L’Algérie et la République. Un nouvel essai de M. Raymond Aron
Le Monde
31 juillet 1958

On se souvient des «mouvements divers» qui avaient accueilli en juillet de l’année dernière la sortie d’une des premières «Tribune libre» de la librairie Plon: «la Tragédie algérienne», de M. Raymond Aron.
L’effort de réflexion lucide et courageux d’un auteur dédaigneux des mythes et des slogans surprit les uns, scandalisa les autres.
M. Jacques Soustelle s’empressa de lui répondre en publiant quelques semaines plus tard, dans la même collection, «Aimée et Souffrante Algérie». M. Raymond Aron pensa à l’époque qu’il était inutile de chercher à convaincre ses contradicteurs qu’ils soient de droite ou de gauche et qu’en raison des conditions qui régnaient en Algérie, au gouvernement et à l’Assemblée, il eût été vain de prolonger le débat.
La chute de la République, l’ascension au pouvoir du général de Gaulle, ont provoqué un changement, qui, de toute façon, sera décisif. Si ces événements, écrit-il, «ont rendu la raison aux fous et la possibilité d’agir aux gouvernants, il vaut la peine aujourd’hui de reprendre la discussion». C’est ce qu’il fait dans un nouveau volume, qui va paraître prochainement dans la collection «Tribune libre»: «L’Algérie et la République», dont nous sommes autorisés à publier ci-dessus de larges extraits.
M. Raymond Aron reprend la démonstration qui l’avait conduit déjà à la conclusion que l’«intégration est impossible, mais que la coopération est nécessaire», et il la résume lui-même en ces termes:
Résumons-nous: la tentative pour transformer les musulmans d’Algérie en citoyens français, qui eût été concevable il y a quelques dizaines d'années, est aujourd'hui anachronique. Même en faisant abstraction de l'unanime opposition des gouvernements de Tunis et de Rabat, du F.L.N., cette conception se heurte à d'innombrables obstacles. Économiquement, elle entraînerait pour la métropole des sacrifices que celle-ci ne consentirait pas volontairement, sans même que l'on puisse être assuré du résultat, c’est à-dire d'une réduction assez rapide de l'écart entre les niveaux de vie; socialement, elle exigerait le transfert en Algérie des normes administratives de la métropole, transfert ruineux pour les deux parties; politiquement, elle amènerait à l'Assemblée nationale un nombre de députés musulmans qui enlèveraient tout espoir d'assainissement du parlementarisme français; moralement, elle n'étoufferait pas la revendication nationaliste plus vive dans les élites que dans les masses, nourrie par le sentiment d'injustice que fait naître la compétition à égalité avec les Français.
L'intégration n'est ni un objectif souhaitable ni un objectif accessible. Tous les observateurs étrangers se demandent par quel mélange d’ignorance, d’amour-propre, d'esprit mythologique, tant de Français en sont venus à donner leur cœur à une entreprise plus déraisonnable encore que grandiose…
Pourquoi les partis de gauche, en France comme à l’étranger, pourquoi les gouvernements raisonnables qui établissent les bilans, et la plupart des économistes, ont-ils dans le monde entier, finalement tranché en faveur de l’anticolonialisme? Pour quelques raisons fondamentales que M. Raymond Aron ne croit pas inutile d’exprimer clairement puisqu’une partie de l’opinion française veut les ignorer:
1) Le refus de s'orienter vers l'autonomie ou l'indépendance implique logiquement le choix en faveur de l'intégration, c'est à-dire de l’alignement économique ou culturel. Or, dès qu'il s'agit de populations nombreuses, l'alignement exige de la métropole des efforts ou des sacrifices qu'aucun régime démocratique ne peut ni ne veut imposer aux gouvernés. Qu’on n'oublie pas les conditions que Germaine Tillion juge indispensables au salut de l'Algérie:
«Aucune de ces trois conditions n'est facultative: 2.000 milliards d'investissements en cinq ans, deux ans de service civil obligatoire pour certaines grandes écoles métropolitaines, un privilège exclusif maintenu aux Algériens dans nos usines. À ce prix, mais à ce prix seulement, on inverse le courant, on détourne une population entière du malheur futur vers lequel elle glisse.» Si l'on appliquait ce plan, quelles ressources la France garderait-elle pour l'Afrique du Nord ou l’Afrique noire? Si l'effort en faveur des pays sous-développés était à cette échelle dans le monde entier, quel serait le montant de l'aide que les pays riches devraient apporter aux pays pauvres?
Matériellement, je doute que ces 2.000 milliards soient disponibles non pas financièrement mais matériellement, autrement dit que les biens réels dont ces milliards devraient permettre l'acquisition existent.
Je me méfie personnellement de ces plans grandioses et irréalisables, de ces alternatives catégoriques (ou bien 2.000 milliards en cinq ans, ou bien rien, car les demi-mesures ne feraient qu'aggraver le mal).
En fait, gouvernements raisonnables et économistes ont tiré des calculs la conclusion que le coût de l'alignement était prohibitif et que, par conséquent, il fallait choisir l'autre voie, celle de l'autonomie ou de l’indépendance;
2) Les économistes ont ajouté, en faveur de cette thèse, un second argument: la gestion économique d'un territoire sous-développé par un pays développé est rarement conforme aux intérêts du premier. Certes, les Européens au siècle dernier ont contribué à l'équipement des colonies ou des protectorats. Il n'importe pas de spéculer sur les profits et les coûts pour les colonisateurs et les colonisés de l'ère coloniale, qui sous sa forme antérieure s'achève. Inévitablement, les gouvernants et administrateurs de la métropole envisagent l'économie des territoires sous tutelle par rapport aux intérêts de la mère patrie. L'absence de droits de douane paralyse l'industrialisation des pays sous-développés. Quel gouvernement démocratique aurait l'intelligence à long terme, la force d'établir des droits qui protégeraient les industries naissantes de ces colonies contre la concurrence des industries métropolitaines. L'argument économique en faveur de l'anticolonialisme est qu'un développement économique harmonieux exige au moins l’autonomie des pays naguère protégés et colonisés.
L’Algérie, à cet égard fait-elle exception? À certains égards, oui. Les Algériens ont besoin de garder leurs privilèges sur le marché français du travail. À d’autres égards, non. Quoi qu’on en dise, il est douteux que l’Algérie puisse se donner une industrie, créer des emplois pour les sans-travail, à l’intérieur d’une totale symbiose franco-algérienne.
En tout cas, une différenciation administrative est strictement indispensable, ce qui implique une certaine autonomie sinon l’indépendance;
3) Même dans les cas exceptionnels, où le développement économique des territoires sous tutelle sera favorisé, et peu paralysé ou détourné, par l’unité avec la métropole, l’intégration passe pour sans espoir dès le moment où une rébellion nationaliste a surgi. À la rigueur, la France peut dépenser des centaines de milliards par an pour élever le niveau de vie des populations algériennes, mais elle ne peut pas dépenser à la fois des centaines de milliards pour la mise en valeur et d'autres centaines de milliards pour la pacification. Même si cette dernière réussit, le succès n'est jamais que provisoire, parce que les forces extérieures acquises aux nationalistes continueront à agir. Il vaut la peine de se battre pour transférer la souveraineté non à des extrémistes mais à des modérés, à des nationalistes avec lesquels la coopération sera possible. Se battre contre
tous
les nationalistes est le plus souvent sans espoir, parce que l'intégration même en ferait naître d'autres à chaque génération.
L'Algérie, à coup sûr, est un cas-limite, les tenants de l'intégration y ont de meilleurs arguments qu'ailleurs. Probablement le nombre des Algériens qui voudraient demeurer Français y est-il plus élevé que dans tous les pays qui ont acquis leur indépendance depuis la guerre. Et pourtant les observateurs étrangers sont convaincus que seule la voie de l’autonomie et non celle de l’intégration offre une chance.
Mais une indépendance algérienne conquise contre la France et qui déchirerait les liens Algérie et métropole serait une catastrophe pour les pseudo-vainqueurs. Car nul, ni l’Union soviétique ni les États-Unis, ne prendrait la relève de la France. Le marché du travail serait fermé aux Algériens sans emploi. Sans capitaux venus du dehors, sans les trois cent cinquante mille salaires payés par les entreprises françaises, l’Algérie sombrerait en une catastrophe totale.
En cette guerre passionnelle, chaque camp considéré globalement, combat contre son intérêt économique. Les nationalistes algériens combattent jusqu’à la mort pour reconquérir le droit à la misère ancestral. Les Français combattent obstinément pour garder le droit de consacrer une part de leurs ressources à l'amélioration du sort de leurs adversaires. Le malheur algérien et l'attachement des Français à l'Algérie suscitent une horrible tragédie.
La minorité algérienne, qui a pris conscience de sa volonté d'être une nation, a été capable de recruter assez de combattants pour entretenir la guérilla. La masse de la population est coincée entre fellagas et armée française, tour à tour torturée et libérée par les uns et par les autres. Est-il possible de transmuer cette tragédie en une œuvre créatrice? Est-il possible que l’attachement de la France à l’Algérie s’exprime en aide économique et non en répression, que le nationalisme algérien élève des écoles au lieu de les brûler? Qu’il respecte avec les conditions indispensables à la présence française les exigences mêmes du salut algérien?
Empruntons notre conclusion provisoire à Germaine Tillion:
«Entre l'indépendance absolue et la loi-cadre, il y a toute une série de solutions intermédiaires qui ne nous obligent qu’à des concessions que nous sommes bel et bien décidés à consentir et que d’ailleurs nous n’éviterons en aucun cas: pourquoi alors ne pas se donner la peine de les étudier? Parce que ce serait reconnaître à nos adversaires une existence légale: plutôt continuer la guerre indéfiniment, plutôt ruiner sans recours notre pays; plutôt sacrifier à coup sûr la sécurité de nos compatriotes d'Algérie et nos espérances sahariennes. Nous avons chacun nos adversaires et non la moitié du remède qui peut sauver le peuple algérien, si héroïque et si malheureux. Si par haine aveugle, sottise ou impuissance, nous nous abandonnons les uns et les autres à la solution facile, qui est celle de la guerre à outrance, indéfiniment poursuivie, alors gare à eux, gare à nous, et gare aux voisins.»
La révolution de mai
Après avoir analysé la «crise de conscience française» («… il n’y avait guère de débat moral en France, au siècle dernier, à l’époque de la conquête, il y en a un aujourd’hui au moment de la pacification…»), M. Raymond Aron s’attache à définir les ressorts profonds de «cette mutation de l’armée française que beaucoup d’observateurs soupçonnaient, que quelques-uns connaissaient et dont la portée révolutionnaire est soudain apparue au cours du mois de mai.»
Trois ans et demi après le début de l’insurrection, l’armée française n’est pas parvenue à rétablir l’ordre. À Alger, les parachutistes ont remporté un succès décisif et détruit les réseaux. Dans les grandes villes, le terrorisme est jugulé. Mais le F.L.N. continue à contrôler, plus ou moins clandestinement, quelques zones et à entretenir des bandes qui ne sont pas moins nombreuses et qui sont plutôt mieux armées qu’un ou deux ans auparavant. Personne n’imagine que 25.000 ou 30.000 fellagas, avec un armement léger, pourraient vaincre une armée de 400.000 hommes avec un armement lourd. Mais il n’est pas plus démontré en 1958 qu’en 1957 ou en 1956 que cette armée est capable d’éliminer radicalement une guérilla favorisée par le relief et ravitaillée de l’extérieur. Ni dans un sens ni dans un autre, la décision n’est acquise. Beaucoup parmi les hommes politiques à Paris, les dirigeants du Front national, les observateurs à l’étranger, escomptaient la lassitude progressive de la France. Le contraire s’est produit. L’opinion dans la métropole devint de plus en plus hostile aux concessions. Plus l’armée s’engageait tout entière, corps et âme, dans l’entreprise de pacification, moins elle était prête à tolérer un règlement par négociation, autour d’une table ronde. Le «coup» de la Tunisie et du Maroc ne serait pas répété. Quoi d’étonnant, d’ailleurs à ce durcissement? Si le Front national n’est qu’un ramassis d’assassins, il serait criminel de le traiter en interlocuteur valable. Si la France défend en Algérie sa dernière chance, si le F.L.N., plus encore que le Néo-Destour et l’Istiqlal, veut l’éviction des Français et de la France, il faut lutter jusqu’au bout. L’opinion et l’armée prirent au pied de la lettre la propagande officielle à laquelle les gouvernants de la IVe République, du fond d’eux-mêmes, ne croyaient pas. La guerre s’est nourrie elle-même et tend à s’éterniser par le glissement des deux partis vers l’extrémisme. Le Front national regarde vers Le Caire. L’armée française exclut toute autre solution que l’intégration, tout autre mot d’ordre que celui d’Algérie française. En une guerre où, par essence, une victoire totale est presque impossible, et, en tout cas, n’est possible qu’au terme de longues années, les deux camps refusent d’envisager un compromis.
Cette victoire, que l’armée française voulait de toutes ses forces pour mettre fin à la chaîne des humiliations – Dien-Bien-Phu, Suez, Rabat, Tunis – et pour conserver un morceau de l’empire qu’elle avait créé et que les politiciens du système avaient perdu, cette victoire devait être arrachée à tous ceux qui conspiraient contre elle, les intellectuels qui avaient dénoncé certains procédés de la pacification, les libéraux qui envisageaient une négociation avec l’ennemi, la Tunisie qui offrait asile et secours au F.L.N., le régime lui-même qui, n’inspirant ni confiance à l’armée ni respect à l’adversaire, paralysait l’action militaire.
Il serait injuste de reprocher à l’armée la «politisation» que l’on observe aujourd’hui. Pour une part, elle résulte de la nature même des conflits modernes. La servitude militaire, au XXe siècle, ne peut aller jusqu’à ignorer le nom et la nature de l’ennemi, les raisons du combat…
… Peut-être est-ce là l’essentiel: on ne peut mener une guerre contre une rébellion nationaliste sans une conception politique. L’armée avait été au point de départ peu consciente de cette nécessité. Une génération auparavant elle avait achevé la pacification du Maroc sans autre objectif que l’établissement d’un ordre français. Au lendemain des émeutes d’août 1955 au Maroc, elle avait encore, dans le style ancien, fait rentrer des tribus berbères dans l’obéissance. La conception politique, d’après l’exemple de la Tunisie et du Maroc, c’était la négociation avec les nationalistes et finalement l’acceptation de l’indépendance. Ainsi l’armée d’Algérie fut contrainte de se donner une conception politique de la pacification, faute d’en recevoir une de Paris et de crainte que les politiciens ne choisissent finalement l’abandon. Cette conception, ce fut plus ou moins confusément l’intégration.
Le F.L.N. ayant été décrété ennemi, tous les nationalistes, même modérés, ayant été assimilés au F.L.N., le but de la guerre devenait le maintien de l’Algérie sous la souveraineté française. Mais si l’Algérie était partie intégrante de la France, les Algériens musulmans devraient être traités en Français à part entière, ils avaient droit à la protection sociale, à l’enseignement, à un niveau de vie honorable. D’où la double action de l’armée: action impitoyable, policière, contre les réseaux terroristes, action administrative, sociale, humanitaire, psychologique, pour inspirer confiance aux musulmans, leur donner du travail, les encadrer dans une organisation imitée de celle du F.L.N. et dirigée contre lui…
Les trois politiques
«Le rassemblement des Français autour du général de Gaulle n’est pas moins équivoque en 1958 qu’en 1944», constate M. Raymond Aron. Mais la confusion est plus grande encore en 1958.
Toutes les factions françaises, dans la métropole et en Algérie, se sont ralliées au général de Gaulle, mais aucune n’a renoncé à ses convictions, à ses préjugés ou à ses mythes. Soustelle, Amrouche, Mauriac, Bourguiba, le roi du Maroc, Sérigny, les généraux de Paris, les colonels d’Alger, tous comptent sur lui, tous lui font confiance pour maintenir l’Algérie française ou pour lui donner l’indépendance, pour traiter la Tunisie en amie ou en ennemie, pour rénover la démocratie ou pour la liquider. Il faut un peuple de sceptiques pour croire au miracle.
Le plus surprenant est que cette sorte de miracle n’est pas totalement exclus. La crise algérienne est inextricable dans la mesure où elle est une crise passionnelle. Les Français craignent moins l’indépendance de l’Algérie qu’une humiliation. Si l’armée remportait un succès incontestable elle serait moins hostile à la création d’un État algérien. Par son style le général de Gaulle est seul capable de transfigurer les événements. L’accord avec la Tunisie est exactement celui que M. Gaillard voulait conclure.
Menée par le général de Gaulle, la politique antérieure a-t-elle chance de réussir? Le nouveau gouvernement a-t-il la possibilité d’adopter la politique par laquelle les gouvernements de la IVe République auraient été, eux aussi, en mesure de rétablir la paix? Enfin une politique intermédiaire que des gouvernements faibles étaient incapables non de concevoir, mais de choisir résolument, promet-elle, adoptée par un gouvernement fort, une paix honorable pour tous?
… Si le général de Gaulle, volontairement ou sous la pression des éléments d’Alger, prolonge l’action antérieure, sa personnalité, son prestige, son autorité ne suffiront plus. Il faudra «rétablir l’ordre», détruire les bandes organisées, les réseaux terroristes. Encore une fois, je ne dis pas que la tâche soit impossible, je dis qu’à supposer qu’elle soit possible elle exige encore de longs efforts, probablement des renforts. L’objectif reculerait d’ailleurs au fur et à mesure qu’on aurait l’illusion de s’en approcher. Une Algérie libre se renforcerait en dehors des frontières au fur et à mesure que la rébellion s’affaiblirait à l’intérieur. Cette Algérie libre se radicaliserait en perdant ses bases dans les maquis. Une fois évanoui tout espoir d’entente avec les Français, elle miserait à fond sur le bloc communiste. Elle entraînerait irrésistiblement la Tunisie dans l’aventure. Pour conserver une Algérie française, on s’engagerait dans une guerre indéfinie et on livrerait le reste de l’Afrique du Nord, peut-être même l’Afrique noire, peut-être même l’Afrique noire, à la subversion.
L’autre politique extrême est celle que j’avais recommandée dans
la Tragédie algérienne.
La reconnaissance de la personnalité algérienne étant admise, on aurait accepté la vocation nationale de l’Algérie. À partir de là, diverses méthodes étaient concevables: négociations directes avec le F.L.N., entente préalable avec la Tunisie et le Maroc sur une fédération maghrébine et une confédération France-Maghreb, projet de règlement élaboré par la France et soutenu par nos partenaires européens et atlantiques. Deux conditions étaient indispensables au succès de cette politique: à Paris un gouvernement capable de vaincre les résistances prévisibles, de l’autre côté des hommes capables de se prêter à un compromis, d’envisager des étapes sur la voie de l’État algérien, le maintien de l’armée française pendant une période prolongée. Aucune de ces deux conditions n’a été réalisée jusqu’à présent.
Quoi qu’en pensent quelques gaullistes de gauche, je crois cette politique moins praticable encore aujourd’hui qu’hier. Le général de Gaulle n’est pas nécessairement prisonnier de ceux qui l’ont appelé au pouvoir, mais il ne peut pas non plus faire exactement le contraire de ce que souhaitaient ses partisans d’hier. Armée et colons se sont révoltés contre un gouvernement suspect d’arrière-pensées de négociation. Bien que tel grand chef de l’armée, Rue Saint-Dominique, compte sur le général de Gaulle pour donner à l’Algérie tout, sauf le mot d’indépendance, je doute que le président du conseil (quelles que soient ses intentions) puisse jouer à fond le jeu que les libéraux avaient la velléité de jouer et de s’opposer à tout ce que souhaitent passionnément les foules d’Alger et les porte-parole de l’armée. Même dans l’hypothèse où le général de Gaulle reprendrait sur l’armée d’Algérie une autorité incontestée, il ne pourrait ni ne voudrait choisir la voie de la négociation directe avec le F.L.N.
En ce cas, tout l’espoir se concentre sur le troisième terme: le compromis qui était hier impossible parce que le F.L.N. escomptait la lassitude française et que les gouvernants de Paris n’avaient aucune liberté de manœuvre, le compromis qui épargnerait aux deux camps la capitulation et permettrait la réconciliation, le général de Gaulle est-il en mesure de le concevoir, de l’imposer, les nationalistes seront-ils amenés à y souscrire?
Tous les observateurs qui ne sont pas des insensés admettent que la paix en Algérie dépend, pour une part, de l’attitude qu’adopteront Tunisie et Maroc. Les deux ex-protectorats rêvent d’une paix sans vaincus qui donnerait satisfaction au nationalisme algérien sans mettre fin à la présence française. Le général de Gaulle est en quête, lui aussi, de cette solution miraculeuse.
Les premières paroles, les premiers actes du général de Gaulle, sans dissiper incertitude et mystère, vont dans un sens bien défini. Il ne pouvait pas ne pas payer tribut aux mots d’ordre officiels: fraternisation, Algérie française, Français à part entière. Mais il ne prononcera pas le mot «intégration» et plutôt que sur l’«Algérie française» il mit l’accent sur «Français à part entière», autrement dit sur les acquêts des journées historiques, le collège unique, l’intégration des deux communautés en Algérie même. Effectivement les ultras (quels qu’aient été leurs sentiments réels) avaient officiellement souscrit aux principes qu’ils avaient si longtemps combattus et dans lesquels ils avaient dénoncé les prodromes de l’abandon, à savoir l’égalité sociale et politique des musulmans et des Français. Ajoutant qu’après les élections on ferait «le reste» avec les élus, le général de Gaulle ne fermait pas la voie à une évolution vers l’autonomie.
… Si les élections étaient authentiquement libres, si le F.L.N. s’y prêtait, si Ben Bella et Krim Belkacem étaient élus, le problème serait presque résolu. Le dialogue que le général de Gaulle appelle de ses vœux, avec tous les Algériens, y compris les nationalistes, serait engagé. Mais à moins d’obtenir des garanties le F.L.N. boycottera les élections. Ainsi s’explique que tous les porte-parole des Français d’Algérie aient accepté aussi facilement les mots d’ordre d’intégration ou de collège unique. Provisoirement ces mots d’ordre d’intégration écartent toute perspective de paix par négociation. Dans le climat de guerre l’intégration n’est pas l’accession des musulmans à la dignité de citoyens mais l’encadrement des masses par l’armée, la police, les services psychologiques.
Le maximum de ce que le général de Gaulle sera en mesure de proposer rejoindra-t-il le minimum que réclament les nationalistes algériens? Quel sera ce maximum? Quelle sera la situation militaire au moment où «le reste» sera tenté?
Je me refuse à désespérer, mais il faut reconnaître l’incroyable difficulté du problème.
Les Français d’Algérie constituent 80 à 90% de la minorité privilégiée et dominante d’un pays pauvre. Le jour où un parti algérien réclame la libération par le biais du nationalisme et non dans le cadre de la loi française, il est vain de chercher une solution qui convienne à ce parti en même temps qu’à l’élite française. Cette solution miraculeuse n’existe pas. Il n’y a que deux voies, qui toutes deux sont coûteuses et à bien des égards déplorables. Ou lutter jusqu’au bout contre la minorité qui inspire l’idée nationale avec l’espoir que le grand nombre, passif ou attentiste, finira par se détacher des combattants, à la longue impopulaires comme le sont les résistants qui empêchent le retour de la paix. Ou bien composer avec les nationalistes dans la mesure où ceux-ci consentent au compromis entre les revendications et les droits des autres communautés.
Je ne crois pas au succès dans la première voie. Je ne crois pas que l’on doive ou que l’on puisse refuser indéfiniment aux Algériens une patrie qui ne peut être que l’Algérie. À supposer que, par un effort militaire accru, on affaiblisse les maquis, que, par des réformes sociales, on ébranle ou convainque la masse, à supposer que, dans six mois ou un an, la guerre paraisse gagnée, rien ne sera encore résolu. Si les mots d’ordre d’égalité politique sont traduits honnêtement en institutions, le pouvoir appartiendra bientôt aux musulmans en Algérie même et les Français auront le sentiment d’avoir été dupés. Si les mots d’ordre lancés dans l’enthousiasme des foules demeurent une fois de plus sans application, la révolte sera nourrie par une déception supplémentaire.
En empruntant la voie de la lutte à mort contre le nationalisme on peut évidemment reculer l’échéance. Et ce répit permettait de donner au nationalisme algérien des chefs modérés acquis à la collaboration avec la France, la lutte ne serait pas sans justification. Mais la politique que nous suivons depuis trois ans risque d’aboutir à des résultats exactement contraires.
Le changement de régime, le prestige et l’autorité du général permettent probablement de rétablir le dialogue avec les nationalistes et de traiter avec eux sur des formules intermédiaires pourvu que celles-ci ne bouchent pas l’avenir. Si ce dialogue est rejeté, si l’objectif demeure la victoire totale, la probabilité est que la guerre se prolonge. Peut-être les nationalistes algériens seront-ils finalement vaincus, mais la France devra se soumettre à la loi d’Alger. La tragédie algérienne deviendrait la tragédie française.
«Le général de Gaulle,
écrit en conclusion M. Raymond Aron,
est la meilleure, peut-être la seule sauvegarde contre le danger, car la prétendue apathie des Français dissimule un trouble profond et des passions prêtes à exploser. Le Parlement était devenu impopulaire, l’armée ne l’est guère moins dans une partie de la nation.»
Et il porte ce grave jugement auquel il faut prêter attention:
«En dépit de tous les mensonges, l’armée n’est pas en train de rassembler la France.»
… Les malheurs de la France ont donné au général de Gaulle une deuxième chance. Grâce aux Français d’Alger, aux généraux et à quelques conspirateurs, il a pu obtenir du Parlement un pouvoir entier mais temporaire, une dictature au sens romain du terme. Je n’arrive pas à me réjouir de la mort du
système
parce qu’elle risque d’entraîner celle de la République. Je ne me refuse pas à l’espérance parce que le général de Gaulle veut rénover les institutions et sauver les libertés fondamentales…
… La République avait besoin de se réformer pour donner aux gouvernements stabilité et durée, pour leur permettre de dominer les groupes de pression et de prendre des mesures d’intérêt général. Mais, pour l’essentiel, en dépit de la faiblesse des pouvoirs publics et à la faveur de la liberté, la population manifestait sa vitalité, l’économie était en pleine expansion, la vie intellectuelle n’avait rien perdu de son éclat. Soumettre les Français au despotisme dans l’espoir de transformer les musulmans d’Algérie en Français serait une bouffonnerie tragique. Et bientôt le mot révolution changerait de camp. La France algérienne, si elle prétend régénérer la France en la gouvernant, déchirera irrémédiablement la nation.
Politique française Articles 1944-1977
titlepage.xhtml
part0001.html
part0002.html
part0003.html
part0004.html
part0005.html
part0006.html
part0007.html
part0008.html
part0009.html
part0010.html
part0011.html
part0012.html
part0013.html
part0014.html
part0015.html
part0016.html
part0017.html
part0018.html
part0019.html
part0020.html
part0021.html
part0022.html
part0023.html
part0024.html
part0025.html
part0026.html
part0027.html
part0028.html
part0029.html
part0030.html
part0031.html
part0032.html
part0033.html
part0034.html
part0035.html
part0036.html
part0037.html
part0038.html
part0039.html
part0040.html
part0041.html
part0042.html
part0043.html
part0044.html
part0045.html
part0046.html
part0047.html
part0048.html
part0049.html
part0050.html
part0051.html
part0052.html
part0053.html
part0054.html
part0055.html
part0056.html
part0057.html
part0058.html
part0059.html
part0060.html
part0061.html
part0062.html
part0063.html
part0064.html
part0065.html
part0066.html
part0067.html
part0068.html
part0069.html
part0070.html
part0071.html
part0072.html
part0073.html
part0074.html
part0075.html
part0076.html
part0077.html
part0078.html
part0079.html
part0080.html
part0081.html
part0082.html
part0083.html
part0084.html
part0085.html
part0086.html
part0087.html
part0088.html
part0089.html
part0090.html
part0091.html
part0092.html
part0093.html
part0094.html
part0095.html
part0096.html
part0097.html
part0098.html
part0099.html
part0100.html
part0101.html
part0102.html
part0103.html
part0104.html
part0105.html
part0106.html
part0107.html
part0108.html
part0109.html
part0110.html
part0111.html
part0112.html
part0113.html
part0114.html
part0115.html
part0116.html
part0117.html
part0118.html
part0119.html
part0120.html
part0121.html
part0122.html
part0123.html
part0124.html
part0125.html
part0126.html
part0127.html
part0128.html
part0129.html
part0130.html
part0131.html
part0132.html
part0133.html
part0134.html
part0135.html
part0136.html
part0137.html
part0138.html
part0139.html
part0140.html
part0141.html
part0142.html
part0143.html
part0144.html
part0145.html
part0146.html
part0147.html
part0148.html
part0149.html
part0150.html
part0151.html
part0152.html
part0153.html
part0154.html
part0155.html
part0156.html
part0157.html
part0158.html
part0159.html
part0160.html
part0161.html
part0162.html
part0163.html
part0164.html
part0165.html
part0166.html
part0167.html
part0168.html
part0169.html
part0170.html
part0171.html
part0172.html
part0173.html
part0174.html
part0175.html
part0176.html
part0177.html
part0178.html
part0179.html
part0180.html
part0181.html
part0182.html
part0183.html
part0184.html
part0185.html
part0186.html
part0187.html
part0188.html
part0189.html
part0190.html
part0191.html
part0192.html
part0193.html
part0194.html
part0195.html
part0196.html
part0197.html
part0198.html
part0199.html
part0200.html
part0201.html
part0202.html
part0203.html
part0204.html
part0205.html
part0206.html
part0207.html
part0208.html
part0209.html
part0210.html
part0211.html
part0212.html
part0213.html
part0214.html
part0215.html
part0216.html
part0217.html
part0218.html
part0219.html
part0220.html
part0221.html
part0222.html
part0223.html
part0224.html
part0225.html
part0226.html
part0227.html
part0228.html
part0229.html
part0230.html
part0231.html
part0232.html
part0233.html
part0234.html
part0235.html
part0236.html
part0237.html
part0238.html
part0239.html
part0240.html
part0241.html
part0242.html
part0243.html
part0244.html
part0245.html
part0246.html
part0247.html
part0248.html
part0249.html
part0250.html
part0251.html
part0252.html
part0253.html
part0254.html
part0255.html
part0256.html
part0257.html
part0258.html
part0259.html
part0260.html
part0261.html
part0262.html
part0263.html
part0264.html
part0265.html
part0266.html
part0267.html
part0268.html
part0269.html
part0270.html
part0271.html
part0272.html
part0273.html
part0274.html
part0275.html
part0276.html
part0277.html
part0278.html
part0279.html
part0280.html
part0281.html
part0282.html
part0283.html
part0284.html
part0285.html
part0286.html
part0287.html
part0288.html
part0289.html
part0290.html
part0291.html
part0292.html
part0293.html
part0294.html
part0295.html
part0296.html
part0297.html
part0298.html
part0299.html
part0300.html
part0301.html
part0302.html
part0303.html
part0304.html
part0305.html
part0306.html
part0307.html
part0308.html
part0309.html
part0310.html
part0311.html
part0312.html
part0313.html
part0314.html
part0315.html
part0316.html
part0317.html
part0318.html
part0319.html
part0320.html
part0321.html
part0322.html
part0323.html
part0324.html
part0325.html
part0326.html
part0327.html
part0328.html
part0329.html
part0330.html
part0331.html
part0332.html
part0333.html
part0334.html
part0335.html
part0336.html
part0337.html
part0338.html
part0339.html
part0340.html
part0341.html
part0342.html
part0343.html
part0344.html
part0345.html
part0346.html
part0347.html
part0348.html
part0349.html
part0350.html
part0351.html
part0352.html
part0353.html
part0354.html
part0355.html
part0356.html
part0357.html
part0358.html
part0359.html
part0360.html
part0361.html
part0362.html
part0363.html
part0364.html
part0365.html
part0366.html
part0367.html
part0368.html
part0369.html
part0370.html
part0371.html
part0372.html
part0373.html
part0374.html
part0375.html
part0376.html
part0377.html
part0378.html
part0379.html
part0380.html
part0381.html
part0382.html
part0383.html
part0384.html
part0385.html
part0386.html
part0387.html
part0388.html
part0389.html
part0390.html
part0391.html
part0392.html
part0393.html
part0394.html
part0395.html
part0396.html
part0397.html
part0398.html
part0399.html
part0400.html
part0401.html
part0402.html
part0403.html
part0404.html
part0405.html
part0406.html
part0407.html
part0408.html
part0409.html
part0410.html
part0411.html
part0412.html
part0413.html
part0414.html
part0415.html
part0416.html
part0417.html
part0418.html
part0419.html
part0420.html
part0421.html
part0422.html
part0423.html
part0424.html
part0425.html
part0426.html
part0427.html
part0428.html
part0429.html
part0430.html
part0431.html
part0432.html
part0433.html
part0434.html
part0435.html
part0436.html
part0437.html
part0438.html
part0439.html
part0440.html
part0441.html
part0442.html
part0443.html
part0444.html
part0445.html
part0446.html
part0447.html
part0448.html
part0449.html
part0450.html
part0451.html
part0452.html
part0453.html
part0454.html
part0455.html
part0456.html
part0457.html
part0458.html
part0459.html
part0460.html
part0461.html
part0462.html
part0463.html
part0464.html
part0465.html
part0466.html
part0467.html
part0468.html
part0469.html
part0470.html
part0471.html
part0472.html
part0473.html
part0474.html
part0475.html
part0476.html
part0477.html
part0478.html
part0479.html
part0480.html
part0481.html
part0482.html
part0483.html
part0484.html
part0485.html
part0486.html
part0487.html
part0488.html
part0489.html
part0490.html
part0491.html
part0492.html
part0493.html
part0494.html
part0495.html
part0496.html
part0497.html
part0498.html
part0499.html
part0500.html
part0501.html
part0502.html
part0503.html
part0504.html
part0505.html
part0506.html
part0507.html
part0508.html
part0509.html
part0510.html
part0511.html
part0512.html
part0513.html
part0514.html
part0515.html
part0516.html
part0517.html
part0518.html
part0519.html
part0520.html
part0521.html
part0522.html
part0523.html
part0524.html
part0525.html
part0526.html
part0527.html
part0528.html
part0529.html
part0530.html
part0531.html
part0532.html
part0533.html
part0534.html
part0535.html
part0536.html
part0537.html
part0538.html
part0539.html
part0540.html
part0541.html
part0542.html
part0543.html
part0544.html
part0545.html
part0546.html
part0547.html
part0548.html
part0549.html
part0550.html
part0551.html
part0552.html
part0553.html
part0554.html
part0555.html
part0556.html
part0557.html
part0558.html
part0559.html
part0560.html
part0561.html
part0562.html
part0563.html
part0564.html
part0565.html
part0566.html
part0567.html
part0568.html
part0569.html
part0570.html
part0571.html
part0572.html
part0573.html
part0574.html
part0575.html
part0576.html
part0577.html
part0578.html
part0579.html
part0580.html
part0581.html
part0582.html
part0583.html
part0584.html
part0585.html
part0586.html
part0587.html
part0588.html
part0589.html
part0590.html
part0591.html
part0592.html
part0593.html
part0594.html
part0595.html
part0596.html
part0597.html
part0598.html
part0599.html
part0600.html
part0601.html
part0602.html
part0603.html
part0604.html
part0605.html
part0606.html
part0607.html
part0608.html
part0609.html
part0610.html
part0611.html
part0612.html
part0613.html
part0614.html
part0615.html
part0616.html
part0617.html
part0618.html
part0619.html
part0620.html
part0621.html
part0622.html
part0623.html
part0624.html
part0625.html
part0626.html
part0627.html
part0628.html
part0629.html
part0630.html
part0631.html
part0632.html
part0633.html
part0634.html
part0635.html
part0636.html
part0637.html
part0638.html
part0639.html
part0640.html
part0641.html
part0642.html
part0643.html
part0644.html
part0645.html
part0646.html
part0647.html
part0648.html
part0649.html
part0650.html
part0651.html
part0652.html
part0653.html
part0654.html
part0655.html
part0656.html
part0657.html
part0658.html
part0659.html
part0660.html
part0661.html
part0662.html
part0663.html
part0664.html
part0665.html
part0666.html
part0667.html
part0668.html
part0669.html
part0670.html
part0671.html
part0672.html
part0673.html
part0674.html
part0675.html
part0676.html
part0677.html
part0678.html
part0679.html
part0680.html
part0681.html
part0682.html
part0683.html
part0684.html
part0685.html
part0686.html
part0687.html
part0688.html
part0689.html
part0690.html
part0691.html
part0692.html
part0693.html
part0694.html
part0695.html
part0696.html
part0697.html
part0698.html
part0699.html
part0700.html
part0701.html
part0702.html
part0703.html
part0704.html
part0705.html
part0706.html
part0707.html
part0708.html
part0709.html
part0710.html
part0711.html
part0712.html
part0713.html
part0714.html
part0715.html
part0716.html
part0717.html
part0718.html
part0719.html
part0720.html
part0721.html
part0722.html
part0723.html
part0724.html
part0725.html
part0726.html
part0727.html
part0728.html
part0729.html
part0730.html
part0731.html
part0732.html
part0733.html
part0734.html
part0735.html
part0736.html
part0737.html
part0738.html
part0739.html
part0740.html
part0741.html
part0742.html
part0743.html
part0744.html
part0745.html
part0746.html
part0747.html
part0748.html
part0749.html
part0750.html
part0751.html
part0752.html
part0753.html
part0754.html
part0755.html
part0756.html
part0757.html
part0758.html
part0759.html
part0760.html
part0761.html
part0762.html
part0763.html
part0764.html
part0765.html
part0766.html
part0767.html
part0768.html
part0769.html
part0770.html
part0771.html
part0772.html
part0773.html
part0774.html
part0775.html
part0776.html
part0777.html
part0778.html
part0779.html
part0780.html
part0781.html
part0782.html
part0783.html
part0784.html
part0785.html
part0786.html
part0787.html
part0788.html
part0789.html
part0790.html
part0791.html
part0792.html
part0793.html
part0794.html
part0795.html
part0796.html
part0797.html
part0798.html
part0799.html
part0800.html
part0801.html
part0802.html
part0803.html
part0804.html
part0805.html
part0806.html
part0807.html
part0808.html
part0809.html
part0810.html
part0811.html
part0812.html
part0813.html
part0814.html
part0815.html
part0816.html
part0817.html
part0818.html
part0819.html
part0820.html
part0821.html
part0822.html
part0823.html
part0824.html
part0825.html
part0826.html
part0827.html
part0828.html
part0829.html
part0830.html
part0831.html
part0832.html
part0833.html
part0834.html
part0835.html
part0836.html
part0837.html
part0838.html
part0839.html
part0840.html
part0841.html
part0842.html
part0843.html
part0844.html
part0845.html
part0846.html
part0847.html
part0848.html
part0849.html
part0850.html
part0851.html
part0852.html
part0853.html
part0854.html
part0855.html
part0856.html
part0857.html
part0858.html
part0859.html
part0860.html
part0861.html
part0862.html
part0863.html
part0864.html
part0865.html
part0866.html
part0867.html
part0868.html
part0869.html
part0870.html
part0871.html
part0872.html
part0873.html
part0874.html
part0875.html
part0876.html
part0877.html
part0878.html
part0879.html
part0880.html
part0881.html
part0882.html
part0883.html
part0884.html
part0885.html
part0886.html
part0887.html
part0888.html
part0889.html
part0890.html
part0891.html
part0892.html
part0893.html
part0894.html
part0895.html
part0896.html
part0897.html
part0898.html
part0899.html
part0900.html
part0901.html
part0902.html
part0903.html
part0904.html
part0905.html
part0906.html
part0907.html
part0908.html
part0909.html
part0910.html
part0911.html
part0912.html
part0913.html
part0914.html
part0915.html
part0916.html
part0917.html
part0918.html
part0919.html
part0920.html
part0921.html
part0922.html
part0923.html
part0924.html
part0925.html
part0926.html
part0927.html
part0928.html
part0929.html
part0930.html
part0931.html
part0932.html
part0933.html
part0934.html
part0935.html
part0936.html
part0937.html
part0938.html
part0939.html
part0940.html
part0941.html
part0942.html
part0943.html
part0944.html
part0945.html
part0946.html
part0947.html
part0948.html
part0949.html
part0950.html
part0951.html
part0952.html
part0953.html
part0954.html
part0955.html
part0956.html
part0957.html
part0958.html
part0959.html
part0960.html
part0961.html
part0962.html
part0963.html
part0964.html
part0965.html
part0966.html
part0967.html
part0968.html
part0969.html
part0970.html
part0971.html
part0972.html
part0973.html
part0974.html
part0975.html
part0976.html
part0977.html
part0978.html
part0979.html
part0980.html
part0981.html
part0982.html
part0983.html
part0984.html
part0985.html
part0986.html
part0987.html
part0988.html
part0989.html
part0990.html
part0991.html
part0992.html
part0993.html
part0994.html
part0995.html
part0996.html
part0997.html
part0998.html
part0999.html
part1000.html
part1001.html
part1002.html
part1003.html
part1004.html
part1005.html
part1006.html
part1007.html
part1008.html
part1009.html
part1010.html
part1011.html
part1012.html
part1013.html
part1014.html
part1015.html
part1016.html
part1017.html
part1018.html
part1019.html
part1020.html
part1021.html
part1022.html
part1023.html
part1024.html
part1025.html
part1026.html
part1027.html
part1028.html
part1029.html
part1030.html
part1031.html
part1032.html
part1033.html
part1034.html
part1035.html
part1036.html
part1037.html
part1038.html
part1039.html
part1040.html
part1041.html
part1042.html
part1043.html
part1044.html
part1045.html
part1046.html
part1047.html
part1048.html
part1049.html
part1050.html
part1051.html
part1052.html
part1053.html
part1054.html
part1055.html
part1056.html
part1057.html
part1058.html
part1059.html
part1060.html
part1061.html
part1062.html
part1063.html
part1064.html
part1065.html
part1066.html
part1067.html
part1068.html
part1069.html
part1070.html
part1071.html
part1072.html
part1073.html
part1074.html
part1075.html
part1076.html
part1077.html
part1078.html
part1079.html
part1080.html
part1081.html
part1082.html
part1083.html
part1084.html
part1085.html
part1086.html
part1087.html
part1088.html
part1089.html
part1090.html
part1091.html
part1092.html
part1093.html
part1094.html
part1095.html
part1096.html
part1097.html
part1098.html
part1099.html
part1100.html
part1101.html
part1102.html
part1103.html
part1104.html
part1105.html
part1106.html
part1107.html
part1108.html
part1109.html
part1110.html
part1111.html
part1112.html
part1113.html
part1114.html
part1115.html
part1116.html
part1117.html
part1118.html
part1119.html
part1120.html
part1121.html
part1122.html
part1123.html
part1124.html
part1125.html
part1126.html
part1127.html
part1128.html
part1129.html
part1130.html
part1131.html
part1132.html
part1133.html
part1134.html
part1135.html
part1136.html
part1137.html
part1138.html
part1139.html
part1140.html
part1141.html
part1142.html
part1143.html
part1144.html
part1145.html
part1146.html
part1147.html
part1148.html
part1149.html
part1150.html
part1151.html
part1152.html
part1153.html
part1154.html
part1155.html
part1156.html
part1157.html
part1158.html
part1159.html
part1160.html
part1161.html
part1162.html
part1163.html
part1164.html
part1165.html
part1166.html
part1167.html
part1168.html
part1169.html
part1170.html
part1171.html
part1172.html
part1173.html
part1174.html
part1175.html
part1176.html
part1177.html
part1178.html
part1179.html
part1180.html
part1181.html
part1182.html
part1183.html
part1184.html
part1185.html
part1186.html
part1187.html
part1188.html
part1189.html
part1190.html
part1191.html
part1192.html
part1193.html
part1194.html
part1195.html
part1196.html
part1197.html
part1198.html
part1199.html
part1200.html
part1201.html
part1202.html
part1203.html
part1204.html
part1205.html
part1206.html
part1207.html
part1208.html
part1209.html
part1210.html
part1211.html
part1212.html
part1213.html
part1214.html
part1215.html
part1216.html
part1217.html
part1218.html
part1219.html
part1220.html
part1221.html
part1222.html
part1223.html
part1224.html
part1225.html
part1226.html
part1227.html
part1228.html
part1229.html
part1230.html
part1231.html
part1232.html
part1233.html
part1234.html
part1235.html
part1236.html
part1237.html
part1238.html
part1239.html
part1240.html
part1241.html
part1242.html
part1243.html
part1244.html
part1245.html
part1246.html
part1247.html
part1248.html
part1249.html
part1250.html
part1251.html
part1252.html
part1253.html
part1254.html
part1255.html
part1256.html
part1257.html
part1258.html
part1259.html
part1260.html
part1261.html
part1262.html
part1263.html
part1264.html
part1265.html
part1266.html
part1267.html
part1268.html
part1269.html
part1270.html
part1271.html
part1272.html
part1273.html
part1274.html
part1275.html
part1276.html
part1277.html
part1278.html
part1279.html
part1280.html
part1281.html
part1282.html
part1283.html
part1284.html
part1285.html
part1286.html
part1287.html
part1288.html
part1289.html
part1290.html