Retour au calme
Le Figaro
19 septembre 1970
La prochaine conférence du Fonds monétaire
international s'annonce paisible.
Le système monétaire, issu des accords de
Bretton Woods, modifié par l'instauration des droits de tirage
spéciaux, prête à de multiples critiques. Nostalgiques de l'or,
d'un côté, futuristes d'une banque centrale à l'échelle du monde de
l'autre se rejoignent dans la dénonciation d'un système bâtard, qui
accorde des privilèges illégitimes à un pays par rapport à tous les
autres, aux États industrialisés, donc riches, par rapport aux
États en voie de développement. Ces critiques présentent cette
année un caractère académique.
Pourquoi? Pour la simple raison que depuis
la crise de mai 1968 il ne reste plus, parmi les Dix, d'État
contestataire. Le gouvernement français se résigne provisoirement à
un ordre qu'il n'aime pas. De plus, aucune des monnaies importantes
n'apparaît menacée à courte échéance.
La réévaluation du mark a valeur de
précédent. Elle confirme que le rapport du dollar à l'or est devenu
fixe et que celui du dollar aux autres monnaies retrouve, en cas de
besoin, le niveau normal par la revalorisation des autres monnaies,
non par la dévaluation du dollar: celle-ci exigerait, en effet, une
modification de la valeur de l'or exprimée en monnaie
américaine.
Cette semi-démonétisation de l'or a mis fin
à la spéculation sur le marché du métal. La politique de Washington
l'a donc emporté moins en raison de la puissance militaire des
États-Unis que par suite de l'absence d'une "opposition", capable
de concevoir ou d'imposer une réglementation différente. La peur
d'une crise générale rallierait les hésitants. Problème résolu ou
solution différée?
L'expérience des droits de tirage spéciaux
est trop récente pour qu'on puisse déjà en apprécier avantages et
inconvénients. Choisir comme étalon international une monnaie
nationale qui se dévalorise en pouvoir d'achat au taux annuel de 5%
depuis trois ans, ne répond guère à la rationalité. Les énormes
capitaux, placés sur le marché des Eurodollars, risquent toujours,
dès que s'ouvre une perspective de profit, de se déplacer
massivement vers les monnaies en instance de revalorisation.
L'excédent commercial des États-Unis, cette année, n'implique pas
un équilibre des comptes extérieurs (quel que soit le mode de
calcul).
Les experts qui jugent sans indulgence le
système monétaire en dépit du calme présent à cause de l'inflation
généralisée et du déficit des comptes américains ne manquent pas
d'arguments mais ceux-ci ne troublent pas les responsables, portés
à vivre au jour le jour. Il existe désormais une société,
financière plus encore qu'économique, transnationale, soustraite
aux souverainetés des États. Cette société transnationale a une
monnaie nationale, celle des États-Unis. Pour réduire les abus que
permet cette situation, il faut choisir entre deux voies: renforcer
le pouvoir des organisations, du type de F.M.I., ou créer une autre
monnaie étalon, banque centrale supranationale ou monnaie
européenne.
Le retour aux disciplines de l'étalon-or
ouvre-t-il une troisième voie? Cette voie me paraît bouchée.
Définitivement?