Jean-Paul Sartre et le prolétariat ou la grande
peur du mal-pensant
Le Figaro littéraire
27 septembre 1952
L'Action française
offrait jadis quotidiennement le choix entre un article de Léon
Daudet, chargé de truculences et d'invectives, et un article de
Charles Maurras, fait de raisonnements indéfiniment enfilés, les
uns aux autres. Les démonstrations de l'un n'étaient pas toujours
convaincantes ni les injures de l'autre toujours savoureuses. La
séparation des genres prévenait les malentendus. On ne cherchait
pas de preuve dans les colonnes signées Léon Daudet, on ne
cherchait pas de distraction dans les colonnes signées Charles
Maurras.Jean-Paul Sartre, dans les cinquante pages
qu'il vient de consacrer à la manifestation du 28 mai (ce n'est
qu'une première partie), a voulu mélanger les genres. Je ne crois
pas qu'il y ait gagné. Dix pages de dissertation sur les rapports
de l'économie et du politique dans le mouvement syndical
découragent les amateurs de lecture légère. Les souffrances de la
"metteuse en plaques", qui émeuvent la sensibilité intermittente du
philosophe, ne prouvent pas que la propriété privée des instruments
de production soit pire que la propriété collective telle qu'elle
est pratiquée en Union soviétique. Je crains que l'étude ne soit
finalement ni drôle ni solide. Mais, après tout, Jean-Paul Sartre
est libre de choisir l'usage qu'il fera de son talent.
Je passerai rapidement sur les
plaisanteries, grossièretés, injures que Sartre a mêlées à des
dissertations philosophiques ou prétendues telles. Je voudrais
seulement montrer sur un certain nombre d'exemples la fonction que
remplissent ces procédés de polémique. En fait, ils ne soulignent
pas, de manière plaisante ou frappante, un argument valable; tantôt
ils dissimulent le problème véritable, tantôt ils camouflent
l'embarras d'auteur, tantôt ils éludent une objection
évidente.
Georges Altman avait écrit dans
Franc-Tireur
: "L'excitation contre tout ce qui est "américain" a pris désormais
la forme de la rage maniaque et meurtrière. On a parfaitement le
droit de critiquer la politique américaine, si on le juge bon..."
Sur quoi (page 3). Sartre commente longuement le "si on le juge
bon":
"Que de finesse, que de sous-entendus dans ces
cinq mots, et comme on mourrait de bon cœur pour la langue et la
culture qui permettent ces nuances!"
Au bout de vingt-cinq lignes, on en arrive à:
"Qu'a-t-il besoin d'aller se bagarrer dans les
rues comme un voyou? Ah! c'est le Stalinien qui le pousse. Ce
Stalinien, son mauvais génie, l'éternel meneur, russiste
aujourd'hui, boche avant-hier, semant l'or anglais en 1789 et déjà
l'or russe en 1840…"
, etc., etc. Que d'esprit! Mais, entre temps, on a éludé les deux
questions sérieuses que posait le texte cité: dans les pays alliés
des États-Unis, on a le droit de critiquer la politique américaine;
dans les pays "libérés" par l'Union soviétique, a-t-on le droit de
critiquer cette dernière? Jean-Paul Sartre croit-il que les
États-Unis pratiquent la guerre bactériologique? Est-il d'accord
avec le mot d'ordre "Ridgway la Peste"? S'il n'est pas d'accord,
qu'il le dise: le fait aurait son importance pour juger la
conjoncture du 28 mai.Autre exemple:
"Hier encore, le général Clark a été saisi
d’angoisse quand il a vu qu’on ne se battait plus sur le front de
Corée; il a fallu cinq bombardements massifs pour le calmer."
Le bombardement des usines hydroélectriques a-t-il accru ou réduit
les chances d'un armistice? Ce n'est pas le lieu d'en discuter.
Mais l’"angoisse" du général Clark témoigne de la même qualité
intellectuelle que les articles quotidiens de
L’Humanité
. Une question sérieuse se posait: Sartre est-il partisan de
rapatrier de force les prisonniers chinois ou coréens qui refusent
de rentrer dans leur pays libéré? Sait-il qu'en 1945, pour
respecter un accord conclu à Yalta, sur la demande de Staline
lui-même, civils et militaires soviétiques furent par milliers
rapatriés en dépit de leurs protestations? Des centaines d'entre
eux préfèrent se suicider. Qu'en pense Sartre? L'ironie sur le
général Clark est peut-être charmante, mais elle sert à éluder la
question: Comment arriver à un armistice? Et qui empêche
l'armistice?Continuons cette revue:
"Vous promenez de Paris à Londres et Berlin une
brochette d'intellectuels pâles et doux comme des demoiselles qui
récitent des compliments appris sur la culture et la
liberté."
La réponse, dans le style existentialiste, serait à peu près la
suivante: "Pour les couleurs, les existentialistes peuvent toujours
s'aligner, ils auront bonne mine, les costauds des
Temps modernes
." Dans le style professoral, que décidément nous préférons, nous
nous bornerons à signaler que parmi
"ces intellectuels doux et pâles comme des
demoiselles"
, figurent Kœstler et Malraux, qui ont chacun risqué leur vie dans
les bagarres du siècle plus souvent que… disons la plupart des
"révolutionnaires" des
Temps modernes
.Le congrès pour
la liberté de la culture
exaspère Jean-Paul Sartre, et il est décidé à lui régler son
compte. Soit. Il trouve deux arguments: la culture meurt quand on
la défend au lieu de la faire. L'ouvrier "
se fout de la culture
". Les deux arguments, examinés à loisir, sont absurdes. Il vaut
probablement mieux écrire
Les Voix du silence
que prononcer une conférence à la salle Gaveau ou un discours au
Vélodrome d'hiver. Mais le fait est que défendre la culture
n'empêche pas de la faire, que la culture n'est pas morte à partir
du moment où on la défend et que la menace de suppression des
libertés qui pèse sur elle est autrement grave que la perte de
temps qu'entraîne l'activité politique. La mobilisation des
intellectuels au service de causes politiques a été longtemps le
monopole des Staliniens. La colère de Sartre commence le jour où
des anticommunistes s'efforcent de montrer que les hommes de
culture ne sont pas du côté de Staline.Le deuxième argument:
"l'ouvrier s'en fout"
, est pire que le premier. Admettons provisoirement que
l'affirmation soit exacte. Et Sartre, lui, est-ce qu'il s'en fout?
L'indifférence (supposée) de l'ouvrier ne prouve rien. On n'aurait
jamais lutté pour la liberté de pensée si, à travers les siècles,
on l'avait décrétée sans valeur, aussi longtemps qu'il existait des
malheureux condamnés, par le dénuement, à n'en pas goûter les
bienfaits. La liberté de pensée - qui comprend celle de la
recherche scientifique - a finalement plus contribué à l'allégement
des misères humaines que les déclamations sentimentales.Au reste,
Les Temps modernes
tonnent quand on porte atteinte à la culture par l'interdiction de
la pièce de Roger Vailland. Au moins, dans la partie du monde
soumise au joug capitaliste, les existentialistes sont, eux aussi,
défenseurs de la liberté de la culture. Faut-il comprendre que
Sartre sacrifierait avec indifférence sa propre liberté "de faire
la culture" pour atténuer les "souffrances ouvrières?" Ce sacrifice
témoignerait d'un bon naturel, mais non pas d'une grande
clairvoyance. La liberté intellectuelle ou les institutions
politiques libérales n'impliquent pas un régime social
"progressif", pour employer le jargon à la mode. Il se peut que,
dans certains pays du Proche-Orient, une dictature soit, à
échéance, préférable à la pseudo-démocratie des pachas. Mais, le
plus souvent, et en particulier dans les pays de capitalisme
développé, la suppression des libertés ne tourne pas au bénéfice
des "masses". Et Sartre devrait leur donner, sur ce point, de
meilleurs conseils."Traître ou fou de chagrin"?
Revenons au point de départ. Est-ce que
"l'ouvrier s'en fout"
? L'ouvrier est-il indifférent à l'élimination d'une presse libre?
Même l'ouvrier de Renault qui lit
L'Humanité
souhaite t-il que tous les journaux français soient la réplique de
L'Humanité
? Conçoit-il la libération de telle manière que tous les auteurs
anticommunistes connaissent la mésaventure de Roger Vailland, avec
la circonstance aggravante qu'il n'y aura pas un communiste, le
jour où Thorez sera au pouvoir, pour protester contre
l'interdiction d'une pièce de Thierry Maulnier, et que celui-ci ne
jouira pas longtemps du loisir d'écrire une pièce? Je n'ai pas la
prétention de connaître la psychologie ouvrière, mais je suis
personnellement convaincu que beaucoup d'ouvriers (y compris ceux
qui votent pour le parti communiste et en suivent les mots d'ordre)
ne se foutent pas de la culture. Cette indifférence est le fait
d'intellectuels très subtils, qui s'imaginent retrouver le contact
avec le peuple au moment même où ils manifestent avec le plus de
naïveté leur appartenance à Saint-Germain-des-Prés.Finissons cette revue par quelques exemples
où la mauvaise foi, plus accentuée, ne remplace même pas un
argument mais vise à disqualifier un adversaire (qu'on se garde de
désigner nommément). Voici la dernière des quatre étapes de
l'anticommuniste, telle que la décrit Sartre:
"Nous vous concluons une alliance avec les
États-Unis! Stop. Nous vous atomisons la Russie! Stop. Nous vous
pendons tous les communistes. Stop. Et nous vous reconstituons sur
les ruines le vrai socialisme, internationaliste, démocratique et
réformiste."
Ou encore:
"Pas de doute: la plus belle victoire de la
classe ouvrière, les troupes américaines la gagneront sur les
troupes de l'U.R.S.S.; mais, pour vous le dire à haute voix, il
faut être tout à fait traître ou fou de chagrin, ce qui revient au
même."
Pour accuser un adversaire de souhaiter l'apocalypse atomique, il
faut être ou salaud ou égaré par la colère. Dans le cas de J.-P.
Sartre, j'opine pour la colère.Que s'agit-il de prouver?
Tâchons maintenant de discuter l'article de
Sartre comme si la partie pamphlétaire n'existait pas.
J.-P. Sartre a pris, semble-t-il,
l'habitude de ne pas se relire, de telle sorte qu'on a souvent du
mal à saisir sa pensée. Voici, à la page 18, un paragraphe qui
devrait être décisif puisqu'il traite des idées et des intentions
du
Politburo
(
Les Temps modernes
, comme on va le voir, disposent d'un microphone dans les murs du
Kremlin):
"Qu'on ne s'y trompe pas: si l'U.R.S.S. perdait
un jour tout espoir d'éviter la guerre, elle déchaînerait le
conflit elle-même. Et qui pourrait l'en blâmer? Mais ses dirigeants
sont aussi divisés que les nôtres. Dès 1946, Molotov croyait la
guerre inévitable. L'affaire yougoslave a montré qu'il n'avait pas
entièrement convaincu ses collègues, dont certains, semble-t-il,
pensent que le conflit pourra être retardé jusqu'à ce qu'une crise
décisive vienne ébranler le monde occidental… Selon la conjoncture
internationale et, peut-être aussi, selon les rapports de force à
l'intérieur du Politburo, l'une ou l'autre de ces conceptions
prévaut, toujours tempérée par celle de la minorité."
Si, selon Molotov, la guerre est inévitable, on serait tenté de
penser que, selon l'autre conception, la guerre n'est pas
inévitable. Mais, en fait, les collègues que Molotov n'a pas
convaincus sont ceux
"qui pensent que le conflit pourra être
retardé"
. Ces derniers pensent donc, eux aussi, que la guerre est
inévitable; la divergence porterait uniquement sur la possibilité
ou l'opportunité de la retarder. Mais on nous a dit, pour
commencer, que l'Union soviétique déchaînerait la guerre si elle
perdait tout espoir de l'éviter. Tout cela prouve évidemment que
l'Union soviétique veut la paix… Et voilà pourquoi votre fille est
muette.En fait, les écrits doctrinaux et la
conduite des Staliniens ne laissent pas tant de mystère. Le
Politburo
ne croit pas et n'a jamais cru, même pendant la guerre, à une
collaboration sincère entre le monde capitaliste et l'Union
soviétique. La lutte de classes se transpose sur le plan
international en la lutte de deux blocs. En ce sens, les Staliniens
tiennent le conflit pour permanent et la guerre pour finalement
inévitable (à moins d'un effondrement du monde capitaliste), mais
ce conflit permanent, ni M. Molotov ni ses collègues n'ont jamais
été assez sots pour croire, en 1946, qu'il prendrait bientôt la
forme d'une guerre totale.En dehors de ces contradictions, la plus
grave difficulté est qu'on ne sait jamais ni ce que J.-P. Sartre
veut prouver, ni ceux qu'il vise. Il emploie une demi-douzaine de
pages à démontrer une proposition qu'on lui accorderait
immédiatement et paraît ignorer une objection évidente.
Heureusement, si le détail de
l'argumentation est obscur ou subtil, les idées directrices sont
d'une robuste simplicité. La guerre est menaçante par la faute de
la stratégie occidentale. La manifestation du 28 mai, que les
ouvriers ont quelque peu boudée, ne diffère pas de tant d'autres
aux quelles les masses ont participé. Il n'est pas possible de
séparer revendications professionnelles et protestations
politiques, la violence est l'expression spontanée de l'humanisme
prolétarien, le parti communiste "médiatise" cette violence.
Vainement, on tenterait de dissocier parti communiste et classe
ouvrière.
Il faut parfois se rappeler les faits
Depuis 1946, d'après Sartre, l'U.R.S.S.,
comme toujours, veut la paix. Le danger de guerre, qui est grand (
"Beaux enfants, chers rats visqueux, vous
courez à la guerre! Vous pouvez m'en croire. C'est un rat visqueux
qui vous parle"
), vient donc de l'Ouest. Les anticommunistes européens ou les
dirigeants des États-Unis veulent-ils la guerre? Notre penseur
l'insinue à diverses reprises (l'indifférence ouvrière, en France,
accroîtrait le danger), il ne l'affirme jamais. Il paraît plutôt
penser, ou bien que l'U.R.S.S. se sentira provoquée et déclenchera
le conflit, ou bien que les États-Unis, une fois réarmés, feront
valoir des prétentions excessives et précipiteront la catastrophe.
Les deux arguments ne sont solides ni l'un ni l'autre, et, selon
son habitude, Sartre fournit gracieusement des arguments à ses
contradicteurs. Il nous annonce qu'en cas de guerre les Russes
seront en France. Il faut donc conclure que les armements
occidentaux, insuffisants pour arrêter l'invasion soviétique,
suffiront à convaincre le
Politburo
que la guerre est prochaine et qu'il doit en prendre l'initiative.
Et qui pourrait l'en blâmer, comme dit l'autre?L'argument qui semble impressionner le plus
Sartre est qu'
"une nation, quelle qu'elle soit, a la
politique étrangère de son armement"
. Curieusement, l'idée ne semble pas lui venir qu'on le
retournerait aisément contre lui. Entre 1946 et 1950, les
Occidentaux avaient désarmé et les Russes avaient maintenu une
grande armée.
"Faire montre de sa force, c'est déjà
violenter."
Mais les trente divisions russes, dans la zone orientale
d'Allemagne, quel autre objectif avaient-elles qu'une démonstration
de force, en vue d'inspirer la terreur aux Européens sans
armes?Les relations entre États ont toujours été
faites de conflits entre des volontés de puissance rivales. Les
armements, virtuels ou actuels, ont toujours été le suprême recours
derrière les notes diplomatiques. À cet égard, il n'y a pas de
différence de nature entre les deux camps. Et Sartre se ridiculise
à reprocher aux uns les armements qu'il trouve légitimes de la part
des autres.
Sartre, il est vrai, tient en réserve un
argument-massue contre le réarmement. L'Union soviétique n'attaque
pas, alors qu'elle dispose d'une supériorité indiscutable. Donc,
elle veut la paix. Cette raison lui paraît aussi illuminante que le
cogito
à Descartes. Il écarte l'argument fondé sur la supériorité atomique
américaine sous prétexte que le stock américain sera d'ici quelques
années triplé. Il ne paraît même pas soupçonner la réponse banale:
un pays sans bombes atomiques est plus dominé par un pays qui en
possède cinq cents qu'un pays qui en possède cinq cents face à un
pays qui en possède quinze cents. Le nombre des objectifs relevant
de la bombe n'est pas illimité. La Russie, qui n'avait pas de stock
en 1950, en aura un en 1955; elle aura plus progressé que les
États-Unis, même si, entre temps, ceux-ci ont fabriqué un nombre
absolu de bombes plus grand - ne serait-ce qu'en raison de la
possibilité que l'arme, en ce cas, ne soit utilisée par personne.
Que l'Union soviétique ait soigneusement évité, jusqu'à présent, de
déclencher la troisième guerre mondiale ne prouve pas encore
qu'elle montrera la même prudence dans l'avenir.Mais il y a plus: aucun des théoriciens
sérieux de la stratégie atlantique n'a donné comme seule ou
principale raison du réarmement la probabilité d'une agression
directe de l'Union soviétique, visant à déclencher une troisième
guerre mondiale.
Le réarmement occidental a été décidé: 1°
pour répondre aux nécessités de cette drôle de paix; pour livrer
des guerres limitées, du type coréen, si une autre agression devait
intervenir; 2° pour ne pas laisser à l'Union soviétique l'avantage
d'une supériorité actuelle de force dont sa propagande tirait parti
(en 1950, les Allemands de l'Est annonçaient à ceux de Bonn qu'ils
allaient connaître le sort de la Corée du Sud); 3° pour convaincre
le
Politburo
que la volonté occidentale de résistance est réelle et prévenir les
malentendus (certaines positions occidentales, comme celle de
Berlin, ne peuvent être tenues que par la menace de guerre
générale); 4° enfin pour créer les conditions d'une négociation qui
mette fin à la crise ouverte par les conséquences de la deuxième
guerre mondiale en Europe.On peut hésiter l'importance relative de
ces divers arguments, on peut en trouver d'autres (la guerre peut
malheureusement éclater sans que personne en ait le désir), mais,
si l'on veut discuter sérieusement, mieux vaut ne pas partir d'une
formule ("Moscou veut la guerre") qui ne signifie rien et qu'aucun
commentateur bourgeois n'a prise à son compte. Mieux vaut ne pas
oublier les faits essentiels qui commandent toute la situation en
Europe: la soviétisation des pays de l'Europe de l'Est et le
maintien d'une grande armée russe au centre du vieux continent. Si
l'on néglige ces deux faits, réalisés de 1944 à 1946, c'est-à-dire
au moment même où l'Occident prodiguait les preuves de bonne
volonté, alors, en effet on ne comprend ni l'absurdité du
neutralisme ni les raisons du réarmement: les pays d'Europe étaient
las de vivre sous une menace que l'Union soviétique n'avait
probablement pas l'intention de mettre à exécution, mais qu'elle
était bien résolue à maintenir pour affaiblir la volonté morale de
résistance et, finalement, s'étendre jusqu'à l'Atlantique, sans
guerre générale.
"La barrière invisible"
Le pacifisme de l'Union soviétique
proclamé, la sottise de la stratégie atlantique démontrée, on nous
invite à une autre sorte de considération. La presse ayant insisté
sur le caractère politique de la manifestation du 28 mai, le
professeur Sartre nous offre un cours sur les rapports du politique
et de l'économique dans le mouvement syndical. Il nous assène de
précieuses vérités que nous sommes heureux d'apprendre: oui,
"le fait économique, aussi bien que l'
homo œconomicus
, est un être de raison
" (cf.
Cours d'économie politique
, première année). Oui, le pacifisme du mouvement syndical peut se
réclamer d'une longue tradition. Oui,
"les conflits militaires lèsent l'ouvrier dans
ses intérêts matériels"
(
sic!
); ils lèsent aussi les paysans, les bourgeois, mais enfin passons.
Oui,
"le syndicalisme est une manière d'être
homme"
, oui,
"le syndicalisme va prendre en main la totalité
du fait ouvrier"
. Mais, une fois accordées toutes ces propositions, le vrai
problème que pose la manifestation du 28 mai, ou, plus
généralement, la manipulation du mouvement syndical et ouvrier par
les dirigeants du parti communiste, est à peine abordé, encore
moins résolu.J.-P. Sartre pose doctoralement que le
syndicalisme n'a que deux positions cohérentes:
"Ou bien il se borne à soutenir les
revendications immédiates, ou bien il défendra les travailleurs
dans tous les secteurs de l'activité nationale."
Le professeur Sartre nous démontre logiquement que l'on ne peut
s'en tenir aux revendications immédiates. Donc il faut défendre les
travailleurs dans tous les secteurs de l'activité nationale, donc
la manifestation contre le général Ridgway n'est qu'une défense de
l'intérêt ouvrier dans le secteur de la politique étrangère.
Malheureusement, emporté par sa dialectique, Sartre oublie qu'il y
a bien des manières de défendre les travailleurs dans tous les
secteurs de l'activité nationale; il oublie surtout que le parti
communiste subordonne systématiquement l'intérêt actuel des
ouvriers, et les syndicats eux-mêmes, au parti, et, par conséquent,
à l'Union soviétique, subordination étrangère à la tradition du
mouvement ouvrier en Occident, que syndicalistes révolutionnaires,
aussi bien que syndicalistes réformistes, ont toujours
rejetée.Lénine écrivait qu'abandonnés à eux-mêmes
les ouvriers tendent à se soucier exclusivement des revendications
immédiates. Il incombe aux intellectuels de donner aux prolétaires
le sens de leur mission historique: non pas seulement améliorer
leurs conditions de vie
hic et nunc
, mais renverser le capitalisme, et, en même temps que celui-ci,
détruire les fondements de l'exploitation de l'homme par
l'homme.Les syndicats qui ont choisi contre la
conception léniniste, c'est-à-dire ceux de tous les pays de
capitalisme développé, ne s'en sont pas tenus aux revendications
immédiates. Les syndicats allemands ont réclamé et partiellement
obtenu la cogestion, les syndicats anglais discutent de la
politique étrangère, les syndicats américains ne cessent de peser
sur les partis, le Congrès, l'administration, en faveur des
réformes qui intéressent la vie nationale dans tous les secteurs.
En revanche, ils refusent tous de laisser le parti, même un parti
ami, juge de la mesure dans laquelle l'action syndicale doit être
soumise aux impératifs de la politique, ils refusent tous
d'accepter les deux principes cardinaux du parti communiste: dans
la phase prérévolutionnaire, c'est le parti qui dirige stratégie et
tactique du syndicalisme, et, dans la phase postrévolutionnaire, le
syndicalisme doit être aux ordres de l'État prolétarien. Donc la
grève n'aura plus de sens et ne sera pas tolérée. Les syndicats,
réformistes ou révolutionnaires, ne refusent pas seulement la
soumission à Moscou, ils refusent de servir un parti qui, au
lendemain de sa victoire, aggraverait toutes les rigueurs contre
lesquelles il mobilise aujourd'hui les ouvriers.
J.-P. Sartre, soit par confusion d'esprit
soit par demi-consciente mauvaise foi, se garde bien de prendre une
position nette sur le conflit entre syndicalisme de type américain,
anglais, scandinave, allemand, et le syndicalisme communiste. Il
oppose la théorie des revendications immédiates, dont il montre
triomphalement qu'elle est intenable, à la théorie du fait ouvrier
total, le communisme n'étant qu'une modalité entre d'autres. Avec
une admirable candeur, il démontre ce que tout le monde sait et il
ne reconnaît pas ce qui est en question.
Les syndicats anglais, américains ou
scandinaves hésiteraient à recourir à des grèves ou à des
manifestations violentes pour contraindre le gouvernement.
Pourquoi? Parce qu'ils ne traitent pas les ouvriers en troupes de
choc d'un parti, et parce qu'ils ont le respect de la légalité
démocratique.
Sartre, toujours en tête du mouvement des
idées, nous répondra en citant les textes de Marx sur
l'insuffisance de la démocratie formelle, ou ceux de Lénine sur
"la contradiction criante entre l'égalité
formelle, proclamée par la démocratie, les capitalistes et les
milliers de restrictions et d'artifices réels qui font des
prolétariens des esclaves salariés"
. Personne n'ignore la contradiction entre égalité formelle et
inégalités réelles, mais une telle contradiction existe dans toutes
les sociétés connues, et nulle part elle n'est aussi criante qu'en
U.R.S.S., où le prolétariat libéré est formellement maître de
l'État, mais où les prolétaires réels ne peuvent ni choisir leur
usine, ni aller d'une ville à l'autre sans autorisation, ni
discuter leurs conditions de travail. Dans les pays capitalistes
les plus avancés, les syndicats sont devenus une puissance dans
l'État "démocratique", dont ils reconnaissent la légitimité, et
l'ouvrier ne ressemble plus ni à la description qu'en faisait Marx
ni à celle qu'en fait Sartre (
"À quelles conditions doit répondre une
créature d'apparence humaine pour que nous puissions à la fois lui
donner le titre d'homme et la traiter comme une bête?"
)."Il ne s'agit, nous répondent les
révolutionnaires des
Temps modernes
, ni des hauts salaires américains ni du socialisme scandinave, il
s'agit de la France. Que vaut une légalité que la bourgeoisie viole
en esprit par la loi électorale, dans la lettre par l'arrestation
de Jacques Duclos, qu'elle liquiderait sans hésiter si le P.C.
paraissait sur le point d'obtenir la majorité?"La réponse est facile. Jacques Duclos a été
libéré par un arrêt de justice (quel serait le sort des juges qui
auraient mis en liberté Nicolas Petkov, en Bulgarie communiste?).
Avant 1951, il y avait cent quatre-vingt-trois députés communistes:
ils n'empêchaient pas davantage le gouvernement de mener la
politique d'alliance atlantique que les communistes et Jean-Paul
Sartre dénoncent comme une politique de guerre. La
sous-représentation du parti communiste ne change rien à
l'essentiel: une minorité a-t-elle le droit de chercher par la
violence à empêcher la majorité de gouverner selon ses
conceptions?
"Elle n'en a pas le droit, nous dit-on
encore, dans le cadre de la société présente, mais elle veut
détruire cette société et créer une autre légalité." Soit. Mais
alors qu'on cesse de dénoncer les bourgeois qui ne respectent pas
leur propre légalité. La démocratie est essentiellement un système
de compétition pacifique en vue de l'exercice du pouvoir. Ceux qui
refusent d'accepter les règles du jeu ne peuvent s'étonner que les
partis et les hommes, condamnés par la loi de l'histoire, prennent
quelque mesure de précaution. On découvre que
"le plus grand parti de France est séparé des
autres partis par une barrière invisible"
. Comment en irait-il autrement alors que l'expérience de l'Europe
orientale prouve qu'une fois au pouvoir le parti communiste liquide
tous ses adversaires, y compris les socialistes de gauche?Les syndicats réformistes et les partis
socialistes jugent que la classe ouvrière et ses représentants sont
en mesure d'acquérir, dans un système d'institutions
représentatives, une influence suffisante pour transformer
profondément la société capitaliste. Les communistes pensent que,
dans le cadre de la légalité présente, aucune réforme sérieuse
n'est possible et que la toute-puissance du parti communiste
constitue la condition nécessaire et suffisante de la libération
prolétarienne. Ils rejettent par principe l'idée première de la
démocratie, selon laquelle la limitation du pouvoir par le pouvoir
est la garantie, et la seule garantie, des libertés.
Ou bien l'on admet la première théorie, et
alors on déplore les manifestations du type de celle du 28 mai. Ou
bien l'on admet la deuxième, mais alors pourquoi s'indigner que les
bourgeois, socialistes compris, ne poussent pas le respect de leurs
principes jusqu'au suicide inclusivement?
Quand on a achevé la lecture de ces
cinquante pages d'invectives, analyses, démonstrations, on ne se
demande pas, comme Sartre lui-même: Qu'ai-je voulu prouver? mais:
Pourquoi est-il en colère? Ceux qui posent l'équation: Union
soviétique = Révolution ou prolétariat, s'accommodent de la
subordination du parti français à Moscou (même quand M. Billoux les
invite à soutenir les revendications nationales des Alsaciens et
des Lorrains). Mais ceux - conservateurs, réactionnaires,
douairières, valets de chambre ou socialistes - qui n'admettent pas
cette égalité et font des réserves sur la solidarité entre le
travail forcé et la libération de l'humanité, pourquoi ne
seraient-ils pas satisfaits le jour où les ouvriers français
refusent de manifester contre le général Ridgway, en dépit des mots
d'ordre du P.C.? Et pourquoi Sartre éprouve-t-il le besoin d'écrire
cinquante pages pour vitupérer, à grands renforts de métaphysique
et de grossièretés, des commentaires qui, du
Figaro
à
Franc-Tireur
, étaient sans originalité?La vérité est que Sartre a eu grand peur -
bien plus peur que les bourgeois qui faisaient confiance à la
police. Sartre a eu peur pour sa philosophie. Il est indispensable
à sa conception du monde que prolétariat et parti communiste soient
indissociables. La maladresse du bureau politique, la lassitude des
travailleurs ont presque ébranlé le fondement de la politique
existentialiste.
Le lien entre le prolétariat et le parti
communiste peut s'entendre de deux manières. Ou bien il s'agit d'un
fait observable: un grand nombre de prolétaires français, peut-être
la majorité d'entre eux, votent pour des candidats communistes aux
élections législatives ou aux élections pour les comités
d'entreprise. Mais la clientèle du parti communiste n'est pas
exclusivement ouvrière, et les autres partis, y compris le R.P.F.,
ont aussi une clientèle ouvrière. En tout cas, si l'on décrète que
le parti communiste ne se sépare pas du prolétariat français parce
que celui-ci vote en majorité pour celui-là, le même raisonnement
rend, en Angleterre ou en Suède, le prolétariat inséparable du
parti socialiste ou des syndicats réformistes.
Sartre tient donc en réserve une autre
interprétation. La parenté entre prolétariat et communisme est
autrement profonde; elle ne se ramène pas à une question de
statistiques, concluantes aujourd'hui mais décevantes hier et
peut-être de nouveau demain. Le communisme garde, d'après Sartre et
aussi Merleau-Ponty, un titre particulier à la fidélité du
prolétariat parce qu'il est seul à croire à la mission de ce
dernier, mission de renverser le capitalisme et de promouvoir la
libération de l'humanité entière en même temps que de
lui-même.
Cette mission historique, Sartre et
Merleau-Ponty l'ont découverte vers 1945 en lisant les ouvrages
écrits par Marx dans sa jeunesse, vers 1844. Ils ont été éblouis
par cette découverte et ils tiennent dur comme fer à une mission
historique qui s'accorde médiocrement avec la philosophie
existentialiste. Lénine, lui, ne s'embarrassait guère des
sentiments des prolétaires en chair et en os. Il comptait sur les
révolutionnaires professionnels pour prévenir la déviation
économique du mouvement ouvrier. Sartre et Merleau-Ponty n'osent
pas employer le même langage. Comme ils sont existentialistes et
non hégéliens et qu'ils ont quelque mal à définir le sens de la
totalité historique, il faut que la mission historique soit au
moins pressentie par la conscience ouvrière, d'où la nécessité pour
Sartre, profond connaisseur de l'âme prolétarienne, de démontrer
que la violence ouvrière est spontanée. De plus, nous sommes en
1952 et non en 1845: les Staliniens, entre temps, ont prétendu
réaliser la mission historique du prolétariat. Or Sartre ne veut ni
affirmer ni nier absolument le lien entre la cause du prolétariat
et celle de l'Union soviétique (le dernier mot n'est pas encore
dit). Pour maintenir cette ambiguïté, il faut que le prolétariat
français ne se reconnaisse pas d'autre défenseur que le parti
communiste.
Un moralisme à sens unique
Marx écrivait en 1845, avant que se
développe le mouvement ouvrier. La "mission du prolétariat" était
l'expression demi mythologique d'un fait qui est partiellement
réalisé un siècle après: la transformation de la condition ouvrière
et humaine dans les sociétés industrielles. Nulle part, la
révolution n'a amené la fin de l'exploitation de l'homme par
l'homme ou la conversion de l'histoire, mais dans les pays de
capitalisme développé ou de socialisme démocratique, le niveau de
vie s'est élevé et les organisations ouvrières sont devenues une
des principales formes sociales. En Union soviétique, une
révolution faite au nom du prolétariat a donné la toute-puissance à
une bureaucratie qui accomplit impitoyablement la tâche
d'industrialisation que Marx regardait comme la fonction propre du
capitalisme. En 1952, Sartre reprend la formule de la mission
historique du prolétariat sans en préciser le sens concret,
institutionnel. Auprès de la révolution dont il rêve, le réformisme
du type scandinave lui semble pâle, la révolution stalinienne
malgré tout un peu trop rouge. Mais cette révolution rêvée
n'a-t-elle pas la perfection des "êtres de raison"? N'étant ni
celle des réformistes, ni celle des Staliniens, n'est-elle pas
surtout celle qui ne peut pas se produire, celle qui autorisera,
indéfiniment, la révolte des intellectuels parce qu'elle ne mordra
pas sur l'histoire?
D'où la situation paradoxale où Sartre se
trouve. Il proclame que le parti communiste est l'interprète
authentique du prolétariat. Les Staliniens le couvrent d'injures et
l'injurient d'autant plus que lui-même injurie davantage les
anticommunistes. Si les Staliniens le traitent plus mal encore, on
se demande jusqu'à quelles extrémités le philosophe se laissera
emporter dans sa polémique contre
Le Figaro
et
Franc-Tireur
. Il voudrait être aux côtés de ceux qui le repoussent, il déteste
ceux qui l'accueilleraient. Anarchiste de tempérament, il a
conservé de son enfance l'horreur des convenances qu'enseignent les
parents, il déteste la bourgeoisie, au sens que les étudiants
romantiques donnaient à ce mot. Il a été indifférent à la politique
jusqu'en 1938 et il ne veut pas s'avouer qu'il rejette l'ordre
actuel comme il rejetterait n'importe quel ordre social. La
nouvelle bourgeoisie des dignitaires staliniens ne lui paraîtrait
pas moins odieuse que la vieille bourgeoisie de Bouville. Quand la
gloire vint et qu'il se crut obligé de lancer un message politique,
il joignit des souvenirs de lecture, ses répulsions spontanées, les
bons sentiments d'un universitaire républicain et une
intransigeance de moraliste (qui est chez lui authentique et qui le
rapproche, en dépit de tout, de son cousin Albert Schweitzer).
Ayant adopté l'attitude la plus paradoxale historiquement, la moins
significative, la plus liée à sa personne, il enjoint au monde
d'imiter sa double négation, de se décider à n'être ni pour ni
contre Staline. Il dénonce déjà les traîtres (à qui? à quoi?), il
vaticine (
"On ne peut combattre la classe ouvrière sans
devenir un ennemi de soi-même"
).On a toujours connu des écrivains engagés
et d'autres au-dessus de la mêlée. Les clercs ont hésité entre
diverses attitudes dont chacune avait au moins une logique. Tel au
nom des droits de l'homme dénonce les iniquités et les cruautés
partout où elles sont commises. Tel adhère au parti révolutionnaire
et, en prévision d'un avenir radieux, inconnu et inconnaissable,
souscrit aux violences actuelles. Tel autre justifie l'effort
humble, décevant, nécessaire, pour maintenir certaines libertés et
hâter certaines réformes. Ce qui est déconcertant, c'est que des
écrivains du niveau de Sartre décident avec fureur de jouer
intellectuellement sur tous les tableaux et politiquement contre
tous les partis, sans assumer aucune des servitudes de l'action.
Ils invoquent la mission du prolétariat, mais rejettent les deux
interprétations, réformiste et révolutionnaire, de cette mission.
Ils se réclament d'une philosophie de l'histoire et aboutissent à
un moralisme à sens unique, les souffrances des malheureux
n'excitant leur pitié et les rigueurs de la police leur indignation
que dans une moitié du monde. Ils commencent par l'engagement et
finissent par l'évasion.
La psychologie du "génie solitaire" ou de
la "secte littéraire" explique pour une part ces paradoxes. Mais,
pour une autre part, c'est la réalité française qui les rend
intelligibles. Les intellectuels de gauche n'y trouvent ni parti à
rallier ni tâche à remplir.
La condition ouvrière s'est améliorée
depuis un siècle, mais beaucoup moins que dans les pays
anglo-saxons ou scandinaves. Aujourd'hui, le parti communiste
empêche la formation d'une gauche non stalinienne. Mais c'est
l'échec de la gauche non stalinienne, parti socialiste et syndicats
réformistes, qui est en partie responsable de la mainmise
communiste sur les organisations ouvrières. Il est absurde d'en
conclure, comme le fait Sartre, qu'une gauche non stalinienne est,
en tant que telle, partout et toujours impossible, alors qu'elle
est une réalité dans la plus grande partie du monde occidental. En
France, momentanément du moins, elle ne semble guère avoir de
chances.
Est-ce à dire que la gauche non stalinienne
représente le suprême espoir de la bourgeoisie? J'en doute fort. Il
ne manque pas d'indépendants secrètement satisfaits que les
communistes excluent de la communauté et du jeu politique
vingt-cinq pour cent des votants (qui appartiennent à la gauche).
Le révolutionnarisme verbal d'une fraction des intellectuels ne
contredit pas le conservatisme borné d'une fraction de la
bourgeoisie. Les deux phénomènes sont contrastés mais
solidaires.
Les révolutionnaires du style de J.-P.
Sartre n'ont jamais troublé le sommeil d'aucun banquier du
monde.