Adieu au gaullisme
Preuves
octobre 1961

"En Algérie, il y a une population qui depuis des années est dans la guerre, les meurtres et les attentats. Cette population constate que le régime établi à Paris ne peut pas résoudre les problèmes… Comment veut-on qu'à la longue cette population ne se soulève pas?" Ainsi s'exprimait, le 19 mai 1958, le général de Gaulle dans sa conférence de presse du Palais d'Orsay. Ainsi condamnait-il superbement la IVe République indifférent à la difficulté du problème à résoudre.
Un simple citoyen ne saurait prendre avec la réalité et les exigences de la justice autant de liberté que le plus illustre des Français. Mais en septembre 1961, après plus de trois ans de régime gaulliste, il "constate", lui aussi, que "les meurtres et les attentats" continuent, qu'après les deux rébellions de janvier 1960 et d'avril 1961, après l'échec des pourparlers de Melun, d'Évian et de Lugrin, après les événements de Bizerte, le problème est moins résolu que jamais. S'il existait un deuxième Français aussi convaincu que le Président de la République de sa propre grandeur et de la médiocrité de tous les autres, il n'aurait aucune peine à reprendre, contre le système de la Ve, le réquisitoire du solitaire de Colombey contre la IVe.
Le réquisitoire serait même incomparablement plus fort. Les hommes de la IVe étaient modestes, en public et en privé. La plupart d'entre eux n'ignoraient plus, en 1956, la nécessité de la "décolonisation", mais comment la faire accepter par l'opinion, par les Debré, Soustelle, Bidault et autres trublions d'un nationalisme plus ridicule que touchant, par les activistes et les ultras que le général de Gaulle, pour dire le moins, à l'époque, ne désavouait pas? Un Soustelle n'a jamais ignoré - il l'a dit et écrit - qu'il n'y avait, en Algérie, que deux politiques possibles (chacune comportant des modalités): ou traiter avec le F.L.N., ce qui signifiait, à plus ou moins brève échéance, l'indépendance de l'Algérie, ou continuer la "répression" ou "la guerre" au moins dix ans, quoi qu'il pût en coûter et quoi que pût dire le monde et, en ce cas, le meilleur mot d'ordre était celui de l'Algérie française.
Si le général de Gaulle ne reconnaissait pas cette alternative en 1958, que faut-il penser de sa clairvoyance? S'il ne l'ignorait pas mais si, pour revenir au pouvoir, il mettait au compte d'un régime (qui, il est vrai, n'était pas bon) ce qui tenait avant tout aux circonstances, il ne pouvait avoir qu'une excuse: le succès. Le choix de Michel Debré comme premier ministre, afin de mener à son terme la "décolonisation", était impardonnable s'il n'était pas suprêmement machiavélique. Encore une fois l'événement devait trancher.
En 1958, le monde entier, sauf la France, savait que l'Algérie serait indépendante mais il ne savait ni quand ni comment. En 1961, les Français n'ignorent plus l'aboutissement fatal, mais ils ne connaissent pas encore le chemin qui y conduit.
Il est des Français qui détestent assez le général de Gaulle pour se réjouir de son échec: je ne suis pas de ceux-là. J'ai désiré passionnément qu'il réussît, pour la France et pour lui. Parce qu'avec lui c'est la France, une fois de plus, qui échouerait, faute du courage nécessaire pour accomplir son destin.
Trois ans de stratégie gaulliste
Revenu au pouvoir à la faveur d'une émeute algérienne relayée par l'armée et canalisée ensuite par quelques gaullistes (dont les liaisons avec Colombey n'ont été ni démontrées ni démenties), le général de Gaulle, s'il pensait déjà ce qu'il pense aujourd'hui (ce que l'on se refuse à mettre en doute), trouvait dans les circonstances un appui et un obstacle. Le changement de régime prouvait au F.L.N. que les forces hostiles à une solution algérienne du type tunisien ou marocain étaient considérables, en Algérie et en métropole. En même temps, le général de Gaulle jouissait auprès des masses musulmanes d'un prestige auquel ne pouvait prétendre aucun de ses prédécesseurs, à l'Élysée ou à Matignon. Certes, il était aussi partiellement prisonnier de ceux qui avaient abattu la IVe République. Là était le prix qu'il devait payer pour l'utilisation de la "secousse", mais l'interlocuteur, si le F.L.N. était accepté pour tel, devait être moins intransigeant qu'il ne l'aurait été face à tout autre gouvernement français.
En d'autres termes, s'il ne donnait la décolonisation pour but, le général de Gaulle disposait de chances dont aucun autre n'aurait pu profiter: la durée prévisible de son règne, son autorité personnelle, les oppositions mêmes qu'il devait rencontrer, tout contribuait à rendre possible l'accord direct avec l'adversaire, incarnation du nationalisme, accord qui, presque dans tous les cas, a marqué une étape inévitable de la décolonisation. Mais, par un réflexe qu'il faut bien, après tant d'expériences, appeler français, le général de Gaulle n'a pas voulu admettre que la seule politique possible de décolonisation passait par les négociations politiques avec le F.L.N.
Les gouvernements de la France avaient proclamé successivement, en Indochine: "pas d'accord avec Ho Chi Minh"; en Tunisie "pas d'entente avec Bourguiba" (ce qui coûta quelques années de prison, après l'indépendance, au nationaliste modéré Tahar Ben Amar), au Maroc: "pas de retour sur le trône du sultan Ben Youssef". En Algérie, le général de Gaulle, au moins en privé, décréta maintes fois: je ne ferai pas moi-même du F.L.N. le gouvernement de l'Algérie. Et, comme ses prédécesseurs, il ne se résolut pas franchement à tenir pour hors de question ce qu'il faisait profession d'écarter. En d'autres termes, il ne voulait pas "reconnaître" le F.L.N. ni négocier avec lui d'une manière qui entraînât implicitement reconnaissance, mais, simultanément, il souhaitait des pourparlers en vue d'arrêter les opérations militaires.
En septembre 1958, après les entretiens de deux "intermédiaires" avec les dirigeants du F.L.N., celui qu n'était alors que le chef du gouvernement offrit solennellement la "paix des braves", autrement dit il invitait les combattants du maquis à cesser le combat en leur promettant un traitement honorable et une "Algérie nouvelle" qui répondait à leurs aspirations. Les parlementaires de la IVe République, quelques mois auparavant, avaient accordé au général de Gaulle ce que celui-ci se plaît à qualifier "pouvoir d'arbitrage". Le F.L.N. se montra parfaitement insensible à une action thaumaturgique et les événements suivirent leur cours.
La stratégie du général de Gaulle, au cours des années suivantes, se décompose en trois sortes de mesures. Sur place, l'armée a l'ordre de poursuivre la pacification, de détruire les bandes organisées, de rétablir, si possible, la sécurité. En même temps, les autorités civiles ont mission de rendre l'Algérie de plus en plus algérienne, de peupler l'administration de musulmans, de favoriser la promotion des musulmans déjà dans les cadres, de recruter localement une élite nouvelle. Cette double action militaire et administrative pouvait s'insérer aussi bien dans une politique ayant pour fin "l'Algérie française" que dans une politique visant une Algérie autonome ou indépendante (mais étroitement liée à la France).
À partir de septembre 1959, les discours du général de Gaulle suggèrent, de plus en plus clairement, que son choix personnel favorisera le deuxième terme de l'alternative. Ayant proclamé le principe d'autodétermination, énuméré les trois solutions entre lesquelles le peuple algérien choisira - sécession, intégration, association -, il se défend de prendre parti puisque le choix appartient aux Algériens eux-mêmes, mais le simple fait qu'il offre le choix suffit à prouver qu'il ne croit pas à l'intégration ou à l'Algérie française (et les partisans de cette dernière formule, Jacques Soustelle tout le premier, ne s'y trompent pas). Si l'on veut que les Algériens soient français, qu'ils se considèrent comme français, qu'ils ne se solidarisent pas avec les combattants du maquis, il ne faut pas les transformer en "apatrides à titre provisoire", leur enlever la nationalité qu'ils possèdent depuis plus d'un siècle sous prétexte de les laisser libres de forger eux-mêmes leur destin. Accorder à ceux qui habitent une province du territoire national le droit d'autodétermination, c'est admettre et, du même coup, préparer la sécession.
Ainsi raisonnent ceux des Français d'Algérie, des officiers, des conspirateurs du 13 mai qui avaient cru aux mots d'ordre au nom desquels la IVe République avait été abattue plus qu'à l'homme qui, tel Louis-Philippe en 1830, avait été le profiteur de la révolution. Mais si, par ses discours, le général de Gaulle se détachait de ceux qui l'avaient fait roi, s'il habituait l'opinion métropolitaine à l'idée d'une Algérie algérienne, le troisième volet du triptyque - les modalités de l'autodétermination - garantissait le refus du F.L.N. Car sous une autre forme que Guy Mollet en 1956 ou que lui-même en 1958, le général de Gaulle continuait d'exiger la fin des combats avant toute négociation proprement politique. Cessez-le-feu, élections, négociations, avait dit le chef du parti socialiste. Cessez-le-feu, apaisement, autodétermination, déclarait maintenant le Président de la Ve République. Les formules n'étaient pas les mêmes. Sous le régime nouveau, la pacification par les armes (pas plus de 200 victimes d'attentats par an) pouvait suppléer au consentement du F.L.N. L'autodétermination n'impliquait pas les "liens indissolubles" entre l'Algérie et la France. Mais la communauté subsistait sur un point essentiel: le chef socialiste comme le Président de la République entendaient que
les nationalistes algériens consentissent à s'intégrer à un procès historique dont la France déterminerait le cadre et l'allure
. C'est la France généreuse qui octroyait le droit à l'indépendance, elle ne se laissait rien arracher, elle ne s'abaissait pas à marchander.
Ces trois sortes de mesures furent appliquées - et continuent de l'être au moment où nous écrivons - depuis septembre 1959. La semaine des barricades d'Alger, la sédition des généraux d'avril 1961, furent des épisodes spectaculaires de l'indignation que la masse des Français d'Algérie et la majorité des officiers éprouvent à l'égard d'une politique qui - nul n'en doute - débouche sur une Algérie indépendante. Mais cette politique, - ce qui est un comble - n'atteint pas son objectif principal, qui est de rétablir la paix et de permettre le rapatriement en France du gros de l'armée. Pourtant sur chacune des trois voies qu'il avait ouvertes - pacification sur le terrain, décolonisation en discours, avances au F.L.N. - le général de Gaulle est allé loin.
À en croire les bulletins de l'état-major français, avant la trêve unilatérale proclamée aux premiers jours des pourparlers d'Évian, une partie du territoire algérien était pratiquement pacifiée; nulle part l'A.L.N. n'opérait en bandes organisées; la victoire militaire, dans la mesure où ce mot a une signification dans ces sortes de guerres, était toute proche. Mais la résolution du général de Gaulle d'accorder après la victoire (ou la quasi ou la pseudo-victoire) ce qui avait constitué, au point de départ, l'enjeu de la guerre ne s'embarrassait plus de circonlocutions prudentes. La France épousait son siècle: or l'empire n'appartient pas à ce siècle. Il est renvoyé, avec la lampe à huile et la marine à voile, aux splendeurs éteintes de la belle époque. "Victoire militaire" et "abandon distingué" permettent la négociation avec le F.L.N., ils n'autorisent pas à en faire le gouvernement de l'Algérie.
Ce n'est pas que les exigences, d'abord hautaines (les couteaux au vestiaire), n'aient été peu à peu assouplies. À Melun, on ne laissa même pas aux délégués du G.P.R.A., le loisir de discuter les propositions françaises relatives aux modalités des futures conversations. C'était à prendre ou à laisser; évidemment ce fut laissé. À Évian, les couteaux ne furent pas remis au vestiaire et pourtant la conversation fut engagée. Puis, un jour, à la grande surprise des deux délégations, le général de Gaulle eut un accès d'humeur et décida que la phase exploratrice avait trop duré. À Lugrin, la négociation achoppa sur la question du Sahara, mais les propos de M. Joxe avaient été suffisamment suggestifs: Krim Belkacem, s'il avait voulu ou pu négocier un règlement d'ensemble, avait une chance d'obtenir à la fin ce qui ne lui avait pas été concédé au début de la conversation. À Melun, c'est le général de Gaulle qui (pour des raisons que j'ignore) a organisé l'échec. À Évian, il a pris l'initiative de l'ajournement. À Lugrin, alors que les parachutistes et les Tunisiens étaient aux prises, c'est le F.L.N. qui a été responsable de la rupture.
Entre 1958 et 1961, en dépit des "succès" militaires, la situation s'est gravement dégradée, par la faute du général de Gaulle lui-même et par la faute du temps. Sous prétexte que la France "ne s'abaisse pas à marchander", le Président de la République avait concédé l'essentiel sans rien obtenir en contre-partie. Du jour où il accordait aux Algériens l'autodétermination, il disqualifiait le combat de la France et justifiait celui des nationalistes. Ceux-ci avaient dit et répété, les armes à la main: les Algériens ne sont pas français. Le droit, solennellement proclamé, à l'autodétermination équivalait à leur donner raison. Au lieu de chercher à obtenir la fin des combats en promettant l'autodétermination en contre-partie, au lieu de faire de l'autodétermination un élément de la négociation, le général de Gaulle commettait la double erreur de donner sans recevoir et de donner dans le style le mieux fait pour irriter des hommes humiliés, le style du supérieur qui octroie et non celui de l'égal qui discute.
À mesure que le temps passait, les dirigeants du F.L.N. découvraient le monde et les ressources qu'offrent la rivalité des deux blocs et le soutien des non-engagés à n'importe quel parti révolutionnaire en quête de l'indépendance. Reconnu comme gouvernement par les pays arabes, accueilli à Pékin et à Moscou, le G.P.R.A. avait, en 1961, une conscience de sa force politique qu'il n'avait pas encore en 1958. Durant les premières années de la rébellion, les militants du parti communiste étaient traités en suspects. L'univers du F.L.N. était délimité par les relations entre Le Caire, Paris, Tunis, Alger, Rabat, à la rigueur Washington. Nos ultras d'Alger et de Paris, nos officiers héroïques sont restés provinciaux. Leurs adversaires, hors de leur patrie, traitent les Salan et les Lagaillarde avec le mépris que méritent les petites cervelles.
Le général de Gaulle avait-il, entre 1958 et 1961, une bonne chance de traiter avec le F.L.N.? Encore que toute réponse à une question de cet ordre doive rester hypothétique, j'ai cru et je continue de croire qu'entre l'automne 1958 et l'automne 1960, il pouvait traiter à condition, bien évidemment, d'accepter que l'Algérie évoluât rapidement vers l'indépendance et qu'elle fût gouvernée par le F.L.N. (non pas du jour au lendemain). Mais, pour réussir, il devait faire l'inverse de ce qu'il a fait, octroyer moins et marchander plus, ne pas prétendre imposer à l'adversaire la procédure de la décolonisation, avoir le courage de reconnaître que celle-ci signifie la fin du monologue, même si la volonté de l'ancien maître se fait volonté de retraite. On ne décolonise pas dans le style de Louis XIV.
À s'en tenir au troisième tome des Mémoires, le Président du gouvernement provisoire était déjà convaincu, en 1945, de la nécessité de conduire les peuples coloniaux à la liberté. Mais c'est le même homme qui au moment de la crise de Syrie déclare à l'ambassadeur de Sa Majesté britannique qu'il ferait la guerre à la Grande-Bretagne s'il en avait les moyens. Déjà, à l'époque, le général de Gaulle consentait à "l'abandon" (indépendance de la Syrie et du Liban) mais il entendait déterminer lui-même la manière du départ et garder des bases. M. Bidault aurait fait jusqu'au bout la guerre pour sauver l'empire français. Le général de Gaulle fait la guerre pour sauver le style de l'abandon.
La bataille de Bizerte, quelques jours après le discours à la gloire de la décolonisation, illustre le glissement, toujours possible, de la mégalomanie à l'égarement. Aucun régime d'assemblée n'aurait pu accomplir, en fait d'incohérence le tour de force réussi sans peine par l'amour-propre d'un homme, investi d'un pouvoir absolu. Le Président Bourguiba, en répondant à l'invitation du Président de la République, en se portant garant du "libéralisme décolonisateur" de son hôte, s'était dangereusement exposé. Il revendiquait vainement, contre le F.L.N., un fragment du Sahara. Il n'était pas invité à la conférence des pays non-engagés. Il avait besoin, après l'échec d'Évian et l'éventualité de la poursuite de la guerre, d'un succès "national". Le Combattant suprême devait, l'espace de quelques discours, redorer son blason de combattant.
N'importe quel ministre de la IVe République, si médiocre fût-il, aurait compris la situation de l'adversaire-partenaire et, après un "baroud diplomatique d'honneur", lui aurait donné quelques satisfactions, en cas de besoin lui aurait promis l'évacuation de Bizerte, ce qui ne constituait pas une véritable concession, puisque la souveraineté tunisienne sur Bizerte n'était pas mise en question par le gouvernement français. Au début de juillet, le général de Gaulle, personnellement, rejeta la suprême demande du Président tunisien, sous prétexte que celui-ci avait entrepris la mobilisation des civils et des militaires (
octroyer mais non se laisser arracher
). Une fois de plus, il mettait le style au-dessus de la substance. "Donner une leçon à Bourguiba" ne présentait pas de difficultés. Entre les troupes tunisiennes et trois régiments de parachutistes, la partie n'était pas égale. Mais si Bourguiba recevait une leçon, le bourguibisme, lui, recevait le coup de grâce. Voilà comment l'Occident traitait ses amis, les nationalismes qui avaient combattu pour la libération de leur peuple mais voulu maintenir l'amitié avec les ex-colonisateurs. Un succès militaire sans gloire équivalait à un désastre sans raison.
C'est Bourguiba, objectera-t-on, qui a donné l'ordre de tirer: nos troupes ne pouvaient pas ne pas répliquer. Bien sûr, l'initiative a été prise par Bourguiba qui l'a publiquement avoué. Mais c'est le gouvernement français qui a refusé obstinément de négocier sur l'évacuation de la base et qui a même rejeté des demandes très modérées. C'est par des concessions avant le premier coup de feu que cette bataille insensée pour les deux camps aurait été évitée. Et la violence de la riposte, la bataille de rue, l'occupation de Bizerte à coup de roquettes et d'obus allaient au-delà des exigences de la sécurité des communications entre les éléments de la base. Quelqu'un, à l'Élysée ou à Matignon, a voulu ces lauriers de pacotille.
Le seul résultat certain de la "victoire" de Bizerte, c'est que la France "perdra" cette base prétendument indispensable. Il y a deux ans, Bourguiba envisageait un accord de longue durée avec l'OTAN sinon avec la France. Mais le général de Gaulle qui sur ce point n'épouse pas son siècle, n'aime guère plus le "machin atlantique" que le "machin onusien". Au reste, la base, qui n'est ni unifiée, ni séparée de l'arrière-pays, est indéfendable, si ce dernier est hostile, inutile en temps de paix comme en temps de guerre. Les ministres qui répètent sans y croire les arguments du Président et du premier ministre, n'ignorent pas les notes de l'état-major général, qui réfutent leurs propos. Ministres, fonctionnaires, journalistes, sont désormais contraints d'agir, de parler, d'écrire contre leurs convictions. Ils recommencent, comme en des temps plus malheureux, à présenter deux faces et à tenir deux langages.
La victoire de Bizerte n'a pas pour autant réconcilié les officiers avec le chef des armées. La crise morale est plus grave qu'en 1958, plus grave même qu'à la veille de la sédition d'avril 1961. Il va de soi que la responsabilité n'en incombe pas au général de Gaulle. Que les officiers français se réservent désormais le droit de juger les ordres qu'ils reçoivent, qu'en cas de putsch, ils se rallient ou s'abstiennent ou s'opposent mais n'envisagent pas de défendre la légalité par la force, c'est là l'héritage de vingt années: dissidence "héroïque" du général de Gaulle, obéissance "criminelle" au maréchal Pétain, "sale guerre" en Indochine, "politisation" par le fait de livrer une guerre subversive, désir passionné d'une "victoire", confusion du F.L.N. et du communisme (confusion qui était fausse en 1954 mais qui le devient de moins en moins, par le mécanisme bien connu des
self-fulfilling prophecies
), ce passé tragique a été maintes fois évoqué. Mais le général de Gaulle mettait au compte du précédent régime le "trouble de l'armée du combat". Il nous faut bien "constater" l'échec.
Quoi qu'on en dise, la plupart des officiers français n'étaient pas incapables de comprendre et d'accepter la logique de la "décolonisation". Mais ils en veulent au général de Gaulle de les avoir par deux fois "trompés". Une première fois, en 1958, celui-ci se prêta à l'opération dirigée contre la IVe République et laissa les hommes qui se réclamaient de lui, Delbecque, Debré, prendre en toute bonne foi des engagements solennels que lui-même n'était pas résolu à tenir. Une deuxième fois, au cours de la tournée des popotes, après la semaine des barricades, il répéta aux officiers qu'il fallait aller chercher les armes si celles-ci n'étaient pas rendues et que l'armée française présiderait à l'autodétermination. Plus que jamais, la mission de l'armée était de gagner les populations, de préparer une Algérie algérienne et non une Algérie dans laquelle ceux qui se seraient compromis avec les Français seraient livrés aux représailles du F.L.N. En Indochine, au Maroc, en Algérie, la résistance aux nationalistes exigeait le recrutement d'"amis de la France". Le jour où, par lassitude ou par nécessité, la France s'en va, les officiers ont le sentiment de trahir ceux qui se sont battus à nos côtés.
La justification "cartiériste" de la décolonisation, n'est pas de nature à convaincre les officiers qui, par profession, ne peuvent tenir pour décisives les considérations économiques. De plus, si le général de Gaulle a toujours pensé ce qu'il pense aujourd'hui, pourquoi a-t-il pris pour premier collaborateur l'homme de la colère qui dénonçait "les libéraux" dont le crime était de vouloir faire, quand il en était temps encore, ce que lui-même veut faire? Épouser le siècle, c'est aussi comprendre que les gouvernés sont des citoyens et non des sujets, qu'ils veulent bien se battre mais savoir pourquoi, qu'ils veulent bien acclamer comme une victoire ou déplorer comme une défaite la perte d'une colonie mais qu'ils ne veulent pas se battre pour éviter une victoire (si l'abandon est une victoire) ou acclamer une perte douloureuse. En termes économiques et en comptabilité globale, moins la France dispersera ses investissements au dehors, plus vite progressera le bien-être. L'hexagone est vaste, à l'échelle du XXe siècle, pour quarante-cinq millions de Français. La modernisation de la Bretagne peut être accélérée par l'abandon de l'Algérie. Mais cet argument, valable contre ceux qui annonçaient des catastrophes au cas où la France perdrait la souveraineté sur l'Algérie, ne suffit pas à commander une politique. C'est le nationalisme algérien, c'est la lutte du F.L.N. qui ont fini par convaincre ou contraindre l'opinion française. Le nationalisme algérien défend une cause juste, dans la mesure où il est authentique, et, même s'il n'est pas unanime, il est assez fort pour interdire le rétablissement de la paix et rendre inévitable, en dernière instance, le consentement français à l'indépendance. Au XXe siècle, pour se maintenir contre la volonté des populations, il faut la puissance et la brutalité de l'Union Soviétique.
Mais si "l'abandon" est inévitable, il est douloureux pour la minorité française, plus sensible à sa comptabilité particulière qu'à la comptabilité globale, pour les officiers qui se sont tant et vainement battus, pour le pays lui-même qui ne serait pas fier d'obéir à des calculs d'intérêt et se reproche d'avoir été aussi longtemps aveugle, il est douloureux enfin pour le chef de l'État qui le veut conforme à l'idée qu'il se fait de la France et de lui-même. L'Algérie associée à la France, la minorité française demeurant le levain de l'Algérie indépendante, bien sûr, la solution serait la meilleure pour les "ennemis complémentaires". Mais le F.L.N. désormais veut une révolution sociale au-delà de la libération nationale. Il veut lui aussi être non-engagé, c'est-à-dire ne pas donner de bases militaires à un pays appartenant au bloc atlantique. Comment le général de Gaulle espère-t-il amener le F.L.N. à souscrire à sa solution? Sur quels moyens compte-t-il?
Il n'a consenti à s'asseoir à la table des négociations qu'après s'être minutieusement dépouillé de toutes ses cartes: rien dans les mains, rien dans les poches. Alors que faire si le G.P.R.A. exige le Sahara et refuse Mers-el-Kébir?
Les perspectives
Une entente avec le G.P.R.A. n'est pas radicalement exclue, mais on ne peut se faire d'illusion sur ce qu'en seraient les conditions. Le G.P.R.A souhaite une exploitation en commun des richesses algériennes et il ne souhaite pas que la minorité française parte massivement du jour au lendemain. À condition que la souveraineté algérienne sur le Sahara soit reconnue, il fera ce que les négociateurs seront en droit de regarder et de présenter au public français comme des concessions économiques. De même, il offrira certaines garanties pour la minorité européenne, certainement pas une collaboration organique des communautés du type libanais ou cypriote. La situation, d'ailleurs, est en Algérie essentiellement autre. Au Liban et à Chypre, les deux communautés sont juxtaposées, chacune d'elles comprend l'ensemble de la hiérarchie sociale, l'ensemble des activités constitutives d'une société. La minorité européenne constitue au moins 80% de la classe privilégiée de la population algérienne entière, elle possède ou possédait au moins 80% du capital, des postes de direction économique, intellectuelle, politique. Le bouleversement social qu'entraînera fatalement l'accession à l'indépendance ne peut marquer de porter atteinte à des intérêts, même légitimes. Les nationalistes algériens veulent édifier un État unitaire, du type jacobin bien plutôt qu'islamique, ils n'accorderont pas à une minorité, héritière de la situation coloniale, un droit de veto sur les décisions des gouvernements ou des assemblées, ils ne lui reconnaîtront même pas une existence autonome, inscrite dans la Constitution.
Enfin, après les événements de Bizerte, il faut beaucoup d'illusions pour imaginer que les représentants de ceux qui se battent s'engageront pour l'avenir à laisser à la France l'utilisation de la base de Mers-el-Kébir. Pourquoi y consentiraient-ils? La France fait partie de l'OTAN, c'est-à-dire d'un bloc que les Soviétiques appellent agressif. Tout État nouveau a intérêt à ne pas prendre parti pour l'un ou l'autre des blocs. En accordant une base militaire à la France, la République algérienne prendrait parti pour le bloc atlantique - prise de position qui ne s'accorderait guère avec les sentiments que les sept dernières années ont dû éveiller dans le cœur des nationalistes algériens.
J'entends déjà le lecteur s'écrier avec indignation: mais vous énumérez les conditions que posera le F.L.N., que faites-vous des conditions française? Hélas, c'est le vainqueur qui pose ses conditions, ou, si vous préférez une expression moins blessante à nos sensibilités, c'est celui qui désire le plus la paix qui accepte les conditions de celui qui est prêt à continuer le combat. Les nationalistes algériens ont peut-être perdu toutes les batailles sur le terrain, ils ont gagné la guerre puisque le gouvernement français a reconnu que leur revendication était juste, s'est déclaré prêt à la satisfaire et souhaite le "dégagement".
C'est donc le gouvernement qui a perdu politiquement la guerre que les soldats gagnaient militairement? Oui et non. Militairement, l'A.L.N. n'avait d'autre objectif que de survivre. Ne pas disparaître, interdire le retour à l'ordre, telle était sa mission. Si elle avait pu conquérir une partie du territoire, organiser des troupes régulières et préparer ce que Mao Tsé-toung appelle la contre-attaque généralisée, le succès aurait été plus grand. Mais ce succès supplémentaire n'était pas indispensable. Si l'A.L.N. parvenait à retenir 400.000 soldats français en Algérie, elle donnait au G.P.R.A. la "victoire militaire" dont ce dernier avait besoin. Car il était prévisible qu'à la longue le peuple français se lasserait d'une guerre dont la durée même démontrait l'injustice.
Les ultras capables de raison, Jacques Soustelle par exemple, prétendent que la victoire était possible à la seule condition que le gouvernement fût résolu à ne jamais concéder la défaite, autrement dit à ne jamais mettre en doute la souveraineté française sur l'Algérie. Dans le monde actuel, disait-il, toute autonomie algérienne conduira à l'indépendance et tout aveu du caractère non français de l'Algérie rendra l'autonomie inévitable. La proclamation du droit à l'autodétermination était donc la première étape sur la route dont la sécession marque le terme fatal. Mon analyse ne diffère pas de celle de Soustelle, mais nos conclusions sont opposées: j'en avais conclu qu'il fallait négocier avec le F.L.N. le plus tôt possible, en acceptant que l'indépendance en résultât. Il en concluait à la nécessité de "l'Algérie française", comme mot d'ordre et comme but.
Les événements lui ont donné tort et m'ont donné raison, mais il plaide que les événements sont imputables à des hommes, ses compagnons, Charles de Gaulle ou Michel Debré, qui ont trahi le serment de mai 1958. Je lui réponds qu'au milieu du XXe siècle, la politique d'Algérie française, combattue par le monde islamique en ferment, par le bloc soviétique et même par l'anticolonialisme diffus à travers les pays atlantiques, n'avait aucune chance de succès et conduisait la France à une tragédie nationale.
Il n'est malheureusement pas encore démontré que l'autre politique, telle du moins qu'elle a été menée, évite la tragédie. La paix au terme de négociations entre les deux gouvernements exigerait soit un accord sur le régime final et sur le régime transitoire. Personnellement, je considérais, à la veille des pourparlers d'Évian, que la meilleure méthode, au fond la seule qui offrit une réelle chance de succès, était de limiter la discussion à la période transitoire, de chercher un accord sur un gouvernement, une administration, une force de sécurité mixtes jusqu'au vote sur le destin final de l'Algérie. Une association provisoire de fait était le seul moyen, le dernier moyen de la France d'aboutir à une association légale et permanente.
Je ne sais si cette tentative aurait réussi. Elle n'a pas été faite. Il faut donc supposer le double accord, sur le court terme et le long terme, sur les mesures d'apaisement, sur les modalités de l'autodétermination, sur les garanties qu'offre le G.P.R.A. (qui n'est pas reconnu comme un gouvernement provisoire). Il reste peu de temps pour une telle tentative.
Le gouvernement français garde trois autres cartes à jouer, celle de l'exécutif algérien, celle du regroupement en vue de l'évacuation, celle du regroupement en vue d'un partage durable. J'avoue ne pas croire à l'efficacité de la politique qui pourrait être appelée "l'Algérie algérienne sans le F.L.N.". Il n'y a guère d'exemple que la puissance coloniale ait pu, au milieu même de la "guerre de Libération" trouver au nationalisme une incarnation de remplacement, faire surgir un interlocuteur sur commande qui exprime et canalise à la fois l'aspiration populaire à l'indépendance. Au Vietnam il était possible de trouver un "nationalisme non communiste", ce qui aboutissait au partage. À Madagascar, les chefs de l'insurrection, réprimée en 1948, n'avaient pas encore derrière eux un mouvement fort et cohérent. À défaut des premiers révolutionnaires hovas, les dirigeants modérés sont sortis d'autres fractions du peuple malgache. Le peuple algérien n'est pas homogène en fait de culture, mais les nationalistes sont assez unis contre la domination française pour qu'il soit impossible de jouer des Arabes contre les Kabyles ou des Kabyles contre les Arabes. Quant aux modérés contre les extrémistes du F.L.N., ils n'auraient eu une chance qu'en 1955 ou 1956, alors que le F.L.N. ne s'était pas encore imposé à l'ensemble de la population algérienne comme l'interprète valable du nationalisme. Aujourd'hui un exécutif algérien serait d'autant moins capable de suppléer à un accord avec le F.L.N., de faire pression sur celui-ci ou de s'imposer contre lui que le gouvernement français se refuse à un choix catégorique. L'exécutif algérien serait, selon la formule consacrée, le train mis sur les rails avec la possibilité permanente d'y accrocher le wagon du F.L.N. Mais ce que le F.L.N. refuse, c'est que la France reste maîtresse de la voie et du train, même si, à la gare d'arrivée, les passagers du dernier wagon (celui du F.L.N.) s'emparent du convoi tout entier. L'exécutif algérien n'est pas une politique différente de celle de l'accord avec le F.L.N., mais un moyen, d'efficacité douteuse, d'arriver à cet accord.
Que vaut la politique du regroupement, à titre provisoire ou définitif? La quasi-unanimité des Français d'Algérie - y compris les plus libéraux d'entre eux - sont hostiles à toute formule de partage. Leur argumentation est à peu près la suivante: bien que la densité du peuplement européen soit très inégale, il n'y a pas de région où la majorité soit européenne (même le grand Alger a désormais une majorité musulmane). Toute tentative pour créer, de l'autre côté de la Méditerranée, une République française d'Algérie, exigerait des transferts de population et prolongerait la guerre. Car les nationalistes algériens ne laisseraient ni Alger ni Oran sous la souveraineté française. De plus, comme on évoque désormais en métropole l'importance vitale du Sahara pour justifier la poursuite de la lutte, les autorités françaises se croiront obligées de joindre "l'accès au Sahara" au territoire de la République sur lequel flottera le drapeau tricolore. Dira-t-on qu'il ne s'agit, là encore, que de forcer le F.L.N. à un accord raisonnable? Soit, mais alors il faut être prêt à rendre le "regroupement" durable. Si le regroupement est présenté comme une préface à l'évacuation totale, avec l'espoir que le F.L.N. redoutera le chaos dans lequel sombrerait l'Algérie recevant 350.000 travailleurs retour de France et privée subitement d'un million d'Européens, on se trompe: des révolutionnaires ne craignent pas le chaos et ils craignent moins encore une évacuation totale, contradictoire avec les affirmations officielles que la France ne peut se passer ni du Sahara ni de Mers-el-Kébir.
Le partage provisoire, en tout état de cause, débouche au bout d'un certain temps, soit sur un accord franco-algérien soit sur une guerre chaude entre les deux Républiques installées en terre algérienne. Comme les nationalistes algériens n'accepteraient pas le partage, même si la France offrait une aide généreuse à la République algérienne, cette politique revient à substituer à l'effort pour pacifier l'Algérie entière l'effort pour maintenir la sécurité, aux frontières et à l'intérieur, d'un territoire séparé arbitrairement de l'ensemble algérien. Il n'est pas sûr que ce dernier effort serait moins coûteux que le premier.
Malgré tout, aucun gouvernement, après plus de sept années de guerre, n'osera dire au peuple français: nous nous sommes trompés, au bout du compte, l'Algérie ne nous intéresse pas; que les Algériens aillent au diable. Dès lors, si le G.P.R.A. veut obtenir non pas seulement l'indépendance de l'Algérie (qui lui est acquise), non pas seulement la souveraineté sur le Sahara (qui lui sera concédée d'une manière ou d'une autre), non pas seulement la garantie que l'Algérie sera gouvernée un jour par lui (ce dont personne ne doute plus) mais le pouvoir immédiat, sans réserve et sans garantie, alors il faudra chercher une issue au moins provisoire.
La conjoncture politique
Rien n'est plus difficile que de faire le point de la conjoncture politique, à la fin des vacances de 1961. Elle est dominée, en effet, par plusieurs faits, non rattachés l'un à l'autre, chacun visible à tous, mais de portée encore mal définie: l'armée secrète (O.A.S.), le mécontentement paysan, le peu d'autorité du régime (le général de Gaulle exclu), la prospérité générale de l'économie.
J'ai toujours tendance à sous-estimer les chances des faiseurs de coup d'État. Même en 1958, je croyais, probablement à tort, que la IVe République était encore capable de se défendre. En avril 1961, apprenant la prise du pouvoir, à Alger, par les quatre généraux, je les ai tenus pour aliénés et je les jouais battus d'avance. Aujourd'hui je prends l'O.A.S. au sérieux, je la crois capable de faire du mal, mais je ne la crois pas capable de s'emparer de l'État.
Un coup d'État, cette fois, ne pourrait être tenté de l'autre côté de la Méditerranée. Même les généraux et colonels qui jouent aux conspirateurs savent que le pouvoir à Paris ne s'écroulera pas si l'Alger, une fois de plus, est aux mains des "patriotes". Il leur faut prendre les bâtiments publics de l'Élysée, de Matignon, de la Radio et de la Télévision, éliminer d'un coup le général de Gaulle, les principaux ministres, et compter, en cette éventualité, sur la sympathie de l'armée et la neutralité de la police. Je ne crois guère à la possibilité du succès d'une entreprise aussi complexe. Certes, un attentat contre une personne n'est jamais exclu et la réussite en est possible si l'exécutant accepte n'importe quel risque. Mais si nous écartons l'hypothèse de la disparition soudaine du Président de la République, je doute fort que l'O.A.S. puisse appliquer avec succès la technique du coup d'État (toute autre technique est exclue puisque l'O.A.S. est dans la clandestinité et ne peut mettre les masses en mouvement).
Malheureusement, l'improbabilité du succès ne permet pas encore de prévision sur les événements. La campagne de plastic peut prendre pour cibles des hommes et non plus des antichambres. Le régime ne tombera pas si des hommes publics, des écrivains ou des journalistes, dit libéraux, sont assassinés, mais la demi-solidarité d'une fraction des officiers avec l'O.A.S. deviendra intolérable le jour où l'organisation clandestine ne reculera plus devant les formes extrêmes du terrorisme.
Les troupes que les adversaires du régime n'ont pas - en dehors de commandos civils - les paysans vont-ils les fournir? Jusqu'à présent, les manifestations, même violentes, des paysans, de la Bretagne au Languedoc, sont restées apolitiques. Ni les organisations, ni les militants ne se réclamaient d'un parti et ne s'en prenaient au régime. Bien sûr Michel Debré était brûlé en effigie, mais il s'agit là d'un rite qui remonte aux sociétés archaïques. Le roi dont la popularité et le prestige ne doivent pas souffrir des incidents quotidiens a toujours auprès de lui un double, ministre ou bouffon, qui sert de bouc émissaire et encaisse les contrecoups des déceptions et des ressentiments. Grâce au progrès de la civilisation, l'effigie seule est désormais brûlée.
La politisation de l'agitation paysanne est-elle probable? Si elle s'accomplit, l'O.A.S. en sera-t-elle bénéficiaire? À la première question, je suis tenté de donner avec hésitation une réponse positive, à la deuxième, avec les mêmes hésitations, une réponse négative. Beaucoup de paysans sont insatisfaits des mesures prises par le gouvernement et disposés (ou résolus) à ne pas s'en tenir là. À partir d'un certain moment, l'action directe, - bloquer les routes - débouche sur l'action politique puisqu'elle doit, contre le pouvoir sourd aux revendications, imaginer un autre pouvoir. Mais pourquoi les ultras de la paysannerie s'allieraient-ils aux ultras de l'Algérie française? Je vois bien que les uns et les autres peuvent se donner le même ennemi: la République parlementaire (si peu parlementaire) et libérale (encore substantiellement libérale). Mais, en réalité et en raison, les politiques qu'incarnent ces deux groupes sont strictement contradictoires. L'argent que l'on dépenserait soit pour la pacification soit pour la mise en valeur de l'Algérie réduirait les ressources disponibles pour les investissements métropolitains. Plan de Constantine et plan breton ne sont peut-être pas incompatibles mais ils sont rivaux.
Les arguments de cet ordre n'ont, il est vrai, jamais empêché les alliances dites contre nature parce que les alliés n'avaient en commun que des haines (peut-être ces alliances sont-elles au fond les plus naturelles de toutes). En l'espèce, même si quelques contacts étaient pris, je ne crois pas à ce "rassemblement". Mais les barrages sur les routes comme les attentats au plastic contribueraient à l'affaiblissement d'un régime dont le crédit n'est pas inépuisable.
La France a-t-elle un régime? Des institutions acceptées? Un principe reconnu de légitimité? Une classe politique? À toutes ces questions, il est difficile de répondre, le oui et le non étant également inexacts. La France vit sous un régime de Sauveur et ce dernier, par le fait qu'il agit en démiurge et non en Président de la République, ruine l'autorité de la Constitution qu'il a lui-même instaurée. Que les partis n'aient pas retrouvé l'audience des électeurs, c'est probable, mais comment pourrait-il en être autrement? L'U.N.R. n'existe que par et pour le général de Gaulle. Et les autres partis, qui retrouveraient probablement leur pourcentage ordinaire d'électeurs en cas de scrutin proportionnel, n'ont rien à offrir à leurs troupes, ni opposition exaltante ni récompense de fidélité. En cas de crise, l'immense majorité de la nation, y compris les syndicats et les partis, fait bloc autour du chef de l'État. Si peu démocrate que soit celui-ci, il l'est plus que les généraux d'Alger et il demeure, en dépit de tout, modéré et libéral.
L'autorité du chef de l'État est-elle intacte trois ans après le retour au pouvoir? Si l'autorité se mesure aux statistiques de l'Institut d'opinion publique ou aux statistiques électorales, je ne doute guère que la réponse ne doive être positive. Qu'il organise un référendum-plébiscite sur quelque sujet que ce soit, et il obtiendra entre 70 et 80% de oui. Qu'il parcoure une province ou une autre, et les mêmes foules viendront acclamer les mêmes discours (quitte pour les paysans à élever des barrages après et avant son passage). Reste à savoir ce que signifie cette "popularité" ou ce "prestige" ou cette "autorité". Le général de Gaulle n'est pas le premier Français depuis la Révolution qui ait soulevé l'enthousiasme des foules. Même en laissant de côté les champions cyclistes et les stars de cinéma, le maréchal Pétain, dans les derniers mois de 1940, était accueilli par des acclamations qui n'étaient pas fabriquées. En mars 1944 encore, il fut acclamé à Paris. Entre janvier 1946 et mai 1958, le peuple français ne manifesta pas un désir passionné que le Chef de la France Combattante redevînt le chef de l'exécutif. En 1951, le R.P.F. obtint 20% environ des suffrages, ce qui est honorable mais non glorieux. À ce moment-là, n'en doutons pas, le général de Gaulle aurait été irrésistible si le Président de la République avait dû être élu au suffrage universel (comme il l'était selon la Constitution de la IIe République). Mais Louis-Napoléon aussi était irrésistible chaque fois que l'on interrogeait les Français sur son nom ou sur un symbole. Le général de Gaulle n'est certes pas Napoléon III (bien qu'il s'ingénie, par ses voyages et ses référendums-plébiscites, à en évoquer le fantôme), mais il bénéficie de la propension du peuple français à se prêter au pouvoir absolu d'un seul pourvu que cet homme se réclame de la République et respecte certaines libertés.
L'acceptation du Sauveur n'implique nullement l'acceptation de son entourage, de ses ministres ou de sa politique. La popularité du Sauveur n'est pas transférable et tout se passe comme si le chef de l'État en connaissait les limites. C'est le premier ministre seul qui prend la responsabilité de la politique agricole. Imaginons les routes barrées par les tracteurs sous la IVe République. Il est facile de reconstituer le discours gaulliste: "Les paysans constatent que le régime est incapable de résoudre leurs problèmes, de leur assurer un revenu décent qui récompense leurs efforts; comment voulez-vous qu'ils ne se révoltent pas?" Le Président de la République a blâmé avec modération les désordres: il s'est gardé de prendre le grand ton pour intimer aux paysans l'ordre d'obéir aux lois. Le grand ton doit être réservé aux grandes occasions? J'y consens, mais l'exemple n'en est pas moins instructif: l'autorité du Chef n'est guère utilisable pour résoudre les problèmes, prosaïques et quotidiens, de la nation.
Intacte dans les circonstances graves, c'est-à-dire contre les coups d'État, l'autorité du chef de l'État n'est plus ce qu'elle était dans les milieux politiques et intellectuels où le parti de la "hargne, de la grogne et de la rogne" est plus nombreux que jamais. Puisque, probablement, aux yeux des fidèles, j'appartiens désormais à ce parti, essayons de nous expliquer.
À en croire le chef de l'État, tout allait mal avant mai 1958, tout va mieux sinon bien depuis. C'est une habitude, constante et déplorable, de toutes les équipes politiques, d'imiter la publicité des lotions capillaires: avant, après. La rénovation de l'économie française a été l'œuvre commune des Français et des gouvernements. La Ve République n'en a eu ni l'initiative ni le mérite exclusif, mais elle a eu le mérite de mettre un terme à l'inflation et de permettre l'entrée de la France dans le Marché commun.
La IVe République n'a pas su accomplir, à temps et dignement, la décolonisation. Mais les "gaullistes" n'ont pas montré plus de clairvoyance et les discours du président du R.P.F. suffiraient à démontrer, s'il en était besoin, que les démérites sont aussi bien partagés que les mérites. Ce qui est irritant, pour le non-partisan, c'est que, en toute bonne foi, le Président de la République puisse juger que la signification d'un événement change du tout au tout selon que c'est lui ou un homme du commun qui préside aux destinées de la France.
Mais ce sont là questions secondaires. La manière dont le Président de la République exerce son pouvoir présente, me semble-t-il, des inconvénients majeurs, au dedans et au dehors. Au dedans, s'il souhaite inaugurer une période de stabilité et non représenter seulement un intermède, il devrait agir de manière à enraciner les institutions, à leur donner, grâce à sa présence, vigueur et prestige. Or il fait exactement le contraire. Lui et son premier ministre utilisent à plein les prérogatives que leur confère le texte constitutionnel au point que ni les Assemblées ni le public ne peuvent se faire aucune illusion. Je ne sais ce qui se passera "après de Gaulle", mais tout est préparé pour un excès de sens contraire: à moins d'un coup d'État militaire et d'un régime despotique, les parlementaires chercheront une revanche. Une fois de plus, parce qu'une équipe aura abusé de sa victoire et un homme exercé un pouvoir personnel, nous perdrons nos libertés ou nous en mésuserons.
Le Président de la République déteste tous les intermédiaires entre le peuple et lui, alors que les intermédiaires sont indispensables, constitutifs de la démocratie moderne. Bien plus, les abaisser, c'est, à beaucoup d'égard, affaiblir le régime lui-même. Le soutien que le chef de l'État demande est celui de chaque Français et de chaque Française individuellement. Comme le régime serait plus solide et le gouvernement plus fort si les Français intéressés à la chose publique et organisés en partis et syndicats, appuyaient activement la politique algérienne du Pouvoir, étaient mis dans la confidence des Grands et se trouvaient en situation d'expliquer à leurs adhérents les buts envisagés et les moyens nécessaires.
Le style gaulliste est à la fois anachronique et moderne, royal et plébiscitaire. Le général de Gaulle demande de ses collaborateurs avant tout une fidélité inconditionnelle et il trouve normal, voire moral que le premier ministre pousse le dévouement jusqu'à se renier lui-même. Mépris des hommes, a-t-on dit. Tous ceux que l'on appelle des conducteurs de peuple ont éprouvé quelque mépris pour leurs semblables, inévitable compensation à la confiance qu'ils se faisaient à eux-mêmes, à leur destin ou à la fortune. Mais là n'est pas l'essentiel. Si le général de Gaulle n'hésite pas à tout exiger de ses fidèles, même le reniement, c'est qu'à ses yeux la fidélité à un homme compte plus que la prétendue fidélité à des idées. Bien plus, s'il envisage un État algérien, ce n'est pas au nom d'une doctrine ou d'une idéologie, c'est parce que les "choses sont ce qu'elles sont". Probablement, à ses yeux, le
Courrier de la Colère
n'était pas un journal de théorie, mais d'action. Il visait à sauver la France en ramenant le général de Gaulle à l'Élysée. Qu'il ait utilisé tels ou tels arguments n'est qu'un détail. En tout état de cause, la IVe République était incapable de mener à bien une politique algérienne quelconque.
Le choix des ministres étant déterminé avant tout par de telles considérations, les hommes politiques ayant une personnalité, une audience, disparaissent, remplacés par des fonctionnaires ou des serviteurs. Le jour où M. Joxe ou M. Pompidou serait premier ministre, la logique du pouvoir personnel aurait atteint son terme. Il ne s'agit pas de comparer les qualités ou les défauts de l'un et de l'autre à ceux des présidents du Conseil de la IIIe ou de IVe: le directeur de cabinet ou le secrétaire général d'un ministère serait élevé au niveau d'un premier ministre. Ou, plus exactement, un premier ministre serait strictement comparable à un directeur de cabinet ou à un secrétaire général de ministère. Quant aux ministres, ils seraient des fonctionnaires ou des favoris.
L'exercice du pouvoir n'est pas moins personnel. Jamais le Président de la République n'a pris soin de consulter les quelques hommes qui connaissent l'Algérie, qui connaissent même les chefs de la rébellion. Aucun des secrétaires ou des ministres aux affaires algériennes de 1958 à 1961 n'avait une compétence particulière sur le sujet. En fait de politique mondiale, quand l'Union Soviétique, les États-Unis ou la Chine sont en question, le chef de l'État tranche souverainement. Rien n'indique qu'il mette jamais en doute sa propre infaillibilité ou qu'il sente le besoin d'écouter les conseils, fussent-ils contradictoires, de ceux qui ont une connaissance directe de ces empires et de ceux qui les gouvernent.
La politique étrangère gaulliste ne diffère pas fondamentalement de celle de la IVe République. Alliance atlantique et Europe des Six en constituent les fondements. L'Europe des Six est celle des patries; dans l'alliance atlantique, la volonté d'autonomie s'affirme, par le refus du stationnement en France des escadrilles américaines, du stockage des bombes atomiques, par l'hostilité méprisante, témoignée à l'O.N.U.
Je ne veux pas discuter ici le fond des problèmes, mais on ne peut pas ne pas être frappé par le durcissement de la diplomatie gaulliste à mesure que le temps passe et que l'âge vient. Durant la guerre, le général de Gaulle, ne disposant d'aucun autre moyen que de son mythe et de sa volonté, a pris l'habitude d'une méthode, conforme à son caractère: le refus pur et simple, voire l'obstruction, sans négociation, sans effort pour convaincre le partenaire ou l'adversaire. Il n'a pas manœuvré autrement à l'intérieur: il attendait du système qu'il se "couchât", autrement dit qu'il capitulât. Il attendit douze ans et il aurait attendu plus longtemps encore sans la secousse algérienne et l'aide de ceux dont il se révèle l'adversaire.
L'incapacité gaulliste d'une vraie négociation est devenue éclatante et redoutable. Pendant deux ans et demi, le Pouvoir préféra concéder l'indépendance algérienne plutôt que de causer avec les représentants de ceux qui se battent comme avec des égaux. C'est le refus de négocier à temps qui provoqua l'inutile et tragique bataille de Bizerte. De même, la volonté d'une diplomatie spécifiquement française, qui se fait gloire de ne pas faire de concessions aux Alliés prend d'inquiétantes proportions. Même si l'on juge sévèrement l'O.N.U., le fait est que la diplomatie américaine utilise l'organisation internationale, que celui-ci est un lieu de rencontre pour les représentants de tous les pays du monde, que les gouvernements du tiers monde y sont attachés. Quel avantage tire la France de l'attitude qu'elle adopte? Le général de Gaulle, dans une conversation privée avec un journaliste d'Oran, aurait déclaré: l'Union Soviétique peut se permettre de gouverner des peuples contre leur volonté, pas la France. S'il dépendait de la France que l'O.N.U. existât ou non, que M. H. en fût ou non le secrétaire général, l'hésitation serait légitime. Mais l'O.N.U. existe et M. H. en est le secrétaire général, que nous le voulions ou non.
La politique à l'égard de M. Bourguiba comme à l'égard de M. H semble commandée moins par l'intérêt de la France que par le tempérament et la philosophie d'un homme.
Le remaniement du G.P.R.A. et la conférence de presse du général de Gaulle - deux événements intervenus depuis que cet article a été écrit - ne modifient pas les perspectives, ils les précisent. Le nouveau président du G.P.R.A. appartient à une autre génération et à une autre tendance que M. Ferhat Abbas, mais, dans les négociations éventuelles, il ne sera ni plus ni moins difficile. Le Président de la République française a fait une nouvelle concession majeure en déclarant que la question de la souveraineté politique sur le Sahara ne se posait même pas (on se demande, en ce cas, pourquoi M. Joxe n'a pas tenu ces propos à Évian ou à Lugrin). Comme d'habitude, la retraite est camouflée sous un style majestueux et thaumaturgique.
Bien plus, le général a parlé de dégagement, et non plus seulement de décolonisation, suggérant que l'abandon total - regroupement, puis rapatriement des Français d'Algérie et des Musulmans qui veulent demeurer français - serait, en dehors d'un accord avec le G.P.R.A., la solution inévitable. Que cet accord intervienne ou non, il est clair que rien ou presque ne sera sauvé de ce qui aurait pu être sauvé, il y a trois ou deux ans. Reste à savoir si le "dégagement" ou "l'abandon total" est une politique praticable sur le terrain.
Une fois de plus et de manière encore plus accentuée, les déclarations du général de Gaulle ont revêtu un caractère quasi somnambulique. Le chef de l'État brandit les armes terrifiantes que possèdent les États-Unis. Partisan, à juste titre, de la fermeté face aux menaces soviétiques dans l'affaire de Berlin, il présente une argumentation qui dénote une étrange ignorance de la stratégie thermonucléaire. Dire que, si l'on en venait à la guerre, "c'est que les Soviets l'auraient délibérément voulue et, dans ce cas, tout recul préalable de l'Occident n'aurait servi qu'à l'affaiblir et à le diviser et sans empêcher l'échéance", c'est simplifier jusqu'à la caricature l'action soviétique qui, manifestement, ne vise pas à une guerre générale mais en accepte certains risques pour atteindre certains objectifs. Mettre au compte de la mauvaise foi, d'une volonté systématique de dénigrement les critiques qui se multiplient contre un régime sans légalité et un ministère sans crédit, c'est vivre en un monde de rêve, dont les communications avec le monde réel sont de plus en plus rares. Quant au remaniement ministériel dont M. Debré est manifestement responsable, il met une touche d'absurdité sur le déclin d'un régime qui, au bout de trois ans, semble déjà à l'agonie. Ou bien faut-il dire avec résignation ou désespoir, que la logique de la politique française est telle que l'abandon total de l'Algérie doit être accompli par les conspirateurs de mai 1958?
Qu'on y prenne garde pourtant à Matignon et même à l'Élysée: il peut venir un moment où le mot d'ordre "nous avons été trompés" sera repris par d'autres que par le général Challe et ses amis - avec indignation d'abord, avec révolte ensuite.
15 septembre 1961
Politique française Articles 1944-1977
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