La modernisation du système éducatif. III. Du
lycée à l'université
Le Figaro
20 février 1975
M. Haby a probablement réussi à désamorcer
la bombe du baccalauréat. L'élève quittant le lycée à la fin de la
classe de première recevra normalement un
diplôme d'études secondaires générales
qui sera probablement tenu, par les administrations, pour
l'équivalent du baccalauréat. Celui-ci, officiellement, n'est
accordé qu'au terme de la terminale, classe d'un caractère tout
autre que les précédentes. Le programme commun des enseignements de
base disparaît, la terminale ne comporte plus que des "disciplines
optionnelles" (1)La liberté de la terminale me paraît un
correctif nécessaire des contraintes antérieures. Et je vois mal le
risque que comporterait cette liberté. Les grandes écoles, les
universités subsistent avec leurs programmes et leurs exigences;
les élèves qui veulent continuer leurs études au-delà de la
terminale choisiront les "disciplines optionnelles" en fonction de
leurs perspectives de carrière. Quant à ceux dont l'ambition se
limite à l'acquisition d'un baccalauréat complet, ils choisiront en
fonction de leurs chances de réussite.
Je ne crois guère à l'enseignement au lycée
des "options approfondies"
(sic)
telles que les techniques sportives ou mêmes les arts plastiques.
Mais ces détails importent peu et ils font partie du conformisme à
la mode. Avant de choisir, à titre d'option approfondie, les arts
plastiques, les arts musicaux ou les techniques sportives, les
élèves et leurs familles s'interrogeront sur les débouchés
qu'offrent ces disciplines, à supposer qu'ils ne fassent pas
d'eux-mêmes la différence entre les connaissances de base, la
formation nécessaire à l'exercice d'une profession et le reste,
même si le reste enrichit la personnalité et constitue parfois la
raison de vivre. L'école n'enseigne pas tout, quoi qu'en pensent
les réformateurs.Après avoir désamorcé la bombe du
baccalauréat, M. Haby confie à son collègue M. Soisson le soin de
désamorcer la bombe de l'entrée dans les universités. Le
baccalauréat au sens ancien d'un examen "ponctuel" n'existe plus.
Il suffit, pour obtenir le diplôme, de quatre attestations dont
trois au moins portant sur des options approfondies. Mais le
ministre ne dit pas que tous les bacheliers entreront de droit à
l'université ou dans les classes préparatoires aux grandes écoles.
C'est le secrétaire d'État aux universités qui fixera la nature et
le niveau des différentes attestations nécessaires pour l'accès aux
différentes filières de continuation d'études. En fait, l'accès aux
classes préparatoires continuera d'être réservé, comme c'est le cas
aujourd'hui, aux meilleurs élèves. Quant aux universités dont les
portes s'ouvrent aux non-bacheliers, elles ne se fermeront pas aux
bacheliers. La querelle prévisible sur les futurs reçus-recalés,
bacheliers non admis à l'université, aura probablement peu de
portée en pratique. Le nombre des étudiants diminue de
lui-même.
Le recrutement des enseignants que prévoit
le projet Haby entraîne pour les U.E.R. les mêmes conséquences que
le projet Fontanet, à savoir la sélection par concours des futurs
enseignants avant le niveau de la maîtrise ou même de la
licence.
Voici comment s'exprime le ministre: "Des
concours de recrutement permettront d'amener en formation des
contingents de futurs enseignant, en fonction des besoins en
personnels titulaires calculés à terme, et compte tenu des départs
possibles au cours de cette formation. Dès la réussite au concours
d'entrée, un traitement d'élève-maître ou d'élève-professeur sera
versé aux futurs enseignants."
Il n'est pas dit explicitement à quel
moment de leurs études les instituteurs et les certifiés passeront
ces concours et deviendront fonctionnaires. Mais puisque des
professeurs certifiés, durant leurs deux années aux centres de
formation, devront obtenir la licence d'enseignement, il faut
croire que les futurs instituteurs seront recrutés après le
baccalauréat et les futurs certifiés après le DEUG. Les professeurs
certifiés obtiendront le
certificat d'aptitude pédagogique
théorique
(les modernistes sont volontiers pédants) quatre années après le
baccalauréat. Formation courte, sinon au rabais. En revanche, ils
auront appris de la psychologie, de la sociologie, de la pédagogie,
et ils auront reçu une information sur l'organisation du système
scolaire.Il reste aux étudiants qui n'auront pas
réussi au concours de recrutement le concours "ouvert librement" de
l'agrégation. Mais comme, selon le projet, les agrégés enseigneront
surtout, sinon exclusivement, en terminale, le nombre annuel des
agrégés sera faible. Les étudiants de lettres et de sciences
devront chercher des débouchés en dehors de l'enseignement du
second degré. L'enseignement supérieur, après la rapide expansion
des quinze dernières années, n'offre plus guère de chances même aux
meilleurs; le secrétaire d'État devra, lui aussi, repenser
l'ensemble du système éducatif dont il a la charge.
Supposons, en effet, que M. Haby parvienne
à imposer ses conceptions. Le ministre recrutera massivement des
professeurs brevetés de l'éducation artistique, manuelle et
technique; en revanche, on ne saura pas quoi faire des historiens,
des philosophes ou autres spécialistes de disciplines
traditionnelles. Il en fallut beaucoup moins pour provoquer
l'explosion de 1968.
Qu'il s'agisse des élèves ou des
enseignants, l'esprit de la réforme est le même: M. Haby veut
réagir contre ce qui lui apparaît comme le souci exclusif des
exercices intellectuels, des connaissances abstraites: enseignement
manuel, technique, artistique pour tous les élèves; formation
psychologique ou pédagogique de tous les enseignants. Réaction
peut-être nécessaire mais excessive jusqu'à l'absurde.
L'enseignement du second degré comptait naguère et compte encore
aujourd'hui un corps enseignant d'un niveau de savoir élevé.
Suffit-il d'abaisser ce niveau pour donner aux maîtres les
capacités pédagogiques qui, dit-on, leur font défaut? Écrira-t-on
demain le français comme on l'écrit au ministère de l'Éducation
nationale?
Tradition et changement, telle est la
devise du président de la République. Cette fois le changement
devient déménagement et la tradition risque de se perdre ou d'être
récupérée dans les établissements privés, ceux qui, dès maintenant,
accueillent la majorité des enfants des princes qui nous
gouvernent.
(1)
Voir
Le Figaro
des 18 et 19 février 1975.