Les mêmes impératifs
Le Figaro
15 janvier 1960
Si fâcheuse que soit en elle-même la crise
de ces derniers jours, il faut répéter qu’il ne peut pas y avoir de
changement de politique.
Le maréchal Joffre disait: «Je ne sais qui
a gagné la bataille de la Marne, mais je sais bien qui l’aurait
perdue si le sort nous avait été contraire.» De même, il ne
convient pas de refuser à M. Pinay le mérite des réformes de
décembre 1958, puisqu’il en a accepté la responsabilité et en a
facilité le succès grâce à son prestige et à sa popularité. Mais,
sur le plan technique, il n’avait pas eu l’initiative de plusieurs
des mesures – dévaluation, impôts – qui ont été partie intégrante
de la stratégie d’assainissement.
Le successeur de M. Pinay rue de Rivoli
avait activement participé à la mise au point du budget de 1959,
comme il a eu une part de responsabilité dans la politique
monétaire menée en 1959.La baisse des cours à la Bourse, qu’elle
soit due à des manœuvres ou à la nervosité des professionnels et du
public, n’avait pas de motif valable. Le nouveau ministre des
Finances devra sans doute confirmer sa réputation et faire oublier
son prédécesseur en montrant plus de sévérité encore. D’ici peu de
jours ou de semaines, l’action du gouvernement sera jugée sur ses
actes, et sur ses actes seuls.
Or, si nous écartons l’éventualité de lois
déraisonnables que celles qu’avaient préparée les services de M.
Michelet, l’action du gouvernement sera soumise demain aux mêmes
impératifs qu’hier. La France, avec l’ensemble du monde libre, est
entrée dans un système de monnaies convertibles et d’échanges
commerciaux de plus en plus libres. Nul pays ne peut y rester en
éludant les obligations qu’il comporte. La poursuite d’une
politique de prix stables n’est pas une obstination anachronique de
libéraux ou l’effet de préjugés réactionnaires, elle est
l’impératif premier de l’intérêt national.
L’expansion a repris, la production
industrielle s’est située, au cours des derniers mois, à 7% environ
au-dessus du niveau atteint un an auparavant (11% en novembre). Les
importations de décembre dernier, 2,08 milliards de N.F. (208
milliards de francs légers), confirment que l’économie française
participe au mouvement de la conjoncture mondiale. Les
exportations, 2,05 milliards de N.F., équilibrent, à 10 millions de
N.F. près, les importations.
Les impatients jugent qu’une augmentation
de 4 à 5% du produit intérieur, de 6 à 8% de la production
industrielle est insuffisante. Personne n’est hostile à un taux de
croissance plus élevé, mais il serait fou d’oublier qu’une
expansion accompagnée d’inflation d’ordinaire coûte, en fin de
compte, plus cher qu’elle ne rapporte: un jour ou l’autre, il faut
ralentir ou arrêter l’expansion pour rétablir l’équilibre. Les
socialistes, qui, dans
Le Populaire
, rappellent les statistiques de la production et des salaires,
entre janvier 1956 et juillet 1957, abusent de l’ignorance de leurs
lecteurs. Si le parti socialiste était resté au pouvoir, il aurait
dû, lui aussi, pour mettre fin à la perte de devises, prendre des
mesures restrictives et consentir à la réduction temporaire du
pouvoir d’achat.La nécessité de tenir les prix est d’autant
plus contraignante que l’activité a été entretenue au début de
l’année, grâce à l’augmentation. Plus la France s’industrialise,
plus l’industrie française se modernise, et plus les marchés
extérieurs deviennent indispensables. Une hausse des prix plus
rapide en France qu’au-dehors compromettrait l’expansion en même
temps que la balance des comptes extérieurs. Une hausse de salaires
de 2 à 4% pour l’ensemble de l’année 1960 resterait compatible avec
la stabilité des prix. Les ministres d’aujourd’hui le savent comme
le savaient ceux d’hier: tout dépend de la fermeté du gouvernement
et des chefs d’entreprise, en même temps que de la modération des
syndiqués et de leurs dirigeants.
Non que rien ne puisse être fait pour hâter
l’augmentation de la production et le relèvement du niveau de vie.
Mais les mesures à prendre doivent avoir pour objet de créer des
conditions institutionnelles qui atténueront le danger d’inflation,
et non pas de gonfler le pouvoir d’achat en augmentant le coût de
la production. Ces mesures – je ne me lasserai pas de le répéter en
dépit de l’indifférence des uns et de l’hostilité des autres –
concernant d’abord les règlements d’immigration. Pour l’instant,
c’est le manque de travailleurs qui risque, à chaque instant, de
provoquer la surenchère des entreprises et, du même coup, les
hausses excessives de salaires. La politique d’immigration reste
trop souvent commandée par une pensée malthusienne.
Depuis 1930, d’autre part, les
interventions de l’État ont souvent contribué à la cristallisation
des situations acquises et non pas aux conversions nécessaires. Je
connais un secteur où les décrets obligent toutes les entreprises à
travailler à 50% seulement de leur capacité.
Le champ de réformes est vaste, mais les
vraies réformes sont rarement populaires.