En quête d'une stratégie. II. Les fausses alternatives
Liberté de l'Esprit
avril 1952

Les États-Unis s'interrogent. Au cours de ces derniers mois, professeurs, diplomates, hommes politiques ont multiplié les enquêtes sur le passé et les conseils pour l'avenir. Il ne sera peut-être pas inutile de marquer la place que prennent nos propres conceptions dans l'ensemble des théories américaines.
La querelle doctrinale porte d'abord sur l'alternative:
esprit de croisade
ou
diplomatie réaliste
. G. F. Kennan, H. J. Morgenthau(1) font reproche à W. Wilson ou F. D. Roosevelt, à l'opinion elle-même de substituer à l'effort pour atteindre certains buts définissables - rapports de forces favorables aux intérêts nationaux - la recherche d'une victoire contre l'ennemi, supposé l'incarnation du mal, en vue d'un certain idéal quasi mythologique, règne de la loi, Société des Nations, Nations-Unies. Kennan, Morgenthau montrent l'un et l'autre, de manière convaincante, que cet idéalisme mal compris a contribué à l'extension des guerres, qui devaient être totales puisqu'il s'agissait d'exterminer le mal, et, du même coup, aux défaites politiques qui ont succédé aux victoires militaires. L'un et l'autre invitent leurs compatriotes à ne plus s'attribuer de mission civilisatrice, ou moralisatrice, à ne plus nourrir l'impossible ambition de répandre la démocratie aux quatre coins de la planète, à prendre une conscience plus exacte des diversités humaines et sociales, à se donner la tâche modeste, mais autrement méritoire, de servir l'intérêt national des États-Unis tout en contribuant, de leur mieux, à sauvegarder la liberté des pays menacés et en évitant une troisième guerre mondiale.
Philosophiquement,
Les guerres en chaîne
appartiennent à l'école réaliste. Je pense, en effet, que dans le monde tel qu'il est les diplomates doivent chercher l'accommodement, le compromis, même avec des régimes détestables, plutôt qu'un triomphe éclatant et stérile sur l'infâme, triomphe qui ruine le vainqueur aussi bien que les vaincus et compromet les valeurs au nom desquelles fut livré le combat. Mais ces considérations sont, à l'heure présente, rétrospectives et l'application au monde tel qu'il est devenu en est pour le moins malaisé. Comment les États-Unis pourraient-ils limiter leurs engagements alors que la même menace soviétique pèse sur l'ensemble de l'Asie et de l'Europe? Comment pourraient-ils revenir à la diplomatie de style traditionnel alors qu'ils se heurtent à un empire conquérant dont l'idéologie est une arme?
À lire certains auteurs, H. J. Morgenthau par exemple, on a l'impression que la mythologie de la négociation se substitue à la mythologie du dialogue impossible. On écrit un livre de 350 pages pour recommander une politique réaliste dont l'aboutissement serait un accord avec l'Union Soviétique sur le partage du monde, mais on n'étudie pas ce que serait ce partage, quelles concessions il exigerait des États-Unis, quelle chance il aurait d'être respecté par l'Union Soviétique. De même que certains dénoncent la vanité de toute conversation avec le Kremlin, certains voient dans de telles conversations le seul espoir d'éviter la guerre totale.
La vérité se situe, me semble-t-il, à mi-chemin entre ces deux thèses. Tout ce qui relève de la rivalité de puissance entre deux empires ressortit, en théorie, à la méthode diplomatique, encore que les zones actuelles de friction, en particulier l'Allemagne, soient telles que les perspectives de compromis apparaissent faibles. Mais dans la mesure où l'un au moins des empires a, sur le plan idéologique, des prétentions universelles, aucun partage stable n'est même concevable. Comme la situation actuelle est au point de rencontre de ces deux séries historiques, la négociation avec le Kremlin ne doit être ni rejetée ni surestimée. Il est singulièrement improbable qu'elle mette fin à la guerre froide, il est possible qu'elle en atténue quelque jour l'intensité.
Aussi me paraît-il plus important de souligner la nécessité de réduire, par notre action propre, les facteurs d'instabilité qui sont en même temps causes de guerre froide et risques de guerre totale. L'Europe Occidentale sera garantie contre la soviétisation moins par des promesses soviétiques ou des entretiens au Kremlin que par le renforcement de la structure sociale et politique des pays menacés, par l'organisation d'une force de défense. De même, la partie au Proche-Orient ou dans l'Asie du Sud-Est sera gagnée ou perdue sur le terrain, dans l'âme des hommes, à même les conflits des classes ou des pays, non en des pourparlers secrets ou spectaculaires entre les représentants du Kremlin ou du State Department.
En d'autres termes,
ces premières conclusions sont proches de celles de l'école idéologique pour des raisons que je crois conformes à la doctrine de l'école réaliste
. Je tiens pour impossible de combler le fossé entre les deux univers, non parce que le monde libre peut ou doit se lancer dans une croisade contre le stalinisme, mais parce que celui-ci, par sa nature même, ne connaît en dehors de lui que des ennemis, parce que la révolte anti-européenne ou anti-occidentale des peuples d'Asie et du Proche-Orient donne une chance exceptionnelle à l'aventure impérialiste du Kremlin.
Du même coup, j'écarte les querelles, qui remplissent une bonne partie de la littérature politique, sur les racines de l'impérialisme actuel de l'Union Soviétique. Celui-ci est-il essentiellement russe ou soviétique? Sommes-nous en présence de l'impérialisme traditionnel de la Russie, utilisant l'arme nouvelle de la propagande et de l'idéologie, ou sommes-nous en présence d'un phénomène radicalement neuf, l'expansion d'une doctrine semi-religieuse utilisant la puissance de l'État russe à ses fins? S'agit-il de panslavisme ou du communisme universel? Je tiens ces alternatives pour largement fictives.
Faisons, pour les besoins du dialogue, une concession, en apparence décisive, aux théoriciens de l'impérialisme traditionnel. Admettons que les gouvernants actuels soient plus ou moins indifférents aux idées et qu'ils souhaitent agir à la manière dont ils le firent de 1939 à 1941, prêts à s'allier au pire ennemi de leur religion s'ils y trouvent leur intérêt, impatients d'élargir leur zone d'influence ou leur empire en dehors de toute diffusion idéologique. Quand M. Molotov envisageait l'expansion en direction du golfe Persique, il ne s'agissait pas de favoriser l'avènement d'un régime post-capitaliste. Mais en cette hypothèse qui, sous cette forme extrême, demeure improbable, les données du problème mondial seraient à peine modifiées.
En effet, dans l'intérêt de cet impérialisme, admettons-le, les gouvernants actuels de la Russie imposent des régimes imités du leur, dirigés par des hommes soumis à leur doctrine et à leurs ordres, aux pays que leurs armées ont mis à leur merci. D'autre part, ils s'efforcent d'animer à travers le monde les activités révolutionnaires et d'en prendre la tête par l'intermédiaire des partis communistes.
Le caractère idéologique de l'impérialisme soviétique ne résulte pas d'une conjecture sur la psychologie de Staline et des siens, mais d'une constatation pure et simple des faits
, la soviétisation des territoires protégés, la "stalinisation" des mouvements révolutionnaires. Que le
Politburo
mène son entreprise en cynique, usant de la doctrine sans y croire et en vue du seul épanouissement de la puissance, ou en fanatique, continuant de croire que le parti est l'avant-garde du prolétariat et l'exécuteur de la providence historique, le danger pour l'Occident demeure à peu près le même et la nécessité de la réplique équivalente.
On m'objectera que, dans l'hypothèse où l'impérialisme est russe ou slave, le compromis est possible alors que, dans le second cas, il ne l'est pas. Mais cette objection, si valable qu'elle soit en apparence, ne touche pas à l'essentiel. Que l'on suppose le
Politburo
composé de communistes fanatiques: il n'en est pas moins capable - et il l'a prouvé - de faire un bout de chemin avec n'importe quel ennemi pour s'assurer un répit ou éviter une épreuve de force tenue pour dangereuse, autrement dit de conclure un compromis de grand style ou d'accepter un partage du monde temporaire. D'autre part, même composé de réalistes indifférents à l'idéologie, le Politburo n'envisagerait pas de liquider l'appareil de subversion qu'il a monté à travers la planète et de rompre les liens entre le Kremlin et les partis communistes dits nationaux. Pourquoi? Parce qu'on ne saurait demander à une élite politique de rejeter
volontairement
l'idéologie du nom de laquelle elle a accédé au pouvoir et qui lui assure, dans la rivalité avec les autres classes et les autres pays, une telle supériorité en prestige et en bonne conscience.
L'expérience permet d'ailleurs, non pas de choisir dogmatiquement entre les deux interprétations, mais de fixer selon la probabilité la part de vérité que contiennent l'une et l'autre. Les dirigeants bolcheviks de la Russie, dès qu'ils ont cessé d'attendre à brève échéance la révolution mondiale, n'ont jamais été empêchés par leur idéologie de conclure des accords temporaires avec des pays résolument anticommunistes, la Turquie de Kemal, l'Allemagne de Hitler. Bien loin de préférer la négociation avec des hommes de gauche, socialistes ou libéraux, les Staliniens préfèrent, semble-t-il, traiter avec ceux qu'ils tiennent pour des ennemis déclarés et qui ne mettent pas en danger leur propre monopole révolutionnaire. La mise hors la loi d'un parti communiste n'est pas une mauvaise préface à un traité avec le Kremlin.
Réalistes dans le jeu diplomatique (tactique), les Staliniens n'en sont pas moins restés idéologues dans leur manière de penser et dans leurs perspectives à long terme. Ils n'ont jamais tenu l'alliance de guerre avec les démocraties occidentales pour autre chose qu'un expédient, ils n'ont jamais renoncé au postulat d'une hostilité fondamentale entre ce qu'ils appellent camp du socialisme et camp du capitalisme ou de l'impérialisme, ils n'ont jamais mis en doute que l'aboutissement de l'Histoire fût la généralisation de leur régime. En ce sens, il est vrai de dire que, d'après l'expérience même, le but des Staliniens est l'empire du monde. Seule la soviétisation de la planète entière donnerait au socialisme en un seul pays l'absolue sécurité et la consécration par le succès, du moins par le seul succès qui compte aux yeux des idéologues: le succès total.
En rejoignant, pour des raisons de fait, certaines thèses des théoriciens de l'anticommunisme, ne risquons-nous pas de tomber dans une nouvelle contradiction? Est-il suffisant de résister contre un ennemi qui multiplie les assauts de tous les côtés et sur tous les plans? A-t-on jamais gagné une guerre par la défensive? Le but ne doit-il pas être d'abattre le centre de la conspiration communiste, c'est-à-dire moins l'Union Soviétique elle-même que le parti communiste russe et la double autorité qu'il possède sur la Russie et sur les partis communistes dits nationaux, eux-mêmes maîtres des pays satellites et alliés? Nous en venons ainsi à la discussion ouverte par le livre de Burnham,
Offensive ou défensive
, discussion qui comporte d'ailleurs des aspects différents, guerre traditionnelle ou guerre hétérodoxe, endiguer ou refouler.
Ceux que l'on pourrait appeler théoriciens de la guerre froide partent d'une idée qui me paraît incontestable, la continuité de la guerre dans la paix, l'usage par l'État soviétique contre le monde non communiste de procédés qui, en d'autres temps, eussent été considérés comme incompatibles avec le droit des gens et les règles présidant aux relations entre États, par suite la différence de degré, non de nature, entre la guerre et la paix et la nécessite pour l'Occident de livrer lui aussi cette sorte de guerre, de ne pas se concentrer sur la guerre traditionnelle qui, peut-être, n'aura jamais lieu et que les victoires remportées par les communistes dans les guerres hétérodoxes risquent à la fois de rendre inévitable et dérisoire (elle sera perdue avant d'être livrée).
Cette idée, disais-je, me paraît incontestable et pourtant rien ne serait plus facile et plus dangereux que d'en exagérer la portée; il ne reste plus qu'un pas à franchir - et parfois Burnham le franchit ou semble le franchir - pour ne plus voir qu'une différence de degré et, par suite, une différence secondaire, entre la guerre froide (ou limitée, comme je préfère dire) et la guerre totale. Or ce serait là une erreur aussi fatale que celle des stratèges des deux premières guerres mondiales qui ne voyaient que des différences de degré entre les diverses manières d'obtenir la victoire. Si l'on part du postulat que la troisième guerre est commencée, que le seul but de guerre, pour l'Occident, est d'abattre la conspiration stalinienne, on risque de ne pas attacher l'importance qu'il convient à la distinction entre les diverses manières de vaincre. Matériellement, sinon en termes de concepts, il y a une différence de nature entre la guerre totale, avec usage de bombes atomiques, et la guerre limitée, dans laquelle nous vivons aujourd'hui.
La victoire totale, c'est-à-dire la destruction de la conspiration mondiale stalinienne, rien ne prouve qu'elle soit accessible sans l'emploi des moyens réservés à la guerre totale. Il est donc déplorable de se donner pour objectif une telle victoire qui risque de conduire logiquement aux catastrophes que l'on prétend éviter. Une telle conception des buts de guerre équivaut à renouveler l'erreur de Roosevelt: croire que le but de la guerre est la victoire et non la paix qui succédera à celle-ci.
À cette idée, que je tiens pour chargée d'équivoque, Burnham en joint d'autres que je tiens, au contraire, pour fécondes, en particulier la proposition fondamentale qu'il faut répondre à l'agression soviétique sur les terrains mêmes où elle se déroule (noyautages, sabotages, propagande, etc.) et aussi retourner contre l'empire stalinien la technique que celui-ci met en œuvre contre le monde libre. Qu'il s'agisse de la réplique aux agressions et infiltrations soviétiques à l'intérieur de notre monde ou de la contre-attaque vers l'autre monde, je n'ai rien ajouté, dans
Les Guerres en chaîne
, aux conceptions courantes(2). J'ai été arrêté, en effet, par quelques difficultés fondamentales.
Il n'y a pas d'unité réelle dans les problèmes de la guerre dite hétérodoxe. Ceux-ci se posent aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne, en Afrique du Nord, dans le Proche-Orient, en Asie, dans des termes tout différents. Quand on parle d'une entreprise une, dirigée d'un centre unique, on a tort et raison à la fois et l'on risque de susciter la mythologie aussi bien que la clairvoyance. Il est vrai que l'action du stalinisme s'étend à travers les cinq continents, que les grèves des dockers à Sydney, à San-Francisco, à New-York, à La Rochelle sont probablement machinées par des révolutionnaires professionnels, ayant passé par les mêmes écoles et recevant leurs instructions du même lieu. Mais les succès emportés varient évidemment selon les circonstances locales et, une fois admis que la technique d'action bolchevik obéit à certaines directives constantes, les Staliniens excellent surtout à aggraver les crises existantes et à exploiter des contradictions, pour employer le terme marxiste, que personne n'ignore.
Prenons l'exemple de la révolte des pays qui, au siècle dernier, ont été colonisés, exploités, en tout cas humiliés par les Blancs. Il ne faut ni génie exceptionnel, ni imagination particulière pour déceler dans les relations entre Européens, Africains et Asiatiques, le point faible du monde occidental. À partir de ce moment, c'est un jeu d'enfant pour les agents staliniens d'attiser cette révolte, sans se mettre en évidence. Dans tout le Proche-Orient, les agents communistes sont nombreux, mais à peine visibles. Ce sont les troupes britanniques qui occupent la zone du canal de Suez, c'est l'Anglo-Iranian qui exploite les pétroles de l'Iran, ce sont des Compagnies anglaises et américaines qui sont installées dans la région. La présence occidentale déclenche plusieurs réactions: réaction des milieux traditionalistes, attachés à la religion, qui sentent plus ou moins confusément que la civilisation industrielle emportera les croyances et les coutumes du passé, réaction des masses populaires, sensibles à la fois à la xénophobie et aux espoirs de progrès qui se réveillent de leur longue patience et cessent de tenir leur misère pour voulue par le ciel; réaction, enfin, des intellectuels occidentalisés et des classes moyennes urbaines qui trouvent dans les idéologies européennes (socialisme) une arme contre les maîtres étrangers et une justification de leurs ambitions.
Que faut-il faire? On conçoit que la réponse à une question aussi générale ne puisse être que générale, elle aussi, et, par conséquent, peu satisfaisante. L'aide économique exige, pour être efficace et pour améliorer le sort des déshérités, une administration ordonnée et des gouvernants capables. Ces conditions ne sont pas toujours données. Et comment les réaliser? Même le progrès économique est bien loin d'être une panacée. Au cours de la première phase, l'industrialisation tend à attiser les revendications bien plutôt qu'à les satisfaire ou à les apaiser. Finalement, l'essentiel paraît être bien moins économique que politique: c'est la solidité des pouvoirs qui permet seule un développement économique sans révolution. Mais comment obtenir ces pouvoirs?
À nouveau, on en est réduit à des généralités. La plus importante est probablement
la subordination du formalisme démocratique à l'exigence d'une autorité réelle
. La grande erreur des États-Unis est d'avoir cru - ou d'avoir trop souvent agi comme s'ils croyaient - que les institutions démocratiques, élections, partis, parlement, étaient transférables. Il ne faut pas demander d'abord aux régimes non communistes, en dehors de la zone de civilisation occidentale, d'être démocratiques au sens que nous donnons à ce mot, il faut leur demander d'être obéis, efficaces, de favoriser l'équipement, de réduire la misère et, à terme, de ne pas rendre impossible la démocratisation. Le modèle est, si l'on veut, le régime de Kemal Ataturk. On n'opposera pas aux partis communistes des parlements imités de celui de Westminster ou des présidents, imités de celui de la Maison-Blanche, mais un régime de type kemaliste, dictature temporaire d'une équipe d'hommes résolus. Il reste bien entendu que le kemalisme n'est qu'une formule, aussi facile à exprimer abstraitement que difficile à appliquer en fait. Il faudrait encore trouver dans chaque pays un Ataturk, capable de rallier autour de lui un parti. L'Occident peut encourager les sauveurs, non les susciter.
Tant que l'on ne trouve pas de dirigeants, de sympathies occidentales, relativement raisonnables, la diplomatie occidentale combine l'approbation, éclatante et verbale, des revendications fondées sur l'idéologie européenne ou américaine (liberté, droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, indépendance intégrale), le soutien des gouvernants en place, le plus souvent composés de privilégiés, chefs de clans ou riches marchands, et une aide économique limitée. Elle affaiblit les positions traditionnelles des puissances européennes par son langage, les positions des gouvernants en souscrivant aux revendications des masses, elle n'arrive pas à définir ce qu'elle veut ou ce qu'elle peut mettre à la place de l'ordre qu'elle détruit.
Dans la plus grande partie du monde, là où se développe une immense révolution dont les staliniens s'efforcent de prendre la direction, la bataille politique que l'Occident doit livrer ne se ramène pas à une rivalité de propagande, avec précautions contre le noyautage ou le sabotage comme en Occident. Ce qui est en question, c'est la capacité de l'Occident de favoriser l'avènement d'un système politique, d'un système d'encadrement des masses, différents de ceux qu'amènent avec lui le parti communiste. La menace stalinienne, en Afrique ou en Asie, n'est qu'un épisode dans une crise historique qui se prolongera probablement durant des siècles. L'Occident parviendra-t-il, par delà les formes coloniales de domination, en voie de disparition, à maintenir rayonnement et influence dans les pays où il a soit apporté une civilisation à des peuples qui n'en connaissaient aucune, soit apporté une civilisation industrielle à des peuples qui possédaient une civilisation égale aux plus hautes, mais de nature toute différente?
Dans les pays de civilisation occidentale, le problème communiste est différent parce que la situation n'y est pas révolutionnaire ou du moins n'y est pas révolutionnaire au même sens. Les pays de tradition libérale sont gouvernés non par un homme ou un groupe d'hommes disposant d'un pouvoir absolu et imposant à tous la reconnaissance de leur légitimité, mais par la coopération et la rivalité entre groupes d'hommes et partis, chacun d'eux se donnant pour l'interprète de certains intérêts, chacun essayant d'obtenir pour sa clientèle le plus d'avantages. Un tel régime, où l'autorité temporelle n'est pas soutenue par une autorité spirituelle, où les déshérités sont en permanence incités aux revendications, est le plus instable, le plus vulnérable que l'histoire ait connu. Il offre à un parti résolu au sabotage en vue d'une subversion totale des occasions exceptionnelles.
Dans le cas des pays sous-développés, où gronde la révolte, le parti communiste, en cas de succès, donnerait satisfaction à certaines passions et apporterait du moins une technique d'action politique et d'industrialisation. Dans le cas des pays occidentaux, il aggraverait, pour la majorité de la population, les maux dont celle-ci se plaint. Il renforcerait la discipline, restreindrait les libertés concrètes des ouvriers aussi bien que des bourgeois, abaisserait les salaires, accroîtrait la part des investissements. Seuls les croyants, heureux de travailler même dans le sacrifice pour leur foi, seraient comblés (en dehors, évidemment, des profiteurs du nouveau régime).
On s'explique aisément que la guerre politique et psychologique contre le communisme soit plus aisément gagnée dans les pays de civilisation occidentale: en mettant l'accent sur la subordination des partis communistes à Moscou, sur leurs liens avec l'impérialisme russe, sur leurs ambitions de pouvoir total et totalitaire, on parvient à limiter leur champ d'action et même à regagner certains îlots qu'ils avaient conquis. Dans les pays anglo-saxons, il reste à liquider quelques infiltrations ou noyautages syndicaux, à combattre la sympathie diffuse dans quelques milieux intellectuels et surtout à prendre des précautions contre le réseau d'espionnage. On n'a pas l'impression que le Mac Carthisme, sous toutes ses formes, les enquêtes des comités du Congrès, les lois sur l'immigration aient répondu au péril réel. Bien plutôt les réactions émotives semblent-elles inadaptées. Elles mettent en cause certaines libertés, sans éliminer certains risques.
Même dans les pays occidentaux où le parti communiste a pris la direction de masses importantes, il n'a guère de perspective, au moins à échéance d'une dizaine d'années, de s'emparer de l'État. Mais, d'un autre côté, on ne voit guère non plus comment on parviendrait, en Italie ou en France, à lui arracher la plus grande partie de ses troupes. Non que l'on ne puisse rien faire: on peut atténuer le mécontentement qui, pour de nombreux électeurs, est la seule raison de leur penchant à la subversion. On peut inquiéter les croyants eux-mêmes sur la qualité de leur cause; on peut, par une propagande aussi active que celle des staliniens, renforcer la conviction des non-communistes.
Mais l'essentiel ne dépend pas de l'action privée d'individus, groupes ou partis, l'essentiel dépend de l'État
. Tant que, en France et en Italie, le régime politique, le fonctionnement de l'économie, le climat moral seront ce qu'ils sont, le parti communiste, perdant ou gagnant quelques centaines de milliers de voix, peut-être même perdant un ou deux millions d'électeurs, restera une dangereuse cinquième colonne pour l'éventualité de la guerre totale et, en temps de guerre froide, un instrument efficace de sabotage.
Le parti, communiste constitue un contre-gouvernement, le noyau d'un pouvoir rival, conspiration quand il est faible, conspiration et organisation de masses à la fois quand il est fort. Aucun autre parti, à moins d'imiter sa technique, ne saurait le contre-battre. Seul l'État est en mesure de défendre la société contre lui et, par une combinaison de mesures de force et de réformes, de le réduire définitivement à l'impuissance.
Dans le monde extérieur à l'empire stalinien, il n'y a donc guère de distinctions entre offensive et défensive, sur le terrain de la guerre psychologique ou politique. La dénonciation de la réalité soviétique est à la fois moyen de défense et de riposte. Toute mesure contre les partis staliniens se justifie par la nécessité de la défense.
L'offensive, psychologique ou politique, de l'Occident devrait, semble-t-il, se développer à l'intérieur des frontières de l'Union Soviétique. De même que le stalinisme est farouchement autoritaire et conservateur là où il est établi et qu'il reste subversif au dehors de son empire, de même les démocraties pourraient et devraient renforcer leur structure là où elles se confondent avec l'État, et encourager la subversion là où leur ennemi est en place. Logiquement, cette argumentation est impeccable. Il n'en reste pas moins à se poser plusieurs questions.
La propagande à destination des pays soviétisés est évidemment légitime et elle est susceptible, à la longue, de n'être pas sans une influence limitée. Dès que l'on envisage l'équivalent de l'action communiste: noyautage, sabotage, subversion, on se heurte immédiatement aux obstacles trop connus: les régimes totalitaires ne laissent pas à leurs ennemis les mêmes libertés que les régimes démocratiques. Les patriotes ukrainiens, les démocrates tchèques ou polonais ne constitueraient pas à la fois une conspiration et un parti de masses, mais exclusivement une conspiration, dans des conditions extraordinairement précaires. Croire que cette guerre hétérodoxe, menée avec une suffisante vigueur, donnerait à l'Occident une victoire totale sur le stalinisme sans guerre totale, c'est, à mon sens, une illusion.
Les staliniens sont en train de bouleverser la carte du monde grâce à l'emploi généralisé de la guérilla, en Asie. Les Alliés ont suscité ou du moins encouragé et organisé une résistance à l'occupation allemande à travers toute l'Europe, mais en prévision d'un débarquement, c'est-à-dire d'une jonction des combattants sans uniforme et d'une armée régulière. À quoi mènerait l'organisation du maquis, en Union Soviétique (à supposer qu'elle ne soit pas faite en prévision de la guerre totale) sinon à sacrifier les plus courageux des anti-staliniens?
Les efforts pour affaiblir l'entreprise stalinienne à l'intérieur de l'empire soviétique peuvent avoir trois buts: 1° En cas de guerre totale, affaiblir le régime et, de cette manière, réduire, si possible, la durée et l'atrocité de la lutte; 2° inquiéter les dirigeants de Moscou sur la solidité de leur pouvoir et, par suite, les inciter à la modération; 3° rendre la vie difficile aux staliniens en dehors des frontières de la Russie elle-même, et, dans la mesure du possible, les faire consentir à la retraite. Cette dernière fonction me paraît essentielle, dans la conception même d'une stratégie offensive.
La guerre froide peut-elle se prolonger durant des années, même si l'Europe reste divisée ainsi qu'elle l'est aujourd'hui? On ne saurait répondre avec certitude à une telle question. Une seule certitude: la présence de l'armée rouge au centre de l'Europe exclut la paix, si elle autorise l'armistice. Nous avons montré pourquoi, dans la conjoncture actuelle, l'accord sur la réunification de l'Allemagne est improbable. L'offensive psycho-politique en direction de l'Europe orientale serait destinée à inciter les dirigeants du Kremlin à consentir à la retraite. On peut objecter que l'offensive aurait des effets contraires et que les dirigeants soviétiques consentiraient d'autant moins à la retraite qu'ils se sentiraient plus exposés. De tels événements ne sont pas rigoureusement prévisibles. L'Union Soviétique n'abandonnera pas aisément ce qu'elle tient par la vertu de ses victoires militaires. Mais elle ne l'abandonnera certainement pas si elle ne subit pas de pression. Il y aurait une petite chance qu'elle s'y résignât, si elle était soumise à une forte pression par suite de la présence en Europe d'une armée solide à l'ouest de la ligne de démarcation, par suite aussi de l'agitation anticommuniste à l'est.
Nous en arrivons ainsi à la dernière alternative qui occupe les théoriciens: endiguer ou refouler. Il n'est pas douteux qu'il aurait été souhaitable et peut-être même nécessaire de refouler le stalinisme en Europe. Ce qui est douteux, c'est qu'il soit possible d'y parvenir. À partir du moment où les États-Unis ont perdu le monopole atomique, on ne voit pas qu'ils puissent accumuler en temps de paix des forces suffisantes pour obliger l'Union Soviétique à se plier aux volontés de l'Occident.
Celui-ci n'aura pas, dans l'avenir prévisible, une supériorité qui lui permette de dicter les conditions d'une paix mettant fin à la guerre froide
. Même si l'on admet que l'Occident serait en mesure de gagner la guerre totale, cette supériorité n'est ni assez évidente ni assez écrasante pour convaincre les staliniens qu'ils doivent céder. Car cette guerre ne pourrait être gagnée que dans des conditions telles qu'elle serait perdue pour la plus grande partie du monde libre, l'Europe en particulier. L'offensive politique en vue de refouler le stalinisme n'est qu'un élément dans une politique d'ensemble, dont le but serait un accord sur un statut européen, ou, si l'on préfère, une rectification des modalités actuelles du partage de l'Europe.
N'attachons pas, en vérité, une portée excessive à ces alternatives, endiguer ou refouler, négociation ou guerre froide. Il s'agit moins d'alternatives que de démarches complémentaires ou de distinctions entre objectif minimum et objectif maximum. Bien sûr, si l'on pouvait libérer sans guerre totale la Chine et l'Europe de l'est du joug stalinien, qui ne serait d'accord? Mais pourquoi ne pas reconnaître que nous avons fort peu de chances d'atteindre cet objectif maximum?
Ces conclusions risquent de décevoir toutes les écoles: ceux qui veulent l'offensive, le refoulement, la destruction du centre mondial communiste m'accuseront de faiblesse et presque de passivité. Ceux qui rêvent de négociations, de dialogue, de détente m'accuseront de bellicisme, sous prétexte que je tiens l'énergie offensive, dans la conduite de la guerre froide, pour la meilleure chance de n'avoir pas à livrer la guerre totale. Par-dessus tout, les uns et les autres me reprocheront de ne pas apporter de solution, de ne pas faire entrevoir d'issue. Et j'en tombe d'accord. En l'état actuel du monde, il n'y a pas de solution définissable, il n'y a pas d'issue visible ou même prévisible. Peut-être la grande illusion est-elle de croire à une solution.
On a cherché une solution aux problèmes créés par l'impérialisme hitlérien. On a liquidé effectivement ces problèmes; d'autres ont surgi, plus graves encore. On ne saurait affirmer que l'élimination, par une guerre totale, des problèmes suscités par le stalinisme en ferait surgir d'autres du même type (à la manière dont le stalinisme a reçu une impulsion décisive de la deuxième guerre mondiale). Mais les maux certains d'une troisième guerre et les difficultés qu'elle laisserait probablement en héritage sont tels que la politique réaliste enjoint de tout faire pour n'avoir pas à la livrer, tout en se donnant les moyens de la gagner en cas de nécessité.
Mais, me disent les uns, s'il n'y a pas de fin à la guerre froide, inévitablement celle-ci dégénérera en guerre totale. Mais, me disent les autres, l'Occident n'a aucune chance de gagner une telle guerre, à laquelle les régimes totalitaires, mais non les démocraties de type occidental, sont adaptés. Et je ne puis donner tort ni aux uns ni aux autres. Plus la guerre froide dure, plus elle devient intense, plus s'accroît le risque du glissement à la guerre totale. Aussi avons-nous suggéré les moyens d'en atténuer la violence, sans écarter parmi ces moyens les négociations avec le Kremlin, mais en insistant sur ce qui dépend de nous, à savoir le renforcement des zones intermédiaires, théâtre et objet de l'épreuve de forces.
Je ne nie pas que, dans la guerre froide, les démocraties risquent d'être contaminées par les régimes totalitaires, assez pour perdre une partie de leurs motifs de combattre, pas assez pour acquérir la force qui donne la victoire. Mais, là encore, quelle autre réponse que l'action et la foi? Si nous ne sommes pas capables de soutenir et finalement de gagner la guerre froide, sommes-nous à ce point assurés de gagner la guerre totale?
"Faire notre devoir et laisser faire aux dieux." Nous ne voyons pas d'issue, mais nous en concevons plusieurs. Quelle sera l'évolution du régime stalinien après la mort du chef? Combien de temps se maintiendra la cohérence de l'empire? Entendons-nous bien: il serait fatal de compter sur la conversion du stalinisme après Staline, il serait fatal de compter sur la dissociation de l'alliance entre la Russie de Staline et la Chine de Mao. Nous devons agir comme si aucun de ces événements heureux ne devait se produire dans un avenir prochain, mais nous ne devons pas oublier non plus que le déroulement de l'Histoire ne dépend que pour une part des pensées et des actes des hommes d'État. Ceux-ci ignorent l'aboutissement de cette période de troubles (nous aussi). Acceptons virilement cette ignorance, livrons le combat quotidien, sans illusion et, si possible, sans angoisse. Nous apercevons les objectifs et les moyens d'y atteindre, réduire les risques de la guerre totale par l'affaiblissement de l'agressivité stalinienne, le renforcement des structures occidentales, et aussi en enseignant à tous les fanatiques - fanatiques de l'apaisement comme fanatiques de l'offensive - les limites de l'action et les vertus de la patience.
Je n'ai pas la naïveté de croire qu'une telle attitude recueille beaucoup de suffrages. Elle ne flatte aucun des conformismes, surtout pas celui des intellectuels, toujours en quête d'une conception ou d'une technique inédite. Mais, dans le monde tel qu'il est, avec les démocraties occidentales telles qu'elles sont, je n'en vois pas d'autre possible. Raison de plus d'ailleurs pour qu'elle soit rejetée en paroles, même lorsqu'elle est adoptée en actes.
(1)
G. F. Kennan:
American diplomacy, 1900-1950
. Le livre paraîtra d'ici peu en France, dans la collection
Liberté de l'Esprit
(Calmann-Lévy). H. J. Morgenthau, in
Defense of the national interest, a critical examination of American foreign policy
(New York, 1951).
(2)
J. Monnerot leur a ajouté récemment l'idée séduisante d'un
ordre
.
Politique française Articles 1944-1977
titlepage.xhtml
part0001.html
part0002.html
part0003.html
part0004.html
part0005.html
part0006.html
part0007.html
part0008.html
part0009.html
part0010.html
part0011.html
part0012.html
part0013.html
part0014.html
part0015.html
part0016.html
part0017.html
part0018.html
part0019.html
part0020.html
part0021.html
part0022.html
part0023.html
part0024.html
part0025.html
part0026.html
part0027.html
part0028.html
part0029.html
part0030.html
part0031.html
part0032.html
part0033.html
part0034.html
part0035.html
part0036.html
part0037.html
part0038.html
part0039.html
part0040.html
part0041.html
part0042.html
part0043.html
part0044.html
part0045.html
part0046.html
part0047.html
part0048.html
part0049.html
part0050.html
part0051.html
part0052.html
part0053.html
part0054.html
part0055.html
part0056.html
part0057.html
part0058.html
part0059.html
part0060.html
part0061.html
part0062.html
part0063.html
part0064.html
part0065.html
part0066.html
part0067.html
part0068.html
part0069.html
part0070.html
part0071.html
part0072.html
part0073.html
part0074.html
part0075.html
part0076.html
part0077.html
part0078.html
part0079.html
part0080.html
part0081.html
part0082.html
part0083.html
part0084.html
part0085.html
part0086.html
part0087.html
part0088.html
part0089.html
part0090.html
part0091.html
part0092.html
part0093.html
part0094.html
part0095.html
part0096.html
part0097.html
part0098.html
part0099.html
part0100.html
part0101.html
part0102.html
part0103.html
part0104.html
part0105.html
part0106.html
part0107.html
part0108.html
part0109.html
part0110.html
part0111.html
part0112.html
part0113.html
part0114.html
part0115.html
part0116.html
part0117.html
part0118.html
part0119.html
part0120.html
part0121.html
part0122.html
part0123.html
part0124.html
part0125.html
part0126.html
part0127.html
part0128.html
part0129.html
part0130.html
part0131.html
part0132.html
part0133.html
part0134.html
part0135.html
part0136.html
part0137.html
part0138.html
part0139.html
part0140.html
part0141.html
part0142.html
part0143.html
part0144.html
part0145.html
part0146.html
part0147.html
part0148.html
part0149.html
part0150.html
part0151.html
part0152.html
part0153.html
part0154.html
part0155.html
part0156.html
part0157.html
part0158.html
part0159.html
part0160.html
part0161.html
part0162.html
part0163.html
part0164.html
part0165.html
part0166.html
part0167.html
part0168.html
part0169.html
part0170.html
part0171.html
part0172.html
part0173.html
part0174.html
part0175.html
part0176.html
part0177.html
part0178.html
part0179.html
part0180.html
part0181.html
part0182.html
part0183.html
part0184.html
part0185.html
part0186.html
part0187.html
part0188.html
part0189.html
part0190.html
part0191.html
part0192.html
part0193.html
part0194.html
part0195.html
part0196.html
part0197.html
part0198.html
part0199.html
part0200.html
part0201.html
part0202.html
part0203.html
part0204.html
part0205.html
part0206.html
part0207.html
part0208.html
part0209.html
part0210.html
part0211.html
part0212.html
part0213.html
part0214.html
part0215.html
part0216.html
part0217.html
part0218.html
part0219.html
part0220.html
part0221.html
part0222.html
part0223.html
part0224.html
part0225.html
part0226.html
part0227.html
part0228.html
part0229.html
part0230.html
part0231.html
part0232.html
part0233.html
part0234.html
part0235.html
part0236.html
part0237.html
part0238.html
part0239.html
part0240.html
part0241.html
part0242.html
part0243.html
part0244.html
part0245.html
part0246.html
part0247.html
part0248.html
part0249.html
part0250.html
part0251.html
part0252.html
part0253.html
part0254.html
part0255.html
part0256.html
part0257.html
part0258.html
part0259.html
part0260.html
part0261.html
part0262.html
part0263.html
part0264.html
part0265.html
part0266.html
part0267.html
part0268.html
part0269.html
part0270.html
part0271.html
part0272.html
part0273.html
part0274.html
part0275.html
part0276.html
part0277.html
part0278.html
part0279.html
part0280.html
part0281.html
part0282.html
part0283.html
part0284.html
part0285.html
part0286.html
part0287.html
part0288.html
part0289.html
part0290.html
part0291.html
part0292.html
part0293.html
part0294.html
part0295.html
part0296.html
part0297.html
part0298.html
part0299.html
part0300.html
part0301.html
part0302.html
part0303.html
part0304.html
part0305.html
part0306.html
part0307.html
part0308.html
part0309.html
part0310.html
part0311.html
part0312.html
part0313.html
part0314.html
part0315.html
part0316.html
part0317.html
part0318.html
part0319.html
part0320.html
part0321.html
part0322.html
part0323.html
part0324.html
part0325.html
part0326.html
part0327.html
part0328.html
part0329.html
part0330.html
part0331.html
part0332.html
part0333.html
part0334.html
part0335.html
part0336.html
part0337.html
part0338.html
part0339.html
part0340.html
part0341.html
part0342.html
part0343.html
part0344.html
part0345.html
part0346.html
part0347.html
part0348.html
part0349.html
part0350.html
part0351.html
part0352.html
part0353.html
part0354.html
part0355.html
part0356.html
part0357.html
part0358.html
part0359.html
part0360.html
part0361.html
part0362.html
part0363.html
part0364.html
part0365.html
part0366.html
part0367.html
part0368.html
part0369.html
part0370.html
part0371.html
part0372.html
part0373.html
part0374.html
part0375.html
part0376.html
part0377.html
part0378.html
part0379.html
part0380.html
part0381.html
part0382.html
part0383.html
part0384.html
part0385.html
part0386.html
part0387.html
part0388.html
part0389.html
part0390.html
part0391.html
part0392.html
part0393.html
part0394.html
part0395.html
part0396.html
part0397.html
part0398.html
part0399.html
part0400.html
part0401.html
part0402.html
part0403.html
part0404.html
part0405.html
part0406.html
part0407.html
part0408.html
part0409.html
part0410.html
part0411.html
part0412.html
part0413.html
part0414.html
part0415.html
part0416.html
part0417.html
part0418.html
part0419.html
part0420.html
part0421.html
part0422.html
part0423.html
part0424.html
part0425.html
part0426.html
part0427.html
part0428.html
part0429.html
part0430.html
part0431.html
part0432.html
part0433.html
part0434.html
part0435.html
part0436.html
part0437.html
part0438.html
part0439.html
part0440.html
part0441.html
part0442.html
part0443.html
part0444.html
part0445.html
part0446.html
part0447.html
part0448.html
part0449.html
part0450.html
part0451.html
part0452.html
part0453.html
part0454.html
part0455.html
part0456.html
part0457.html
part0458.html
part0459.html
part0460.html
part0461.html
part0462.html
part0463.html
part0464.html
part0465.html
part0466.html
part0467.html
part0468.html
part0469.html
part0470.html
part0471.html
part0472.html
part0473.html
part0474.html
part0475.html
part0476.html
part0477.html
part0478.html
part0479.html
part0480.html
part0481.html
part0482.html
part0483.html
part0484.html
part0485.html
part0486.html
part0487.html
part0488.html
part0489.html
part0490.html
part0491.html
part0492.html
part0493.html
part0494.html
part0495.html
part0496.html
part0497.html
part0498.html
part0499.html
part0500.html
part0501.html
part0502.html
part0503.html
part0504.html
part0505.html
part0506.html
part0507.html
part0508.html
part0509.html
part0510.html
part0511.html
part0512.html
part0513.html
part0514.html
part0515.html
part0516.html
part0517.html
part0518.html
part0519.html
part0520.html
part0521.html
part0522.html
part0523.html
part0524.html
part0525.html
part0526.html
part0527.html
part0528.html
part0529.html
part0530.html
part0531.html
part0532.html
part0533.html
part0534.html
part0535.html
part0536.html
part0537.html
part0538.html
part0539.html
part0540.html
part0541.html
part0542.html
part0543.html
part0544.html
part0545.html
part0546.html
part0547.html
part0548.html
part0549.html
part0550.html
part0551.html
part0552.html
part0553.html
part0554.html
part0555.html
part0556.html
part0557.html
part0558.html
part0559.html
part0560.html
part0561.html
part0562.html
part0563.html
part0564.html
part0565.html
part0566.html
part0567.html
part0568.html
part0569.html
part0570.html
part0571.html
part0572.html
part0573.html
part0574.html
part0575.html
part0576.html
part0577.html
part0578.html
part0579.html
part0580.html
part0581.html
part0582.html
part0583.html
part0584.html
part0585.html
part0586.html
part0587.html
part0588.html
part0589.html
part0590.html
part0591.html
part0592.html
part0593.html
part0594.html
part0595.html
part0596.html
part0597.html
part0598.html
part0599.html
part0600.html
part0601.html
part0602.html
part0603.html
part0604.html
part0605.html
part0606.html
part0607.html
part0608.html
part0609.html
part0610.html
part0611.html
part0612.html
part0613.html
part0614.html
part0615.html
part0616.html
part0617.html
part0618.html
part0619.html
part0620.html
part0621.html
part0622.html
part0623.html
part0624.html
part0625.html
part0626.html
part0627.html
part0628.html
part0629.html
part0630.html
part0631.html
part0632.html
part0633.html
part0634.html
part0635.html
part0636.html
part0637.html
part0638.html
part0639.html
part0640.html
part0641.html
part0642.html
part0643.html
part0644.html
part0645.html
part0646.html
part0647.html
part0648.html
part0649.html
part0650.html
part0651.html
part0652.html
part0653.html
part0654.html
part0655.html
part0656.html
part0657.html
part0658.html
part0659.html
part0660.html
part0661.html
part0662.html
part0663.html
part0664.html
part0665.html
part0666.html
part0667.html
part0668.html
part0669.html
part0670.html
part0671.html
part0672.html
part0673.html
part0674.html
part0675.html
part0676.html
part0677.html
part0678.html
part0679.html
part0680.html
part0681.html
part0682.html
part0683.html
part0684.html
part0685.html
part0686.html
part0687.html
part0688.html
part0689.html
part0690.html
part0691.html
part0692.html
part0693.html
part0694.html
part0695.html
part0696.html
part0697.html
part0698.html
part0699.html
part0700.html
part0701.html
part0702.html
part0703.html
part0704.html
part0705.html
part0706.html
part0707.html
part0708.html
part0709.html
part0710.html
part0711.html
part0712.html
part0713.html
part0714.html
part0715.html
part0716.html
part0717.html
part0718.html
part0719.html
part0720.html
part0721.html
part0722.html
part0723.html
part0724.html
part0725.html
part0726.html
part0727.html
part0728.html
part0729.html
part0730.html
part0731.html
part0732.html
part0733.html
part0734.html
part0735.html
part0736.html
part0737.html
part0738.html
part0739.html
part0740.html
part0741.html
part0742.html
part0743.html
part0744.html
part0745.html
part0746.html
part0747.html
part0748.html
part0749.html
part0750.html
part0751.html
part0752.html
part0753.html
part0754.html
part0755.html
part0756.html
part0757.html
part0758.html
part0759.html
part0760.html
part0761.html
part0762.html
part0763.html
part0764.html
part0765.html
part0766.html
part0767.html
part0768.html
part0769.html
part0770.html
part0771.html
part0772.html
part0773.html
part0774.html
part0775.html
part0776.html
part0777.html
part0778.html
part0779.html
part0780.html
part0781.html
part0782.html
part0783.html
part0784.html
part0785.html
part0786.html
part0787.html
part0788.html
part0789.html
part0790.html
part0791.html
part0792.html
part0793.html
part0794.html
part0795.html
part0796.html
part0797.html
part0798.html
part0799.html
part0800.html
part0801.html
part0802.html
part0803.html
part0804.html
part0805.html
part0806.html
part0807.html
part0808.html
part0809.html
part0810.html
part0811.html
part0812.html
part0813.html
part0814.html
part0815.html
part0816.html
part0817.html
part0818.html
part0819.html
part0820.html
part0821.html
part0822.html
part0823.html
part0824.html
part0825.html
part0826.html
part0827.html
part0828.html
part0829.html
part0830.html
part0831.html
part0832.html
part0833.html
part0834.html
part0835.html
part0836.html
part0837.html
part0838.html
part0839.html
part0840.html
part0841.html
part0842.html
part0843.html
part0844.html
part0845.html
part0846.html
part0847.html
part0848.html
part0849.html
part0850.html
part0851.html
part0852.html
part0853.html
part0854.html
part0855.html
part0856.html
part0857.html
part0858.html
part0859.html
part0860.html
part0861.html
part0862.html
part0863.html
part0864.html
part0865.html
part0866.html
part0867.html
part0868.html
part0869.html
part0870.html
part0871.html
part0872.html
part0873.html
part0874.html
part0875.html
part0876.html
part0877.html
part0878.html
part0879.html
part0880.html
part0881.html
part0882.html
part0883.html
part0884.html
part0885.html
part0886.html
part0887.html
part0888.html
part0889.html
part0890.html
part0891.html
part0892.html
part0893.html
part0894.html
part0895.html
part0896.html
part0897.html
part0898.html
part0899.html
part0900.html
part0901.html
part0902.html
part0903.html
part0904.html
part0905.html
part0906.html
part0907.html
part0908.html
part0909.html
part0910.html
part0911.html
part0912.html
part0913.html
part0914.html
part0915.html
part0916.html
part0917.html
part0918.html
part0919.html
part0920.html
part0921.html
part0922.html
part0923.html
part0924.html
part0925.html
part0926.html
part0927.html
part0928.html
part0929.html
part0930.html
part0931.html
part0932.html
part0933.html
part0934.html
part0935.html
part0936.html
part0937.html
part0938.html
part0939.html
part0940.html
part0941.html
part0942.html
part0943.html
part0944.html
part0945.html
part0946.html
part0947.html
part0948.html
part0949.html
part0950.html
part0951.html
part0952.html
part0953.html
part0954.html
part0955.html
part0956.html
part0957.html
part0958.html
part0959.html
part0960.html
part0961.html
part0962.html
part0963.html
part0964.html
part0965.html
part0966.html
part0967.html
part0968.html
part0969.html
part0970.html
part0971.html
part0972.html
part0973.html
part0974.html
part0975.html
part0976.html
part0977.html
part0978.html
part0979.html
part0980.html
part0981.html
part0982.html
part0983.html
part0984.html
part0985.html
part0986.html
part0987.html
part0988.html
part0989.html
part0990.html
part0991.html
part0992.html
part0993.html
part0994.html
part0995.html
part0996.html
part0997.html
part0998.html
part0999.html
part1000.html
part1001.html
part1002.html
part1003.html
part1004.html
part1005.html
part1006.html
part1007.html
part1008.html
part1009.html
part1010.html
part1011.html
part1012.html
part1013.html
part1014.html
part1015.html
part1016.html
part1017.html
part1018.html
part1019.html
part1020.html
part1021.html
part1022.html
part1023.html
part1024.html
part1025.html
part1026.html
part1027.html
part1028.html
part1029.html
part1030.html
part1031.html
part1032.html
part1033.html
part1034.html
part1035.html
part1036.html
part1037.html
part1038.html
part1039.html
part1040.html
part1041.html
part1042.html
part1043.html
part1044.html
part1045.html
part1046.html
part1047.html
part1048.html
part1049.html
part1050.html
part1051.html
part1052.html
part1053.html
part1054.html
part1055.html
part1056.html
part1057.html
part1058.html
part1059.html
part1060.html
part1061.html
part1062.html
part1063.html
part1064.html
part1065.html
part1066.html
part1067.html
part1068.html
part1069.html
part1070.html
part1071.html
part1072.html
part1073.html
part1074.html
part1075.html
part1076.html
part1077.html
part1078.html
part1079.html
part1080.html
part1081.html
part1082.html
part1083.html
part1084.html
part1085.html
part1086.html
part1087.html
part1088.html
part1089.html
part1090.html
part1091.html
part1092.html
part1093.html
part1094.html
part1095.html
part1096.html
part1097.html
part1098.html
part1099.html
part1100.html
part1101.html
part1102.html
part1103.html
part1104.html
part1105.html
part1106.html
part1107.html
part1108.html
part1109.html
part1110.html
part1111.html
part1112.html
part1113.html
part1114.html
part1115.html
part1116.html
part1117.html
part1118.html
part1119.html
part1120.html
part1121.html
part1122.html
part1123.html
part1124.html
part1125.html
part1126.html
part1127.html
part1128.html
part1129.html
part1130.html
part1131.html
part1132.html
part1133.html
part1134.html
part1135.html
part1136.html
part1137.html
part1138.html
part1139.html
part1140.html
part1141.html
part1142.html
part1143.html
part1144.html
part1145.html
part1146.html
part1147.html
part1148.html
part1149.html
part1150.html
part1151.html
part1152.html
part1153.html
part1154.html
part1155.html
part1156.html
part1157.html
part1158.html
part1159.html
part1160.html
part1161.html
part1162.html
part1163.html
part1164.html
part1165.html
part1166.html
part1167.html
part1168.html
part1169.html
part1170.html
part1171.html
part1172.html
part1173.html
part1174.html
part1175.html
part1176.html
part1177.html
part1178.html
part1179.html
part1180.html
part1181.html
part1182.html
part1183.html
part1184.html
part1185.html
part1186.html
part1187.html
part1188.html
part1189.html
part1190.html
part1191.html
part1192.html
part1193.html
part1194.html
part1195.html
part1196.html
part1197.html
part1198.html
part1199.html
part1200.html
part1201.html
part1202.html
part1203.html
part1204.html
part1205.html
part1206.html
part1207.html
part1208.html
part1209.html
part1210.html
part1211.html
part1212.html
part1213.html
part1214.html
part1215.html
part1216.html
part1217.html
part1218.html
part1219.html
part1220.html
part1221.html
part1222.html
part1223.html
part1224.html
part1225.html
part1226.html
part1227.html
part1228.html
part1229.html
part1230.html
part1231.html
part1232.html
part1233.html
part1234.html
part1235.html
part1236.html
part1237.html
part1238.html
part1239.html
part1240.html
part1241.html
part1242.html
part1243.html
part1244.html
part1245.html
part1246.html
part1247.html
part1248.html
part1249.html
part1250.html
part1251.html
part1252.html
part1253.html
part1254.html
part1255.html
part1256.html
part1257.html
part1258.html
part1259.html
part1260.html
part1261.html
part1262.html
part1263.html
part1264.html
part1265.html
part1266.html
part1267.html
part1268.html
part1269.html
part1270.html
part1271.html
part1272.html
part1273.html
part1274.html
part1275.html
part1276.html
part1277.html
part1278.html
part1279.html
part1280.html
part1281.html
part1282.html
part1283.html
part1284.html
part1285.html
part1286.html
part1287.html
part1288.html
part1289.html
part1290.html