Raymond Aron et nous
Le Nouvel Observateur
15 mars 1976

Raymond Aron n'est pas des nôtres. Polémiste redoutable, bretteur infatigable, voilà vingt ans qu'il ferraille avec le vieil adversaire communiste et ses compagnons de route. Vingt ans qu'il s'est donné la gauche socialiste en pâture et qu'il en dénonce quotidiennement les erreurs et les mythologies. Vingt ans qu'il fait le guet aux avant-postes de l'ordre bourgeois, acharné à traquer l'hydre marxiste en chacune de ses réincarnations. Vestale zélée et vigilante des temples de la droite, héraut obstiné des valeurs libérales, pathétiquement adossé à un monde qui nous est étranger et dont tout indique aujourd'hui la crise et la faillite prochaines, il est présent sur tous les fronts, ici pour repousser un assaut, là pour colmater une brèche. Avec Aron, grâce à Aron, le Prince semble avoir enfin trouvé le Philosophe de ses rêves. Le plus fin, le plus subtil de ses idéologues: raison de plus pour l'écouter et prendre au sérieux ce qu'il dit. D'autant que, s'il n'est pas des nôtres, il est pourtant aussi, pour des raisons mystérieuses, par des détours mal éclaircis, étrangement proche de nous. Un lien de sang, un lien de vie, dont on pourrait suivre la trace depuis le temps des années 1930, des intellectuels antifascistes, de l'amitié avec Sartre, et des premiers "Temps modernes", continue de l'attacher à une gauche qui l'a excommunié, qui l'ignore, mais qui continue de le fasciner. Il suffit du reste de lire son "Clausewitz", ce monumental ouvrage, pour constater qu'il est pour moitié au moins consacré à Lénine, Mao, et à la notion de guerre populaire. Il suffit de relire quelques pages de "l'Opium des intellectuels" pour voir que cet antimarxiste militant est un marxologue plus averti que bien des marxistes. Et toute la chronique intellectuelle de la France de ces dernières années est là pour prouver que l'aronisme a été le havre ou la position de repli d'hommes de gauche désenchantés. Raymond Aron le sait et s'en explique dans cet entretien avec Bernard-Henri Lévy et où il apparaît sous des traits parfois inattendus: moins peut-être un ennemi que notre meilleur adversaire.
Vous occupez, Raymond Aron, une singulière position sur notre échiquier politique. Classé à droite, vous ne cessez d'interpeller la gauche. Caution de la bourgeoisie libérale, ce n'est jamais à elle que vous vous adressez mais toujours à ces hommes de gauche que vous avez reniés et qui vous ont excommunié.
Raymond Aron. - Dans l'ensemble, c'est exact. D'abord parce que la plupart de mes livres s'adressent à un public intellectuel et que le public intellectuel parisien est en majorité acquis à ce que vous appelez la gauche. Ensuite parce que, juif, je ne peux pas être, je n'ai jamais pu être viscéralement de droite… Reste néanmoins que c'est pour ce que l'on appelle la droite que je plaide, pour ceux qui ne refusent pas la société actuelle, et que je leur donne bonne conscience…
Envoyé spécial en terrain adverse, vous êtes en quelque sorte chargé des affaires marxistes: théoricien de ce dont Revel est le pamphlétaire…
R. A. - Disons que je tâche de convaincre mes lecteurs, qu'ils soient de droite ou de gauche, que la tragédie du communisme n'est pas un accident, que les expériences d'économie planifiée n'ont jamais réussi jusqu'à présent à surmonter les défauts des économies non planifiées que nous connaissons. Et enfin – c'est pour moi la plus grande leçon du siècle – que la violence, une fois déchaînée, monte aux extrêmes, au sens de Clausewitz… Regardez la révolution de 1917: entreprise au nom d'idées humaines et généreuses, elle a abouti à des dizaines de millions de cadavres. Il est parfaitement vrai que mes livres sur le marxisme sont des livres polémiques; mais ils se placent sur un plan différent de celui de Jean-François Revel.
Au fond, l'adversaire vous fascine en même temps qu'il vous exaspère. Vous avez besoin, fondamentalement besoin, de ce mal absolu qu'est, pour vous, le communisme pur et dur. Que l'U.R.S.S., demain, devienne pays de liberté, c'est, de votre point de vue, proprement inconcevable.
R. A. - Je ne crois pas. Le régime bolchevique, tel qu'il s'est constitué, n'échappe pas au devenir historique. Bien que je m'abstienne, à la différence de beaucoup de mes amis, de faire des prévisions à long terme, je ne tiens pas pour inconcevable la mutation du régime… Simplement, je crois que le temps propre aux régimes despotiques est foncièrement différent du temps des régimes démocratiques. De sorte que j'ai toujours pensé, au moins depuis trente ans, que je ne verrai jamais de mon vivant qu'un régime soviétique continuant de se servir du marxisme pour se justifier lui-même. Et cela même si son caractère totalitaire s'atténue; car il s'est malgré tout atténué depuis l'époque stalinienne.
Quand je parle de "fascination", je veux dire quelque chose comme un terrain commun. Savez-vous qu'autrefois, il y a quelques années encore, quand un normalien venait demander à Althusser qui voir pour préparer une thèse de philosophie politique, Althusser finissait toujours par répondre: "Après tout, pourquoi pas Aron"?
R. A. - Cela ne prouve pas grand-chose, sinon qu'il estime que je connais bien Marx et que ses étudiants, en venant me voir, trouveront un contradicteur suffisamment averti pour que le débat soit fécond. Cela ne signifie pas qu'il ait un faible pour ma personne mais simplement qu'il n'est pas inutile de discuter avec moi.
C'est déjà beaucoup… Vous avez, du coup, des élèves, et même des disciples qui viennent de l'extrême-gauche. Je pense à Glucksmann, par exemple, qui a commencé, avec son "Discours de la guerre", par un livre sur Clausewitz et qui, l'an dernier, avec "la Cuisinière et le Manageur d'hommes", amorçait une critique (de gauche) du marxisme.
R. A. - Je connais bien Glucksmann, que je cite d'ailleurs à plusieurs reprises dans mon livre. Et, comme je parle toujours de lui un peu comme un père ou un grand-père, je regrette, voyez-vous, qu'il fasse des livres moins bons que ceux qu'il pourrait écrire. Son "Discours de la guerre" est extrêmement brillant mais faux à bien des égards.
Et son second livre, "la Cuisinière et le Mangeur d'hommes", vous y reconnaissez-vous?
R. A. - Glucksmann utilise, bien sûr, un certain nombre de faits ou d'arguments que j'ai moi-même utilisés depuis trente ans; mais il n'est pas le seul à l'avoir fait. Et je ne suis pas sûr que mon libéralisme désabusé soit à l'origine de son gauchisme malgré tout quelque peu prophétique… En fait, il appartient à un courant de pensée foncièrement différent du mien. Je suis de ceux qui n'ont jamais cru que la société idéale puisse se réaliser et soit autre chose qu'une idée de la raison. Il se rattache, lui, à une tradition plus récente, qu'incarne notamment Sartre: celle de ces philosophes qui croient que leur société translucide est bel et bien de ce monde-ci et que la violence des mouvements populaires permet de s'en rapprocher.
Pas d'influence directe, donc?
R. A. - Mettons que j'ai influencé Glucksmann; mais par un tout autre biais, pas du tout par mes choix politiques. Ce qui est vrai, c'est que c'est à travers mes livres qu'il a découvert les problèmes de stratégie. Et que le problème de la monnaie dans les rapports entre États, auquel il consacrera je crois un prochain livre, nous en avons longuement parlé à mon séminaire ou même en tête à tête. Mais je le répète: pour l'attitude politique, je crois qu'il pourrait récuser toute influence de ma part.
Autrement dit, s'il naissait en France quelque chose comme une gauche non marxiste, voire antimarxiste, si la gauche en venait à secouer le joug du freudo-marxisme qui l'a investie depuis la guerre, vous ne vous sentirez pas plus proche de cette gauche-là que de la gauche du «Programme commun»?
R. A. – Bien entendu, tout cela n’est pas vrai. Parce qu’il y a la question du marxisme mais aussi celle de l’optimisme historique. Et que la gauche dont vous me parlez reste fondamentalement millénariste, refusant ce vieux fonds de sagesse libérale qui dit qu’il ne faut pas donner aux hommes trop de pouvoir, de peur qu’ils n’en abusent. Disons qu’il y a historiquement une gauche qui se fonde sur l’absence d’illusions et sur un certain pessimisme et qu’à cette gauche-là, oui, j’appartiens.
Vous dites parfois qu’il y a des aroniens de droite et des aroniens de gauche…
R.A. - … et j’ajoute souvent que, de tous les aroniens, je suis probablement le plus à gauche. Car beaucoup de mes amis me reprochent d’avoir trop conservé des illusions de ma jeunesse.
Quelle est, entre les uns et les autres, la ligne de partage?
R.A. – Disons qu’il y a eu une époque, une courte période, après le rapport Khrouchtchev, où un certain nombre d’hommes de gauche, Edgar Morin par exemple, ont trouvé dans mes cours de Sorbonne, les «18 Leçons» par exemple, une position de repli. Une position non prophétique si vous voulez. Et il y a, aujourd’hui encore, des hommes de gauche, revenus du millénarisme, qui se déclarent aroniens. C’est cela le critère décisif.
Dans ce dialogue que vous tentez de poursuivre ou de renouer avec la gauche, il y a tout de même un élément curieux, c’est que la gauche ne vous répond jamais et même qu’en un sens elle vous ignore. Je pense notamment à Sartre et à ce qu’il disait de vous dans l’entretien publié ici même l’été dernier: «J’ai beaucoup discuté avec Aron mais ça ne m’a servi à rien.»
R.A. – Il y a deux choses que vous confondez: Sartre et la gauche. Le cas de Sartre est très particulier. Car c’est avant tout un homme de monologue. Il ne dialogue jamais, sinon avec lui-même ou avec Simone de Beauvoir. Et encore, je n’en suis même pas sûr: voyez la succession de ses attitudes politiques, il n’a jamais discuté après coup ce qu’il avait pu dire à un moment donné. Il croit et il affirme qu’il est absolument neuf à chacun des instants de sa vie. Et, du coup, il ne se sent pour ainsi dire pas chargé de responsabilité à l’égard de son propre passé.
Vous avez été autrefois très liés…
R.A. – Oui, au sens où deux normaliens peuvent avoir des relations intimes quand ils débattent de tout, des grands problèmes du monde. Mais je pense que nos relations ont changé du jour où il a rencontré Simone de Beauvoir. Il y a eu une époque où se plaisait à m’avoir comme interlocuteur. Sartre est l’homme d’un interlocuteur privilégié, c’est un homme qui vit dans un tout petit groupe d’amis et je trouve cela parfaitement naturel: j’ai toujours trouvé cela parfaitement naturel.
Vous lui avez tout de même consacré tout un ouvrage; comment expliquez-vous qu’il n’ait pas daigné vous répondre?
R.A. – Je sais effectivement qu’il l’a lu. Il le dit d’ailleurs dans sa dernière
interview
au «Nouvel Observateur». Je sais aussi qu’un certain nombre de sartriens fidèles et convaincus le considèrent comme la seule discussion sérieuse de la «Critique de la raison dialectique». Lui-même, je crois, n’a pas été absolument hostile à mon livre… Mais, je vous le répète, par tempérament il n’aime pas la discussion. Il ne croit pas à la valeur des objections qu’on lui fait et encore moins à celle des réponses qu’il pourrait apporter.
Il s’agit donc bien d’un dialogue à sens unique?
R.A. – Sans aucun doute. Cela dit, il y a encore autre chose qui nous distingue et qui explique la situation que vous évoquez. C’est qu’alors que, pour ma part, je ne le condamne pas moralement pour les positions qu’il a prises, lui me condamne moralement à cause des positions que je prends…
Le «libéralisme» a au moins le mérite de la tolérance…
R.A. – Non, ce n’est pas cela. Je crois plutôt qu’en un sens je suis plus «politique» que lui… Depuis que j’ai commencé à réfléchir sur la politique, très exactement depuis un certain jour de 1931, j’ai toujours pensé que les décisions politiques étaient des choix aventureux dans un monde dont le devenir nous est perpétuellement inconnu. Que les prises de position, même antagonistes, surtout antagonistes, sont nécessaires au jeu même de toute société humaine. Et qu’on ne peut pas dire, par conséquent: «Celui-ci est coupable et celui-ci a raison…» Lui, au contraire, est d’une intransigeance extraordinaire à l’égard des positions qui lui sont étrangères et qui lui paraissent injustifiables. Comment un homme comme lui a-t-il pu dire, par exemple, que les anticommunistes sont des chiens. C’est idiot. C’est tout simplement idiot. Et c’est pour cette raison que cela ne m’a jamais touché. Comment un homme comme lui peut-il ne pas comprendre l’anticommunisme de Soljenitsyne, qui a le sens d’une protestation contre un régime qui a coûté à l’humanité des dizaines de millions de cadavres…
Sur ce point précis, de l’eau a coulé sous les ponts, et je ne pense pas qu’il se risquerait encore à justifier le communisme soviétique. À sa manière, qui n’est pas la vôtre, bien sûr, il est lui aussi devenu «antisoviétique».
R.A. – Ce n’est pas sûr. Ce n’est pas sûr du tout. Je lisais, il y a quelques jours encore, dans l’article de Claude Mauriac sur le dixième tome des «Situations», qu’il n’est pas question pour lui de la moindre autocritique quant à ses positions d’autrefois. Pas question de se donner tort sur tant de textes et de déclarations qui ont fait de lui un compagnon de route des staliniens. C’est tout à fait extraordinaire: comment peut-il ne pas comprendre Soljenitsyne quand il dit:
«Comment vous, philosophe de la liberté, pouvez-vous être reçu par nos tyrans, par des hommes de lettres de troisième ordre qui ne sont que les agents du K.G.B.?»
Il n’entend pas. Il ne se pose pas la question. Je ne le lui reproche pas: il est comme ça. J’ai dit une fois pour toutes qu’il a un certain génie et que fait partie de ce génie ce qui m’apparaît comme bizarrerie.
Vous est-il arrivé de vous revoir depuis votre rupture?
R.A. – Parfois, par hasard. Mais nous n’avons plus eu de conversations. Et, au fond, il n’en avait aucune envie.
Et maintenant?
R.A. – Maintenant, cela n’aurait plus de sens. Nous avons l’un et l’autre passé soixante-dix ans. Et les jeux sont faits, en quelque sorte… Lui, pour des raisons diverses, s’est quelque peu retiré du monde, tout en gardant d’ailleurs une pleine activité. S’il n’écrit plus, c’est seulement parce qu’il devient aveugle. Par bonne chance, je peux encore écrire, alors j’écris… Finalement, nous sommes tous les deux des ancêtres.
Ce qu’à vrai dire on a du mal à concevoir aujourd’hui, c’est comment des hommes aussi différents que Sartre, Malraux ou vous-même ont pu cohabiter au sein d’une même revue, «les Temps modernes». Car enfin, vous dites, «les jeux sont faits», mais sur le plan idéologique, ils l’étaient déjà dès l’immédiat après-guerre…
R.A. – Vous avez raison. J’étais conscient de l’équivoque dès cette époque. Mais c’était l’équivoque même de la grande alliance des résistants contre l’occupant et des grandes puissances contre l’Allemagne hitlérienne. Au fond, le comité de rédaction des «Temps modernes» était à l’image de la Résistance. Nous avons pu demeurer, Sartre, Paulhan, Malraux, Merleau-Ponty et moi, au sein d’une même revue seulement tant qu’a duré l’effet, à l’intérieur du pays, de la grande alliance de la guerre. Que ces effets disparaissent, que l’alliance se décompose, et c’en était fait de ces premiers «Temps modernes». Les uns durent choisir le parti communiste ou le compagnonnage avec lui: ce fut le cas de Sartre et, pendant une certaine période, de Merleau-Ponty; Malraux ou moi-même choisîmes. Et, pour ma part en tout cas, encore aujourd’hui, je ne le regrette pas.
De sorte que, dans cette affaire, l’évolution de la situation politique a eu le rôle déterminant…
R.A. - … et les incidents personnels qui se sont produits entre nous sont sans signification véritable. Tout ce qu’on peut dire, c’est que pour notre génération la rupture politique a entraîné la rupture totale des liens d’amitié. C’est un fait.
Pas dans le cas de Merleau-Ponty.
R.A. – C’est vrai mais il était moins intransigeant que Sartre. Et surtout, nous n’avons jamais été aussi proches que Sartre et moi avons pu l’être. À l’École normale, je connaissais très peu Merleau-Ponty.
Qui, de Sartre et Aron, aura au bout du compte davantage marqué l’histoire de son temps.
R.A. – La question ne se pose pas. Il l’a d’ores et déjà beaucoup plus marquée que moi. D’abord parce qu’il a derrière lui une œuvre beaucoup plus riche que la mienne et que son clavier comporte des romans, du théâtre, de la politique et de la philosophie. Ensuite parce que, de ce que j'ai pu faire, une partie est tout de même condamnée à disparaître très vite. Comme disait un jour Maurois en lisant un de mes livres:
"Il serait notre Montesquieu s'il consentait à décoller de la réalité historique."
Et c'était vrai.
Vous dites qu'il marquera davantage l'histoire, et c'est tout de même lui qui, sur le stalinisme, a eu historiquement tort.
R. A. - Oui. Je pense que j'ai vu la réalité historique mieux que lui. Et que ce à quoi il tient peut-être le plus, sa vision politique, est le point le plus faible de son œuvre… Mais l'essentiel n'est pas là. "L'Être et le Néant" et la "Critique de la raison dialectique" sont deux livres philosophiques importants, bien qu'il soit difficile de dire à l'avance ce qu'il en restera. Tandis que mon "Introduction à la philosophie de l'Histoire" ressemble à beaucoup de ce que j'ai écrit: j'ai été paralysé par la peur de me tromper. Je redoute l'imagination, aussi bien en philosophie qu'en politique. En quoi, d'ailleurs, je suis plutôt un analyste ou un critique. Et les analystes et les critiques sont des gens qui peuvent avoir une influence de leur vivant mais dont l'œuvre, parce qu'elle est terriblement liée à une situation donnée, disparaît plus vite que celle de ceux qui ont eu l'audace de l'imagination.
Même quand ils se trompent?
R. A. - Vous me mettez dans la curieuse position de le défendre et de le justifier. Mais ce n'est pas par goût du paradoxe. Ni, comme me le rapprochent souvent mes amis, par manie de plaider toujours en privé le dossier de mes adversaires…
Aujourd'hui ce n'est pas du privé…
R. A. - Peu importe. Je le ferais aussi bien en public. Ce qui me condamne aux yeux de l'
intelligentsia
, c'est qu'elle est encline à penser, au fond d'elle-même, qu'il
valait mieux
se tromper par illusion sur l'Union soviétique qu'avoir raison avant le moment où la vérité éclate aux yeux de tous. Ce qui me condamne aussi c'est qu'elle n'est pas près de me pardonner de ne pas ouvrir la voie de la société bonne et de ne pas tenter d'enseigner la méthode pour y accéder.
Et vous, qu'en pensez-vous? Vaut-il mieux, dans ce cas, être Sartre ou Aron? Sartre vainqueur mais dans l'erreur, ou Aron vaincu mais dans le vrai?
R. A. - C'est une question qui n'a pas grand sens.
Posons-la autrement: à quoi sert Sartre ayant tort? À quoi sert Aron ayant raison?
R. A. - Ce que je crois catastrophique, ce qui lui sera reproché un jour, c'est d'avoir utilisé sa virtuosité dialectique et des sentiments généreux pour justifier l'injustifiable. D'avoir, si vous voulez, déployé des trésors d'ingéniosité pour essayer de démontrer qu'on ne pouvait pas être contre Staline et qu'il fallait au moins être proche de lui. Alors qu'en revanche on dira peut-être un jour, si l'on s'intéresse encore à lui ou à moi, que je n'ai jamais justifié l'injustifiable par raison dialectique. Je n'ai jamais justifié Pinochet. Je n'ai jamais justifié Staline ni Hitler.
Vous parliez à l'instant du caractère "terriblement daté" d'une partie de vos travaux. Et, effectivement, je m'étonne de ce que, sur la question du marxisme par exemple, vous n'ayez jamais écrit que des livres de circonstance, des livres polémiques, dirigés contre tel ou tel. Jamais le grand livre sur le marxisme que vous annoncez depuis si longtemps…
R. A. - Vous savez, le grand livre sur le marxisme, c'est un peu une idée fausse. J'en ai moi-même plusieurs fois parlé mais c'est une idée fausse. Et d'abord parce que la pensée de Marx est une pensée extrêmement complexe, qui a connu plusieurs époques successives, qui utilise un système conceptuel bien déterminé. Et qui, surtout, est simultanément économique, philosophique et sociologique. Marx, comme disait Schumpeter, est tout cela à la fois, et par-dessus le marché prophète. De sorte qu'il est presque impossible de lui consacrer un livre qui ne soit pas un livre partiel.
Vous avez pourtant fait, naguère, une série de cours en Sorbonne portant sur l'ensemble de l'œuvre…
R. A. - Oui, bien entendu. Mais si j'essayais de transformer ce cours en livre, cela donnerait un ouvrage de cinq cents ou six cents pages, cela m'ennuie à l'avance, et je ne crois pas que j'apporterais une interprétation originale par rapport à l'ensemble de la littérature marxiste déjà existante. En fait, j'imagine mal un savoir total sur Marx qui apporte effectivement du nouveau.
Il y a tout de même eu, aux antipodes, bien sûr, de ce que vous pourriez faire, la tentative d'Althusser à laquelle vous ne pouvez tout de même pas dénier le mérite de l'originalité.
R. A. - Vous avez tout à fait tort. Tout le monde savait depuis longtemps qu'il y a deux manières d'interpréter philosophiquement Marx. L'une, à partir de Hegel, qui aboutit à Lukàcs et, au-delà de Lukàcs, à Merleau-Ponty. Et l'autre, qui choisit de considérer le système capitaliste comme un objet historique et essaie de penser les lois de cet objet historique.
Sans doute. Mais il n'y avait pas que cela chez Althusser. Il y a aussi l'idée que ces deux tendances se succèdent dans l'œuvre de Marx. Comme il dit: une "coupure épistémologique" qui partage l'œuvre en deux…
R. A. - C'est effectivement une idée neuve mais c'est aussi une idée fausse. Il est parfaitement clair que les deux tendances se combinent et ne se succèdent pas. Que l'étude des lois de fonctionnement de l'objet capitaliste (première tendance) ne sert à rien d'autre qu'à l'étude de l'évolution et du destin du régime capitaliste (deuxième tendance). Pas trace d'une œuvre épistémologique.
Au fond, Marx vous intéresse moins comme tel que parce qu'on en a fait. Vous ne perdez pas une occasion de dénoncer tel ou tel "marxisme imaginaire"; jamais vous ne vous attaquez à la source, Marx même.
R. A. - C'est que l'œuvre proprement spécifique,
"Marx même"
, comme vous dites, le noyau en quelque sorte, appartient désormais à tout le monde. Aux non-marxistes comme aux marxistes. Là-dessus, il n’y a plus de débat. Et tout a été dit. En revanche, les lectures politiques, les lectures partisanes, ont, elles, des effets redoutables, que je me dois de dénoncer.
Quels sont ces effets? Quelle est la fonction du marxisme, aujourd’hui, en 1976?
R.A. – C’est difficile à dire parce qu’il y a en fait deux marxismes, et les dissidents russes mettent parfaitement ce paradoxe en lumière. D’un côté, il est la justification d’un régime qui existe, le principe de légitimité du despotisme de parti unique. De l’autre, en Occident, il a une fonction inverse, une fonction critique, contre la société établie. Le résultat est que, quand les dissidents russes arrivent, ils sont bouleversés par l’attachement de l’
intelligentsia
occidentale à l’idéologie qui, chez eux, sert d’alibi à la terreur. Relisez la page où Soljenitsyne exprime son refus de rencontrer Sartre: opposition frappante de la révolte contre un régime qui se réclame du marxisme, et d’une révolte qui invoque le marxisme et qui s’en fait une arme.
Précisément. Et votre erreur est peut-être trop souvent de faire l’amalgame entre ces deux marxismes…
R.A. – Non, je ne les confonds pas. Mais je dis simplement que, quand les marxistes occidentaux parlent de dictature du prolétariat, il s’agir d’un calembour politique. Quand ils disent que le pouvoir du parti unique est le pouvoir du prolétariat, c’est un calembour qui n’a strictement aucun sens, ni en soi ni par rapport à Marx. Mais qui a eu, en revanche, en Union soviétique, des effets bien précis et qu’on ne connaît que trop…
Même le Parti communiste français renonce à cette notion de dictature du prolétariat.
R.A. – Oui, mais tant qu’on en restera là, tant que Georges Marchais se contentera de dire qu’il ne veut pas de la dictature du prolétariat, tant qu’il ne dira pas que c’est un calembour d’appeler dictature du prolétariat un régime de parti unique, son discours restera un tissu de mauvaises plaisanteries.
Au fond, votre grand livre sur le marxisme, ç’aurait pu être le système des interprétations de Marx, une table raisonnée des déviations.
R.A. – Tâche impossible parce qu’infinie. Il y a beaucoup trop de marxistes. Il y a beaucoup trop d’équivoques. De sorte que personne ne peut prétendre en reconstituer le système.
C’est pourtant bien ce que vous avez tenté sur Clausewitz.
R.A. – Les choses sont différentes. Il y a quelques équivoques fondamentales chez Clausewitz. Elles sont finalement peu nombreuses. Deux ou trois peut-être, contre une bonne douzaine dans le cas de Marx. Sa postérité n’est pas considérable et ceux qui l’ont lu étaient à quelques exceptions près incapables de le comprendre: des militaires qui ne pouvaient pas comprendre la manière de s’exprimer de cet homme… Autrement dit, il était possible, sinon facile, de faire ce que j’avais envie de faire. C’est-à-dire démontrer, premièrement, qu'on peut parfaitement essayer de reconstituer le projet et le système d'un grand auteur. Et, ensuite, à partir de cette reconstitution, suivre les interprétations successives et la destinée posthume de l'œuvre et du projet.
Pourquoi, d'ailleurs, ce livre? Pourquoi, si tard, votre premier travail proprement érudit? Pourquoi avoir choisi d'écrire le livre majeur sur Clausewitz au lieu de celui sur Marx qu'on attendait?
R. A. - Pour deux raisons très simples. D'abord parce que je suis entré au Collège de France et que je devais démontrer à mes collègues que mes exercices divers ne m'empêchaient pas d'écrire un livre à caractère scientifique. Ensuite parce que ce livre fondamental sur Clausewitz n'existait pas. Il n'existe rien en Allemagne qui soit comparable au livre que j'ai écrit. Qu'il soit bon ou mauvais, ce n'est pas à moi d'en juger: mais il est sûr qu'on n'avait encore jamais tenté cette reconstruction systématique de la pensée clausewitzienne à travers ses étapes successives. Songer que personne n'a élaboré, à ma connaissance, les deux concepts fondamentaux, celui de
polarité
et celui d'
Ausweg
, qui est le substitut de la synthèse dans la dialectique clausewitzienne. Autrement dit, tout était encore à faire, et d'une certaine manière cela m'a davantage amusé de consacrer trois ans à Clausewitz qu'encore trois ans à Marx.
Est-ce qu'il n'y a pas encore autre chose? Car au fond: Machiavel, Max Weber, maintenant Clausewitz…, tous les hommes qui vous ont fasciné sont des intellectuels qui ont rêvé de jouer un rôle dans l'histoire et qui en ont été frustrés.
R. A. - C'est en partie vrai.
Regrettez-vous de n'avoir pas été vous-même un homme d'action?
R. A. - Le problème n'est pas là. Si j'ai de l'amertume ou du regret par rapport à mon passé, ce n'est pas sur ce plan-là. Si j'ai des regrets, c'est de ne pas avoir donné le meilleur de moi-même au plan intellectuel. De m'être dispersé dans des polémiques qui, au fond, après coup, m'intéressent peu.
J'ai tout de même en mémoire votre leçon inaugurale au Collège de France, un article sur Machiavel et Marx… Vous êtes manifestement hanté par le thème du "conseiller du prince"…
R. A. - Précisément: je crois m'être tenu, du point de vue que vous dites, à égale distance de Marx et de Machiavel. Je n'ai jamais voulu être le confident de la Providence, et je n'ai jamais trouvé le prince qui m'accepte comme conseiller. J'ai toujours voulu, en fait, me tenir à la fois dans l'histoire et en dehors. Regarder l'histoire se faisant comme si elle était déjà une histoire faite. Mais en me refusant au même moment la facilité de ne pas m'engager.
C'est contradictoire.
R. A. - Non. Cela signifie que je me suis engagé dans un certain nombre de causes, mais que je ne me suis jamais pour autant mis au service d'un parti et que je n'ai jamais déclaré non plus que ma position était la seule légitime. Je me suis engagé donc, mais autrement que Sartre; et c'est là, je vous le disais, le fond de nos dissentiments. Tout cela est problématisé dans mon "Introduction à la philosophie de l'Histoire".
Un exemple?
R. A. - Prenons, si vous voulez, l'exemple des circonstances où ma prise de position a paru la plus paradoxale: la brochure où j'annonçais que l'indépendance algérienne était inévitable et qu'il fallait négocier. Elle date du printemps de 1957 mais elle avait été écrite un an auparavant sous forme de note remise à Guy Mollet… Eh bien, par cette prise de position politique, je me suis trouvé en dehors de tous les partis. Et cela parce qu'au fond je n'aurais jamais pu dire que les tenants de l'Algérie française étaient "des chiens". Et que je ne pensais pas qu'ils fussent moralement coupables.
Voulez-vous dire que vous êtes trop non conformiste?
R. A. - Exactement. Et, en même temps, que je n'ai pas les qualités qui font un homme politique. Quand j'étais au cabinet de Malraux, par exemple, je me rendais compte que je n'avais pas d'ennemis dans la classe politique tant que je me contentais d'écrire. Mais je sentais l'hostilité dès qu'on me soupçonnait d'avoir d'autres ambitions. Et puis surtout je suis trop impatient et c'est impardonnable pour un homme d'action. Je ne suis jamais arrivé à écouter les discours interminables. Pour faire de la politique, il faut être patient. On est injuste envers les politiques, on ne pense pas assez de quel prix ils paient leur goût du pouvoir.
C'est Chateaubriand qui disait que nul n'est plus intolérable à l'homme d'action que l'intellectuel. Et Mme de Staël "agaçait" Napoléon…
R. A. - Il faut reconnaître une chose: j'ai toujours été en mauvais termes avec les hommes au pouvoir. Même quand ils suivaient une politique peu éloignée de celle que, dans l'abstrait, je préconisais. Même Pompidou, avec lequel, au moment de son élection, j'ai eu d'excellentes relations, n'a pas tardé à ne plus supporter mes articles critiques… Tenez: je vais vous donner un autre exemple. Quand l'affaire de la C.E.D. a commencé, j'ai critiqué l'entreprise. J'ai dit qu'elle conduirait à une crise. Qu'on ne pouvait pas avoir des guerres coloniales au dehors, une armée française hors des frontières, et s'unir au même moment, militairement, avec l'Allemagne. Et, par-dessus le marché, l'Europe au niveau du bataillon, ça me paraissait farfelu…
"Vous êtes extraordinaire
, avais-je dit à Robert Schuman,
vous ne voulez pas des Allemands comme alliés et vous les voulez comme compatriotes. "
À quoi je ne sais plus quel parlementaire socialiste m'avait répondu:
"Vous êtes impossible. On ne peut jamais compter sur vous. D'après vos convictions vous auriez dû être un partisan ardent de la C.E.D…"
Vous avez donc raison. Je n'ai pas cessé d'"agacer" les hommes au pouvoir.
Quand on s'appelle Raymond Aron et qu'on ambitionne de peser sur le cours de l'histoire, il n'y a qu'une solution possible: se rallier à une figure qui incarne la grandeur de l'État. En somme, il vous a manqué d'être gaulliste pour être le Kissinger français…
R. A. - J'étais gaulliste au moment du R.P.F. Et j'ai eu, à l'époque, un certain nombre de conversations avec le Général. Et vous avez raison: je pense aujourd'hui que j'aurais dû me rallier inconditionnellement pour pouvoir exercer sur lui une certaine influence. Et, d'ailleurs, je le pressentais dès cette époque: c'était même une des raisons de ma présence au R.P.F.
Pourquoi l'avez-vous quitté?
R. A. - Je ne l'ai pas quitté. Le R.P.F. s'est décomposé. Et puis il restait le souvenir de Londres et des conflits de l'émigration. Mais nous en parlerons un autre jour.
Et en 1958, au moment du retour au pouvoir?
R. A. - La raison pour laquelle je ne suis pas redevenu gaulliste à cette époque? C'est que je ne suis machiavélien qu'en théorie. Et je ne pouvais pas supporter, après avoir écrit pour l'indépendance algérienne, de me rallier à de Gaulle à l'ombre de Michel Debré. Je suis trop homme de pensée, pas assez homme d'action, si vous voulez, pour avoir, comme Malraux, un loyalisme personnel total. J'étais incapable d'accepter les prises de position successives du Général en pariant qu'à la longue il ferait ce que je considérais comme juste. Oui, c'est ce qui m'a toujours distingué d'un homme comme Malraux. En fait, il aurait fallu que je cessasse d'écrire et que je devinsse un simple conseiller dans l'ombre d'un bureau.
Quels étaient vos rapports personnels avec de Gaulle?
R. A. - Je dois dire que je n'ai jamais eu d'atomes crochus avec lui. Il répondait toujours courtoisement à mes livres par de petites notes qui étaient fort intéressantes. Mais, dans les conversations privées que j'ai pu avoir avec lui, je n'ai jamais été ébloui autant que d'autres, ni par sa connaissance du monde ni par la force de ses idées politiques. C'était cependant un grand homme. Indéniablement. Disons qu'on sentait la force de sa présence…
De Gaulle n'aimait guère les intellectuels. Ce n'est pas le cas du président actuel…
R. A. - En ce qui concerne de Gaulle, je ne serais pas aussi affirmatif que vous. Quant à Valéry Giscard d'Estaing, je sais par exemple qu'il est un grand admirateur d'Alexandre Kojève, fondateur des études hégéliennes en France et disparu en 1968…
Et de Raymond Aron, apôtre infatigable du libéralisme et de l'anticommunisme?
R. A. - Je crois qu'il lit mes articles.
Avez-vous de bonnes relations personnelles?
R. A. - Ce qui est sûr, c'est que c'est un homme avec lequel il n'est pas impossible de dialoguer. Cela dit, je n'ai jamais eu de relations ni intimes ni personnelles avec lui. Nos contacts ont été rares. Il appartient à un milieu très différent du mien.
Vous étiez partisan de sa candidature à la présidence de la République avant même qu'elle ne fût déclarée…
R. A. - Oui, et je le lui avais dit dès 1973, en pleine campagne législative, quand il m'avait téléphoné à propos d'un article qui s'appelait "le Cercle carré", où je dénonçais les aberrations économiques du "Programme commun". Je me souviens avoir eu avec lui, à cette occasion, une intéressante conversation…
Vous en avez sans doute en d'autres depuis…
R. A - Oui, quelques-unes. Sur les problèmes de stratégie nucléaire, par exemple, qu'il connaissait jusque-là fort mal. Une autre sur les problèmes du Proche-Orient. Une autre encore à son retour de Moscou.
Il y a aussi votre rôle au "Figaro", qui est devenu directement politique.
R. A. - Mon rôle au "Figaro" n'est pas sensiblement différent de ce qu'il a toujours été depuis vingt-cinq ans. Même si j'écris un peu plus fréquemment… Même si j'exerce un peu plus d'influence sur la rédaction du journal…
Ce rôle, vous le disiez vous-même au début de cet entretien, est de donner bonne conscience aux classes conservatrices. N'éprouvez-vous jamais d'amertume à songer que vous êtes devenu un maître à penser zélé de la bourgeoisie cynique et repue?
R. A - Votre question est biaisée. Je pourrais de la même manière demander aux intellectuels de gauche s'ils ne sont pas fâchés d'être la bonne conscience de Bouvard et Pécuchet ou de Monsieur Homais. Je pourrais demander à Jean-Paul Sartre s'il n'est pas fâché d'avoir donné bonne conscience aux séides de Staline… Disons que je continue de me battre intellectuellement pour défendre certaines valeurs auxquelles je tiens. Pour permettre à la France libérale de survivre et de continuer d'exister. Qui m'aime me suive: on choisit ses adversaires, on ne choisit jamais ses alliés.
Quelles sont ces "valeurs" auxquelles vous dites tenir?
R. A. - Ce sont très exactement les mêmes que celles auxquelles Jean Daniel ou vous-même tenez. Mais vous vous imaginez à tort que l'alliance socialo-communiste peut gouverner la France dans l'Europe actuelle sans mettre ces valeurs en péril. Je crois que vous vous trompez. Peut-être y aura-t-il demain un desserrement de la vie politique française qui permettra au P.S. de participer au gouvernement avec des chances de réussite. Mais, pour l'instant, je pense que Jean-François Revel a raison. Le chemin qu'a choisi François Mitterrand, que je respecte, débouche sur le vide, ou, si vous préférez, dans une impasse.
Vous n'avez pas répondu à ma question. Je ne vois toujours pas ce que sont ces valeurs…
R. A. - Si je n'ai pas répondu, c'est qu'elles sont immédiatement données. C'est que ce sont les valeurs fondamentales du libéralisme. Les valeurs fondamentales nécessaires au maintien d'une société tolérable. Des valeurs dont la survie exige la survie d'une Europe non dominée par l'U.R.S.S. Or, dans l'Europe actuelle, il faut une bonne dose d'illusion pour croire qu'un gouvernement Mitterrand-Marchais sauvegarderait les libertés dont il rédige tous les jours la charte.
Y a-t-il, dans ce libéralisme que vous invoquez sans le définir, autre chose que l'alibi d'une profonde résignation? En politique comme en philosophie…
R. A. - Je ne suis nullement un résigné, comme vous dites.
Mais il y a autre chose dans votre répétition infatigable de la même question. Vous suggérez que je n'ai rien fait d'autre que de dénoncer le marxisme-léninisme, rien fait d'autre que donner des arguments ou bonne conscience aux privilégiés. Or là, pour une fois, je me défendrai moi-même et je vous dirai que vous caricaturez. Pour l'essentiel, mes livres, depuis "l'Introduction à la philosophie de l'histoire" jusqu'à "Clausewitz" en passant par "les Dix-huit Leçons de la société industrielle", "la Lutte de classes", "Paix et Guerre entre les nations", constituent une tentative d'ensemble, philosophique et historique, pour repenser les problèmes du marxisme tels qu'ils se posent en notre siècle. Un effort pour comprendre le monde dans lequel nous vivons afin que notre action, toujours aventureuse, soit aussi éclairée que possible. Mon influence, si influence il y a, a été de rendre intelligible notre siècle et de défendre une certaine morale de l'action. Mes livres de polémique – "l'Opium des intellectuels" ou "les Marxismes imaginaires" – s'expliquent par le milieu parisien et répondaient à une tâche de salubrité intellectuelle.
Même dans les articles je communique une certaine vision plus souvent que je ne m'abandonne à la polémique. Cela dit, je ne suis pas un réformateur social; je prends des positions catégoriques sur les enjeux essentiels: le stalinisme, l'Algérie, la croissance économique, la liberté. Sur les problèmes particuliers, j'hésite souvent à cause de la complexité technique de nos sociétés.
Quant à mon conservatisme, en fait le refus de l'utopie ou du prophétisme, vous oubliez que nos sociétés se transforment d'elles-mêmes sans que les gouvernements ou les intellectuels en décident ainsi. La transformation de la France depuis vingt ans compte plus que la nationalisation éventuelle de quelques groupes industriels. C'est pourquoi le conservatisme d'aujourd'hui diffère radicalement de celui d'hier, qui refusait la modernisation alors que je l'accepte pleinement. Notre débat ne porte pas sur la sauvegarde des valeurs libérales en une société de plus en plus technicienne qui risque de devenir de plus en plus écrasante, mais sur les moyens ou, comme vous dites, sur le modèle de société. Or vous, à gauche, vous restez obsédés par les nationalisations et la planification et je crois que vous vous trompez. Le chemin que choisissent les socialistes français (mais non les Allemands) conduit à moins d'efficacité et moins de liberté.
Je suis si peu résigné que je continuerai à me battre pour l'option libérale et contre l'option socialiste de la société industrielle tant que la biologie me le permettra.
Propos recueillis par Bernard-Henri Lévy
Politique française Articles 1944-1977
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