Comment lâcher prise et que faut-il lâcher ?
Dans certaines contrées d’Asie, les chasseurs ont mis au point une méthode ingénieuse pour capturer les singes. Ils font un trou à l’intérieur d’une noix de coco, assez grand pour que le singe l’atteigne avec la main mais trop petit pour qu’il puisse retirer son poing fermé. Ils y glissent ensuite une banane mûre, attachent la noix de coco à une ficelle et attendent. Le singe, lorsqu’il a saisi la noix de coco puis la banane à l’intérieur, veut avec une telle hargne garder le fruit qu’il refuse de lâcher prise. Le chasseur n’a alors plus qu’à ramener l’animal comme un poisson accroché à un hameçon !
Comme nous l’avons déjà vu au chapitre 6, l’esprit se comporte à plus d’un titre comme un singe. Non content de sauter de branche en branche, il a aussi la fâcheuse tendance à s’accrocher à certaines idées, opinions, pensées, souvenirs et émotions, comme si sa vie (et la vôtre par la même occasion) en dépendait – et à rejeter avec une vigueur identique ce qui est nouveau.
Le changement perpétuel entre attachement et aversion est à l’origine de votre stress, car vous luttez en permanence pour contrôler l’incontrôlable. Les pensées et les sentiments surgissent et repartent que vous les aimiez ou non, la Bourse plonge et certaines de vos relations se terminent contre vos désirs. (Pour en savoir plus sur la façon dont l’esprit génère souffrance et stress, voyez le chapitre 5).
Chez les Alcooliques Anonymes et autres programmes de ce type, les volontaires récitent la prière suivante, « Accordez-moi la sérénité d’accepter ce que je ne peux pas changer, le courage de changer ce que je suis capable de changer et la sagesse de distinguer les deux. » Dans la méditation, vous développez la capacité de contrôler ou changer ce que vous pouvez – non pas les événements ou circonstances de votre vie, mais votre façon de les appréhender – et la tranquillité d’esprit d’accepter ce que vous ne pouvez pas modifier.
La méditation vous enseigne comment desserrer l’étau autour de votre expérience et créer une sorte de grandeur et de relaxation intérieures en lâchant prise et acceptant les choses telles qu’elles sont. Ce processus comprend plusieurs dimensions ou étapes qui souvent (mais pas forcément) se produisent dans l’ordre suivant :
- L’arrêt du jugement : si vous êtes comme la plupart des gens, vous ne pouvez vous empêcher de coller à vos expériences des jugements de valeur « bon », « mauvais » ou « sans intérêt » et vous réagissez en fonction de vos jugements : « j’aime bien ça, je vais essayer d’en avoir plus » ou encore « j’ai horreur de ça, il faut que je l’évite à tout prix » ou « ça ne me fait rien, je n’y accorde aucune attention ». En méditant, vous commencez à vous rendre compte du courant régulier de jugements et la façon dont ceux-ci dominent votre esprit, déformant votre expérience. Au lieu de céder à ce schéma habituel, exercez-vous à observer votre expérience en toute impartialité, sans la juger. Lorsque les jugements refont surface – et ils ne manqueront pas de le faire ! – contentez-vous d’être conscient de leur présence, en évitant la tentation de les juger eux aussi. L’habitude de juger relâchera progressivement son emprise sur votre esprit.
- L’acceptation : arrêter de juger implique en
contrepartie d’accepter les choses telles qu’elles sont. Il ne vous
est pas demandé d’aimer ce que vous voyez – n’hésitez pas
à le changer – , mais vous devez avant tout le découvrir
entièrement et clairement, dénué des couches de jugements et de
négation. Vous bouillonnez peut-être de colère et pensez que cette
émotion est mauvaise, voire mal, et vous refusez de la
reconnaître.
La méditation vous offre la possibilité d’observer votre colère telle qu’elle est – pensées répétitives de fureur, ondes de colère au niveau du ventre – sans essayer de la modifier ni de vous en débarrasser. (Pour plus d’informations sur la méditation sur les émotions provocatrices et les états mentaux, voyez le chapitre 10.) Plus vous accueillerez toutes vos expériences de cette façon, plus l’espace créé en vous pour les contenir s’agrandira – et plus vous désamorcerez les conflits entre différentes parties de vous-même. - Le lâcher-prise : certains parlent parfois de « lâcher prise et laisser Dieu faire ». La première étape implique le renoncement à l’idée que vous avez un contrôle illimité sur votre vie. Dans la pleine conscience, vous pratiquez le lâcher-prise en renonçant à toute lutte pour contrôler votre esprit – et à toutes vos idées sur ce à quoi doit ressembler votre méditation – et en vous détendant dans l’instant présent, aussi bien intérieurement qu’extérieurement. Croyez-le ou pas, vous savez déjà lâcher prise – vous le faites même tous les soirs lorsque vous glissez vers le sommeil.
- Vers l’identité véritable : le lâcher-prise a également une dimension plus profonde : plus vous desserrez la mainmise sur vos goûts et vos dégoûts, vos préférences et préjugés, vos souvenirs et vos histoires, plus vous vous ouvrez à l’expérience d’être, au-delà de toutes les interprétations ou identités limitées. Celles-ci sont comme les couches superficielles d’un oignon ou des nuages voilant l’éclat du soleil. Lorsque votre méditation devient plus profonde, vous apprenez à accepter puis laisser ces nuages sans les confondre avec la lumière qu’ils cachent. En vous détachant petit à petit de celui que vous n’êtes pas – les masques qui occultent votre vraie nature – vous découvrez votre véritable identité : l’être pur que vous êtes. (Pour en savoir plus sur l’être pur, reportez-vous au chapitre 1.)
- L’abandon : lorsque votre méditation vous ouvre sur l’expérience de l’être pur, vous êtes à même de reconnaître la valeur de la seconde étape « laisser Dieu faire ». En vérité, la puissance ou la force qui gouverne votre vie (et qui vous êtes) est bien plus grande que votre petit moi et totalement digne de confiance – certains la qualifient même de sacrée ou de divine. Lorsque vous commencez à desserrer l’étau sur le gouvernail de votre vie, vous ne plongez pas la tête la première dans un abîme chaotique comme beaucoup le craignent, mais vous abandonnez le contrôle apparent que vous aviez à celui qui était déjà maître à bord – appelez-le comme vous voulez, Dieu, le Moi ou l’être pur. Dans votre méditation, vous pouvez véritablement ressentir cet abandon, matérialisé par une décontraction de plus en plus profonde dans le silence sacré ou l’immobilité qui vous entoure, vous envahit et vous donne des forces.