Réponse à Jean-Paul Sartre, suite et fin
Liberté de l'Esprit
juillet 1949

J.-P. Sartre ne se contente pas de cette rapide incursion sur le terrain de l'économie politique(1). Mon "cynisme inintelligent" serait la conséquence d'une certaine philosophie de la société, qu'il résume de la manière suivante: "Quel est donc le point de vue d'Aron? C'est à peu près le suivant: le seul problème pour lui, le seul problème social, est le problème de la répartition des biens, lorsque ces biens sont insuffisants. La société est telle qu'il y a insuffisance de biens de consommation à distribuer. En conséquence, pour lui, le problème est d'unir procédés autoritaires et procédés de propagande - ou mystifications - pour empêcher les moins favorisés de provoquer les troubles qui, par eux-mêmes, ne pourraient qu'aboutir au chaos. Autrement dit, le réalisme, ici, consiste à tenir, à tenir de manière que la société telle qu'elle est ne soit pas brisée, puisque l'instauration d'un autre type de société, n'entraînant pas de soi l'abondance, ne pourrait amener qu'un autre type d'autorité." Voilà comment J.-P. Sartre se croit en droit de résumer deux ou trois livres de critique politique. Je tiens à sa disposition un résumé de
L'Être et le Néant
, en dix lignes, dans le même style. Pour corser encore un peu cette analyse que, pour une fois, il ne met pas entre guillemets, il retrouve, dans sa mémoire complaisante, une phrase de moi qui, comme toutes celles qu'il m'attribue, ne serait même pas du niveau d'un étudiant de sociologie de première année: "Pour moi, l'émancipation et la culture d'une société sont en raison directe de sa capacité industrielle." Pour ne pas être en reste de mauvaise foi, David Rousset (avec lequel je n'avais eu aucune conversation avant qu'il échange ses profondes pensées avec J.-P. Sartre) affirme avec une gravité bouffonne: "C'est l'utopie d'Aron de croire que le développement technique entraîne nécessairement une émancipation sociale."
Je répondrai d'abord par le simple renvoi au texte que David Rousset veuille bien confronter l'utopie qu'il m'attribue avec la page 312 du
Grand Schisme
: "Le progrès technique ne résoud de lui-même ni les conflits de classes ni les conflits de puissance."
À en croire J.-P. Sartre, je serais "romantique" au point d'admettre que "la culture d'une société est en raison directe de sa capacité industrielle". Que n'a-t-il au moins ouvert les dernières pages du
Grand Schisme
! Sans perdre beaucoup de temps, il aurait lu: "Le progrès technique n'entraîne pas de lui-même un progrès moral ou spirituel. Nul ne connaît les conditions nécessaires aux créations plus hautes ou à l'harmonie entre les hommes et leur milieu, entre les œuvres que nous appelons culture." Autrement dit, les deux "révolutionnaires" me prêtent la naïveté que je rejette explicitement.
On serait tenté d'arrêter ici le dialogue et de renvoyer mes contradicteurs aux règles de l'honnête discussion. Mais puisqu'ils m'en offrent l'occasion, pourquoi ne pas étudier les rapports réels entre progrès technique et émancipation sociale? Peut-être parviendrons-nous ainsi à comprendre pourquoi Sartre discute avec autant de passion mes prétendues illusions sur le progrès technique.
Je n'emploie pas, pour mon compte, l'expression "émancipation sociale" parce que j'en ignore le sens ou plutôt parce qu'elle est susceptible d'en avoir plusieurs. Je distinguerai le niveau de vie de la classe ouvrière, la puissance et l'autonomie des organisations représentatives de la classe ouvrière (en particulier des syndicats), la participation de la classe ouvrière au pouvoir politique, l'intégration, matérielle et morale, des ouvriers à la société.
En première approximation, on peut dire que le niveau de vie de la classe ouvrière est proportionnel à la productivité du travail. Si les salaires de l'ouvrier américain sont trois ou quatre fois supérieurs à ceux de l'ouvrier français, la faute n'en est ni à l'égoïsme bourgeois, ni à l'avidité patronale, ni à la trahison social-démocrate, ni à la faiblesse syndicale, mais au rendement plus faible du travail français. Dès lors, il apparaît clairement que l'élévation du niveau de vie des masses, à long terme, a pour condition le progrès technique et non l'action revendicative des syndicats, encore que cette élévation s'opère effectivement "au travers de mouvements politiques et sociaux".
Cette constatation de fait ne condamne nullement l'action revendicative. La proportionnalité des salaires à la productivité est vraie en gros, elle est évidente, lorsque l'on compare la situation des salariés américains et celle des salariés français, ou encore celle des salariés français au début du XIXe siècle et celle des mêmes salariés au début du XXe siècle. Mais un retard d'adaptation, à peine visible sur une courbe séculaire, peut entraîner pour des milliers d'hommes des souffrances ou des privations non nécessaires. Il y a plus. Étant donné une certaine productivité du travail, diverses modalités de répartition du revenu national sont possibles. La lutte des non privilégiés pour une répartition équitable du revenu national est susceptible d'atteindre certains résultats, bien que dans des limites fixées par la richesse globale de la société, elle-même fonction de la productivité du travail.
Quel est l'effet du développement des forces productives (pour employer l'expression marxiste) ou de l'accroissement de la productivité(2) sur la répartition du revenu national? La discussion, sur ce point, est loin d'être close. Il semble que la tendance (qui n'exclut ni les exceptions ni les régressions temporaires) soit exactement contraire à celle qu'anticipaient les philosophies catastrophiques: la distribution des revenus, dans les sociétés démocratiques bourgeoises, est moins inégalitaire qu'elle ne l'était il y a un siècle. Le fait est incontestable pour les sociétés anglo-saxonnes et scandinaves. Il se peut qu'il n'en aille pas de même dans d'autres. De toute manière, cette tendance à l'égalité se réalise de diverses manières: action de la fiscalité, décisive aux États-Unis et en Grande-Bretagne, rétrécissement de l'éventail des salaires, amputation des revenus du capital, etc. Dans le sens contraire agirait parfois la concentration des entreprises et, éventuellement, des fortunes.
Le développement des syndicats ouvriers n'est pas davantage "proportionnel à la capacité industrielle". Les syndicats étaient déjà puissants en Allemagne, à la fin du siècle dernier, alors que le nombre des syndiqués était encore faible aux États-Unis à la veille de la guerre de 1914. aujourd'hui, après deux guerres et le "new deal", le nombre des syndiqués ne dépasse guère 15 millions aux États-Unis, c'est-à-dire le quart environ du nombre total de salariés. De multiples circonstances contribuent à freiner ou à accélérer le mouvement syndical.
En gros, il n'y en a pas moins une certaine relation entre "capacité industrielle" (il vaudrait mieux dire progrès économique) et "émancipation sociale" (au sens d'organisation syndicale). Que l'on compare la situation de la classe ouvrière, en Europe Occidentale, au début du XIXe siècle, et la situation de cette même classe, au milieu du XXe siècle, on ne peut pas ne pas être frappé par l'extraordinaire changement intervenu. Il y a un siècle et demi, dans aucun pays, même parmi ceux qui jouissaient d'un régime constitutionnel, la classe ouvrière n'était organisée. Avant 1939, dans aucun ou presque des pays peu industrialisés, que ce soit à l'est de l'Europe, dans le Proche-Orient ou en Extrême-Orient, n'existait un mouvement syndical, autonome, reconnu par l'État, sans lui être inféodé. Parmi les pays situés aujourd'hui de l'autre côté du rideau de fer, deux seulement, la Finlande et la Tchécoslovaquie, avaient un important syndicalisme ouvrier. Or ils étaient les plus industrialisés, avec le niveau de vie les plus élevé. Le gonflement des effectifs ouvriers, le suffrage universel, l'élévation du niveau de vie ont manifestement favorisé, depuis un siècle et demi, le mouvement syndical à l'intérieur du monde occidental.
Au fur et à mesure qu'il progresse, le mouvement syndical se trouve aux prises avec une contradiction fondamentale: la puissance devient de plus en plus difficile à concilier avec l'autonomie. Les syndicats ont été avant tout, dans le passé, des organes de revendication. Par leur succès même, ils sont obligés d'élargir leur horizon. Ils obtenaient et ils obtiennent encore des avantages pour leurs membres. Du coup, les dirigeants avaient l'impression que la combattivité ouvrière arrachait à "l'égoïsme patronal" l'amélioration des salaires et des conditions de travail. Psychologiquement, cette description était souvent exacte. Mais les revenus supplémentaires attribués aux salariés supposaient une redistribution du revenu national (possible dans les limites assez étroites) ou un accroissement de la richesse générale. Autrement dit, c'est le progrès économique qui permettait le succès des revendications ouvrières.
Les syndicats ouvriers pouvaient ignorer, au siècle dernier, les conditions de leur lutte victorieuse. En général, les ouvriers recevaient moins que leur part du revenu national et le progrès économique était continu. Ils inclinaient à admettre que leurs revendications étaient toujours matériellement possibles et que les obstacles à surmonter étaient d'ordre politique. Au XXe siècle, il n'en va plus de même. Quand les syndicats groupent des millions de salariés, ils sont souvent en mesure d'imposer leurs revendications. Mais qu'est-ce qui leur garantit que les augmentations de salaires qu'on leur concèdera se traduiront par le relèvement de leur pouvoir d'achat réel? Si l'on veut élever le niveau de vie de l'ensemble des salariés, il faut que la richesse générale augmente, c'est-à-dire que la productivité du travail augmente.
L'exemple le plus frappant est celui des syndicats britanniques. Le gouvernement travailliste, qui s'appuie sur eux, est sincèrement désireux de leur donner satisfaction. Il a poussé une fiscalité démocratique jusqu'au point extrême, compatible avec une économie encore partiellement privée. Le système des subventions joue au profit des plus défavorisés. En dépit de la guerre, le niveau de vie des salariés s'est légèrement relevé depuis dix ans. Mais on arrive au bout. Il n'y a plus guère d'amélioration concevable du sort des salariés sans accroissement de la productivité. Du coup les syndicats, sans presque en prendre conscience, changent de fonction. Puisque
leur
parti est au pouvoir, ils ont désormais pour rôle moins de soutenir des revendications que de convaincre les ouvriers d'accroître leur effort. On saisit sur le vif le passage des "syndicats de revendications" aux "syndicats d'encadrements".
En Grande-Bretagne, le passage s'opère pacifiquement, graduellement, sans que les syndicats abdiquent toute autonomie et deviennent de simples administrations étatiques. Dans les États totalitaires, le passage s'opère brutalement et la mise au pas est radicale. Les dirigeants des syndicats fascistes ou du Front du travail allemand étaient nommés par le pouvoir et non élus. Les dirigeants des syndicats soviétiques, au moins aux échelons supérieurs, sont, de la même façon, nommés et non élus. Nulle part les syndicats puissants ne sont restés entièrement autonomes, nulle part ils n'ont évité toute compromission avec l'État.
Nous en arrivons ainsi au troisième sens possible de la formule "émancipation", la participation au pouvoir politique. L'histoire contemporaine nous offre deux modalités de cette participation, que nous appellerons travailliste d'une part, communiste de l'autre.
Le parti qui exerce le pouvoir, en Grande-Bretagne, se réclame des masses populaires, il dépend des syndicats ouvriers qui lui assurent la plus grande partie de ses ressources financières. Il est vrai que les autres forces sociales, celle de la propriété, celle de l'église, celle de la finance, ne sont pas détruites ni mises au pas. Le cadre dans lequel, les règles selon lesquelles le pouvoir est exercé par le parti travailliste, dérivent d'une lointaine tradition, que les hommes nouveaux acceptent. Il en résulte qu'ils ne sont pas libres de tout faire: ils nationalisent, ils n'exproprient pas, ils appauvrissent les riches par la fiscalité, ils ne les dépouillent pas d'un coup. Chacun choisit son vocabulaire: on a le droit de dire que, dans le régime travailliste, la classe ouvrière n'a pas pris le pouvoir. Mais serait-elle plus émancipée si elle l'avait pris comme elle l'a fait en Russie?
À l'intérieur de la démocratie formelle, disent certains critiques, l'émancipation n'est jamais complète. Le salariat n'est pas surmonté. Par l'intermédiaire des syndicats ou des partis, les ouvriers influent sur les décisions de l'État, ils obtiennent une répartition plus favorable du revenu national. Mais ils ne sont pas libérés de leur dépendance essentielle à l'égard des employeurs. Ils continuent d'être aliénés et de ne pas forger eux-mêmes leur destin. L'exemple de la Russie soviétique et des démocraties populaires prouve qu'un court-circuit est possible, que le prolétariat est capable de prendre le pouvoir, même quand il est minoritaire, même quand le rendement du travail est faible, même quand la communauté est pauvre.
La conquête du pouvoir par un parti se réclamant de la classe ouvrière est en effet possible, quel que soit l'effectif de la classe ouvrière et du parti soi-disant prolétarien, dans certaines circonstances exceptionnelles (par exemple, l'affaiblissement de l'appareil de l'État à la suite d'une guerre, ce qui fut le cas de la Russie en 1917). Elle est aujourd'hui possible, même fatale, chaque fois que l'armée rouge vient "libérer" un pays. Reste à analyser la notion quasi mythologique de la conquête du pouvoir par le prolétariat ou de la transformation du prolétariat en classe dirigeante.
La notion vulgaire, d'origine marxiste, de la prise du pouvoir par la classe ouvrière résulte d'une confusion entre la montée du prolétariat et l'avènement de la bourgeoisie, et, d'autre part, d'une mythologie entretenue à dessein. Les bourgeois, qui remplissaient les fonctions de direction à l'intérieur de la société pré-révolutionnaire, aspiraient effectivement à l'exercice du pouvoir politique. Chefs d'entreprises, juristes, hommes de loi, fonctionnaires, ils possédaient déjà la capacité nécessaire à la direction de l'État. Rien ne leur interdisait l'espoir d'enlever à l'aristocratie les privilèges qu'elle continuait de détenir, sans toujours les mériter. La révolution bourgeoise a été la prise du pouvoir politique par une classe socialement dominante.
La classe ouvrière, en tant que telle, ne sera jamais la classe dominante, car jamais les hommes qui exercent les fonctions inférieures (au sens social, non au sens moral) ne dirigeront la société. Les millions d'ouvriers qui se rendent chaque matin à l'usine ne constituent et ne constitueront jamais la classe dirigeante. Ceux qui l'affirment sont des menteurs ou des ignorants. En revanche, il se peut qu'un parti qui se réclame de la classe ouvrière prenne le pouvoir. Il se peut même que ce parti soit composé en majeure partie d'anciens ouvriers et qu'une classe dirigeante se forme à partir de cette minorité ouvrière, qui s'est donné pour tâche d'inspirer et de guider le prolétariat.
Celui-ci sera-t-il du même coup "émancipé"? L'exemple de la Russie soviétique prouve au moins qu'entre la prise du pouvoir par un parti prolétarien et l'émancipation ouvrière, il n'y a pas de solidarité nécessaire. Le salarié, en Russie soviétique, n'a plus le droit de grève, il n'a même plus le droit de se déplacer librement, il n'a plus le droit de revendiquer. Les syndicats dépendent du parti, c'est-à-dire de l'État, et représentent la forme extrême du syndicat d'encadrement. Le travailleur n'est libre que d'acclamer ses maîtres et de reconnaître sa volonté dans les décisions du pouvoir, même dans celles qui le condamnent à plus d'effort et à moins de revenus.
Partout, il est vrai, la loi des oligarchies joue. Malgré tout, il subsiste des différences de degré. La liberté de presse, les élections, les grèves non officielles, (qui ne sont pas sanctionnées par les tribunaux du peuple) laissent, en Grande-Bretagne, aux sentiments des masses une possibilité d'expression et, du même coup, une chance d'influer sur les dirigeants des syndicats, du parti et de l'État. De l'autre côté du rideau de fer, on n'entend que les acclamations. L'unanimité, garantie par la police, n'a jamais passé pour le signe de la liberté.
Sans doute convient-il de tenir compte d'un autre point de vue que nous avons indiqué imparfaitement par le terme: intégration de la classe ouvrière à la société. Dans quelle mesure les ouvriers se considèrent-ils comme extérieurs à une société injuste ou se reconnaissent-ils de bon gré membres de la communauté? Pour ma part, la réponse à cette question dépend de l'idéologie. L'ouvrier marxiste préférera une démocratie populaire, même s'il y travaille plus et y gagne moins, à une démocratie bourgeoise. Ni le niveau de vie ni même la liberté formelle ne déterminent seuls l'attitude des masses. Mais on doute qu'à la longue l'idéologie suffise à voiler la réalité.
À l'intérieur des sociétés occidentales, les raisons du malaise du prolétariat sont multiples et demanderaient, pour être analysées, de longues études. Parfois, le malaise tient à l'organisation même du travail moderne, à une sorte de résistance à peine consciente aux nécessités inhumaines de la technique. Parfois, il tient à la disproportion entre la qualité humaine du travail et le niveau de vie médiocre qu'impose la pauvreté générale de la collectivité. Parfois il tient à un désir légitime de ne pas être enfermé en une activité parcellaire, à une volonté de progression sociale. Au sentiment d'aliénation de l'ouvrier, il n'est pas
un
remède parce qu'il n'y a pas
une
cause. Progrès technique qui permet l'élévation du niveau de vie, organisation syndicale qui permet la défense des intérêts ouvriers et la participation indirecte au pouvoir, réforme des relations humaines à l'intérieur de l'entreprise, ces trois formules indiquent des thèmes de recherches et d'efforts. Il est évidemment plus facile de vaticiner sur la révolution(3).
La pauvreté fondamentale des sociétés humaines que Sartre pose triomphalement comme la base de ma philosophie politique, tout le monde la reconnaît. C'est d'ailleurs une idée impeccablement marxiste. Dans ses écrits de jeunesse, Marx écrit quelque part que si, après la révolution, la pauvreté subsiste, "toute la sale cuisine recommencera". L'Union soviétique a apporté une confirmation tragique à cette intuition. Ce qui est absurde (ou trop adroit) c'est de suggérer que je tire, du fait de la pauvreté, une conclusion "inintelligente et cynique", à savoir une confiance passive dans les miracles du progrès technique et, en attendant l'âge d'or, le retour à la mystification et à la police.
Soyons sérieux. Toutes les sociétés, jusqu'à présent connues, ont disposé de richesses inférieures aux besoins et aux désirs, toutes les sociétés ont distribué inégalement les richesses, toutes ont été gouvernées par des minorités. Rien ne permet de croire que, dans l'avenir prévisible qui intéresse l'action politique, ces données constantes des structures sociales doivent disparaître. Mais personne n'en concluera que toutes les sociétés se valent. Toutes les sociétés comportent une police, mais il vaut la peine de se battre pour que cette police ressemble à celle de la démocratie britannique plutôt qu'à celle de l'État dit prolétarien. Dans toutes les sociétés, les travailleurs sont répartis par des pressions diverses entre les emplois nécessaires, mais il vaut la peine de se battre pour éviter les passeports intérieurs et les camps de travail forcé. Il ne s'agit donc pas de recommander la police et la mystification parce que les sociétés sont pauvres, mais de réduire, autant que possible, la part de la contrainte et de la mythologie.
Il n'y a pas de solution toute faite, valable pour tous les pays. Il n'y a pas de dialectique universelle de l'histoire qui permette de déterminer ce qu'il faut faire, en un moment et en un pays donné. La conspiration permanente des partis communistes obligera inévitablement à recourir davantage aux moyens de force. Promouvoir le progrès technique, maintenir les libertés personnelles, favoriser l'intégration des ouvriers à la société, combiner les techniques dirigistes et les mécanismes du marché, assurer la continuité et la constance de l'action étatique, toutes ces nécessités des sociétés européennes ne sont pas toujours conciliables. Les hommes s'opposent légitimement. Selon l'ordre qu'ils établissent dans les sacrifices à consentir, selon les partis auxquels ils reconnaissent la meilleure chance d'atteindre les objectifs souhaitables. Dans une situation comme celle de la France aujourd'hui, il est convenable de préférer le risque de décomposition au risque de dictature. Mais le choix contraire est tout aussi légitime.
Sartre, lui, ne connaît pas et ne connaîtra pas ces servitudes de l'action et ces incertitudes du choix. Il ignore la nature des sociétés comme celle des hommes. Le romancier de
La Nausée
, le dramaturge de
Huis Clos
, le philosophe de "La Passion Vaine" quand il traite de politique, à la sentimentalité juvénile. Servi par son ignorance, il rejette, avec superbe, les arguments des sociologues et des économistes, il n'admet pas que l'état des ressources collectives et les mécanismes des relations sociales fixent certaines limites aux aspirations des "humanistes" (qui aurait dit qu'Antoine Roquentin…)
Les opinions, absurdes ou odieuses, qu'il me prête ne sont qu'un moyen de camoufler sa propre démagogie. Sartre veut, en toute circonstance, soutenir les revendications prolétariennes(4); du coup il devient commode de présenter le refus de la hausse des salaires nominaux comme inspiré par un cynisme de bas étage! Sartre ne consent à emprunter ni la voie du socialisme travailliste ni celle du communisme. Du coup, il accumule les prétentions les plus puérilement contradictoires: il veut accomplir une révolution - rupture brutale avec l'ordre établi, renouvellement de l'élite au pouvoir - tout en respectant les libertés formelles, il aspire à la collectivisation des entreprises, à la planification de l'ensemble de l'économie mais, grâce au contrôle ouvrier, (l'idée était audacieuse il y a un siècle) on évitera la tyrannie bureaucratique, on unifiera l'Europe sans l'U.R.S.S., sans les États-Unis et même sans Bevin. Quel bel exemple de "réalisme intelligent"! Comme il est utile, pour camoufler sa propre indigence, d'attribuer à un "philosophe R.P.F." quelques opinions dérisoires!
La théorie du progrès technique n'a jamais été une philosophie de l'histoire totale. Encore permet-elle de dissiper les utopies à l'usage des jeunes gens. Au lendemain d'une prise du pouvoir par un parti quelconque, la collectivité n'aura pas à exploiter quelque source mystérieuse et inconnue de richesses. Demain, comme aujourd'hui, les mêmes impératifs de travail, d'organisation, de discipline, de mobilités, continueront de s'imposer. Tant que l'on emploie la méthode progressive du travaillisme, les déceptions inévitables ne dégénèrent pas en révolte et ne suscitent pas, par un choc en retour, la dictature des nouveaux maîtres. En revanche, quand on s'est emparé du pouvoir par la violence, quand on a rompu la légalité, l'impatience des masses est plus vive, l'urgence de rétablir l'ordre plus pressante: au milieu du XXe siècle(nous ne parions pas pour l'éternité), une révolution brutale qui se réclame du socialisme comportera inévitablement une phase tyrannique de quelques années ou de quelques dizaines d'années (même si elle n'est pas liée au Stalinisme). Toutes les révolutions du XXe siècle ont été totalitaires.
Entre le travaillisme et le Stalinisme, il n'y a pas, pour le socialisme, dans la situation présente, de troisième voie: il n'y a que le romantisme vide et la reprise des notions, riches d'espoir il y a un siècle, mais vidées par l'histoire de leur valeur affective et intellectuelle. Une révolution par les "méthodes démocratiques" est comparable au "cheval ailé". Concept en lui-même contradictoire, il permet à l'intellectuel de fuir la réalité et de rêver la réconciliation de ses désirs contradictoires.
La Révolution, a dit Simone Weil, rectifiant la formule fameuse de Marx, est l'opium du peuple. Elle n'est plus, au niveau des
Entretiens sur la politique
que l'opium des intellectuels.
(1)
cf. Liberté de l'esprit
n° 5 p. 101-103.
(2)
Les deux expressions ne sont pas équivalentes. On peut élever d'énormes usines sans accroître en proportion le rendement du travail humain. De la même façon, l'expression qu'emploie Sartre, "capacité industrielle", est équivoque. On ne sait s'il entend par là, le volume de l'industrie dans l'économie du pays considéré ou la productivité du travail industriel.
(3)
Dans toute cette étude, nous nous plaçons au point de vue du socialisme. Nous admettons que le sort du prolétariat soit le problème politique décisif. On sait qu'à nos yeux, ce problème, évidemment important, n'a pas de privilège métaphysique et n'est pas le seul digne de la réflexion des intellectuels.
(4)
En bon intellectuel, Sartre se préoccupe surtout du prolétariat. Il y a pourtant d'autres groupes sociaux.
Politique française Articles 1944-1977
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