128.
Je n’arrivais pas à parler. Je parcourais la séparation en verre des yeux quand, tout à coup, j’ai repéré un petit carré. Je me suis placée devant et, avec mon irrésistible impulsivité, j’ai appuyé dessus.
La porte a coulissé et l’on s’est glissés de l’autre côté sur la pointe des pieds, les nerfs en pelote.
Comme prévu, des petits mutants dormaient dans des cages et de grandes niches. Ça m’a rappelé des souvenirs d’enfance horribles qui m’ont tordu le bide. J’étais au bord de la crise de nerfs. L’espace d’un instant, j’ai même oublié ma migraine, mais elle a fini par reprendre de plus belle. Mon cerveau me donnait le sentiment d’être au bord de l’implosion.
Je suis allée près d’Angel qui considérait avec tristesse l’intérieur d’une cage. Parmi les centaines d’expériences génétiques menées à terme, nous étions les seuls, avec les Erasers, à avoir survécu. En tout cas, pour autant qu’on sache. Les deux petites créatures couchées au sol, dans leur cage, étaient de grossières erreurs qui n’en avaient plus pour longtemps, ça semblait évident. Certains avaient les organes vitaux – reins, intestins et cœur – qui pendaient à l’extérieur. Les pauvres ! Quel enfer !
— C’est pitoyable, a lâché Fang à demi-mot en voyant un grand chat, un serval ou peut-être un chat-tigre. Je n’avais encore jamais vu de véritable animal dans les labos. Tandis que je me demandais ce qu’il faisait là, il s’est réveillé, les paupières battantes, apparemment toujours endormi, s’est retourné et il s’est rassoupi immédiatement.
Gloups. Le chat avait des yeux humains. Et en examinant ses pattes de plus près, j’ai vu des doigts d’homme sous les griffes rétractiles. Bienvenue au musée des horreurs.
Lorsque j’ai détourné les yeux, j’ai aperçu Angel qui lisait la carte d’une autre petite cage. Son occupant, un truc qui ressemblait à un chien, avait l’air de courir dans son sommeil.
— Salut le chien, a murmuré Angel. Salut ! Tu ressembles à Toto, le chien de Dorothée dans Le Magicien d’Oz.
J’ai rejoint Nudge, postée avec raideur devant une cage. J’ai regardé ce qu’il y avait dedans.
Cette créature-là avait des ailes.
J’ai cherché Fang du regard et il est venu voir. Face à l’enfant-oiseau, il a poussé un soupir et secoué la tête. Mais, dans ses yeux, je pouvais lire la tristesse. La tendresse aussi. J’avais envie de prendre Fang dans mes bras. Ce que je n’ai pas fait, évidemment.
— Tu sais bien qu’on ne peut pas tous les sauver, m’a-t-il fait d’une voix douce.
— Je suis censée sauver le monde, tu te rappelles ? Et je vais commencer par eux.
Et voilà, Max, a soudain fait la Voix. C’est la différence entre Fang et toi.
Ne t’avise pas de dire du mal de Fang, toi ! ai-je pensé. Il a souvent raison. D’ailleurs, il a sûrement encore raison sur ce coup-là.
Que vaut-il mieux ? Avoir raison ou faire ce qui est bon et juste ? C’est l’une des plus dures leçons.
Bon, bref Tu m’excuseras, je n’ai pas que ça à faire pour l’instant.
— Ouvre les cages, ai-je intimé tout bas à Iggy qui a fait la même chose avec le Gasman, etc.
J’ai secoué la créature de la cage que je venais d’ouvrir pour la réveiller.
— Prépare-toi à courir, l’ai-je prévenue à mi-voix. On va te sortir d’ici.
La pauvre petite chose m’a regardée sans comprendre.
Plusieurs autres s’étaient réveillées et poussaient contre les barreaux de leur cage dans un concert de petits bruits absolument inédits. On a fait au plus vite pour ouvrir toutes les cages. Finalement, une fois presque tous libérés, les prisonniers sont restés debout, sans bouger, à scruter la porte du labo, l’air confus ou apeuré selon les cas.
Dans une des cages, il restait un enfant de grande taille, agrippé aux barreaux. Ses traits fins laissaient penser que c’était une fille. Elle avait des ailes… Je les distinguais, plaquées de chaque côté. Elle était plus âgée que les autres enfants-oiseaux.
Je me suis dépêchée d’ouvrir sa cage et j’ai fait un bond en arrière en entendant une voix.
— Qui êtes-vous ? Pourquoi vous faites ça ? a-t-elle chuchoté.
— Les enfants n’ont rien à faire dans des cages, ai-je répondu, avant d’ajouter, d’une voix grave : OK, tout le monde, on s’arrache.