Portugal. Retour des partis
Le Figaro
22 septembre 1975
Pendant les mois d’été, le Portugal
occupait la première page des journaux, suscitait des polémiques
entre «Le Figaro» et «Le Monde», entre Jean Daniel et «l’Humanité»,
fournissait le thème préféré des conversations, dans les rues et
les salons, en Espagne et en France. L’Europe latine vivait à
l’heure de Lisbonne.
Elle finit par se lasser: les palabres
entre officiers sur le socialisme idéal ou lusitanien ressemblèrent
peu à peu à celles de l’université de Vincennes à la belle époque.
Et l’attention se reporta sur les jeux français et la demande
d’audience de M. Robert Fabre au président de la République.
Rien ne prouve encore que le gouvernement
de l’amiral José Pinheiro de Azevedo soit promis à une plus longue
durée que les quatre gouvernements qui l’ont précédé. Il n’en
marque pas moins, par sa composition, un tournant du processus
révolutionnaire, pour parler le langage actuel. Dix civils sur
quinze ministres; quatre socialistes, deux P.P.D. et un seul
communiste. Une répartition de portefeuilles ne préjuge pas celle
du pouvoir effectif. Il reste que les socialistes obtiennent
satisfaction sur un point à leurs yeux essentiel: on tient compte
du pourcentage des suffrages recueillis par chaque parti en avril
dernier.
Le débat portait en fait, à Lisbonne et à
Moscou, sur la notion même de majorité. Notion politique, écrivait
un commentateur dans la «Pravda», citant un article de Lénine
datant de 1905. Et Leonid Brejnev vient de recevoir officiellement
un commentateur, Constantin Zaradov, directeur de la revue «Les
problèmes de l’univers marxiste», publiée à Prague et destinée à
l’ensemble de l’univers marxiste-léniniste. Le gouvernement Azevedo
ne consacre pas seulement le retour en force des civils, mais aussi
l’interprétation arithmétique de la majorité. Le nombre des voix
socialistes se montait à plus de trente-huit pour cent, celui des
voix communistes se situait entre douze et treize pour cent.
Succès des socialistes et des militaires
modérés, mais succès encore précaire. Contre les communistes, les
gauchistes ont appuyé le parti de Mario Soares. Mais le
gouvernement doit restaurer l’économie du pays, ramener l’ordre
dans les usines, les banques, les administrations. Il compte sur
l’aide de l’Europe des «Neuf»; aide qui n’empêchera pas
l’effondrement si, nationalisées ou non, les entreprises ne se
soumettent pas aux contraintes du bilan. Socialistes et modérés
risquent de se heurter à la résistance des organisations
populaires, partagées entre communistes et diverses variétés de
gauchisme.
Avec quels moyens rétablir l’autorité comme
le souhaite le président Gomes? Chaque régiment ressemble à une
assemblée générale d’étudiants. Faute de connaître leurs forces
respectives, les factions d’officiers n’ont pas franchi la ligne du
sang.
Socialistes et modérés détiennent le
pouvoir d’État, ou ce qu’il en reste, alors que, des deux côtés,
des minorités violentes misent sur l’anarchie pour favoriser la
révolution ou la contre-révolution dont elles rêvent et qu’elles
préparent.