50.
Quand ils m’ont soudain aperçue, d’éclatants sourires ont instantanément illuminé le visage du Gasman et de Nudge.
Iggy, bien sûr, ne pouvait pas me voir. Quant à Fang, il n’a jamais été très souriant. Il a mis ses yeux dans les miens pour capter mon attention avant de me faire un signe de tête en direction d’une falaise. Je ne l’avais pas vu depuis deux jours seulement, mais je trouvais qu’il volait avec plus de grâce et de puissance que jamais, ses ailes sombres de quatre mètres d’envergure luisant sous les reflets du soleil. Une fois à ma hauteur, Nudge a poussé un petit cri aigu de joie tout en frottant son aile contre la mienne.
— Max ! Max ! J’arrive pas à y croire ! C’est toi, c’est bien toi ?
Fang a atterri en premier, disparaissant presque aussitôt comme par magie. Ce n’est qu’une fois à cinq cents mètres de distance de la falaise que j’ai compris qu’il s’était glissé dans une toute petite grotte, creusée dans la paroi de la falaise. La cachette parfaite.
L’un après l’autre, on a atterri et l’on s’est dépêchés de filer au fond de la grotte pour que tout le monde puisse y tenir. On s’était retrouvés. Sains et saufs et tous les cinq en tous les cas. C’était déjà ça.
— Max ! a crié Nudge en me sautant au cou. (De ses petits bras, elle me serrait très fort. Je lui ai rendu son étreinte, grattant ses ailes au niveau des épaules. Elle adorait ça.) On était morts de trouille… On ne savait pas ce qui t’était arrivé ni quoi faire et Fang a dit qu’on allait devoir manger des rats et…
— Ça va, ça va. Tout va bien maintenant, l’ai-je rassurée.
J’ai croisé le regard de Fang par-dessus son épaule et j’ai articulé « des rats ? » en silence. L’ombre d’un sourire est passée sur ses lèvres avant de disparaître aussi vite. J’ai baissé les yeux vers ceux de Nudge, grands et marron.
— L’important, c’est que tout aille bien, que tu ailles bien. (Je me suis tournée vers le Gasman et Iggy) Qu’est-ce que vous faites ici tous les deux ? Pourquoi n’êtes-vous pas restés à la maison ?
— On n’a pas pu, a commencé le Gasman avec sérieux. Il y avait des Erasers plein la montagne. Ils nous cherchaient. Si on n’était pas partis, on serait de la pâtée pour chiens à l’heure qu’il est.
— À quel moment sont-ils arrivés ? ai-je interrogé, étonnée. Juste après qu’on est partis ?
— Non, a répondu le Gasman lentement.
Il a fait les yeux noirs à Iggy qui, debout et impassible, retirait la poussière de son pantalon noir sans rien voir du tout de ce qu’il faisait, évidemment.
— Alors ? ai-je lâché de plus en plus soupçonneuse, quand avez-vous commencé à les avoir aux basques ?
— Est-ce que c’était… après le crash du Hummer, quand il a glissé sur la nappe de pétrole ? a fait le Gasman à Iggy timidement.
J’ai ouvert grand les yeux. Un crash ? Un Hummer sur une nappe de pétrole ? Iggy s’est frotté le menton, l’air songeur.
— À moins que ce soit après… la bombe, a repris le Gasman à mi-voix, en étudiant ses pieds.
— Je crois que c’était après la bombe, a conclu Iggy. D’après moi, ils n’ont pas franchement apprécié.
— Une bombe ? ai-je fait d’un ton incrédule. Une bombe ? Vous avez fait exploser une bombe ? Dans le genre discret, on fait mieux. Vous auriez dû rester cachés au lieu de vous faire repérer comme ça !
— Ils savaient déjà où on était, a expliqué le Gasman. Ils nous avaient observés, tous les six. Ils savaient qu’on vivait dans le coin.
— Ce n’était qu’une question de temps, a confirmé Iggy.
J’étais sans voix. Pour tout vous dire, je n’avais jamais envisagé la possibilité que les Erasers trouvent notre maison. J’ai ouvert la bouche puis je l’ai refermée, perplexe. Peut-être que, dans vingt ans, je pigerais comment marchent les garçons. Mais peut-être bien que non.
— Eh bien, une chance qu’il ne vous soit rien arrivé, ai-je fait, sans conviction. (J’ai entendu Fang qui réprimait une envie de rire, mais j’ai décidé de ne pas y prêter attention.) Vous avez bien fait de venir ici. Ç’était bien vu !
J’ai pris le Gasman dans mes bras et Iggy après lui. C’est là que je me suis rendu compte qu’il mesurait dix centimètres de plus que moi. Ensuite, j’ai pris Nudge une nouvelle fois dans mes bras. Elle s’est cramponnée à moi pendant que je lui caressais les cheveux.
— Tout va bien, ma puce, ai-je fait d’une voix douce.
Elle a fini par relâcher son étreinte et je suis allée vers Fang pour le prendre à son tour dans mes bras. Pas facile de le prendre dans ses bras celui-là. Il est raide comme un piquet, donc on fait ce qu’on peut.
Finalement, j’ai brandi mon poing gauche serré et les autres ont empilé le leur sur le mien. De notre main libre, on a tapé la pyramide deux fois avant de lever les bras en l’air.
— À Angel ! ai-je hurlé, suivie en chœur par les autres.
— À Angel ! À Angel !
Puis, à la queue leu leu, on s’est laissé tomber de la corniche, on a ouvert les ailes et on s’est mis en route pour l’École. L’horrible, la détestable École.