au point de départ, le gouvernement prit trois décisions, à peine remarquées à l'époque, dont les conséquences se prolongent encore: fixation à 200 francs du taux de change avec la livre, stabilisation des prix industriels, augmentation de 40% des salaires. En faveur de chacune de ces décisions, on avançait de bons arguments, mais elles étaient, pour le moins, mal accordées.
Le taux de change avait pour but de limiter les achats des soldats anglais et américains en France. Il ne présentait pas d'inconvénients, disait-on, puisque dans les années à venir on aurait beaucoup à acheter au-dehors, presque rien à vendre. À l'expérience, cette décision se révéla fâcheuse. Le taux de change était à tel point fictif que personne n'y vit autre chose qu'un expédient provisoire: du coup, toute incitation à lutter contre la hausse des prix afin de maintenir la valeur de la monnaie tombait. De plus, dès maintenant la nécessité apparaît clairement de reprendre les échanges avec l'extérieur. Notre stock de devises et d'or ne suffira pas longtemps à financer nos achats à l'étranger, nous avons un intérêt politique autant qu'économique à figurer de nouveau sur les marchés mondiaux. Or, au taux actuel du change, nous n'arriverons à exporter qu'en multipliant les primes, les caisses de compensation et autres instruments du commerce dirigé. Enfin, il serait lamentable de modifier plusieurs fois la valeur du franc: or, nous sommes aussi incapables en 1945 qu'en 1944 de préciser la valeur finale de notre monnaie. On s'aperçoit trop tard que le "taux d'attente" aurait dû être au moins de l'ordre de 300 francs.
Au moment même où l'on calculait aussi généreusement la valeur du franc, on décrétait une hausse des salaires de 40% - hausse pleinement justifiée si l'on considère les conditions de vie, mais qui, en l'absence de tout accroissement des marchandises offertes, devait inévitablement peser sur les prix. Au printemps, une deuxième hausse intervint qui mit les salaires de 1945 à plus du double de ceux de 1944, au-dessus du triple de ceux de 1939. Certes, les salaires ne sont pas réévalués en proportion de la hausse des prix. Mais il serait purement démagogique de laisser croire aux ouvriers qu'ils retrouveront, dans la situation présente, un niveau de vie comparable à celui qu'ils avaient en 1939. À l'appauvrissement de la nation, aucune classe ne saurait échapper: seuls quelques profiteurs y parviennent. La deuxième hausse des salaires aggravait encore l'inflation, c'est-à-dire l'excédent du pouvoir d'achat sur les produits disponibles. Elle tendait à ouvrir aux masses l'accès du marché noir, mais elle aboutissait moins à améliorer le sort du plus grand nombre qu'à gonfler encore les profits des intermédiaires. Pour l'instant, ce sont surtout les méthodes du ravitaillement qui commandent les conditions de vie.
La hausse des salaires, donc des prix, n'est pas par elle-même une catastrophe. Elle détermine à échéance la valeur du franc, elle aggrave pour l'avenir l'infortune des détenteurs de revenus fixes, par suite elle accélère le glissement au socialisme des petits bourgeois, le radicalisme politique des masses. De manière immédiate, elle prête à deux objections: il aurait mieux valu que les prix montent
au fur et à mesure de la reconstruction et non pas avant
(afin de dévaloriser progressivement les emprunts contractés par l'État pour la financer). Aussi longtemps que l'on interdit de tenir compte de toutes les charges supplémentaires des entreprises, on freine le moteur de notre économie, on encourage les "opérations sous la table".
Dans quelle mesure la stagnation de l'activité tient-elle à des causes matérielles (comme le manque de charbon) ou à des causes économiques (comme le régime des prix et le mécontentement des entrepreneurs et des ouvriers)? Il est difficile de mesurer exactement l'importance respective des deux facteurs. En tout cas, il est clair que, si la France continue à vivre sur son capital et non sur son travail, elle est menacée d'une catastrophe sans précédent.
Personne ne nie les difficultés de la tâche. Personne ne prétend que, mis à la place des responsables, il ferait mieux. Le pays s'est pour ainsi dire installé dans cette anarchie purulente. Pour l'en sortir, il faudra s'attaquer simultanément à la production, aux prix, au ravitaillement, aux méthodes de l'administration économique. Tout au plus se risquera-t-on à indiquer quelques lignes d'action possible, sur le plan de la rationalité économique et sur celui de la mobilisation morale de la nation.
1° Le secteur civil devrait avoir, aujourd'hui, une priorité absolue sur le secteur militaire. Il est insensé que l'on fabrique des avions anachroniques et des tanks de 1940, alors que l'on ne parvient ni à nourrir, ni à vêtir convenablement la population. Il est inconcevable que les effectifs de la Marine actuelle dépassent ceux d'avant-guerre, c'est-à-dire qu'il faille autant d'officiers et d'hommes pour une flotte au moins d'un tiers inférieure. Il est scandaleux que le ravitaillement doive entretenir presque un million et demi de rationnaires. Il est absurde que l'on propose, pour les années à venir, une armée de vingt divisions, dérisoire s'il s'agit de faire la guerre, accablante pour notre pays exsangue. Il ne suffit pas que le général de Gaulle transfère aux industries de paix une partie du charbon affectée aux fabrications de guerre, il faut qu'il accomplisse une tâche comparable à celle qu'il tenta vainement - prophète dans le désert - entre les deux guerres, à savoir adapter notre défense nationale aux exigences de la technique actuelle et à une constellation mondiale sans précédent. L'armée de 1939, qu'on s'ingénie à reconstituer, étouffera le pays sous sa masse sans lui donner ni prestige ni puissance.
2° Il n'est pas question, tant que sévit la pénurie, de renoncer à la répartition autoritaire des ressources. Du moins pourrait-on renoncer aux formes inutiles de direction, laisser jouer l'initiative là où l'État ne juge pas nécessaire d'intervenir directement. Pourquoi donne-t-on aux entreprises existantes une situation privilégiée, en subordonnant l'ouverture de nouvelles entreprises à une autorisation préalable que les Chambres professionnelles, composées des bénéficiaires du monopole, ont tendance à refuser? D'autre part, avec ou sans plan, on devra bien finalement mettre en accord prix de revient et prix de vente.
3° L'économie française est comparable à une machine bardée de freins et dépourvue de moteurs. Dans une économie de type soviétique l'éventail des salaires est infiniment plus large qu'en France. Le désir de gravir les échelons de la hiérarchie, l'attente d'une rétribution proportionnée au rendement incitent en permanence tous et chacun à l'effort. (Si on transposait en France ce système "égalitaire", les plus favorisés seraient à coup sûr les ingénieurs et les directeurs des usines nationalisées.) En même temps que l'égoïsme, l'État soviétique mobilise l'enthousiasme (émulation socialiste, primes, décorations) et maintient la menace suspendue sur la tête des responsables (épuration). Qu'avons-nous de comparable en France? Le seul secteur où le moteur du profit tourne encore à plein est celui du marché noir. Les appels au travail que les ouvriers semblent le plus tentés de suivre, sont ceux des leaders communistes. Est-ce assez? La leçon est claire: ou bien on laissera libre cours aux mobiles éternels, intéressés et désintéressés, ou bien, même avec l'arrivée des matières premières, l'économie stagnera au-dessous du niveau d'activité indispensable et accessible.
4° Chacun déplore et dénonce la prolifération indéfinie des administrations publiques, administrations militaires en tête. Le budget est au coefficient 7 par rapport à 1939. Sans doute l'État s'est-il, entre-temps, chargé de fonctions nouvelles. Malgré tout, on se demande pourquoi il serait seul à ne pas être sensible à l'impératif d'économie. Un nombre croissant de fonctionnaires civils et militaires vit sur un nombre décroissant de producteurs. On sait trop comment finissent ces sortes de maladies. Dans la superposition actuelle de trois administrations - celle de la IIIe République, celle de Vichy, celle de la France combattante - des coupes sombres sont possibles.
5° La reconstruction dépend avant tout de la suppression ou au moins de l'atténuation de la pénurie fondamentale, le manque de charbon aujourd'hui. Tant que nous disposerons de 30 millions de tonnes de charbon par an au lieu de 70 avant la guerre, il sera difficile de remonter même au bas niveau de 1943. Les mesures, techniques et psychologiques, susceptibles d'accroître la production, relèvent avant tout des spécialistes. Cependant, c'est un spécialiste, M. Sauvy, qui a écrit récemment qu'il eût fallu faire "de la famine charbonnière une question politique, la porter au premier plan de l'opinion, en dénonçant, avec violence et spectacle, ce fléau public".
On est tenté de généraliser le précepte. Le gouvernement devrait prendre la nation à témoin de la misère générale, lui montrer l'abîme dans lequel nous risquons de glisser, la mettre régulièrement au courant de la répartition des ressources, des progrès réalisés, des perspectives prochaines. Avoir un plan des travaux, au moins quelques mois d'avance, donner l'impression que l'on sait où l'on va, tout cela appartient au devoir des dirigeants qui n'ignorent pas qu'en s'enfermant dans le silence, ils se condamneraient à l'échec.
3. Puissance et prestige
Tous les pays libérés, à l'exception de la France, ont été immédiatement intégrés dans une zone d'influence.
Par sa position géographique, par les préférences de la majorité de sa population, la France appartient à l'univers anglo-saxon ou, pour parler avec Walter Lippmann, à la communauté atlantique. Mais une minorité de Français, active, organisée, met ses espoirs dans l'Union soviétique. Cette division intérieure interdit un choix radical. De plus, le général de Gaulle, qui n'avait pas obtenu des gouvernements anglais et américain, avant son retour en France, une reconnaissance pleine et entière, était peu enclin à se lier trop étroitement à nos Alliés occidentaux et désirait avant tout renforcer sa position à leur égard.
Ainsi s'explique le pacte avec la Russie dont les suites se prolongent encore. En lui-même, ce pacte ne signifie à peu près rien, puisqu'il est dirigé uniquement contre l'Allemagne, c'est-à-dire contre une puissance qui, pendant des dizaines d'années, sera hors d'état de rien entreprendre contre ses anciens ennemis. Mais la portée de l'accord, la signification que lui prêta le monde dépassaient de beaucoup la lettre des textes. La France, à peine libérée par les armées anglo-américaines, signait son premier traité avec l'Union soviétique, alliée, il est vrai, à la Grande-Bretagne, mais dont la diplomatie, chacun le sait, suit sa ligne propre. Que la France ait préféré un traité bilatéral immédiat à un traité tripartite, même à terme, ne pouvait pas ne pas être ressenti péniblement à Londres.
On répond, il est vrai, que le traité avec l'Angleterre n'aurait eu de sens que s'il avait été précédé d'une entente sur les points discutés: Syrie et zone française d'occupation en Allemagne. Sans cette entente, le traité n'eût été qu'un geste symbolique. Mais le traité avec la Russie était-il davantage? En subordonnant le traité franco-anglais à une entente complète, on se montrait plus exigeant qu'on ne l'avait été vis-à-vis de Moscou et on courait le risque d'épaissir encore les malentendus et la mauvaise humeur qui séparaient Churchill et de Gaulle pourtant, aux yeux du public, compagnons d'une même cause.
De plus, un traité franco-russe, qui prévoyait une action immédiate et automatique contre toute menace d'agression, engageait la France en faveur d'une certaine conception des pactes régionaux. Notre pays devenait partisan du droit de se faire justice à soi-même ou du moins d'assurer sa sécurité, par ses moyens propres, dans le cadre régional. Encore une fois, il s'agit là de fictions diplomatiques plus que de réalité politique. Il n'y a pour l'instant ni agression à craindre ni organisme international susceptible d'établir et d'ordonner la paix. Néanmoins, la position prise allait susciter de nouvelles difficultés au lendemain de Yalta.
La France avait été invitée à être puissance invitante. Elle demanda la garantie qu'elle ne perdrait pas, de ce fait, le droit de proposer des amendements (en particulier pour sauvegarder l'autonomie des pactes régionaux) et elle suggéra une modification au texte rédigé par les trois Grands. Cette fois, ce fut la Russie qui, en dépit du traité récent, se montra intransigeante. Nous dûmes finalement nous contenter du rôle de puissance invitée et batailler, pendant des semaines, à San Francisco, pour obtenir à grand-peine ce qu'on nous avait proposé auparavant.
Ces mésaventures, qui appartiennent au train quotidien de la diplomatie, importent assez peu en elles- mêmes mais elles suscitent l'inquiétude. Où va la politique extérieure de la France? Quels objectifs se fixe-t-elle dans la période présente?
Le souci primaire du général de Gaulle est certainement de maintenir l'indépendance totale de la France. Il en résulte le refus d'intégration à un bloc quel qu'il soit. Il en résulte aussi le penchant aux initiatives autonomes, depuis le pacte franco-soviétique jusqu'à l'occupation du Val d'Aoste. Aucun des trois Grands ne doit être assuré des réactions françaises, aucun ne doit nous regarder comme un satellite qui obéira infailliblement aux désirs de son maître (en contrepartie, pour cette même raison, aucun des trois Grands ne souhaite particulièrement notre participation aux conférences). Matériellement nous dépendons surtout de nos Alliés américains. Une menace "extérieure" à notre indépendance vient donc plutôt de l'Ouest que de l'Est. Le gouvernement français se trouve amené, par cette sorte de logique passionnelle, à marquer sa souveraineté intégrale, sa répugnance aux concessions, surtout à l'égard de ceux dont il est le plus proche.
En même temps, le général de Gaulle se tient pour investi de la mission sacrée de maintenir intact l'héritage français. Plutôt que de céder une parcelle de cet héritage, par deux fois, à la fin de 1943 et au printemps de 1945, il n'hésita pas à accepter les dommages d'un violent conflit avec la Grande-Bretagne.
Politique d'indépendance et de conservation, mais aussi politique de grandeur. La France doit être présente partout dans le monde, avoir sa place dans les conseils internationaux. Sa voix doit être écoutée, qu'il s'agisse de l'Extrême-Orient ou de l'Europe, du Moyen-Orient, du Rhin ou des Balkans. Pour retrouver son rang, la diplomatie, certes, ne suffit pas: la réforme intérieure, l'unité reconquise, la reconstruction importent autant et plus. Mais c'est au-dehors que notre pays a chance d'acquérir ce surcroît de force, faute duquel sa prétention à redevenir une grande puissance resterait vaine rhétorique. On n'a pas prononcé le mot d'annexion, mais on a beaucoup parlé de séparer la Rhénanie et peut-être même la Ruhr du Reich. Si, dans l'administration de ces territoires, la France prenait une part importance, ne deviendrait-elle pas la grande puissance de l'Occident européen, capable de réaliser, sur un pied d'égalité, l'entente avec la Grande-Bretagne qui ferait surgir un troisième colosse?
Il serait facile et injuste d'invoquer, contre ces conceptions, les déconvenues que nous avons éprouvées, la solitude dans laquelle nous nous enfonçons. Au moment de la crise syrienne, le State Department a donné carte blanche au Foreign Office et la Russie a exploité l'incident à son profit, sans se soucier le moins du monde de nos thèses. Les objectifs - indépendance de la France, restauration de notre puissance - s'imposent avec évidence aux Français, et ils sont l'immense majorité, qui ne se résignent pas définitivement à une existence de satellite. Mais l'accord sur les buts n'implique pas l'accord sur les méthodes, une appréciation identique de la situation et des possibilités.
L'indépendance réelle, c'est la liberté d'action. Or, aucun pays, à l'exception des deux empires-continents, États-Unis et Russie, ne possède aujourd'hui de complète liberté d'action. Même la Grande-Bretagne, qui a perdu la maîtrise des mers, suit inévitablement, dans les circonstances décisives, les désirs des États-Unis. Quant à notre liberté d'action, elle est en fait réduite au minimum puisque notre existence quotidienne est soumise au bon vouloir de nos Alliés. Même quand nous aurons surmonté la pénurie aiguë, nous continuerons à dépendre des puissances maritimes, ne serait-ce que pour la sauvegarde de notre Empire. Nous ne cesserons pas d'être liés à la Grande-Bretagne en raison de la proximité des territoires et des possibilités de l'aviation. Mais ce lien est susceptible de se transformer en dépendance réciproque.
L'indépendance de fait, dira-t-on, est toujours partielle, mais la souveraineté de droit peut et doit demeurer totale. Certes, mais il serait funeste sous prétexte de sauver celle-ci de sacrifier celle-là. Quand on parle, à mots couverts, des aérodromes ou des ports, ici et là, sur lesquels nos Alliés auraient des visés, on méconnaît étrangement les données actuelles du problème. Si les Américains utilisaient un de nos ports, pendant quelques années, qu'aurions-nous à craindre ou à perdre? C'est notre pauvreté et la richesse des autres, notre faiblesse et la force des autres qui réduisent notre marge de liberté.
Plus on tend, pour demain, à une politique de puissance, moins on doit se soucier, aujourd'hui, du prestige. Après la défaite de 1870, la France s'est repliée sur elle-même pendant près de quinze ans, la Russie fit de même après la révolution de 1917. À longue échéance, ce qui déterminera notre avenir, c'est notre restauration intérieure, et non les succès diplomatiques. Or, dès que l'on met au premier plan de relèvement matériel du pays, l'amitié américaine apparaît immédiatement décisive. Les États-Unis, et les États-Unis seuls, sont en mesure de nous expédier rapidement les matières premières et les machines qui nous manquent. Entre tous les pays, une course est engagée à qui recevra la plus forte proportion des immenses ressources que les Américains sont prêts à mettre à la disposition des terres dévastées. L'Union soviétique ne considère pas comme au-dessous de sa dignité de faire appel à l'UNRRA (où nous avons vu une menace pour notre souveraineté).
On parle avec effroi de l'asservissement dont "l'invasion" américaine menace notre industrie. Mais notre industrie est aussi menacée de mort. Et là encore, la condition de l'indépendance future, c'est d'abord le rétablissement de la prospérité. Le marché français a, provisoirement, une capacité suffisante d'absorption pour offrir un certain débouché aux marchandises américaines, sans que l'industrie nationale en souffre. Au lendemain de la dernière guerre, l'Allemagne a financé son expansion et sa rationalisation industrielles à l'aide de crédits américains. Son indépendance - hélas! - n'en a pas souffert pour autant.
Notre gouvernement a la tâche ingrate de sauver - presque sans moyens matériels - nos positions dans le monde. Mais ces positions sont d'inégale valeur et, au sortir de quatre années d'Occupation, il se peut que nous soyons contraints à des sacrifices. Personne n'a le droit, honnêtement, de faire grief au général de Gaulle de nos mésaventures en Syrie. Dès avant 1939, notre mandat était impatiemment supporté par l'intelligentsia arabe et le Colonial Office. Les erreurs et les oscillations de notre politique avaient miné notre autorité. La défaite, la guerre civile française de 1941 au milieu du conflit mondial, ont porté un nouveau coup à notre prestige. Le Proche-Orient est dominé par l'Empire britannique qui a choisi d'appliquer les méthodes de "contrôle indirect", incompatibles avec le mandat français. Probablement la Grande Syrie apparaît-elle, plus ou moins clairement, comme une possible solution au drame de la Palestine. Quelles que soient les causes immédiates de la crise finale de mai 1945, rien d'étonnant que l'issue de cette longue "bataille de position" nous ait été défavorable.
Bien plutôt on se demandera si, connaissant la situation, les désirs de nos Alliés et nos ressources, il n'eût pas mieux valu se résigner à l'inévitable. Nous avions, dans le Proche-Orient, trois sortes d'intérêts: des intérêts stratégiques, dont la valeur a singulièrement diminué puisque notre force ne rayonne plus dans le bassin oriental de la Méditerranée, des intérêts culturels qu'il eût été facile de sauvegarder par des négociations en 1942 ou même en 1943, des intérêts économiques, dont le plus important est notre part dans les pétroles d'Irak et le pipe-line qui aboutit à Tripoli. Là est sans doute l'essentiel. Mais l'évacuation militaire de la Syrie et du Liban n'impliquait pas la perte de ces richesses. On répond que le prestige est indivisible et que, chassés de Damas, nous ne tarderions pas à l'être de Tunis et de Casablanca. On ne niera pas le retentissement de l'affaire syrienne à travers cette vaste caisse de résonance que constitue le monde arabe. Mais il reste à savoir si la modalité actuelle de l'opération n'est pas la pire de toutes.
Il suffit d'ouvrir les yeux pour voir qu'il ne subsiste plus de principes en fait de politique internationale et que, même ou surtout au niveau des trois Grands, la force est presque le seul argument et le marchandage la règle. En ce monde dur, un pays comme le nôtre n'a de chance qu'en se concentrant sur l'essentiel, en acceptant pleinement son rôle, celui d'une
puissance régionale
et non d'une
puissance mondiale
. Or, l'essentiel, pour la diplomatie française, c'est d'abord la restauration intérieure (et les rapports avec le dehors qu'elle implique), c'est ensuite la sauvegarde de l'Afrique française (faute de laquelle notre pays tomberait encore de plusieurs crans dans l'échelle des nations), c'est enfin le sort de l'Allemagne et singulièrement de l'Allemagne occidentale. Il n'importe pas tant à la France que l'Allemagne soit ou non partagée et, en tous cas, nous n'y pouvons pas grand-chose. Mais il importe au plus haut point que la Sarre soit rattachée à l'unité économique du pays et que la Ruhr fournisse chaque année à notre industrie des millions de tonnes de charbon.
Là encore, le succès dépend avant tout du bon vouloir de nos Alliés occidentaux. Qu'on s'en félicite ou qu'on le déplore, les zones d'influence sont une réalité. Les demandes d'un Grand, relatives à la zone d'influence d'un autre Grand, servent surtout d'objet d'échange dans les négociations. Ce n'est pas l'alliance avec Moscou qui nous permettra de vaincre une éventuelle opposition de Londres ou de Washington. Mais, dans une atmosphère de collaboration, l'appel aux gouvernements et aux peuples de Grande-Bretagne et des États-Unis n'est pas condamné d'avance.
Les circonstances offrent au général de Gaulle une occasion presque inespérée. En Amérique, en Grande-Bretagne, des hommes nouveaux ont pris en charge la conduite de la diplomatie. Ni le président Truman ni MM. Attlee et Bevin ne gardent le souvenir des querelles qui, depuis quatre années, jalonnent la route des relations entre la France et ses Alliés.
Saisira-t-on une chance qui risque d'être la dernière?
4. À pied d'œuvre
Les désillusions de cette longue année n'ont pas été sans modifier l'état d'esprit de la nation. Le chef du gouvernement garde une partie de sa popularité, mais ses ministres n'échappent pas toujours au discrédit. On est déçu que le ravitaillement ne soit pas, ou ne se soit pas davantage, amélioré, on est déçu par l'attitude des Alliés et en particulier des Américains (les enquêtes de l'Institut d'opinion publique en font foi), on est déçu de la lenteur de la reconstruction, on est déçu par l'inefficacité d'une administration pléthorique, on est déçu par les injustices de l'épuration.
Quelle volonté politique résulte de mécontentement diffus? Il est plus difficile de le dire, même en se référant aux élections municipales(1).
Les électeurs ont nettement, résolument, voté pour la Résistance et pour la gauche. Par rapport à 1936, le glissement est sensible. Les communistes obtiennent, dans les villes, environ 30% des voix, le parti socialiste maintient ses positions, mais en perdant sur sa gauche et en gagnant sur sa droite. Le parti radical est en régression marquée. Le MRP prend une position relativement importante, mais aux dépens des anciens partis de droite. (En dépit de tout, un "parti de curés" ne recueille pas les voix de gauche.) La droite, qui ne s'est pas remise de Vichy, semble en pleine décomposition.
La Résistance pour laquelle s'est prononcé le pays, est moins la Résistance au sens étroit des mouvements de Résistance que la Résistance au sens large, où elle englobe tous ceux qui ont "résisté" à la fois aux Allemands et à Vichy. On a fait observer que la Résistance (au sens étroit), quand elle s'est présentée seule, a recueilli un nombre substantiel de voix. Les signes de désaffection à l'égard des anciens partis et surtout des "hommes anciens" ne manquent pas. Ces derniers sont plus d'une fois battus ou arrivent loin sur les listes quand ils sont élus. Malgré tout, les partis d'avant-guerre demeurent les forces électorales décisives.
De manière générale, les préférences des électeurs allaient, semble-t-il, aux listes d'unité, listes du Front populaire sous une forme renouvelée. La liste homogène socialiste, à Lyon, a été écrasée par une liste de coalition. Les listes d'Union républicaine antifasciste, dominées le plus souvent par les communistes, ont habilement exploité ce désir d'entente. Le succès obtenu par le parti communiste s'adresse donc moins, semble-t-il, à un parti de bouleversement total, différent en nature de tous les autres, qu'au parti le plus à gauche, le mieux organisé, dont les titres de Résistance ne prêtent pas au doute.
Quand on passe du pays aux organisations, la scène change. Le MLN partagé depuis la Libération entre une majorité modérée et une minorité extrémiste a fini par se scinder en deux groupes dont l'un, l'UDSR, devient une sorte d'annexe du parti socialiste et dont l'autre travaille pour l'unité organique avec le parti communiste.
La minorité communisante du MLN emploie un langage violent qui rappelle celui des trotskystes, mais elle travaille dans le cadre et pour le compte du stalinisme. Elle conserve au communisme les militants "radicaux" que risquerait de lasser le "conservatisme" actuel du parti.
La Résistance a ainsi retrouvé pour son propre compte la distinction entre socialistes et communistes. Celle-ci est provisoirement dissimulée par le gouvernement d'unanimité et par la tactique "nationale" du parti communiste. Mais dans quelle mesure ne se creuserait-elle pas à nouveau, le jour où les partis de gauche auraient seuls à assumer la charge du pouvoir?
Quant au gouvernement, on ne saurait dire qu'il ait été approuvé ou désapprouvé par les électeurs pour la simple raison que, si chaque parti critiquait tel ou tel aspect de sa politique, aucun ne rejetait sa politique générale, et que tous y étaient représentés. Cette fois, comme presque toujours en France, on a voté non sur des questions relativement précises, clairement posées au pays, mais selon des préférences coutumières. Le programme du CNR qui, si imparfait soit-il, aurait pu servir de discriminateur, a été adopté par tous les partis, du parti communiste jusqu'au MRP, ce qui achève de le dévaloriser. Il reste simplement que le pays, en gros, est plus à gauche que le gouvernement.
Une année après la Libération, la France se trouve pour ainsi dire à pied d'œuvre. Jusqu'à présent, le général de Gaulle a monopolisé l'exercice du pouvoir; demain il devra faire la preuve qu'il est capable de le partager avec une Assemblée élue, et les partis devront faire la preuve qu'ils sont capables de collaborer avec le gouvernement ou (et) entre eux. Les moyens matériels de travail ont jusqu'à présent manqué, mais notre production de charbon augmente et nous allons en recevoir des États-Unis, d'Angleterre, d'Allemagne: nous devrons faire la preuve que nous sommes capables de remettre en marche la machine économique et de relever nos ruines. Refaire une Constitution et refaire une industrie, toutes les tâches s'imposent en même temps et avec une égale urgence.
L'héritage de cette première année, des désillusions accumulées, est lourd, il n'est pas insurmontable. La nation demeure prête à suivre celui qui, il y a cinq ans, à l'heure du désastre, l'a appelée au combat et lui a rendu l'espoir, mais elle ne le suivra pas aveuglément.
Hier, à une écrasante majorité, la nation anglaise a préféré un programme à un homme, en dépit de la grandeur de l'homme et des services éclatants qu'il avait rendus à la patrie et à l'humanité. Le conflit en France n'est pas encore inévitable mais, pour justifier sa présence au pouvoir, le général de Gaulle ne peut se borner à l'expédition des affaires courantes; il lui faut réaliser des réformes profondes, dont on estime incapables les gouvernements ordinaires. Jusqu'à présent, il ne les a pas accomplies.
Que le général de Gaulle consente à gouverner moins avec ses compagnons de lutte et davantage avec les parlementaires, qu'il facilite la tâche de ceux des partis de gauche qui s'efforcent pour le soutenir. Qu'il n'oublie pas que, pendant des années, les tâches prosaïques de l'administration l'emporteront inévitablement sur la grande politique. Qu'il propose réellement un programme et prenne la tête de l'irrésistible mouvement qui entraîne tous les peuples du continent vers des expériences sociales avancées.
Il n'est pas plus impossible, mais il n'est pas plus facile, de rétablir la confiance entre le gouvernement et les partis qu'entre la France et ses Alliés.
20 août 1945.
(1)
Les remarques suivantes se fondent sur les résultats des élections municipales dans 957 communes de plus de 4.000 habitants. Sur ces 957 municipalités, les communistes ont obtenu la majorité dans 171, les communistes et socialistes joints dans 134, les socialistes seuls dans 153, les radicaux dans 55, la gauche sans prédominance d'un ou deux partis dans 164 (sans compter 137 municipalités occupées par des résistants sans appellation politique). En revanche, si l'on considère les 36.000 communes de France, les radicaux-socialistes arriveraient en tête avec 6.436, la Fédération républicaine et l'URD viendraient ensuite avec 5.694, puis les Républicains de gauche et l'Alliance démocratique avec 6.574, les socialistes n'en obtiendraient que 4.115, les communistes 1.413, les indéterminés 4.958.
Faut-il conclure à une opposition entre villes avancées et campagnes modérées? Ou croire que la statistique de 957 grosses communes importe seule ou, au moins, beaucoup plus celle de 36.000? Nous n'hésitons pas à choisir la seconde hypothèse.
Politique française Articles 1944-1977
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