Réflexion ou reflet?
Combat
26 novembre 1946
Les élections de dimanche suivaient de trop
près celles du 10 novembre pour qu'on pût craindre ou espérer des
surprises. La plus grande incertitude portait probablement sur le
pourcentage des abstentions. Or, le fait que ce pourcentage n'ait
pas trop augmenté (5,7%), témoigne, de la part du corps électoral,
d'une admirable bonne volonté. Car les complications d'une loi
électorale, hermétique même pour les spécialistes, l'incohérence
des listes, la limitation des pouvoirs d'une deuxième Chambre,
destinée finalement à refléter la première, tout risquait
d'incliner les électeurs à l'indifférence, voire au dégoût.
Peut-être la participation relativement
élevée s'explique-t-elle par les mêmes tendances dominantes qui
apparaissent dans les résultats. On a voté contre, - contre la
réaction ou contre le communisme. Le match Bidault-Thorez a été,
une fois de plus, la caractéristique de la consultation.
À partir de là, tout s'explique. Enfermé
dans une neutralité que les électeurs jugent stérile, le parti
socialiste continue à décliner, nettement dans les grandes villes,
dans la Seine, dans les Bouches-du-Rhône, dans le Nord, partout où
la force communiste renforce le désir d'une barrière solide. Il se
maintient dans certaines régions, moins atteintes par la
polarisation, où les personnalités ne s'effacent pas complètement
devant les idéologies.
Le parti communiste a consolidé ses
derniers gains, il accuse même un léger progrès dans l'ensemble du
pays. Quant au MRP, qui sera le premier parti pour le nombre des
Grands Électeurs, sinon pour celui des petits, il a remporté une
victoire qui permet, par comparaison, de préciser ce que lui ont
coûté, le 10 novembre, des interventions accidentelles comme celles
des gaullistes. La loi électorale a donc joué en faveur des grands
partis, au Conseil de la République comme à l'Assemblée
nationale.
Certains de nos confrères ont cru voir dans
les succès obtenus, ici et là, par des listes de maires ou de
notabilités, un signe de réaction en sens contraire. La
représentation du peuple doit être enracinée dans la vie locale:
les citoyens désirent connaître et choisir leurs représentants. Il
se peut que tel soit effectivement l'état d'esprit de beaucoup de
Français. Mais les élections de dimanche manifestent surtout la
faiblesse et l'impuissance de ce désir. Les maires ou notabilités
qui ne se rattachent à aucun parti seront perdus parmi les quelque
80.000 Grands Électeurs. Le Conseil de la République, comme
l'Assemblée Nationale, sera dominé par les partis et virtuellement
fermé aux francs-tireurs et aux indépendants.
Bien plus, il apparaît clairement que la
deuxième Assemblée, dont on a soigneusement rogné les prérogatives,
n'aura même pas la tentation de s'opposer aux initiatives de la
première. Certes, on ne saurait prévoir la composition exacte du
Conseil de la République, puisque seuls les techniciens (et
encore!) se risquent à prévoir la répartition des cinquante sièges
attribués aux territoires d'outre-mer. De plus, l'affiliation d'une
fraction des Grands Électeurs prête au doute. Malgré tout, pour
l'essentiel, nous sommes fixés. Puisque l'Assemblée Nationale
commencera par rectifier les manquements à la proportionnelle,
entraînés par une combinaison extravagante des modes de scrutins,
les deux cent cinquante sièges métropolitains seront distribués
entre les partis, selon les pourcentages de voix (ou de Grands
Électeurs?) obtenus hier. Socialistes et communistes auront
ensemble entre 45 et 47% des sièges, les partis non marxistes se
partageront les autres, le groupe MRP étant un peu plus nombreux
ici que là. Enfin, ici et là, les délégués de l'Empire renverseront
la majorité, ou, du moins, rapprocheront les deux blocs de
l'égalité.
Les événements ont obéi fidèlement à une
logique qu'il était facile de déterminer à l'avance. Les lois
électorales, imposées par la conjonction des extrêmes, ont accentué
la division du pays en deux masses, cristallisées, l'une autour du
parti communiste, l'autre autour du refus du communisme. La
deuxième Chambre ne sera ni frein ni accélérateur: la "Chambre de
réflexion" réfléchira purement et simplement la première.