Liquidités internationales
Le Figaro
22 juin 1963
Le rapport annuel de la Banque des
règlements internationaux est toujours étudié avec attention. Le
trente-troisième rapport, relatif à la période avril 1962-avril
1963, suscitera le même intérêt et les mêmes controverses que les
précédents.
Nous en détacherons une seule partie, celle
qui est relative au manque éventuel de liquidités internationales.
Sur ce point, les experts de Bâle sont francs et catégoriques. Il
n'y a aucun moyen, écrivent-ils, de déterminer en fonction d'une
quantité statistiquement mesurable ou d'une proportion
scientifiquement établie le montant des liquidités internationales
requis par le commerce mondial. Les liquidités internationales ne
sont pas comparables à la monnaie ou aux crédits, dont le volume
doit s'accroître en même temps que la valeur des biens ou des
transactions. Les liquidités internationales sont destinées à
couvrir des déséquilibres temporaires dans les paiements
internationaux. "Les ressources de change servent uniquement à
couvrir les différences qui apparaissent de temps à autre entre les
recettes et les payements."
Vues sous cet angle, les liquidités
internationales augmentent chaque fois que les possibilités de
tirage du F.M.I. sont élargies ou encore lorsque les autorités
monétaires des différents pays se consentent réciproquement des
facilités de crédit. En ce sens, les liquidités internationales
n'ont cessé de s'accroître au cours de ces dernières années,
d'autant plus que les déficits persistants de la balance des
comptes américaine mettait des dollars à la disposition du
monde.
Il semble, d'ailleurs, que même les
théoriciens de l'insuffisance des liquidités internationales
n'affirment pas que telle soit la situation présente. Tout au plus
suggèrent-ils que tel serait le cas si la balance des comptes
américaine redevenait équilibrée.
Une fois écartée la thèse de l'insuffisance
des liquidités internationales, le rapport de Bâle en vient aux
problèmes d'actualité et commence, en des phrases volontairement
obscures, par suggérer que les pays dont la balance est déficitaire
ne doivent pas être assurés de recevoir automatiquement des
facilités supplémentaires, faute de quoi ils seraient tentés de ne
pas prendre les mesures nécessaires au redressement de la
situation. Tel est probablement le sens de la phrase diplomatique:
"L'extension des crédits internationaux en vue de procurer des
disponibilités aux pays qui en manquent doit être subordonnée,
comme d'ailleurs toute opération bancaire, à l'examen des données
propres à chaque cas particulier." Et le rapport n'a pas de peine à
énumérer les mesures diverses par lesquelles les autorités
monétaires, grâce à une coopération constante, ont gardé la
maîtrise des cours sur le marché de l'or et multiplié les accords
de crédit visant à préserver la stabilité des monnaies
menacées.
Il reste à savoir comment corriger les
déséquilibres et comment avant tout éliminer le déficit de la
balance américaine. Or, sur ce point, le rapport de Bâle constate,
comme nous l'avons fait récemment, que les pays excédentaires du
continent européen se sont conduits en bons créanciers s'il est
vrai que l'inflation soit la preuve d'une bonne conduite. Or,
l'inflation européenne a effectivement entraîné la réduction des
excédents. La balance allemande est même devenue déficitaire pour
la première fois (220 millions de dollars). Le déficit américain,
selon les calculs officiels, s'est maintenu autour de 2 milliards
de dollars avec une perte d'or de 890 millions de dollars (contre
857 en 1961). Certes, l'inflation européenne a été due surtout à
l'excès de la demande privée et elle ne favorise que partiellement
les exportations américaines, moins intéressées aux biens de
consommation qu'aux biens de production. La conclusion n'en
apparaît pas moins inévitable qu'il serait dangereux de compter sur
une augmentation massive des exportations américaines de
marchandises pour rétablir l'équilibre.
Le rapport de Bâle suggère certaines
mesures qui sont souhaitables mais, dans le contexte présent,
improbables. Les pays déficitaires devraient appliquer une
politique sévère des revenus afin d'obtenir une baisse relative des
coûts de production et des prix. Mais les experts de la B.R.I.
n'ont guère d'illusion sur ce point: les pays créanciers sont
menacés d'inflation et ils doivent lutter contre la hausse des
prix. Les pays déficitaires ne sont pas en mesure, politiquement,
de prévenir le gonflement de la demande.
Il reste donc l'action sur les mouvements
des capitaux. Le rapport fait observer que "le point faible de la
situation américaine est que des engagements liquides considérables
sont couverts par des avoirs plus importants, mais beaucoup moins
liquides". À échéance, les experts de la B.R.I. prévoient que
d'autres monnaies deviendront des monnaies de réserve au même titre
que le dollar et la livre sterling.
À ce rapport, notre confrère de Londres, l'
Economist
, a objecté que les recommandations de la B.R.I., prises sans
complément, risqueraient d'être dangereusement déflationnistes - ce
qui ne sera pas sans surprendre ceux, en France, qui voient dans
l'étalon de change or une cause permanente d'inflation à l'échelle
internationale.