Remous sur les marchés des changes
Le Figaro
8 décembre 1961
Une fois de plus, la semaine dernière, des
bruits de dévaluation (de la livre) et de réévaluation (de la lire)
ont couru. Les taux de change ont immédiatement reflété ces
inquiétudes ou ces espoirs. Les réactions des autorités monétaires
- réfutations des rumeurs et interventions effectives - ont suffi à
ramener le calme. Mais cet épisode nous rappelle opportunément que
le problème du dollar et de la livre, celui du système
international des payements, n'est pas résolu.
En Grande-Bretagne, le gouvernement
parvient difficilement à maintenir "la pause" qu'il avait
proclamée. Certaines catégories de travailleurs y ont obtenu des
hausses de salaires qui risquent de provoquer les revendications
d'autres catégories. L'Institut national de recherche économique et
sociale, qui jouit outre-Manche d'une grande autorité, vient de
prévoir que l'an prochain, en dépit d'une reprise des exportations,
la balance commerciale demeurerait en déficit, surtout à cause
d'une augmentation des dépenses de consommation.
Aux États-Unis, le troisième trimestre de
1961 a été moins favorable que les deux premiers. La reprise de
l'économie a provoqué des importations supplémentaires, les
investissements de capitaux étrangers ont diminué. En éliminant les
facteurs saisonniers et certaines dépenses et recettes
exceptionnelles, les statisticiens ont conclu que le déficit de la
balance des comptes pour les trois mois, juillet, août et
septembre, s'élevait à 800 millions de dollars, soit, pour une
année entière, à plus de trois milliards de dollars. L'observateur
est tenté de conclure que la nervosité sur le marché des changes
durera aussi longtemps que les monnaies qui servent de réserves de
change, la livre et le dollar, passeront pour vulnérables.
Ajoutons que, dans l'immédiat, dévaluations
et réévaluations sont également hors de question. Les Italiens ne
songent pas à réévaluer leur monnaie par rapport au mark ou au
franc, et les Français pas davantage à réévaluer le franc par
rapport au dollar (le mouvement des prix français et l'agitation
sociale excluent toute initiative de cet ordre). Peut-être la livre
sera-t-elle dévaluée un jour mais un banquier international ne
prend pas une telle décision à la légère. En tout cas, Londres
attendra le résultat des négociations de Bruxelles et l'entrée
éventuelle dans le Marché commun.
L'évolution économique dans les pays
excédentaires promet-elle un rétablissement prochain de
l'équilibre? Il serait, je le crains, pour le moins prématuré de
l'affirmer. Certes, le volume total des réserves de la République
fédérale a diminué au cours de cette année et continue,
semble-t-il, de le faire. Il est tombé d'environ 7 milliards de
dollars aux alentours de 6 milliards. Mais ce fait est imputable
aux mouvements de capitaux à long et à court terme, non au rapport
des importations et des exportations. Pour les sept premiers mois
de cette année, l'excédent commercial, calculé sur douze mois,
dépasse 7 milliards de marks, ce qui constitue un record. Même si
l'on tient compte du fait que le poste des services est
sensiblement moins positif qu'au cours des années précédentes, il
reste que l'ensemble - marchandises et services - comporte un
excédent supérieur à celui de 1960 et égal à celui des années les
plus favorables.
Simultanément, les autorités allemandes ont
modifié leur politique sur un point important. Il y a un an, à la
fin de 1960, au moment de la crise du marché londonien, l'or ne
constituait que 44% du total des réserves de change allemandes. Au
printemps dernier, cette proportion s'était relevée à 50%. Elle est
aujourd'hui de 60% et elle serait portée progressivement à 75%. Il
n'est pas évident que les autorités monétaires de la République
fédérale soient déterminées exclusivement par la crainte d'une
dévaluation du dollar, d'autres motifs de caractère technique
peuvent être invoqués, mais il est difficile d'éviter que cette
pratique donne lieu à des interprétations diverses.
La seule conclusion que justifient ces
analyses rapides est que la situation globale, qui n'est pas
inquiétante à court terme, demeure telle que des poussées subites
de bruits alarmistes, des paniques vite apaisées sont probables.
L'échec des tentatives visant à donner au Fonds monétaire
international des ressources supplémentaires pour parer à toute
éventualité, a, comme le rappellent nos confrères britanniques,
encouragé les spéculateurs et entamé la confiance. Mais il est vrai
également que même le renforcement souhaitable du Fonds monétaire
international ne pourrait à la longue suppléer au rétablissement de
l'équilibre des comptes dans les deux pays dont la monnaie joue un
rôle international.