Lettre de Raymond Aron
Les Temps Modernes
Novembre 1948
Paris, 22 octobre 1948
Monsieur le Directeur,
Je n'ai pas l'intention de répondre dans
vos colonnes aux attaques de M. Jean-Paul Sartre. Je voudrais
seulement mettre en garde vos lecteurs contre un malentendu. Les
opinions que M. Sartre me prête ne sont pas celles que j’ai
exprimées dans mes articles et dans mes livres, les propos mis
entre guillemets n'ont pas été tenus par moi. M. Sartre les regarde
probablement comme caractéristiques de ma pensée intime, telle
qu'il croit la dégager de conversations naguère amicales.
Malheureusement, qu'il s’agisse du blocage des salaires ou des
conséquences sociales du progrès technique, il déforme
grossièrement ma pensée.
Vos lecteurs n'auraient qu'à se reporter à
mon dernier livre,
Le Grand Schisme
, pour s’en assurer.Je vous serais obligé de bien vouloir
publier cette lettre et vous prie de croire à l'assurance de mes
sentiments distingués.
Raymond Aron.
Raymond Aron m’a tenu très exactement les
propos que je rapporte dans l’
Entretien sur la Politique.
Comme je ne puis douter de sa bonne foi, je suppose qu’il avait
simplifié sa pensée pour la mettre à ma portée, et qu’il a depuis
lors oublié cette simplification provisoire. Il me reproche d’avoir
fait état d’une conversation «amicale». Je réponds que depuis
longtemps nos conversations n’étaient plus vraiment amicales, parce
que ses actes avaient cessé de l’être.J.-P. S.