L'économie de la paix algérienne
Le Figaro
23 mars 1962
Au cours des dernières années, alors que
l'opinion française s'interrogeait sur la politique à suivre en
Algérie, les arguments économiques ont été employés généreusement
par les uns et par les autres: quel était le coup de la guerre?
Quel serait le coût du dégagement?
La première question ne comporte pas de
réponse précise ou certaine. Les dépenses relatives à l'Algérie
sont réparties entre plusieurs chapitres du budget. Selon que l'on
calcule le coût brut ou le coût net, les chiffres diffèrent
considérablement. En effet, le coût net était l'écart entre ce que
le gouvernement français dépensait en Algérie et ce qu'il aurait
dépensé dans l'hypothèse où il n'y aurait pas eu de guerre. Or, il
est impossible d'établir rigoureusement ce qu'aurait été le budget
de défense nationale si l'Algérie avait été en paix ou ce qu'il
sera demain si l'on suppose la paix revenue. Malgré ces réserves,
les observateurs, privés ou publics, s'accordent sur les ordres de
grandeur: le coût brut se situait entre 7 à 8 milliards de nouveaux
francs vers 1957, probablement un peu plus, 8 à 9 milliards de NF,
en 1958 et en 1959. Pour l'ensemble, de 1954 à 1962, le total
s'élève à un chiffre compris entre 40 à 50 milliards de NF. L'ordre
de grandeur du coût net est inférieur au moins de moitié. Selon les
modes de calcul, on aboutit à 3 ou 4 milliards de NF en 1957, avec
une progression jusqu'en 1960, une diminution ensuite.
Ces chiffres confirment une proposition qui
m'a toujours paru indiscutable. La France était capable, sur le
plan économique, de poursuivre la guerre si elle en avait eu la
résolution et si elle avait jugé indispensable le maintien de
l'Algérie dans la République. Incontestablement, la guerre
d'Algérie a contribué à la crise des devises de 1957-1958, comme à
la crise inflationniste de 1956-1957. Mais les résultats obtenus
depuis 1958 par la nouvelle politique économique suffisent à
prouver que ces conséquences n'étaient pas inévitables et que la
guerre n'était pas incompatible avec l'expansion dans la
stabilité.
Quel sera le coût de la paix demain? Nul ne
peut le dire puisque nul ne sait comment évolueront les événements
au cours des mois et des années à venir. Quelques remarques
s'imposent pourtant à l'esprit.
Dans le meilleur cas, l'arrêt des
opérations réduira les dépenses publiques d'une somme à peu près
égale au coût net, donc tout au plus de 3 à 4 milliards de NF. En
fait, la réduction des dépenses sera moindre et elle n'interviendra
pas du jour au lendemain. Il serait illusoire d'imaginer que le
niveau des salaires en métropole pourra être sensiblement modifié
par suite du cessez-le-feu algérien.
Pour la suite, tout dépend, comme nous
l'avons dit dans un précédent article, des conditions dans
lesquelles s'organisera l'association entre la France et l'Algérie
indépendante. À n'en pas douter, les négociateurs français ont
pensé que l'intérêt économique contribuerait à maintenir les liens
entre les deux pays. "Pour contribuer de façon durable à la
continuité du développement économique et social de l'Algérie, la
France poursuivra son assistance technique et une aide financière
privilégiée. Pour une première période de trois ans, renouvelable,
cette aide sera fixée dans des conditions comparables et à un
niveau équivalent à ceux des programmes en cours." Ainsi est rédigé
l'article premier de la déclaration de principe relative à la
coopération économique et financière. Et l'article 2 indique que
l'aide financière et technique française s'appliquera notamment à
l'étude, à l'exécution ou au financement des projets
d'investissements publics ou privés présentés par les autorités
algériennes compétentes, à la formation des cadres et techniciens
algériens, à l'envoi de techniciens français. Cette aide pourra
revêtir, suivant le cas, la forme de prestations en nature, de
prêts, de contributions ou participations. Si les accords sont
appliqués selon la lettre et l'esprit, l'État français n'aurait pas
à financer le rapatriement des Français ou à les indemniser. Or
c'est le coût du rapatriement et de l'indemnisation que M. Alain
Peyrefitte, dans son livre(1), estimait à plus de 50 milliards de
NF.
Il n'est pas douteux que, au cas où
l'accord conclu ne serait pas respecté et où une fraction des
Français d'Algérie reviendraient dans la métropole, l'État devrait
assumer la charge de la reconversion et de l'indemnisation. Un
lecteur m'avait communiqué, à propos d'un récent article, des
chiffres relatifs à la République fédérale. Dès maintenant,
l'Allemagne de l'Ouest a dépensé plus de 80 milliards de NF pour
indemniser les réfugiés venus de l'Est (au nombre de plus de 10
millions), mais les payements au titre de la loi d'égalisation des
charges doivent se prolonger jusqu'en 1979.
Les chiffres allemands, si considérables
soient-ils, n'apparaissent pas du même ordre de grandeur que les 40
milliards de NF pour un million de réfugiés, qu'indique M.
Peyrefitte.
Espérons que ces calculs sur le coût du
rapatriement resteront théoriques. En tout cas, personne ne peut
douter que, pour la France comme pour l'Algérie, le respect des
accords ne soit, sur le plan économique comme sur le plan
politique, la solution de sagesse.
(1)
Faut-il partager l'Algérie?
par Alain Peyrefitte.