1947
Combat
1er janvier 1947
Détente internationale, aggravation de la
crise intérieure, ces deux faits s'imposent au regard du Français
qui, au seuil de l'année 1947, interroge l'avenir.
L'accord auquel les quatre Grands sont
parvenus sur les traités avec les satellites de l'Axe vaut plus
encore par les promesses qu'il apporte que par les résultats qu'il
consacre. Après tout, aucun des points en discussion n'avait de
portée décisive pour les États-Unis ou la République Soviétique.
Parmi les questions les plus ardues, certaines, comme celle des
colonies italiennes, ont été réservées, d'autres, comme celle de
Trieste, ont été réglées dans des termes tels que chaque partie y
trouvera, si elle le désire, de multiples occasions de controverse.
Mais l'accord final, alors que plus d'une fois la rupture avait
paru proche, a révélé, de la part de l'Union Soviétique, un
consentement aux compromis. On a le droit, sans optimisme excessif,
d'espérer que cette attitude nouvelle se maintiendra dans les
conférences de demain.
Certes, nous nous garderons de pavoiser.
Pour l'instant, il s’agit d’un compromis réaliste, qui stabilise
les zones d’influence telles qu'elles ont été approximativement
délimitées au lendemain de la défaite allemande. Le gouvernement
polonais continue de «préparer» les élections, dans un style
désormais bien connu. La guerre civile continue en Grèce. Et la
rivalité des idéologies des empires et des partis qui se réclament
des uns et des autres, continue à l'intérieur des pays.
Malgré tout, si le rapprochement des deux
Grands s'affirme, le monde nous donnerait provisoirement, ce que
nous lui demandions par-dessus tout: la paix. Que la France joue la
carte de la paix, on le sait, et chaque nation en dirait autant.
Mais ce n'est pas assez dire. La France n'a une chance que dans la
mesure où l'horizon ne paraît pas bouché par un orage près
d'éclater. En cas de conflagration, elle serait de toute manière,
quel que soit son choix, quelle que soit l'issue, piétinée,
dévastée, détruite. Pour que les Français prennent conscience de
leur tâche, pour qu'ils trouvent le courage de l'entreprendre, il
faut qu'ils aperçoivent devant eux une perspective ouverte, des
années de paix ou du moins d'absence de guerre. Le rassemblement
des Français en vue de l'œuvre commune suppose qu'au-dehors la
rivalité des Grands ne dépasse pas certaines limites.
Ces conditions semblent sur le point d'être
remplies. Or, au même moment, comme pour démentir la formule
reprise récemment par Léon Blum, que les conflits français
reflètent ceux de l'univers, l'atmosphère politique, à l'intérieur,
devient chaque jour plus lourde. M. Philip mène avec la Fédération
des fonctionnaires des négociations aussi difficiles que celles que
menait, il y a un an exactement, avec la même Fédération, son
prédécesseur M. Pleven. La revendication du minimum vital
entraînerait une nouvelle hausse générale des salaires de 25%. Le
parti communiste indique nettement qu'il n'acceptera pas, au-delà
de l'élection présidentielle, un ministère auquel il ne
participerait pas. Et les autres partis ne paraissent pas plus
résignés aujourd'hui qu'hier à accéder aux demandes du «premier
parti de France».
Ainsi éclatent à tous les yeux les
symptômes des deux maux dont souffre le pays depuis la libération:
dévalorisation de la monnaie par la hausse des prix et des
salaires, impossibilité d'un gouvernement uni dans une volonté et
pour une action communes. On ne dira pas que l'un est cause et
l'autre effet. Des erreurs techniques, l'insuffisance de notre
administration économique sont aussi, pour une part, responsables
de la course des prix. Mais, désormais, ces deux crises agissent
l'une sur l'autre. L'inflation accentue les antagonismes sociaux,
la bataille entre les partis, ou bien entre les partis et les
syndicats, paralyse l'effet de redressement.
Au lendemain de la dernière guerre, nous
avions passé par plusieurs années de troubles monétaires, et le
franc avait peu à peu perdu de sa valeur. En 1924, alors que nous
nous croyions au plus bas, nous approchions du but, parce que la
reconstruction était presque achevée et que, dans une économie en
plein essor, des réformes financières suffisaient pour stabiliser
la monnaie. Cette fois, nous avons dévalué avant de reconstruire.
Le niveau de production, autour de 85% de 1938, est aussi élevé, ou
à peu près, qu'il peut l'être, étant donné nos ressources
d'énergie. Il faudrait davantage pour surmonter la pénurie.
Nos institutions sont en place, la Chambre
est élue pour cinq ans. Mais les choses pressent. Politiquement,
nos législateurs ont du temps, puisqu'ils n'ont plus, d'ici
longtemps, d'élections à craindre. Mais ils n'en ont plus beaucoup
s'ils veulent conjurer des risques plus graves que des risques
électoraux.