Jean-Paul Sartre et le prolétariat ou la grande peur du mal-pensant
Le Figaro littéraire
27 septembre 1952

L'Action française
offrait jadis quotidiennement le choix entre un article de Léon Daudet, chargé de truculences et d'invectives, et un article de Charles Maurras, fait de raisonnements indéfiniment enfilés, les uns aux autres. Les démonstrations de l'un n'étaient pas toujours convaincantes ni les injures de l'autre toujours savoureuses. La séparation des genres prévenait les malentendus. On ne cherchait pas de preuve dans les colonnes signées Léon Daudet, on ne cherchait pas de distraction dans les colonnes signées Charles Maurras.
Jean-Paul Sartre, dans les cinquante pages qu'il vient de consacrer à la manifestation du 28 mai (ce n'est qu'une première partie), a voulu mélanger les genres. Je ne crois pas qu'il y ait gagné. Dix pages de dissertation sur les rapports de l'économie et du politique dans le mouvement syndical découragent les amateurs de lecture légère. Les souffrances de la "metteuse en plaques", qui émeuvent la sensibilité intermittente du philosophe, ne prouvent pas que la propriété privée des instruments de production soit pire que la propriété collective telle qu'elle est pratiquée en Union soviétique. Je crains que l'étude ne soit finalement ni drôle ni solide. Mais, après tout, Jean-Paul Sartre est libre de choisir l'usage qu'il fera de son talent.
Je passerai rapidement sur les plaisanteries, grossièretés, injures que Sartre a mêlées à des dissertations philosophiques ou prétendues telles. Je voudrais seulement montrer sur un certain nombre d'exemples la fonction que remplissent ces procédés de polémique. En fait, ils ne soulignent pas, de manière plaisante ou frappante, un argument valable; tantôt ils dissimulent le problème véritable, tantôt ils camouflent l'embarras d'auteur, tantôt ils éludent une objection évidente.
Georges Altman avait écrit dans
Franc-Tireur
: "L'excitation contre tout ce qui est "américain" a pris désormais la forme de la rage maniaque et meurtrière. On a parfaitement le droit de critiquer la politique américaine, si on le juge bon..." Sur quoi (page 3). Sartre commente longuement le "si on le juge bon":
"Que de finesse, que de sous-entendus dans ces cinq mots, et comme on mourrait de bon cœur pour la langue et la culture qui permettent ces nuances!"
Au bout de vingt-cinq lignes, on en arrive à:
"Qu'a-t-il besoin d'aller se bagarrer dans les rues comme un voyou? Ah! c'est le Stalinien qui le pousse. Ce Stalinien, son mauvais génie, l'éternel meneur, russiste aujourd'hui, boche avant-hier, semant l'or anglais en 1789 et déjà l'or russe en 1840…"
, etc., etc. Que d'esprit! Mais, entre temps, on a éludé les deux questions sérieuses que posait le texte cité: dans les pays alliés des États-Unis, on a le droit de critiquer la politique américaine; dans les pays "libérés" par l'Union soviétique, a-t-on le droit de critiquer cette dernière? Jean-Paul Sartre croit-il que les États-Unis pratiquent la guerre bactériologique? Est-il d'accord avec le mot d'ordre "Ridgway la Peste"? S'il n'est pas d'accord, qu'il le dise: le fait aurait son importance pour juger la conjoncture du 28 mai.
Autre exemple:
"Hier encore, le général Clark a été saisi d’angoisse quand il a vu qu’on ne se battait plus sur le front de Corée; il a fallu cinq bombardements massifs pour le calmer."
Le bombardement des usines hydroélectriques a-t-il accru ou réduit les chances d'un armistice? Ce n'est pas le lieu d'en discuter. Mais l’"angoisse" du général Clark témoigne de la même qualité intellectuelle que les articles quotidiens de
L’Humanité
. Une question sérieuse se posait: Sartre est-il partisan de rapatrier de force les prisonniers chinois ou coréens qui refusent de rentrer dans leur pays libéré? Sait-il qu'en 1945, pour respecter un accord conclu à Yalta, sur la demande de Staline lui-même, civils et militaires soviétiques furent par milliers rapatriés en dépit de leurs protestations? Des centaines d'entre eux préfèrent se suicider. Qu'en pense Sartre? L'ironie sur le général Clark est peut-être charmante, mais elle sert à éluder la question: Comment arriver à un armistice? Et qui empêche l'armistice?
Continuons cette revue:
"Vous promenez de Paris à Londres et Berlin une brochette d'intellectuels pâles et doux comme des demoiselles qui récitent des compliments appris sur la culture et la liberté."
La réponse, dans le style existentialiste, serait à peu près la suivante: "Pour les couleurs, les existentialistes peuvent toujours s'aligner, ils auront bonne mine, les costauds des
Temps modernes
." Dans le style professoral, que décidément nous préférons, nous nous bornerons à signaler que parmi
"ces intellectuels doux et pâles comme des demoiselles"
, figurent Kœstler et Malraux, qui ont chacun risqué leur vie dans les bagarres du siècle plus souvent que… disons la plupart des "révolutionnaires" des
Temps modernes
.
Le congrès pour
la liberté de la culture
exaspère Jean-Paul Sartre, et il est décidé à lui régler son compte. Soit. Il trouve deux arguments: la culture meurt quand on la défend au lieu de la faire. L'ouvrier "
se fout de la culture
". Les deux arguments, examinés à loisir, sont absurdes. Il vaut probablement mieux écrire
Les Voix du silence
que prononcer une conférence à la salle Gaveau ou un discours au Vélodrome d'hiver. Mais le fait est que défendre la culture n'empêche pas de la faire, que la culture n'est pas morte à partir du moment où on la défend et que la menace de suppression des libertés qui pèse sur elle est autrement grave que la perte de temps qu'entraîne l'activité politique. La mobilisation des intellectuels au service de causes politiques a été longtemps le monopole des Staliniens. La colère de Sartre commence le jour où des anticommunistes s'efforcent de montrer que les hommes de culture ne sont pas du côté de Staline.
Le deuxième argument:
"l'ouvrier s'en fout"
, est pire que le premier. Admettons provisoirement que l'affirmation soit exacte. Et Sartre, lui, est-ce qu'il s'en fout? L'indifférence (supposée) de l'ouvrier ne prouve rien. On n'aurait jamais lutté pour la liberté de pensée si, à travers les siècles, on l'avait décrétée sans valeur, aussi longtemps qu'il existait des malheureux condamnés, par le dénuement, à n'en pas goûter les bienfaits. La liberté de pensée - qui comprend celle de la recherche scientifique - a finalement plus contribué à l'allégement des misères humaines que les déclamations sentimentales.
Au reste,
Les Temps modernes
tonnent quand on porte atteinte à la culture par l'interdiction de la pièce de Roger Vailland. Au moins, dans la partie du monde soumise au joug capitaliste, les existentialistes sont, eux aussi, défenseurs de la liberté de la culture. Faut-il comprendre que Sartre sacrifierait avec indifférence sa propre liberté "de faire la culture" pour atténuer les "souffrances ouvrières?" Ce sacrifice témoignerait d'un bon naturel, mais non pas d'une grande clairvoyance. La liberté intellectuelle ou les institutions politiques libérales n'impliquent pas un régime social "progressif", pour employer le jargon à la mode. Il se peut que, dans certains pays du Proche-Orient, une dictature soit, à échéance, préférable à la pseudo-démocratie des pachas. Mais, le plus souvent, et en particulier dans les pays de capitalisme développé, la suppression des libertés ne tourne pas au bénéfice des "masses". Et Sartre devrait leur donner, sur ce point, de meilleurs conseils.
"Traître ou fou de chagrin"?
Revenons au point de départ. Est-ce que
"l'ouvrier s'en fout"
? L'ouvrier est-il indifférent à l'élimination d'une presse libre? Même l'ouvrier de Renault qui lit
L'Humanité
souhaite t-il que tous les journaux français soient la réplique de
L'Humanité
? Conçoit-il la libération de telle manière que tous les auteurs anticommunistes connaissent la mésaventure de Roger Vailland, avec la circonstance aggravante qu'il n'y aura pas un communiste, le jour où Thorez sera au pouvoir, pour protester contre l'interdiction d'une pièce de Thierry Maulnier, et que celui-ci ne jouira pas longtemps du loisir d'écrire une pièce? Je n'ai pas la prétention de connaître la psychologie ouvrière, mais je suis personnellement convaincu que beaucoup d'ouvriers (y compris ceux qui votent pour le parti communiste et en suivent les mots d'ordre) ne se foutent pas de la culture. Cette indifférence est le fait d'intellectuels très subtils, qui s'imaginent retrouver le contact avec le peuple au moment même où ils manifestent avec le plus de naïveté leur appartenance à Saint-Germain-des-Prés.
Finissons cette revue par quelques exemples où la mauvaise foi, plus accentuée, ne remplace même pas un argument mais vise à disqualifier un adversaire (qu'on se garde de désigner nommément). Voici la dernière des quatre étapes de l'anticommuniste, telle que la décrit Sartre:
"Nous vous concluons une alliance avec les États-Unis! Stop. Nous vous atomisons la Russie! Stop. Nous vous pendons tous les communistes. Stop. Et nous vous reconstituons sur les ruines le vrai socialisme, internationaliste, démocratique et réformiste."
Ou encore:
"Pas de doute: la plus belle victoire de la classe ouvrière, les troupes américaines la gagneront sur les troupes de l'U.R.S.S.; mais, pour vous le dire à haute voix, il faut être tout à fait traître ou fou de chagrin, ce qui revient au même."
Pour accuser un adversaire de souhaiter l'apocalypse atomique, il faut être ou salaud ou égaré par la colère. Dans le cas de J.-P. Sartre, j'opine pour la colère.
Que s'agit-il de prouver?
Tâchons maintenant de discuter l'article de Sartre comme si la partie pamphlétaire n'existait pas.
J.-P. Sartre a pris, semble-t-il, l'habitude de ne pas se relire, de telle sorte qu'on a souvent du mal à saisir sa pensée. Voici, à la page 18, un paragraphe qui devrait être décisif puisqu'il traite des idées et des intentions du
Politburo
(
Les Temps modernes
, comme on va le voir, disposent d'un microphone dans les murs du Kremlin):
"Qu'on ne s'y trompe pas: si l'U.R.S.S. perdait un jour tout espoir d'éviter la guerre, elle déchaînerait le conflit elle-même. Et qui pourrait l'en blâmer? Mais ses dirigeants sont aussi divisés que les nôtres. Dès 1946, Molotov croyait la guerre inévitable. L'affaire yougoslave a montré qu'il n'avait pas entièrement convaincu ses collègues, dont certains, semble-t-il, pensent que le conflit pourra être retardé jusqu'à ce qu'une crise décisive vienne ébranler le monde occidental… Selon la conjoncture internationale et, peut-être aussi, selon les rapports de force à l'intérieur du Politburo, l'une ou l'autre de ces conceptions prévaut, toujours tempérée par celle de la minorité."
Si, selon Molotov, la guerre est inévitable, on serait tenté de penser que, selon l'autre conception, la guerre n'est pas inévitable. Mais, en fait, les collègues que Molotov n'a pas convaincus sont ceux
"qui pensent que le conflit pourra être retardé"
. Ces derniers pensent donc, eux aussi, que la guerre est inévitable; la divergence porterait uniquement sur la possibilité ou l'opportunité de la retarder. Mais on nous a dit, pour commencer, que l'Union soviétique déchaînerait la guerre si elle perdait tout espoir de l'éviter. Tout cela prouve évidemment que l'Union soviétique veut la paix… Et voilà pourquoi votre fille est muette.
En fait, les écrits doctrinaux et la conduite des Staliniens ne laissent pas tant de mystère. Le
Politburo
ne croit pas et n'a jamais cru, même pendant la guerre, à une collaboration sincère entre le monde capitaliste et l'Union soviétique. La lutte de classes se transpose sur le plan international en la lutte de deux blocs. En ce sens, les Staliniens tiennent le conflit pour permanent et la guerre pour finalement inévitable (à moins d'un effondrement du monde capitaliste), mais ce conflit permanent, ni M. Molotov ni ses collègues n'ont jamais été assez sots pour croire, en 1946, qu'il prendrait bientôt la forme d'une guerre totale.
En dehors de ces contradictions, la plus grave difficulté est qu'on ne sait jamais ni ce que J.-P. Sartre veut prouver, ni ceux qu'il vise. Il emploie une demi-douzaine de pages à démontrer une proposition qu'on lui accorderait immédiatement et paraît ignorer une objection évidente.
Heureusement, si le détail de l'argumentation est obscur ou subtil, les idées directrices sont d'une robuste simplicité. La guerre est menaçante par la faute de la stratégie occidentale. La manifestation du 28 mai, que les ouvriers ont quelque peu boudée, ne diffère pas de tant d'autres aux quelles les masses ont participé. Il n'est pas possible de séparer revendications professionnelles et protestations politiques, la violence est l'expression spontanée de l'humanisme prolétarien, le parti communiste "médiatise" cette violence. Vainement, on tenterait de dissocier parti communiste et classe ouvrière.
Il faut parfois se rappeler les faits
Depuis 1946, d'après Sartre, l'U.R.S.S., comme toujours, veut la paix. Le danger de guerre, qui est grand (
"Beaux enfants, chers rats visqueux, vous courez à la guerre! Vous pouvez m'en croire. C'est un rat visqueux qui vous parle"
), vient donc de l'Ouest. Les anticommunistes européens ou les dirigeants des États-Unis veulent-ils la guerre? Notre penseur l'insinue à diverses reprises (l'indifférence ouvrière, en France, accroîtrait le danger), il ne l'affirme jamais. Il paraît plutôt penser, ou bien que l'U.R.S.S. se sentira provoquée et déclenchera le conflit, ou bien que les États-Unis, une fois réarmés, feront valoir des prétentions excessives et précipiteront la catastrophe. Les deux arguments ne sont solides ni l'un ni l'autre, et, selon son habitude, Sartre fournit gracieusement des arguments à ses contradicteurs. Il nous annonce qu'en cas de guerre les Russes seront en France. Il faut donc conclure que les armements occidentaux, insuffisants pour arrêter l'invasion soviétique, suffiront à convaincre le
Politburo
que la guerre est prochaine et qu'il doit en prendre l'initiative. Et qui pourrait l'en blâmer, comme dit l'autre?
L'argument qui semble impressionner le plus Sartre est qu'
"une nation, quelle qu'elle soit, a la politique étrangère de son armement"
. Curieusement, l'idée ne semble pas lui venir qu'on le retournerait aisément contre lui. Entre 1946 et 1950, les Occidentaux avaient désarmé et les Russes avaient maintenu une grande armée.
"Faire montre de sa force, c'est déjà violenter."
Mais les trente divisions russes, dans la zone orientale d'Allemagne, quel autre objectif avaient-elles qu'une démonstration de force, en vue d'inspirer la terreur aux Européens sans armes?
Les relations entre États ont toujours été faites de conflits entre des volontés de puissance rivales. Les armements, virtuels ou actuels, ont toujours été le suprême recours derrière les notes diplomatiques. À cet égard, il n'y a pas de différence de nature entre les deux camps. Et Sartre se ridiculise à reprocher aux uns les armements qu'il trouve légitimes de la part des autres.
Sartre, il est vrai, tient en réserve un argument-massue contre le réarmement. L'Union soviétique n'attaque pas, alors qu'elle dispose d'une supériorité indiscutable. Donc, elle veut la paix. Cette raison lui paraît aussi illuminante que le
cogito
à Descartes. Il écarte l'argument fondé sur la supériorité atomique américaine sous prétexte que le stock américain sera d'ici quelques années triplé. Il ne paraît même pas soupçonner la réponse banale: un pays sans bombes atomiques est plus dominé par un pays qui en possède cinq cents qu'un pays qui en possède cinq cents face à un pays qui en possède quinze cents. Le nombre des objectifs relevant de la bombe n'est pas illimité. La Russie, qui n'avait pas de stock en 1950, en aura un en 1955; elle aura plus progressé que les États-Unis, même si, entre temps, ceux-ci ont fabriqué un nombre absolu de bombes plus grand - ne serait-ce qu'en raison de la possibilité que l'arme, en ce cas, ne soit utilisée par personne. Que l'Union soviétique ait soigneusement évité, jusqu'à présent, de déclencher la troisième guerre mondiale ne prouve pas encore qu'elle montrera la même prudence dans l'avenir.
Mais il y a plus: aucun des théoriciens sérieux de la stratégie atlantique n'a donné comme seule ou principale raison du réarmement la probabilité d'une agression directe de l'Union soviétique, visant à déclencher une troisième guerre mondiale.
Le réarmement occidental a été décidé: 1° pour répondre aux nécessités de cette drôle de paix; pour livrer des guerres limitées, du type coréen, si une autre agression devait intervenir; 2° pour ne pas laisser à l'Union soviétique l'avantage d'une supériorité actuelle de force dont sa propagande tirait parti (en 1950, les Allemands de l'Est annonçaient à ceux de Bonn qu'ils allaient connaître le sort de la Corée du Sud); 3° pour convaincre le
Politburo
que la volonté occidentale de résistance est réelle et prévenir les malentendus (certaines positions occidentales, comme celle de Berlin, ne peuvent être tenues que par la menace de guerre générale); 4° enfin pour créer les conditions d'une négociation qui mette fin à la crise ouverte par les conséquences de la deuxième guerre mondiale en Europe.
On peut hésiter l'importance relative de ces divers arguments, on peut en trouver d'autres (la guerre peut malheureusement éclater sans que personne en ait le désir), mais, si l'on veut discuter sérieusement, mieux vaut ne pas partir d'une formule ("Moscou veut la guerre") qui ne signifie rien et qu'aucun commentateur bourgeois n'a prise à son compte. Mieux vaut ne pas oublier les faits essentiels qui commandent toute la situation en Europe: la soviétisation des pays de l'Europe de l'Est et le maintien d'une grande armée russe au centre du vieux continent. Si l'on néglige ces deux faits, réalisés de 1944 à 1946, c'est-à-dire au moment même où l'Occident prodiguait les preuves de bonne volonté, alors, en effet on ne comprend ni l'absurdité du neutralisme ni les raisons du réarmement: les pays d'Europe étaient las de vivre sous une menace que l'Union soviétique n'avait probablement pas l'intention de mettre à exécution, mais qu'elle était bien résolue à maintenir pour affaiblir la volonté morale de résistance et, finalement, s'étendre jusqu'à l'Atlantique, sans guerre générale.
"La barrière invisible"
Le pacifisme de l'Union soviétique proclamé, la sottise de la stratégie atlantique démontrée, on nous invite à une autre sorte de considération. La presse ayant insisté sur le caractère politique de la manifestation du 28 mai, le professeur Sartre nous offre un cours sur les rapports du politique et de l'économique dans le mouvement syndical. Il nous assène de précieuses vérités que nous sommes heureux d'apprendre: oui,
"le fait économique, aussi bien que l'
homo œconomicus
, est un être de raison
" (cf.
Cours d'économie politique
, première année). Oui, le pacifisme du mouvement syndical peut se réclamer d'une longue tradition. Oui,
"les conflits militaires lèsent l'ouvrier dans ses intérêts matériels"
(
sic!
); ils lèsent aussi les paysans, les bourgeois, mais enfin passons. Oui,
"le syndicalisme est une manière d'être homme"
, oui,
"le syndicalisme va prendre en main la totalité du fait ouvrier"
. Mais, une fois accordées toutes ces propositions, le vrai problème que pose la manifestation du 28 mai, ou, plus généralement, la manipulation du mouvement syndical et ouvrier par les dirigeants du parti communiste, est à peine abordé, encore moins résolu.
J.-P. Sartre pose doctoralement que le syndicalisme n'a que deux positions cohérentes:
"Ou bien il se borne à soutenir les revendications immédiates, ou bien il défendra les travailleurs dans tous les secteurs de l'activité nationale."
Le professeur Sartre nous démontre logiquement que l'on ne peut s'en tenir aux revendications immédiates. Donc il faut défendre les travailleurs dans tous les secteurs de l'activité nationale, donc la manifestation contre le général Ridgway n'est qu'une défense de l'intérêt ouvrier dans le secteur de la politique étrangère. Malheureusement, emporté par sa dialectique, Sartre oublie qu'il y a bien des manières de défendre les travailleurs dans tous les secteurs de l'activité nationale; il oublie surtout que le parti communiste subordonne systématiquement l'intérêt actuel des ouvriers, et les syndicats eux-mêmes, au parti, et, par conséquent, à l'Union soviétique, subordination étrangère à la tradition du mouvement ouvrier en Occident, que syndicalistes révolutionnaires, aussi bien que syndicalistes réformistes, ont toujours rejetée.
Lénine écrivait qu'abandonnés à eux-mêmes les ouvriers tendent à se soucier exclusivement des revendications immédiates. Il incombe aux intellectuels de donner aux prolétaires le sens de leur mission historique: non pas seulement améliorer leurs conditions de vie
hic et nunc
, mais renverser le capitalisme, et, en même temps que celui-ci, détruire les fondements de l'exploitation de l'homme par l'homme.
Les syndicats qui ont choisi contre la conception léniniste, c'est-à-dire ceux de tous les pays de capitalisme développé, ne s'en sont pas tenus aux revendications immédiates. Les syndicats allemands ont réclamé et partiellement obtenu la cogestion, les syndicats anglais discutent de la politique étrangère, les syndicats américains ne cessent de peser sur les partis, le Congrès, l'administration, en faveur des réformes qui intéressent la vie nationale dans tous les secteurs. En revanche, ils refusent tous de laisser le parti, même un parti ami, juge de la mesure dans laquelle l'action syndicale doit être soumise aux impératifs de la politique, ils refusent tous d'accepter les deux principes cardinaux du parti communiste: dans la phase prérévolutionnaire, c'est le parti qui dirige stratégie et tactique du syndicalisme, et, dans la phase postrévolutionnaire, le syndicalisme doit être aux ordres de l'État prolétarien. Donc la grève n'aura plus de sens et ne sera pas tolérée. Les syndicats, réformistes ou révolutionnaires, ne refusent pas seulement la soumission à Moscou, ils refusent de servir un parti qui, au lendemain de sa victoire, aggraverait toutes les rigueurs contre lesquelles il mobilise aujourd'hui les ouvriers.
J.-P. Sartre, soit par confusion d'esprit soit par demi-consciente mauvaise foi, se garde bien de prendre une position nette sur le conflit entre syndicalisme de type américain, anglais, scandinave, allemand, et le syndicalisme communiste. Il oppose la théorie des revendications immédiates, dont il montre triomphalement qu'elle est intenable, à la théorie du fait ouvrier total, le communisme n'étant qu'une modalité entre d'autres. Avec une admirable candeur, il démontre ce que tout le monde sait et il ne reconnaît pas ce qui est en question.
Les syndicats anglais, américains ou scandinaves hésiteraient à recourir à des grèves ou à des manifestations violentes pour contraindre le gouvernement. Pourquoi? Parce qu'ils ne traitent pas les ouvriers en troupes de choc d'un parti, et parce qu'ils ont le respect de la légalité démocratique.
Sartre, toujours en tête du mouvement des idées, nous répondra en citant les textes de Marx sur l'insuffisance de la démocratie formelle, ou ceux de Lénine sur
"la contradiction criante entre l'égalité formelle, proclamée par la démocratie, les capitalistes et les milliers de restrictions et d'artifices réels qui font des prolétariens des esclaves salariés"
. Personne n'ignore la contradiction entre égalité formelle et inégalités réelles, mais une telle contradiction existe dans toutes les sociétés connues, et nulle part elle n'est aussi criante qu'en U.R.S.S., où le prolétariat libéré est formellement maître de l'État, mais où les prolétaires réels ne peuvent ni choisir leur usine, ni aller d'une ville à l'autre sans autorisation, ni discuter leurs conditions de travail. Dans les pays capitalistes les plus avancés, les syndicats sont devenus une puissance dans l'État "démocratique", dont ils reconnaissent la légitimité, et l'ouvrier ne ressemble plus ni à la description qu'en faisait Marx ni à celle qu'en fait Sartre (
"À quelles conditions doit répondre une créature d'apparence humaine pour que nous puissions à la fois lui donner le titre d'homme et la traiter comme une bête?"
).
"Il ne s'agit, nous répondent les révolutionnaires des
Temps modernes
, ni des hauts salaires américains ni du socialisme scandinave, il s'agit de la France. Que vaut une légalité que la bourgeoisie viole en esprit par la loi électorale, dans la lettre par l'arrestation de Jacques Duclos, qu'elle liquiderait sans hésiter si le P.C. paraissait sur le point d'obtenir la majorité?"
La réponse est facile. Jacques Duclos a été libéré par un arrêt de justice (quel serait le sort des juges qui auraient mis en liberté Nicolas Petkov, en Bulgarie communiste?). Avant 1951, il y avait cent quatre-vingt-trois députés communistes: ils n'empêchaient pas davantage le gouvernement de mener la politique d'alliance atlantique que les communistes et Jean-Paul Sartre dénoncent comme une politique de guerre. La sous-représentation du parti communiste ne change rien à l'essentiel: une minorité a-t-elle le droit de chercher par la violence à empêcher la majorité de gouverner selon ses conceptions?
"Elle n'en a pas le droit, nous dit-on encore, dans le cadre de la société présente, mais elle veut détruire cette société et créer une autre légalité." Soit. Mais alors qu'on cesse de dénoncer les bourgeois qui ne respectent pas leur propre légalité. La démocratie est essentiellement un système de compétition pacifique en vue de l'exercice du pouvoir. Ceux qui refusent d'accepter les règles du jeu ne peuvent s'étonner que les partis et les hommes, condamnés par la loi de l'histoire, prennent quelque mesure de précaution. On découvre que
"le plus grand parti de France est séparé des autres partis par une barrière invisible"
. Comment en irait-il autrement alors que l'expérience de l'Europe orientale prouve qu'une fois au pouvoir le parti communiste liquide tous ses adversaires, y compris les socialistes de gauche?
Les syndicats réformistes et les partis socialistes jugent que la classe ouvrière et ses représentants sont en mesure d'acquérir, dans un système d'institutions représentatives, une influence suffisante pour transformer profondément la société capitaliste. Les communistes pensent que, dans le cadre de la légalité présente, aucune réforme sérieuse n'est possible et que la toute-puissance du parti communiste constitue la condition nécessaire et suffisante de la libération prolétarienne. Ils rejettent par principe l'idée première de la démocratie, selon laquelle la limitation du pouvoir par le pouvoir est la garantie, et la seule garantie, des libertés.
Ou bien l'on admet la première théorie, et alors on déplore les manifestations du type de celle du 28 mai. Ou bien l'on admet la deuxième, mais alors pourquoi s'indigner que les bourgeois, socialistes compris, ne poussent pas le respect de leurs principes jusqu'au suicide inclusivement?
Quand on a achevé la lecture de ces cinquante pages d'invectives, analyses, démonstrations, on ne se demande pas, comme Sartre lui-même: Qu'ai-je voulu prouver? mais: Pourquoi est-il en colère? Ceux qui posent l'équation: Union soviétique = Révolution ou prolétariat, s'accommodent de la subordination du parti français à Moscou (même quand M. Billoux les invite à soutenir les revendications nationales des Alsaciens et des Lorrains). Mais ceux - conservateurs, réactionnaires, douairières, valets de chambre ou socialistes - qui n'admettent pas cette égalité et font des réserves sur la solidarité entre le travail forcé et la libération de l'humanité, pourquoi ne seraient-ils pas satisfaits le jour où les ouvriers français refusent de manifester contre le général Ridgway, en dépit des mots d'ordre du P.C.? Et pourquoi Sartre éprouve-t-il le besoin d'écrire cinquante pages pour vitupérer, à grands renforts de métaphysique et de grossièretés, des commentaires qui, du
Figaro
à
Franc-Tireur
, étaient sans originalité?
La vérité est que Sartre a eu grand peur - bien plus peur que les bourgeois qui faisaient confiance à la police. Sartre a eu peur pour sa philosophie. Il est indispensable à sa conception du monde que prolétariat et parti communiste soient indissociables. La maladresse du bureau politique, la lassitude des travailleurs ont presque ébranlé le fondement de la politique existentialiste.
Le lien entre le prolétariat et le parti communiste peut s'entendre de deux manières. Ou bien il s'agit d'un fait observable: un grand nombre de prolétaires français, peut-être la majorité d'entre eux, votent pour des candidats communistes aux élections législatives ou aux élections pour les comités d'entreprise. Mais la clientèle du parti communiste n'est pas exclusivement ouvrière, et les autres partis, y compris le R.P.F., ont aussi une clientèle ouvrière. En tout cas, si l'on décrète que le parti communiste ne se sépare pas du prolétariat français parce que celui-ci vote en majorité pour celui-là, le même raisonnement rend, en Angleterre ou en Suède, le prolétariat inséparable du parti socialiste ou des syndicats réformistes.
Sartre tient donc en réserve une autre interprétation. La parenté entre prolétariat et communisme est autrement profonde; elle ne se ramène pas à une question de statistiques, concluantes aujourd'hui mais décevantes hier et peut-être de nouveau demain. Le communisme garde, d'après Sartre et aussi Merleau-Ponty, un titre particulier à la fidélité du prolétariat parce qu'il est seul à croire à la mission de ce dernier, mission de renverser le capitalisme et de promouvoir la libération de l'humanité entière en même temps que de lui-même.
Cette mission historique, Sartre et Merleau-Ponty l'ont découverte vers 1945 en lisant les ouvrages écrits par Marx dans sa jeunesse, vers 1844. Ils ont été éblouis par cette découverte et ils tiennent dur comme fer à une mission historique qui s'accorde médiocrement avec la philosophie existentialiste. Lénine, lui, ne s'embarrassait guère des sentiments des prolétaires en chair et en os. Il comptait sur les révolutionnaires professionnels pour prévenir la déviation économique du mouvement ouvrier. Sartre et Merleau-Ponty n'osent pas employer le même langage. Comme ils sont existentialistes et non hégéliens et qu'ils ont quelque mal à définir le sens de la totalité historique, il faut que la mission historique soit au moins pressentie par la conscience ouvrière, d'où la nécessité pour Sartre, profond connaisseur de l'âme prolétarienne, de démontrer que la violence ouvrière est spontanée. De plus, nous sommes en 1952 et non en 1845: les Staliniens, entre temps, ont prétendu réaliser la mission historique du prolétariat. Or Sartre ne veut ni affirmer ni nier absolument le lien entre la cause du prolétariat et celle de l'Union soviétique (le dernier mot n'est pas encore dit). Pour maintenir cette ambiguïté, il faut que le prolétariat français ne se reconnaisse pas d'autre défenseur que le parti communiste.
Un moralisme à sens unique
Marx écrivait en 1845, avant que se développe le mouvement ouvrier. La "mission du prolétariat" était l'expression demi mythologique d'un fait qui est partiellement réalisé un siècle après: la transformation de la condition ouvrière et humaine dans les sociétés industrielles. Nulle part, la révolution n'a amené la fin de l'exploitation de l'homme par l'homme ou la conversion de l'histoire, mais dans les pays de capitalisme développé ou de socialisme démocratique, le niveau de vie s'est élevé et les organisations ouvrières sont devenues une des principales formes sociales. En Union soviétique, une révolution faite au nom du prolétariat a donné la toute-puissance à une bureaucratie qui accomplit impitoyablement la tâche d'industrialisation que Marx regardait comme la fonction propre du capitalisme. En 1952, Sartre reprend la formule de la mission historique du prolétariat sans en préciser le sens concret, institutionnel. Auprès de la révolution dont il rêve, le réformisme du type scandinave lui semble pâle, la révolution stalinienne malgré tout un peu trop rouge. Mais cette révolution rêvée n'a-t-elle pas la perfection des "êtres de raison"? N'étant ni celle des réformistes, ni celle des Staliniens, n'est-elle pas surtout celle qui ne peut pas se produire, celle qui autorisera, indéfiniment, la révolte des intellectuels parce qu'elle ne mordra pas sur l'histoire?
D'où la situation paradoxale où Sartre se trouve. Il proclame que le parti communiste est l'interprète authentique du prolétariat. Les Staliniens le couvrent d'injures et l'injurient d'autant plus que lui-même injurie davantage les anticommunistes. Si les Staliniens le traitent plus mal encore, on se demande jusqu'à quelles extrémités le philosophe se laissera emporter dans sa polémique contre
Le Figaro
et
Franc-Tireur
. Il voudrait être aux côtés de ceux qui le repoussent, il déteste ceux qui l'accueilleraient. Anarchiste de tempérament, il a conservé de son enfance l'horreur des convenances qu'enseignent les parents, il déteste la bourgeoisie, au sens que les étudiants romantiques donnaient à ce mot. Il a été indifférent à la politique jusqu'en 1938 et il ne veut pas s'avouer qu'il rejette l'ordre actuel comme il rejetterait n'importe quel ordre social. La nouvelle bourgeoisie des dignitaires staliniens ne lui paraîtrait pas moins odieuse que la vieille bourgeoisie de Bouville. Quand la gloire vint et qu'il se crut obligé de lancer un message politique, il joignit des souvenirs de lecture, ses répulsions spontanées, les bons sentiments d'un universitaire républicain et une intransigeance de moraliste (qui est chez lui authentique et qui le rapproche, en dépit de tout, de son cousin Albert Schweitzer). Ayant adopté l'attitude la plus paradoxale historiquement, la moins significative, la plus liée à sa personne, il enjoint au monde d'imiter sa double négation, de se décider à n'être ni pour ni contre Staline. Il dénonce déjà les traîtres (à qui? à quoi?), il vaticine (
"On ne peut combattre la classe ouvrière sans devenir un ennemi de soi-même"
).
On a toujours connu des écrivains engagés et d'autres au-dessus de la mêlée. Les clercs ont hésité entre diverses attitudes dont chacune avait au moins une logique. Tel au nom des droits de l'homme dénonce les iniquités et les cruautés partout où elles sont commises. Tel adhère au parti révolutionnaire et, en prévision d'un avenir radieux, inconnu et inconnaissable, souscrit aux violences actuelles. Tel autre justifie l'effort humble, décevant, nécessaire, pour maintenir certaines libertés et hâter certaines réformes. Ce qui est déconcertant, c'est que des écrivains du niveau de Sartre décident avec fureur de jouer intellectuellement sur tous les tableaux et politiquement contre tous les partis, sans assumer aucune des servitudes de l'action. Ils invoquent la mission du prolétariat, mais rejettent les deux interprétations, réformiste et révolutionnaire, de cette mission. Ils se réclament d'une philosophie de l'histoire et aboutissent à un moralisme à sens unique, les souffrances des malheureux n'excitant leur pitié et les rigueurs de la police leur indignation que dans une moitié du monde. Ils commencent par l'engagement et finissent par l'évasion.
La psychologie du "génie solitaire" ou de la "secte littéraire" explique pour une part ces paradoxes. Mais, pour une autre part, c'est la réalité française qui les rend intelligibles. Les intellectuels de gauche n'y trouvent ni parti à rallier ni tâche à remplir.
La condition ouvrière s'est améliorée depuis un siècle, mais beaucoup moins que dans les pays anglo-saxons ou scandinaves. Aujourd'hui, le parti communiste empêche la formation d'une gauche non stalinienne. Mais c'est l'échec de la gauche non stalinienne, parti socialiste et syndicats réformistes, qui est en partie responsable de la mainmise communiste sur les organisations ouvrières. Il est absurde d'en conclure, comme le fait Sartre, qu'une gauche non stalinienne est, en tant que telle, partout et toujours impossible, alors qu'elle est une réalité dans la plus grande partie du monde occidental. En France, momentanément du moins, elle ne semble guère avoir de chances.
Est-ce à dire que la gauche non stalinienne représente le suprême espoir de la bourgeoisie? J'en doute fort. Il ne manque pas d'indépendants secrètement satisfaits que les communistes excluent de la communauté et du jeu politique vingt-cinq pour cent des votants (qui appartiennent à la gauche). Le révolutionnarisme verbal d'une fraction des intellectuels ne contredit pas le conservatisme borné d'une fraction de la bourgeoisie. Les deux phénomènes sont contrastés mais solidaires.
Les révolutionnaires du style de J.-P. Sartre n'ont jamais troublé le sommeil d'aucun banquier du monde.
Politique française Articles 1944-1977
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