La démocratie a-t-elle un avenir en France?
Preuves
juillet 1959

Pour la quatrième fois, la démocratie vient d'échouer en France. La première tentative pour introduire en France des institutions parlementaires, imitées de celles de la Grande-Bretagne, entraîna des bouleversements dans l'Europe entière et ouvrit une période de guerres et de révolution. Le parlementarisme aristocratique de la monarchie légitime, puis orléaniste, fut renversé par la conjonction des mécontents, des républicains, des bonapartistes, des libéraux. La deuxième République aboutit au coup d'État du 2 décembre et au Second Empire, la troisième restaurée succomba à la perte de défaite de 1940, la quatrième, qui n'était que la troisième restaurée, succomba à la perte de l'Empire. Que nous aimons ou que nous détestions la "démocratie", nous devons nous interroger: quel est le sens de ces faillites? Quel régime répondrait aux aspirations des Français, aux nécessités de la France? Quel est le destin des démocraties bourgeoises, formées au siècle dernier, dans le monde d'aujourd'hui?
Régime et nation
Une première remarque s'impose d'elle-même à notre esprit: la réussite ou la défaite ne dépend pas des seules institutions. Avec le meilleur régime, la France de 1939, qui n'avait pas encore récupéré ses forces après l'épuisant triomphe de 1918, n'aurait pu tenir tête au IIIe Reich. Avec le meilleur régime, la France d'après la deuxième guerre mondiale n'aurait pas gardé son empire. Curieusement, l'autocritique française (et la critique étrangère) met en cause les gouvernants et leurs méthodes, non les objectifs que la nation s'est donnés ou que les circonstances lui ont imposés. L'obsession du régime est un trait de la "psyché" française et elle a un caractère ambivalent: le bouc émissaire - le régime ou le système ou l'Empire ou la République - est un abstrait, il englobe tout le monde et personne, chaque faction y reconnaît les traits de son ou de ses adversaires détestés, les masses l'assimilent à leurs chefs et aucun de ces derniers ne consent à se confondre avec l'ensemble anonyme sur lequel se porte la colère du peuple. Le "régime" sert d'alibi à tous, coupables ou innocents. Secondairement, la mise en cause permanente du régime aide les équipes successives à dissimuler la continuité profonde du pays et à exagérer démesurément les mérites et démérites des uns et des autres. À en croire les gaullistes, avant 1958 la France glissait aux abîmes à cause du "système". Un an plus tard, à en croire le général de Gaule, elle est dans le peloton de tête des nations. Pour réconcilier la propagande d'hier et celle d'aujourd'hui, il faut croire au miracle ou à la mystification. La IVe République n'avait pas empêché la reconstruction de l'économie: la Ve a recueilli un héritage qui n'était pas une "terre brûlée".
Le relèvement ne s'était pas fait
grâce
au, mais
en dépit
du "régime"? Admettons-le: au moins en résulte-t-il que même les mauvais régimes (la IVe en était un) n'empêchent pas la prospérité des nations. Et l'on pourrait ajouter que les bons ou les moins mauvais ne la garantissent pas. Surtout à notre époque, les jugements qui s'en tiennent aux apparences politiques - aux succès éphémères des armes ou de la diplomatie - sont étrangement précaires. Si la IIIe République, de 1880 à 1929, avait été le règne d'un monarque, aucun historien n'hésiterait à célébrer un grand règne - et il aurait raison. Mais ce grand règne préparait les désastres.
Grâce à l'art de sa diplomatie, grâce aussi à la maladresse de la diplomatie wilhelminienne, grâce à un effort surhumain, la France, entre 1880 et 1929, avait conquis un empire colonial et retrouvé l'Alsace-Lorraine. La Russie plongée dans la guerre civile, l'Allemagne effondrée, l'Angleterre en quête de la prospérité perdue, la France était la première en Europe et l'Europe passait pour être encore la première dans le monde. Mais les Français avaient placé leurs capitaux aux quatre coins du monde, fort peu dans leur propre empire. Le déclin de la population avait commencé, l'allure de l'industrialisation était lente et notre pays était pris de vitesse dans la course au progrès technique et à la puissance industrielle. Autrement dit, c'est pendant la période éclatante, 1880-1929, qu'ont mûri les causes profondes des désastres de la phase postérieure, que s'est creusé l'intervalle entre les obligations et les ressources du pays. La renaissance de la population et de l'économie, le regain de la vitalité française ont débuté au cours des années d'occupation. La IVe République a présidé, au milieu du désordre et de la confusion, aux treize années qui ont rendu à la France une jeunesse et un avenir.
N'oublions pas, enfin, que, au cours du dernier demi-siècle, les divers pays d'Europe occidentale ont connu des destins plus souvent semblables que différents. La politique extérieure de la Grande-Bretagne n'a pas été moins détestable entre les deux guerres que celle de la France. La tentative anglaise de revaloriser la livre, dans les années 20, a été tout aussi insensée que la tentative française de maintenir le taux de change du franc dans les années 30. Les grandes erreurs ont été régulièrement le fait de la classe dirigeante dans son ensemble. Les dirigeants de l'industrie et de la banque ont presque unanimement refusé la dévaluation dans les années 30, Paul Reynaud jouant le rôle de Cassandre. La classe politique, hantée par le fantôme du général de Gaulle, n'a pas consenti à la perte ou la mutation de l'empire, Mendès-France jouant, cette fois, le rôle de Paul Reynaud.
Ces remarques faites, il reste que la France présente, entre les pays d'Europe occidentale, une histoire politique, au XXe siècle, singulière, elle ne sort pas de régimes instables, équivoques, menacés. La démocratie représentative ne s'y enracine ni sous la forme parlementaire ni sous la forme présidentielle. Mais, d'un autre côté, les mouvements proprement fascistes n'y ont pas réussi et le communisme, numériquement fort, y est devenu un "monstre social", un parti bureaucratique et conservateur, se réclamant de la jeunesse, de l'avenir, de la Révolution. Cette instabilité de tous les régimes en France, y compris des régimes semi-autoritaires, telle est la maladie politique de la France (maladie qui n'est pas mortelle) sur laquelle les événements de 1958 nous invitent à réfléchir une fois de plus.
Les causes de l'instabilité
L'explication, en termes abstraits, de l'instabilité des régimes français est facile et, quel que soit le langage employé, tous les commentateurs aboutissent à des idées analogues.
Est stabilisé un régime démocratique(1) qui n'est pas sérieusement discuté. Un régime n'est pas sérieusement discuté quand les possibles opposants, de droite ou de gauche, acceptent de se soumettre aux règles constitutionnelles et tâchent d'atteindre leurs objectifs dans la paix et par des méthodes progressives. Le consentement quasi unanime aux règles du jeu, à son tour, ne résiste pas à l'inefficacité du pouvoir ou même au sentiment, bien ou mal fondé, de cette inefficacité. Des changements trop fréquents de ministère, quels qu'en soient les effets réels, donnent aux masses l'impression "qu'elles ne sont pas gouvernées", ils suscitent ou multiplient la ou les oppositions révolutionnaires, celles qui se dressent contre le système. Mais, à son tour, cette opposition révolutionnaire affaiblit le régime puisque tout régime ne repose que sur des fictions et sur un assentiment de fait. Le régime démocratique est, par essence condamné à ne pas employer contre ses ennemis toutes les armes du pouvoir. D'une manière ou d'une autre, il tolère les oppositions révolutionnaires. Bien qu'en droit, un régime de compétition pacifique soit habilité à sévir contre ceux qui ne respecteraient ni la paix ni la compétition, il ne s'y résigne ou ne s'y résout que rarement. Par un tragique paradoxe, pour qu'il puisse s'y résigner sans péril, il faut que ce suprême recours soit inutile. Un régime démocratique n'a rien à craindre de la mise hors la loi de partis fascistes ou communistes
faibles
: les moyens de police contre de tels partis
forts
mettraient en cause les valeurs mêmes que l'on veut sauver.
À partir de cette analyse, il est facile d'identifier le "cas français". Les régimes constitutionnels-pluralistes connaissent, en notre siècle, comme ennemis d'un côté les
réactionnaires
(romantiques du passé, nostalgiques de la communauté organique, prémoderne), et d'autre part les
fascistes
ou
nationaux-socialistes
(qui combinent, en proportion variable, des éléments empruntés aux réactionnaires et des éléments empruntés aux socialistes ou communistes), de l'autre côté les
représentants
, vrais ou faux,
des masses ouvrières
, qui croient à la violence et non à la négociation. Ces trois catégories ont été présentes, à un moment ou à un autre, dans tous les pays d'Europe occidentale (dans chaque pays, chacune de ces catégories avait une coloration
nationale
: les réactionnaires français ont une idéologie française comme les réactionnaires allemands une idéologie allemande; les idéologies de ces frères ennemis, prêchant l'absolue originalité de leur patrie respective, se rassemblent). Mais l'importance intellectuelle de chacune de ces catégories, les succès électoraux des différents partis révolutionnaires varient grandement de pays à pays et, dans chaque pays, de période à période.
En France, les réactionnaires ont été presque constamment plus forts que les fascistes. Le régime de Vichy a été, un temps, populaire, les mouvements fascisants ne l'ont été ni avant la guerre ni sous l'occupation. Ils sont restés au stade de la conspiration (cagoulards), des sectes ou des "partis de masses en quête de masses". On pourrait dire que les mouvements fascistes ont été victimes d'une insoluble contradiction; ils se réclamaient de l'unique France et ils imitaient l'Italie ou l'Allemagne, ils se donnaient pour objet la grandeur française et ils étaient suspects de connivence avec les ennemis de la France. Mais, en dehors de ce paradoxe, les partis fascistes se sont heurtés à des obstacles, surgis de la structure et du passé de la France. Des masses, mobilisables contre les partis prolétariens, n'existaient pas en nombre suffisant dans la France des années 30 ou des années d'après-guerre. Par tradition, les intellectuels et même parfois les petits-bourgeois révoltés préfèrent les idéologies de gauche à celles de droite. Finalement, le maréchal Pétain en 1940 et le général de Gaulle en 1958 ont été des "dictateurs romains" plutôt que des tyrans. Ni l'un ni l'autre n'a eu derrière lui un parti de masses. Le maréchal avait créé un climat de restauration (retour des notables, prestige de l'Église, idéologie traditionaliste). Le gaullisme de 1949-50, celui du R.P.F., avait des sources multiples: jacobinisme, anticommunisme, nationalisme à la Barrès (
Appel au soldat
) s'unissaient pour aboutir aux invectives contre le système. Le R.P.F. appartenait à la lignée bonapartiste, le gaullisme de 1958 est plus paternaliste dans son style mais il n'est pas encore défini puisqu'il ne s'est pas entièrement libéré de ceux - Français d'Algérie et armée - auxquels il doit son succès.
À gauche, les représentants des masses ouvrières, eux non plus, ne se sont jamais pleinement intégrés dans le système constitutionnel-pluraliste. Le jour où, en 1936, le parti socialiste français consentit à participer à la gestion de la société capitaliste, le parti communiste comptait plus de 70 députés à la Chambre. Après la guerre, le même parti devint le premier de France par le nombre des électeurs (environ 25% des votants). Mais, lié à l'Union soviétique, qui est l'ennemi de la patrie française comme l'était le IIIe Reich avant 1939, il s'exclut lui-même de la communauté et renforce indirectement l'aile conservatrice de la majorité nationale.
La dialectique des partis révolutionnaires paralysant le fonctionnement du régime, la paralysie du régime justifiant à son tour les oppositions révolutionnaires, cela a fini par avoir raison de la IVe République. Mais ni l'une ni l'autre opposition n'était assez forte pour vaincre
seule
. La République n'était pas entièrement légitime, autrement dit reconnue pour telle par l'ensemble de la population. Toute crise nationale devenait automatiquement crise de régime. Si la France ne trouvait pas d'issue à la crise économique ou si elle ne parvenait pas à pacifier l'Algérie, la faute en était évidemment aux institutions, aux parlementaires, à la démocratie. Mais les masses étaient passives et plutôt favorables à la République. La IIIe République succomba à la défaite militaire, la IVe à la révolte de l'armée, solidaire des Français d'Algérie. Il reste que, dans les deux cas, une partie importante de l'opinion appelait de ses voeux un changement de régime. En ce sens, la République parlementaire n'a pas réussi à s'enraciner dans la France du XXe siècle, le quasi-enracinement de la période 1890-1930 n'ayant pas résisté à la tourmente historique de la grande dépression et de la deuxième guerre mondiale.
Cette description est désormais banale. Les interrogations commencent au-delà. L'opposition révolutionnaire de droite devrait s'affaiblir à mesure que s'éloigne la France d'Ancien Régime; l'opposition révolutionnaire de gauche devrait s'affaiblir avec le progrès de l'économie. Si la première de ces oppositions doit sa virulence au poids du passé et la deuxième à la lenteur de l'industrialisation, les événements d'eux-mêmes tendraient au désarmement de ces révoltés, à l'embourgeoisement des frénétiques.
Malheureusement, ces propositions, valables à longue échéance, ne nous sont pas d'un grand secours dans la conjoncture présente. La théorie nous enseigne des relations de probabilité entre variables - le progrès économique favorise les partis ouvriers réformistes aux dépens des partis révolutionnaires. Mais la politique est histoire. Une fois les masses ouvrières converties à un parti révolutionnaire, l'élévation du niveau de vie ne les ramène pas d'un coup aux méthodes pacifiques. Quant aux violents de droite, ils sont disponibles dans n'importe quelle société. La restauration de la France d'Ancien Régime n'a pas de sens: l'appel au soldat, le sens des valeurs héroïques, le refus des lenteurs de la délibération et de la discussion ont et garderont longtemps encore signification. Or, ne l'oublions pas, il suffit que les oppositions au régime démocratique soient fortes pour que le régime soit faible. Le souvenir des désastres auxquels ont abouti la IIIe et la IVe République empêchera longtemps une Ve ou une VIe République d'obtenir une reconnaissance unanime de légitimité.
Il y a plus: les médiocrités des deux Républiques ne sont pas imputables seulement aux adversaires de la République ou du système. La classe politique française s'est révélée singulièrement peu douée pour le jeu parlementaire. Même quand le Parlement ne comprenait presque pas de députés "inconstitutionnels", même quand l'Assemblée offrait une majorité substantielle, à droite ou à gauche, la bataille continuait en permanence, les députés soupçonnaient le gouvernement et ils avaient tendance à se concevoir eux-mêmes moins comme des législateurs que comme des interprètes de citoyens sourdement hostiles au Pouvoir? Faute de partis organisés, faute de discipline, par suite de la conception même que les députés avaient de leur rôle, les gouvernements de la IIIe et de la IVe République n'ont presque jamais possédé la durée et la liberté d'action que réclame la gestion des sociétés modernes.
Il ne suffit pas que les oppositions anticonstitutionnelles abdiquent, il faut que la classe politique se réforme. Or, ces mauvaises pratiques du parlementarisme, on ne sait s'il faut les attribuer à l'influence de la tradition, à l'origine sociale des élus, à la psychologie même de la nation. Les députés se sont sentis trop longtemps menacés ou bridés par les rois, les Bonaparte, les réactionnaires: ils n'arrivent pas à ne pas prendre, à l'égard de l'exécutif républicain, l'attitude agressive qu'ils ont eue par nécessité à l'égard d'un exécutif autoritaire, monarchique ou césarien. La classe politique n'a jamais été aussi solidement enracinée dans le terroir national que la classe politique anglaise: la gauche socialiste ne sortait pas des syndicats ouvriers, la droite conservatrice n'exprimait pas la classe privilégiée; des deux côtés, juristes, politiciens professionnels, professeurs sont plus nombreux et plus influents que les cadres sociaux, nobles, grands fonctionnaires, industriels, syndicalistes. Enfin, l'esprit de faction semble endémique en notre pays. Tous les partis ont tendance à abuser, à rédiger une Constitution déséquilibrée dans un sens ou dans un autre. La IVe République réduisait l'autorité de l'exécutif au-delà de toute raison, la Ve ampute les prérogatives des Assemblées au-delà de tout bon sens. Tout se passe comme si une mauvaise fée jetait un sort sur chacun des régimes français au berceau et en préparait la mort au jour de sa naissance.
Les directeurs et la démocratie
Vaine spéculation, nous objecteront avec mépris les marxistes ou les pseudo-marxistes. Vous en êtes encore à discuter de la République et de ses institutions à la manière d'André Siegfried et des libéraux du XIXe siècle. Vous imaginez que les régimes naissent et meurent au Palais-Bourbon et vous méconnaissez la réalité, l'industrie moderne, les banques, les compagnies pétrolières. Demandez-vous ce que veulent les gestionnaires de cette économie enfin capitaliste et vous pressentirez l'avenir mieux qu'en spéculant sur les Constitutions.
Personnellement, je retournerai le compliment à cet objecteur imaginaire (mais dont les revues comme
Les Temps modernes
nous offrent des incarnations multiples). Dans l'excellent livre de M. Roger Priouret, c'est le dernier chapitre, celui que M. Serge Mallet considère comme de beaucoup le meilleur, que je tiens pour de beaucoup le plus faible, celui où cet analyste du Parlement s'efforce de prévoir l'avenir en analysant les attitudes politiques des divers groupes de capitalistes. Non que son analyse des groupes eux-mêmes soit fausse, mais les capitalistes - banquiers, directeurs d'entreprises industrielles, privées ou publiques - ont individuellement des opinions sur l'Algérie ou la Constitution. Ces opinions me paraissent déterminées plus par la personnalité des dirigeants que par les intérêts, économiquement définis, des entreprises. En tant que groupe social, les hauts fonctionnaires et les managers ont fini par être exaspérés (comme les simples citoyens) par l'anarchie de la IVe République. Ils sont favorables à la Ve dans la mesure où celle-ci a contribué à la rationalisation de l'État. Ils sont en majorité désireux de sauvegarder les libertés individuelles et publiques parce qu'ils ressemblent aux autres Français. Quant aux mérites et démérites de la Constitution d'aujourd'hui, de la classe politique d'hier et de demain, quant au sort final de l'Algérie, ils ne sont pas plus unanimes que le reste de la nation. Ni les vieux ni les jeunes capitalistes, ni les managers des entreprises modernes, ni les représentants du capitalisme foncier ou commercial n'ont une conscience claire de leur "intérêt de classe" et de la politique, constitutionnelle ou algérienne, qui en serait l'expression. L'avenir de la République et de la démocratie en France ne dépend pas des hommes qui dirigent Péchiney, Renault, Cofirep ou Saint-Gobain, il ne dépend pas des syndicats de betteraviers ou de viticulteurs, du moyen commerce ou des propriétaires d'Algérie.
Entendons-nous bien: les vicissitudes de la politique française n'ont pas été sans lien, au siècle dernier et en celui-ci, avec les singularités de l'économie française. L'attitude, verbalement et électoralement révolutionnaire, des représentants ouvriers tient, pour une part, à la lenteur de l'industrialisation, à la médiocrité du niveau de vie, au style réactionnaire ou paternaliste d'une fraction importante du patronat français. La remise en question du régime parlementaire dans les années 30 a eu pour cause immédiate, directe, la grande dépression. Le refus de décolonisation des années 50 a été encouragé, financé par certains individus ou groupements installés en Afrique du Nord. Mais il reste qu'une fraction de la classe politique, des milieux socialement privilégiés, des intellectuels s'est trouvée, dans les années 30, favorable à un régime autoritaire de droite, dans les années 50 à la sauvegarde de l'Empire, pour des motifs idéologiques et, si l'on peut dire, désintéressés. C'est la psyché politique de la nation qui se manifeste dans la constante instabilité des institutions.
Une France modernisée exige une administration rationnelle et une politique quelque peu raisonnable. En dépit de la déraison politique, la IVe République a donné à la France une administration tolérablement rationnelle. Ce n'est que dans les dernières années de la IVe que les directeurs, privés ou publics, ont fini par s'irriter du régime, lorsque le manque de devises a paru mettre en péril la prospérité de l'économie. Longtemps ces directeurs hésitaient entre les commodités qu'offrait un gouvernement faible à la défense des intérêts privés et les avantages d'un gouvernement fort, garant d'un minimum d'efficacité et de stabilité: le gouvernement présidentiel satisfait provisoirement les directeurs, mais une évolution de la Ve République vers un style plus parlementaire ne se heurterait pas à une résistance organisée. Capitalistes liés à l'Algérie ou capitalistes des secteurs de pointe, grands fonctionnaires ou managers constatent que la France s'est engagée dans l'aventure algérienne et saharienne: les uns s'en réjouissent et les autres le déplorent, mais ni les uns ni les autres ne sont maîtres de l'aboutissement et celui-ci exercera sur l'avenir de la démocratie parlementaire, au cours de la prochaine génération, une influence autrement grande que les convictions, déclarées ou clandestines, des directeurs de notre capitalisme.
Le parlementarisme français, pourvu qu'il se plie à un minimum de discipline et qu'il donne aux gouvernements un minimum d'autorité, est capable de gérer une économie moderne. Après tout, les pays les plus avancés dans la voie de la société industrielle sont
tous
gérés par des régimes constitutionnels-pluralistes (partis multiples, élections libres, institutions représentatives). Pourquoi la France ferait-elle exception, à moins que les députés ne s'obstinent à méconnaître les deux règles élémentaires: le Parlement contrôle mais ne gouverne pas, le choix des gouvernants est l'objet de la lutte partisane mais cette lutte ne doit pas être permanente.
En résumé, à long terme, la modernisation de l'économie devrait plutôt favoriser l'enracinement d'un régime de type occidental grâce à l'embourgeoisement des "révolutionnaires de gauche" et à l'affaiblissement des réactionnaires et des violents, grâce à l'attitude plus rationnelle des individus et des groupements. Si ces propositions générales sont sans portée immédiate, c'est que le régime français va être dominé, pendant des années, par le souvenir de mai 1958 et les implications de la guerre d'Algérie.
Faute de partis organisés et d'accord dans l'opinion, la procédure électorale ne dégage pas, en France, de volonté générale quand le destin national est en cause. La IVe République a fini par succomber non parce qu'elle ne pouvait pas faire ce que la Ve République a fait jusqu'à présent mais parce qu'elle ne pouvait plus continuer à le faire ou, du moins, parce qu'elle donnait l'impression qu'une saute de vent parlementaire risquait d'entraîner, quelque jour, un renversement de politique. Le passage d'un régime à l'autre a eu pour condition, sinon pour cause, l'action de l'armée - consentement ou participation active aux complots dont le 13 mai a été l'expression. L'armée ne se révoltera pas contre le gouvernement de la Ve République tant que le général de Gaulle en sera le président. Mais ce dernier ne peut pas accepter, fût-ce à terme, la souveraineté française, c'est-à-dire la présence de l'armée française de l'autre côté de la Méditerranée. La jeunesse de France continuera de faire son service en Algérie. Parachutistes et anciens parachutistes fourniront une réserve de "violents", peu redoutable en tant que police et armée demeurent fidèles à leur devoir, irrésistible si l'État n'est plus obéi. Guerre d'Indochine et guerre d'Algérie: la IVe République a transmis en héritage à la Ve une "armée politisée", partagée entre trois sentiments: le loyalisme traditionnel, la conviction que les officiers, à l'époque des guerres subversives, doivent savoir pourquoi et contre qui ils se battent, enfin, la fixation sur l'Algérie des ressentiments et des rêves, des aspirations à une victoire et du refus d'abdication.
La défaite de 1940 avait été celle de l'armée française plus que la victoire de 1945 ne fut la sienne. La guerre d'Indochine ne pouvait pas être gagnée, mais le désastre de Dien-Bien-Phu a été mis au compte des combattants et de leurs chefs. L'empire français de la IIIe République avait été l'oeuvre de l'armée et non des parlementaires. L'Algérie, si le conflit doit s'y terminer comme les précédents, marque la dernière étape de l'itinéraire qui conduit au repli sur l'hexagone métropolitain. La France sans l'Algérie, c'est la France sans l'Afrique; la France sans l'Afrique, c'est la France décadente (décadente comme la République fédérale allemande ou la Grande-Bretagne, souffle le mauvais esprit). En interdisant "l'abandon", en faisant planer la menace de son veto sur le pouvoir civil, l'armée est et demeurera, pour de longues années, un élément décisif du jeu politique français.
Si nous supposons la guerre d'Algérie terminée et le général de Gaulle au bout de son septennat, nous pouvons imaginer un progressif assouplissement du régime, les assemblées reprenant quelque prestige et affirmant peu à peu leur autorité. Même dans cette hypothèse, la Constitution de 1958 est à ce point rigide et les conditions de révision sont telles qu'une transformation par étapes, par consentement général est malheureusement moins probable qu'une crise violente, lorsque le balancier politique, après avoir été, entre 1945 et 1958, de la majorité communiste-socialiste à la majorité Soustelle-Duchet, aura achevé son mouvement de sens contraire.
Tout ce que l'on peut espérer, c'est que "l'opposition de gauche", "l'opposition républicaine" à la Ve République ne confonde pas la lutte contre "la technocratie" ou "l'autoritarisme" avec le retour aux pratiques du parlementarisme anarchique. La gauche ne peut pas vouloir à la fois étendre les attributions et limiter la capacité de décision de l'État. Je crois que la Constitution de la Ve République n'est pas viable sous sa forme présente, en raison de la dualité de l'exécutif et de la contradiction entre le principe des élections libres et les règlements restrictifs de l'activité parlementaire. Il est vrai que le parlement britannique est soumis, lui aussi, à beaucoup de restrictions de même type, mais l'exécutif y est l'émanation du parti majoritaire, ce qui change radicalement la signification de la primauté de l'exécutif. Limiter par la loi constitutionnelle les prérogatives des assemblées cependant qu'on donne l'essentiel du pouvoir à un président de la République élu pour sept ans, c'est restaurer un Empire parlementaire qui, le jour où le Fondateur aura disparu, est voué à l'éclatement, le futur président étant, ce jour-là, condamné soit à remonter le cours du temps vers l'Empire autoritaire, soit à prolonger le mouvement de l'Empire parlementaire à la IIIe République.
Démocratie et société moderne
Vaines spéculations, me répètent les pessimistes. Les institutions représentatives appartiennent au passé. Les parlements ont été des créations de la bourgeoisie, ils disparaissent avec elle, plus ou moins vite selon le pays. Il est vrai qu'au XIXe siècle, la France n'a pas réussi à "acclimater" les "régimes de discussion" dont la Grande-Bretagne a offert le modèle. Au XXe siècle, en rompant avec la pratique politique de l'Occident, la France n'est plus en retard mais en avance: elle cherche en tâtonnant un régime moins inadapté à l'âge de l'atome et de l'électronique que ce régime né aux temps des diligences et qui a connu son âge d'or au temps de la convertibilité monétaire et de "la petite reine".
Une telle opinion est courante en France, je l'ai entendue maintes fois exprimer, même par des nostalgiques du parlement de la belle époque. Sans la soumettre à une étude qui dépasserait le cadre de ce bref essai, je dirai que je ne crois pas à la vérité de ce jugement historique (auquel j'ai été souvent enclin à souscrire). Ce jugement est fondé sur l'hypothèse que les parlements gouvernent ou administrent - ce qui est faux - ou sur l'hypothèse que les assemblées empêchent les gouvernants de prendre des décisions rapides - ce qui n'est pas plus vrai.
Le parlement britannique a eu une origine aristocratique, le Congrès américain une origine bourgeoise. L'origine autre se marque dans le style de ces institutions. Discussions et délibérations ne sont pas solidaires d'une classe donnée. Aussi bien la société industrielle entraîne-t-elle l'embourgeoisement des masses et la promotion de "meneurs de masses", dont les façons de penser et d'agir ressemblent de plus en plus à celle des bourgeois du siècle passé.
Les vraies questions sont au nombre de trois: la lutte entre les partis et la délibération parlementaire ont-elles une fonction dans les sociétés industrielles? Lutte et délibération sont-elles incompatibles avec ou contraires à l'efficacité du pouvoir politique? Les élites et les masses sont-elles attachées à ces procédures?
À la première question, la réponse positive s'impose avec évidence. La formule de légitimité, au XXe siècle, est démocratique. Dans tous les régimes modernes, les gouvernants se réclament des gouvernés et de leur volonté. La rivalité des partis candidats à l'exercice du pouvoir, la délibération des députés, porte-parole des idées et des intérêts, sont une traduction logique de la légitimité démocratique, un moyen de donner un sens, humainement saisissable, à l'idée du gouvernement par et pour le peuple.
La lutte de partis et la délibération des représentants ne sont pas
incompatibles
en soi mais elles ne sont pas en toutes circonstances compatibles avec l'efficacité de l'État. Les conditions de compatibilité se ramènent abstraitement à des formules simples: formation d'une volonté commune à partir de procédures électorales, conduite raisonnable des assemblées, laissant aux ministres une marge d'action, respect par les minorités des lois constitutionnelles. À coup sûr, l'existence d'une opposition et les règles constitutionnelles freinent l'action du Pouvoir, mais elle réduisent aussi les risques d'abus et d'arbitraire. En tout cas, le passif du régime constitutionnel-pluraliste, pour les sociétés industrielles développées, apparaît moins à l'intérieur qu'à l'extérieur. C'est à la gestion raisonnable de la politique étrangère que la lutte, partisane et parlementaire, crée le plus de difficultés.
Quant à l'attachement de l'élite et des masses aux institutions libérales, il n'est assurément pas garanti. Dans la société industrielle, les gestionnaires sont d'abord soucieux de création et d'efficacité, les masses exigent du travail et l'élévation du niveau de vie. En Grande-Bretagne, aux États-Unis, le parlement avec ses institutions a été intégré au trésor de la culture nationale et participe d'un prestige traditionnel quasi sacré. Même dans les pays anglo-saxons, il tend à devenir objet d'une adhésion plus coutumière qu'enthousiaste. Aussi, ailleurs, ne trouve-t-il plus guère de défenseurs prêts à mourir pour lui quand il a déçu à force de médiocrité.
En France, les deux capitulations de Vichy en 1940 et de Paris en 1958, les abdications qui ont mis sur des coups d'État le sceau de la légalité vont empêcher la restauration, qui n'est pas souhaitable, d'une République de députés. Mais faute d'un autre principe de légitimité, les institutions semi-autoritaires de la Ve République sont sans racine dans l'histoire ou l'âme nationale. Le président de la Ve République ne peut être qu'un héros ou un roi.
Le régime de la Ve République est annonciateur de l'avenir si les pessimistes qui croient à la généralisation des guerres subversives ont raison. Tant que la France est engagée dans l'entreprise visant à "intégrer" neuf millions d'Algériens contre les nationalistes et par la mise en valeur du territoire, le régime présent, autoritaire en fait mais libéral, est ce que nous pouvons espérer de mieux. Si l'entreprise dure longtemps, le libéralisme n'y résistera pas. Si elle se termine tragiquement, le libéralisme n'y résistera pas non plus. Si elle se termine bien, la bataille partisane recommencera.
L'issue de cette bataille future, nous l'ignorons, mais au moins une prévision négative me semble incontestable. La combinaison d'un exécutif de style Louis XIV et d'un parlement soumis à la discipline anglaise par la volonté de M. Michel Debré est, à la longue, impossible. Si l'aventure se termine bien, le général de Gaulle sera reconnu sauveur de la liberté. Si elle se termine mal, on évoquera les conversations entre le solitaire de Colombey et MM. Neuwirth, Delbecque et autres conspirateurs du 13 mai. Dans un cas, il restera au panthéon de la République, dans l'autre les historiens de la VIe République lui reprocheront de n'avoir pas désamorcé la bombe avant l'explosion (il se savait seul capable d'éteindre l'incendie).
L'avenir qui fixera le sens de la politique française n'appartient ni aux capitalistes, ni aux parachutistes, ni aux intellectuels, mais à tous et à personne. "L'avenir est à Dieu", c'est-à-dire qu'il est
événement
.
(1)
Le terme est équivoque. Je le prends ici pour équivalent de régime constitutionnel-pluraliste, tel que je l'ai défini dans mon cours de Sorbonne: régime fondé sur la libre compétition entre les partis, qui fixe les règles constitutionnelles de choix des gouvernants et d'exercice de l'autorité.
Politique française Articles 1944-1977
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