Messianisme ou sagesse?
Liberté de l'Esprit
décembre 1949

"Déplacées dans les perspectives de cette unique philosophie de l'histoire, les sagesses historiques apparaissent comme des échecs." (L'unique philosophie de l'histoire à laquelle se réfère Merleau-Ponty est évidemment le marxisme.)
Cette proposition, aboutissement de l'étude que Merleau-Ponty a consacrée au problème communiste, me revenait à la mémoire en lisant les discussions suscitées par les déclarations de David Rousset à propos des camps de concentration soviétiques. Balayer devant notre porte, répondait Claude Bourdet: on emprisonne et on torture trop d'innocents en Grèce, en Espagne ou à Madagascar pour que nous ayons le droit de mettre la seule U.R.S.S. en accusation. À l'objection de Bourdet, une réponse se présente immédiatement à l'esprit. Ni M. Tsaldaris, ni les gouverneurs de Madagascar ne se posent en libérateurs de l'humanité. C'est parce que l'U.R.S.S. se réclame du socialisme que les camps de concentration y constitueraient un scandale plus intolérable que partout ailleurs. L'argumentation subtile de Merleau-Ponty justifie (volontairement ou non) la thèse contraire: c'est parce que l'U.R.S.S. se réclame du socialisme et prétend conduire l'humanité à sa vocation qu'on ne doit pas la condamner avant que l'expérience soit définitive. La violence en U.R.S.S. est-elle plus ou moins excusable que partout ailleurs?
Dans son dialogue avec Rousset, Claude Bourdet ne se départit pas de la confusion qui lui est coutumière. Avant de mettre sur le même plan les crimes politiques qui se commettent quotidiennement à la surface de la planète, un certain nombre de distinctions élémentaires s'imposent. Humainement, il y a une différence de nature entre le procès des dirigeants communistes aux États-Unis et la condamnation à mort de Petkov en Bulgarie, ou de Raïk en Hongrie. Outre-atlantique, les accusés ont plaidé innocents. Ils ont eu les moyens de se défendre, ils ont été mis en liberté sous caution, au lendemain de leur condamnation, en attendant que les instances supérieures aient tranché en appel. La condamnation elle-même, au regard des principes, ne saurait être réprouvée en tant que telle, car aucune société ne tolère qu'on profite de la liberté pour préparer le renversement, par la violence, du régime établi.
La même où les opposants sont mis hors la loi commune, il subsiste des différences de degré dans le traitement qui leur est réservé. Trotsky et Lénine, sous le tsarisme, recevaient en prison visites et documents, ils y écrivaient leurs livres. Les victimes du système le plus progressiste du monde n'osent même pas rêver du sort que la "tyrannie féodale" des Romanov infligeait à ceux qui conspiraient sa perte. Rien ne m'a plus frappé, dans le témoignage de Jules Marjeline, que ce passage ou les concentrationnaires relisent la
Maison des Morts
. Dostoïevski avait le droit de faire venir sa nourriture du dehors, un autre détenu s'occupait de ses affaires et le déchargeait d'une part des soucis matériels. Les concentrationnaires du Grand Nord sourient avec pitié. La
Maison des Morts
leur semble une maison de plaisance auprès des camps de concentration "socialistes".
"Le nombre des victimes et le genre des méthodes de répression ne sont pas un argument suffisant pour ouvrir une catégorie et en fermer une autre" (Bourdet). Rien ne donne aux juges terrestres le droit de l'indifférence à l'égard du nombre des victimes. Pour parler un langage que les marxistes ne désavoueront pas, c'est la quantité des victimes qui crée la différence de qualité. Quelques détentions arbitraires (qu'on a raison de dénoncer) sont inséparables de l'imperfection des hommes et des sociétés. Quelques millions de concentrationnaires révèlent un système.
À toutes les époques de troubles sociaux et de guerres de religion, les principes du libéralisme intégral sont violés parce qu'il est impossible de les respecter. Un régime qui reconnaît la légitimité de l'hétérodoxie et de l'opposition en vient à frapper les adversaires du pouvoir quand ceux-ci se mettent au service d'une puissance étrangère ou poussent leur action jusqu'au sabotage ou à la révolte. Mais il subsiste une différence de nature entre un régime qui se défend contre des adversaires prêts à employer les moyens de force, et un régime qui pose l'orthodoxie comme une obligation permanente et sacrée et extermine ceux mêmes de ses militants, coupables d'avoir dévié d'une ligne dont nul, hors du chef, ne saurait prévoir les ondulations. Il y a une différence de nature entre une monarchie qui emprisonne les républicains ou une République qui emprisonne les monarchistes, et une démocratie populaire qui recrute chaque année des centaines de milliers ou des millions d'hommes pour les envoyer dans les camps de travail. Si les camps sont partie intégrante du système économique socialiste, les répressions franquistes, si sauvages soient-elles, n'en constituent pas l'équivalent.
Merleau-Ponty manie les rapprochements avec la même légèreté. "Les Russes n'ont pas fait partout des élections libres. Mais que dire des élections grecques?" La première proposition devrait se lire: "Les Russes n'ont fait nulle part des élections libres." La deuxième: "Les Alliés de l'Ouest n'ont pas fait partout des élections libres." Ainsi l'opposition ressortirait avec clarté. En Allemagne de l'Ouest, le parti communiste a pu développer sa propagande. En Allemagne de l'Est, les gouvernants n'ont même pas été élus, tant les occupants craignaient le verdict des électeurs. L'exemple de la Grèce, qui constitue un thème favori de nos redresseurs de torts gauchistes, n'en vaut pas mieux pour cela. Les partis d'extrême-gauche ont boycotté les élections, mais une commission de l'O.N.U. a témoigné que ceux qui ont voulu voter, et qui constituaient bien plus de la moitié des électeurs, ont pu le faire librement. Personne ne prétendra qu'en un pays livré à la guerre civile, les méthodes démocratiques puissent être appliquées avec rigueur. Je ne me porte nullement garant de la qualité ou de l'humanité du gouvernement grec. Mais la faute en est d'abord à ceux qui prirent les armes dans le désir de devancer le résultat des élections. "Les Russes ont déporté des familles polonaises ou baltes? Mais il y a 15.000 Juifs à Bergen-Belsen et les troupes anglaises montent la garde à la frontière de la Palestine." Admirons encore l'euphémisme de l'expression "des familles polonaises ou baltes". Les Russes déportèrent entre un million et un million et demi de Polonais entre la fin de 1939 et le début de 1941. Ils ont à peu près exterminé, par déportation, les classes dirigeantes des pays baltes. Notre philosophe met sur l'autre plateau de la balance 15.000 Juifs de Bergen-Belsen, déportés non par les Alliés mais par les Allemands et auxquels on avait interdit l'entrée de la Palestine. "Les troupes britanniques montent la garde à la frontière de la Palestine." Elles ont aujourd'hui évacué la Palestine, la guerre entre Juifs et Arabes a eu lieu. On compte désormais quelques centaines de milliers de réfugiés arabes (probablement, dans un prochain essai, Merleau-Ponty mettra ces réfugiés au débit des démocraties occidentales et dénoncera, une fois de plus, la mystification libérale). Je ne sais ce qu'exige la justice quand deux peuples se disputent le même territoire, je ne sais s'il est juste ou injuste que les Juifs aient chassé les Arabes des territoires que ceux-ci occupaient depuis des siècles(1). Probablement, la catégorie du juste et de l'injuste ne s'applique-t-elle pas à un tel conflit et la politique britannique a, sans qu'on en puisse douter, abouti à une faillite. Mais je sais que, mettre sur le même plan les déportations massives de Polonais ou de Lithuaniens et les mesures, même si l'on veut les crimes, commis par la politique britannique en Palestine, c'est abuser de la bonne foi du lecteur. Une pareille justice distributive m'indigne plus que le cynisme des communistes.
Soyons justes. De tels rapprochements ne sont pas au centre de l'argumentation de Merleau-Ponty(2). Peut-être reconnaîtrait-il que la violence communiste dépasse en degré, en intensité, la violence libérale. Ce qu'il tient à proclamer, c'est que le communisme ne s'oppose pas à la démocratie comme la violence au droit et le mensonge à la vérité, mais comme une forme de violence à une autre. Sur ce point, je lui accorde immédiatement ce qu'il consacre tant de pages à démontrer. L'imperfection de toutes les sociétés connues me paraît une de ces vérités d'évidence et de bon sens que seuls des philosophes très profonds éprouvent quelque peine à retrouver. Merleau-Ponty juge indispensable d'inviter les démocraties à la modestie, il leur rappelle que les idées libérales "forment système avec l'exploitation coloniale ou les conquêtes impériales". Dans une discussion plus poussée, j'aurais quelques réserves à formuler sur le sens précis de l'expression "forment système". J'ai surtout tendance à croire que l'invitation à la modestie gagnerait à être adressée à ceux qui présentent leur système comme le plus "progressif" du monde. Mais, soit, admettons l'invitation aux deux parties.
La démarche essentielle de l'
Essai sur le communisme
se situe au-delà de cette affirmation fondamentale. Puisqu'il y a violence des deux côtés, la violence acceptable, valable, sera celle qui tendra à se surmonter elle-même, c'est-à-dire à créer une société humaine où les hommes se reconnaîtront les uns les autres. Or, dès que le problème est posé en ces termes, un renversement intervient. La violence des sociétés capitalistes, libérales, bourgeoises, travaillistes serait, par essence, éternelle, elle serait liée à la nature constante du système. En revanche, la violence du parti marxiste tendrait à dépasser la violence elle-même. En d'autres termes, ce ne serait pas tant le degré ou la quantité que l'orientation historique de la violence qui importerait.
La violence stalinienne va-t-elle dans le sens de l'humanisme? En 1948, quand il écrivait
Humanisme et terreur,
Merleau-Ponty n'en était pas assuré, mais il n'était pas non plus assuré du contraire. Il ne consentait ni à être communiste, ni à être anti-communiste. La démonstration comportait essentiellement trois propositions. Nous ne sommes pas encore en droit de porter un jugement sur l'aboutissement final de l'expérience communiste. Les démocraties bourgeoises ou travaillistes représenteraient peut-être le moindre mal si l'humanisme est impossible. Mais l'histoire n'a pas de sens, il n'y a pas d'histoire si le prolétariat ne se constitue pas en classe universelle et n'accomplit pas la révolution mondiale.
Nous laissons de côté, dans ce bref article, la discussion des deux premières propositions. Nous envisageons simplement la troisième qui, au premier abord, en impose. Ne condamnons pas le stalinisme parce que, en dehors du marxisme, il n'y a pas d'espoir pour l'humanité.
Qu'un philosophe sérieux en arrive à écrire: si les événements ne confirment pas le schéma marxiste, il n'y a pas d'histoire et le monde est un tumulte insensé, c'est là, à mes yeux, un des signes les plus frappants de cette inculture profonde qui affecte tant de nos hommes de lettres et même de nos professeurs, pourtant chargés d'entretenir et de transmettre l'héritage. Mais voyons la démonstration. L'humanité est la reconnaissance mutuelle des hommes; il n'y a pas d'humanité là où il y a prolétariat. Il y a prolétariat tant qu'il y a propriété privée. Seul le prolétariat est en mesure de supprimer, en même temps que la propriété privée, la distinction des maîtres et des esclaves. Citons le passage, peut-être le plus caractéristique, de notre auteur: "Les esclaves, en dépossédant les maîtres, sont-ils en voie de dépasser l'alternative de la maîtrise et de l'esclavage, c'est une autre question. Mais, au cas où ce développement ne se produirait pas, cela ne signifierait pas que la philosophie marxiste de l'histoire doive être remplacée par une autre: cela signifierait qu'il n'y a pas d'histoire, si l'histoire est l'avènement de l'humanité et l'humanité la reconnaissance mutuelle des hommes comme hommes - en conséquence qu'il n'y a pas de philosophie de l'histoire et qu'enfin, comme le disait Barrès, le monde et notre existence sont un tumulte insensé. Peut-être aucun prolétariat ne viendra-t-il exercer la fonction historique que le schéma marxiste reconnaît au prolétariat. Peut-être la classe universelle ne se révèlera-t-elle jamais, mais il est clair qu'aucune autre classe ne saurait relever le prolétariat dans cette fonction. Hors du marxisme, il n'y a que puissance des uns et résignation des autres."
Une telle démonstration oscille entre la tautologie et le paradoxe. On peut la ramener à une pure et simple tautologie: si l'on convient que les prolétaires sont les esclaves et les capitalistes les maîtres, si l'on définit l'humanité par la reconnaissance mutuelle des hommes comme égaux, il en résultera qu'il n'y a pas d'avènement de l'humanité, c'est-à-dire pas d'histoire, si les prolétaires ne renversent pas, en même temps que l'appareil capitaliste, la distinction des maîtres et des esclaves. Prise de cette manière, la démonstration se borne à répéter la thèse.
En un autre sens, cette démonstration est paradoxale. À supposer que le marxisme ne soit que le simple énoncé des conditions sans lesquelles il n'y aura pas d'humanité au sens d'une relation réciproque entre les hommes, ni de rationalité dans l'histoire, pourquoi l'expérience cruciale de l'humanité se situe-t-elle en 1949? Pourquoi est-ce au milieu du vingtième siècle que le verdict définitif sera porté sur l'échec ou la réussite de l'humanité? Puisqu'il s'agit essentiellement de modifier les relations humaines, pourquoi le prolétariat en serait-il seul capable? Que signifie concrètement la révélation d'une classe universelle ou la prise du pouvoir par le prolétariat ou la révolution mondiale? En quel cas, en quel sens la propriété collective est-elle une étape indispensable à l'avènement de l'humanité?
Cette oscillation entre la tautologie et le paradoxe, entre l'évidence et l'absurdité, tient à une équivoque qui se retrouve, jusqu'à un certain point, dans le marxisme lui-même mais qui est démesurément amplifiée dans le marxisme formalisé et existentialiste de Merleau-Ponty. Marx est parti d'une conception philosophique de l'homme et de l'histoire empruntée à Hegel. L'idée de l'homme qu'il reçoit de ce dernier lui paraît définitivement acquise. Mais la réalité, bien loin de refléter l'idée, en apparaît la négation. L'individu ne participe de l'universalité étatique que dans l'empyrée de la démocratie formelle. En tant que travailleur, il est enfermé dans la particularité. Or, l'homme est essentiellement travailleur, c'est en modifiant la nature, en s'assurant la possession des forces naturelles qu'il réalise son essence, qu'il accomplit sa propre humanité. Le terme auquel doit aboutir la double lutte des hommes avec la nature et des hommes entre eux c'est la maîtrise de la nature et la réconciliation de l'humanité avec elle-même. Ce terme n'est pas atteint, l'humanité est divisée en maîtres (les propriétaires des moyens de production) et esclaves (les prolétaires). Une fois de plus, l'étape suivante sera la révolte victorieuse des esclaves contre les maîtres, mais cette révolte aura un caractère radicalement autre que toutes les révoltes du passé, elle supprimera la distinction même de la maîtrise et de l'esclavage pour la double raison qu'elle sera l'œuvre non d'une minorité mais de l'immense majorité et qu'elle consacrera le triomphe de l'humanité, disposant à sa guise des forces naturelles.
Tel est le schéma historique (que nous avons inévitablement simplifié) qu'a conçu Marx dès sa jeunesse, avant même de se consacrer à l'étude de l'économie politique. Ce schéma est, à ses yeux, rationnellement nécessaire, il est le développement d'une philosophie qu'il tient pour vraie et qu'il tiendra pour telle toute sa vie. Il n'y reviendra plus, non qu'il s'en éloigne ou s'en désintéresse, mais parce qu'il entend se vouer à une tâche plus urgente: démontrer que cette dialectique rationnelle coïncide avec la dialectique nécessaire, au sens du déterminisme. Quand il s'agit du passé, il est facile de donner cette coïncidence pour acquise, mais il s'agit cette fois de l'avenir. D'où l'effort de Marx pour dégager la dialectique à travers laquelle le capitalisme engendre ses propres fossoyeurs et, par ses propres contradictions, aboutit à la révolution. D'où aussi l'effort pour mettre en lumière le rôle du prolétariat, prenant conscience de sa mission historique et accomplissant la révolution, rationnellement nécessaire. La dialectique de l'avenir, conçue par Marx, passe par l'intermédiaire de la prise de conscience et de l'action des masses. Il subsiste ainsi une équivoque, à l'intérieur même du marxisme, sur la modalité des anticipations historiques. La révolution et la victoire prolétarienne sont-elles inévitables, comme les propagandistes se plaisent à l'affirmer pour renforcer le courage et la confiance de leurs troupes? Ou bien sont-elles rationnellement nécessaires, au sens où Marx a dit quelque part: le socialisme ou la barbarie (texte qu'aurait pu invoquer Trotsky pour justifier la position prise à la fin de sa vie)?
La thèse de Merleau-Ponty se rattache à cette distinction de la dialectique rationnelle et de la dialectique réelle. Mais, écrivant un siècle après Marx, il ne se contente pas de suggérer, au détour d'un raisonnement, que la dialectique rationnelle pourrait être éventuellement non réalisée par les événements, il veut maintenir la vérité de la dialectique rationnelle bien que, jusqu'à présent, les événements semblent la démentir. L'histoire ne s'est pas déroulée selon le schéma historique qui, dans le marxisme, sert d'intermédiaire entre la dialectique rationnelle et le déterminisme des forces sociales. Il se heurte à des difficultés philosophiques parce qu'il n'a pas pour point de départ, un système philosophique total comme celui de Hegel, mais une philosophie de l'anti-système comme celle de l'existentialisme (qui à supposer qu'elle n'exclut pas, n'appelle à aucun degré la rationalité de l'histoire totale). De plus, il ne retient, de la dialectique rationnelle du marxisme, qu'une version formalisée, appauvrie, de telle sorte que l'on voit mal les éléments du marxisme qu'il est en droit, dans sa propre philosophie, de donner pour vérité définitivement acquise.
La notion centrale de sa pensée est celle de la reconnaissance mutuelle des hommes et de l'extension universelle de cette reconnaissance. On peut lui accorder sans peine que l'avènement de l'humanité implique cette reconnaissance mutuelle et universelle. L'humanité n'aurait atteint le terme de son aventure que le jour où tous les hommes se reconnaîtraient pour tels, où tous participeraient de l'humanité. Mais il s'agit là d'une simple définition, formelle, vide, d'une idée de la Raison (au sens kantien), conçue comme fin de l'histoire. La proposition n'aurait vraiment de portée qu'à la condition que fussent concrètement précisées les conditions de cette reconnaissance. Une société n'est jamais homogène. Il y a fatalement des ouvriers, des contremaîtres, des directeurs, des citoyens, des ministres. La reconnaissance implique une certaine égalité entre ceux qui se reconnaissent mais non une homogénéité totale. Quelle hétérogénéité, quelle inégalité sont compatibles avec la reconnaissance? Dire que tous les hommes doivent se reconnaître ne nous en apprend pas plus que la maxime kantienne: traiter les hommes en fin et jamais en moyen.
De ce principe, on déduirait que la propriété, entraînant la distinction des capitalistes et des prolétaires, c'est-à-dire des maîtres et des esclaves, est incompatible avec l'humanisme et que, par conséquent, la révolution prolétarienne est indispensable à l'avènement de l'humanité. Mais, au fur et à mesure que l'on passe du formel au matériel, le caractère prétendument définitif de la vérité devient singulièrement douteux. Entre le prolétariat d'aujourd'hui, protégé par des lois sociales, bénéficiant d'une durée de travail réduite, négociant les conditions d'emploi par l'intermédiaire de syndicats, et le prolétariat qu'a connu Marx, travaillant douze heures par jour, réduit à un niveau d'existence proche du minimum physiologique, il n'y a guère que le nom de commun. Marx retrouverait plus facilement en Union Soviétique qu'aux États-Unis ou en Grande-Bretagne des conditions de vie analogues à celles qu'il a observées et dénoncées dans l'Angleterre de la première moitié du dix-neuvième siècle. On a pratiqué, en France et en Grande-Bretagne, des nationalisations dont on dirait difficilement qu'elles ont accéléré l'avènement de l'humanité. Objectera-t-on qu'il manque à ces nationalisations, pour accomplir leur vertu humaniste, la conquête de l'État par le prolétariat? Mais quand le parti communiste est maître de l'État, les grèves sont interdites, l'autorité des directeurs est renforcée, les salaires dictés par en haut et non discutés: se rapproche-t-on de l'humanisme intégral?
Il est très vrai que l'avènement de l'humanité exige une intégration des travailleurs à la société. Sous cette forme abstraite et vague, la proposition pourrait passer pour une vérité indissolublement liée à la définition même de l'humanité. Mais quand on confond cette intégration, dont les modalités sont indéfiniment variables, avec des événements ou des institutions déterminées, on passe de la vérité philosophique à l'hypothèse historique. Il faut l'incroyable mélange de prétentions et d'ignorance du philosophe pour affirmer, sans preuves autres que conceptionelles, que la propriété collective et la planification sont partie intégrante de la définition d'une société humaine.
De même, le rôle de la "classe universelle" est, tout au plus, une hypothèse et non une vérité acquise. Que le prolétariat, parce qu'il est réduit à la nudité de la condition humaine, dépouillé de toute particularité, ait pour mission de surmonter les divisions et de prendre en charge le destin de l'humanité, l'idée est aussi pathétique qu'éloignée du concret. Elle se rattache à des traditions chrétiennes (le salut par les malheureux) ou romantiques (la vocation des humbles). Le prolétariat d'aujourd'hui ne ressemble à la classe universelle que dans l'imagination complaisante des théoriciens. La condition prolétarienne, telle que l'avait décrite Marx, était un malheur. Elle n'était pas une vocation.
La prise du pouvoir par le prolétariat n'est plus guère qu'une mythologie. Ce ne sont pas les ouvriers en tant que tels qui exercent jamais les fonctions directrices de la société mais le parti qui s'arroge le droit de parler en son nom. Affirmer que le prolétariat doit se constituer en "classe universelle" ou que le monde est un "tumulte insensé", ressortit à la pire littérature.
Laissons ces discussions philosophiques et revenons à la situation présente. À quoi tendent, finalement, toutes ces subtilités? Tant que l'on reste sur la terre et dans l'histoire, on compare un régime à un autre, chacun avec ses mérites et ses défauts. Cette comparaison tourne inévitablement au désavantage de l'Union Soviétique, aussi inégalitaire et plus violente, plus tyrannique que les démocraties bourgeoises. Celles-ci ne deviennent pas, du même coup, le bien absolu par rapport au mal absolu, elles restent simplement des régimes moins oppressifs, plus humains que le "socialisme" de Staline. Une telle comparaison est trop prosaïque pour nos philosophes, elle n'exige qu'un peu de bon sens et pas du tout de génie.
En revanche, dès que l'on rapporte les différents régimes à leur but dernier, au sens que leur donnera leur aboutissement futur, toute certitude s'évanouit. Le but du stalinisme est évidemment plus sublime que celui des démocraties bourgeoises: la fin de l'exploitation de l'homme par l'homme. Merleau-Ponty a l'honnêteté de reconnaître que la réalité actuelle de l'Union Soviétique ne permet pas d'affirmer que l'expérience russe du communisme conduise effectivement à l'avènement de l'humanité, au sens de la reconnaissance universelle et mutuelle des hommes. Mais il se refuse à prendre parti pour les ennemis de l'Union Soviétique, sous prétexte qu'avec le marxisme disparaîtrait l'espoir d'humanisme. Mais il ne nous accule à ce dilemme qu'en multipliant les erreurs intellectuelles: en confondant une idée formelle comme la reconnaissance de l'homme par l'homme avec un but prochain du mouvement historique, en intégrant à la définition éternelle de l'humanisme certaines hypothèses historiques (planification, propriété collective, rôle du prolétariat).
En dehors de toute philosophie, le même argument obsède certains esprits. Le stalinisme ne vise-t-il pas un objectif sublime? Comment le condamner au bout de trente ans, alors qu'il nous promet, à l'horizon, le royaume de Dieu sur la terre? Les travaillistes, les conservateurs, les ministres, les rois, les parlementaires, tous n'ont d'autre espoir, quand ils sont de bonne volonté, que d'améliorer la condition des hommes, sans promesse de paradis, sans attente de miracle. La modestie de leurs ambitions est-elle une circonstance aggravante? Qu'il nous soit permis d'en douter. En matière politique, c'est la sagesse qui juge le messianisme.
Remise dans les perspectives des sagesses historiques, cette unique philosophie de l'histoire apparaît comme un échec. Sous prétexte de révolution finale, on s'est arrogé le droit d'une violence illimitée. Au nom de la libération totale, on a édifié l'État totalitaire. Au nom du socialisme, on a ramené l'esclavage.
Il n'y a pas d'événement ni de groupe privilégié qui puisse, d'un coup, bouleverser le train des sociétés humaines. Nous n'avons pas à désespérer de l'avenir humain parce que, une fois de plus, des libérateurs se sont transformés en tyrans après s'être emparés de l'État. Mais il faudrait désespérer des intellectuels qui, même échappés à l'orthodoxie stalinienne, n'arriveraient pas à rompre les chaînes des religions séculières.
(1)
Affectivement, je ne suis pas contre et je justifierais volontiers mon sentiment. Mais je ne vois pas comment un Arabe n'éprouverait pas irrésistiblement un sentiment contraire.
(2)
Ces pages sont tirées d'une étude plus développée sur les intellectuels et la politique. Les extraits qui suivent, inévitablement, ne rendent pas justice à l'ensemble de la pensée de Merleau-Ponty, dont je rejette les raisonnements et les conclusions, mais dont je ne suspecte pas la sincérité.
Politique française Articles 1944-1977
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