7.
Vous comprenez maintenant pourquoi il est difficile de faire la différence entre le cauchemar que je vous ai raconté tout à l’heure et la réalité de ma vie. Parce que du temps de l’École, ma famille et moi, on vivait vraiment dans un trou pourri, un véritable repaire du Diable. Là-bas, les blouses blanches, ces scientifiques cinglés dont je vous ai déjà parlé, ont greffé de l’ADN d’oiseau sur nos gènes d’homme. Il était une fois un type qui s’appelait Jeb et qui était une blouse blanche lui aussi. Mais un jour, il avait eu pitié de nous et il nous avait aidés à nous échapper et s’était occupé de nous.
J’ai poussé très fort sur mes bras, avant de les lever très haut. Les muscles de mes épaules travaillaient dur pour activer mes ailes.
J’ai viré à 90 degrés pour suivre le Hummer. En jetant un rapide coup d’œil derrière moi, je me suis aperçue que Nudge m’avait rejointe, suivie d’Iggy, du Gasman et de Fang. Nous volions en formation serrée, en direction du véhicule. Fang a arraché une branche morte d’un arbre. Il est tombé à pic sur la voiture et il a flanqué de grands coups sur son pare-brise avant.
Elle a fait un écart. Une fenêtre s’est ouverte, d’où est sorti un canon de revolver. Partout autour, j’entendais le bruit des éclats de balles sur les arbres. Une odeur de métal chaud et de la fumée de revolver ont envahi l’air. J’ai dessiné une boucle pour remonter à hauteur de la cime des arbres, sans perdre de vue le véhicule. Fang a donné un nouveau coup sur le pare-brise. Des balles ont jailli de plusieurs fenêtres à la fois et Fang s’est mis à l’abri. Riche idée !
— Angel ! ai-je crié. On est là ! On arrive !
— Là-bas, droit devant, a sorti Fang tout fort, en me montrant une clairière, à deux cents mètres environ.
Entre les arbres, j’apercevais la silhouette verdâtre d’un hélicoptère. Le Hummer rebondissait avec fracas sur la route défoncée. J’ai croisé le regard de Fang et il a hoché la tête. Notre unique chance : agir quand ils transféreraient Angel de la voiture à l’hélicoptère.
Mais tout s’est passé si vite. Le Hummer a freiné bizarrement et il a glissé dans la boue. La porte s’est soudainement ouverte et un Eraser a surgi du véhicule. Fang a foncé sur lui, puis il a reculé dans un cri. Du sang dégoulinait de son bras. L’Eraser a piqué un sprint en direction de l’hélicoptère et il s’est jeté dans le sas ouvert. Un deuxième Eraser, aux grandes canines jaunes découvertes, a sauté de la voiture et hurlé quelque chose. Son rugissement a résonné longtemps dans l’air. Nudge a saisi la main de Fang, et tous les deux ont fait un bond en arrière au moment où une grenade explosait juste devant eux, faisant voler des éclats de métal et des morceaux d’écorce partout.
Le rotor de l’hélicoptère prenait de la vitesse, alors j’ai bondi de derrière les arbres. Ils n’allaient pas me prendre mon bébé. Je n’allais sûrement pas les laisser la ramener dans ce trou.
Ari a brusquement surgi du Hummer. Il portait le sac dans lequel était Angel.
J’ai filé vers l’hélicoptère, la peur au ventre, mais dans une rage terrible et prête à tout. Ari a jeté le sac à l’intérieur et il a sauté à son tour dedans. C’était vraiment un remarquable athlète.
J’ai laissé échapper un redoutable rugissement avant de bondir pour attraper le train d’atterrissage de l’engin, juste quand il décollait. Le métal était brûlant à cause du soleil et j’avais grand-peine à m’y accrocher tellement il était large. J’ai passé un bras par-dessus et j’ai fait mon possible pour me stabiliser.
Le violent courant d’air qui provenait des rotors a manqué de casser mes ailes en deux. Je les ai repliées, tandis que les Erasers se bidonnaient en me pointant du doigt comme ils fermaient le sas en verre de l’appareil. Ari se tenait parmi eux. Il a pris un fusil et m’a visée.
— Je vais te confier un secret, ma vieille, a-t-il beuglé. Tu t’es complètement plantée. Les gentils, c’est nous !
— Angel, ai-je soufflé, au bord des larmes.
Les griffes d’Ari se refermaient, prêtes à appuyer sur la détente. Je me doutais qu’il allait tirer. Et une fois morte, je ne serais plus d’aucune utilité.
Mon cœur s’est brisé lorsque j’ai lâché prise. Alors que j’entamais ma chute libre, j’ai aperçu une petite tête aux cheveux blonds, ébouriffés, qui se dégageait du sac par à-coups.
Mon bébé. Mon bébé avait rendez-vous avec la mort. La mort et – je le savais mieux que personne – des choses bien pires encore.