122.
Au risque de vous surprendre, laissez-moi vous dire que les égouts d’une bourgade de huit millions d’habitants ne sont pas aussi agréables qu’on pourrait l’imaginer. Un par un, on est descendus en s’aidant des poignées jusqu’à ce qu’on arrive sur un rebord carrelé et crasseux de soixante centimètres de large environ. Sous nos pieds, le tunnel dessinait une courbe sur quatre ou cinq mètres. Un courant rapide d’eaux usées passait sous le rebord.
— ’Eurk, a lâché Nudge. Dégueulasse ! Quand on sortira d’ici, je veux qu’on m’asperge de désinfectant.
Angel a fourré Céleste dans son T-shirt.
— Max ? a interrogé le Gasman. C’est quoi ça… ? Des rats ?
Charmant.
— Oui. Soit des rats, soit des souris bourrées de stéroïdes.
Je parlais sèchement tout en faisant mon possible pour ne pas hurler ou grimper aux murs comme une gamine peureuse.
— La vache, a fait Iggy, l’air dégoûté. Ils ne seraient pas mieux dans un parc à gambader ?
Devant nous, les tunnels en forme de croix partaient dans quatre directions différentes. Après un moment d’hésitation, j’ai pris à gauche. Quelques minutes plus tard, je me suis arrêtée, n’ayant aucune, mais aucune idée d’où aller ensuite.
Coucou, la Voix ? ai-je pensé. Un petit coup de pouce, ce ne serait pas de refus, là.
Je ne me faisais pas d’illusion quant à une réponse, mais au cas où, je m’attendais à un truc du style : Si un arbre tombe dans une forêt, est-ce qu’il…
J’ai baissé les yeux, retenant soudain ma respiration, si vite que je faillis m’étouffer. J’étais debout, sur une plateforme translucide, sans équilibre, les jambes en coton et la peur au ventre. Je voyais mon reflet, une Max effrayée, et celui de mes amis, stupéfaits. Lorsque Fang a tendu le bras pour attraper celui de l’autre Max, celle du reflet, je l’ai senti, mais c’était comme s’il n’y avait plus personne avec moi.
Quand finiras-tu par me faire confiance, Max ? a lancé la Voix. Quand finiras-tu par avoir confiance en toi ?
— Le jour où j’arrêterai de croire que je suis cinglée, peut-être.
J’ai dégluti un bon coup en tentant de m’agripper à quelque chose. Timidement, j’ai jeté un nouveau coup d’œil en bas à la surface translucide. Sous mon regard se profilaient de légères lignes lumineuses qui balisaient le chemin, à l’endroit où nous étions déjà passés. Puis les lignes s’enfonçaient dans les tunnels, comme si des flèches en néon avaient indiqué « Par ici ».
Très vite, j’ai levé les yeux en l’air, mais tout ce que j’ai vu, c’était la voûte carrelée jaunâtre couverte de crasse et de moisissure. Pas de plafond en verre. Fang me tenait toujours par le bras et me regardait avec insistance.
Je lui ai souri, gênée.
— Tu dois en avoir ras le bol de toujours t’inquiéter quand tu poses les yeux sur moi.
— C’est clair que ça commence à me fatiguer, m’a-t-il fait. C’est quoi, cette fois ?
— Je préfère ne pas t’expliquer, lui ai-je répondu tandis que j’essuyais la sueur moite qui perlait sur mon front. Tu risquerais de me faire interner.
Je l’ai contourné avec précaution et j’ai rouvert la marche aux autres. Certaines parties du tunnel étaient faiblement éclairées par des grilles ouvertes. Mais à d’autres endroits, tout n’était qu’obscurité lugubre. Pourtant, à aucun moment je ne me sentais perdue ou dans le doute. Au bout de ce qui me parut des kilomètres, je me suis arrêtée une nouvelle fois. Une intuition. Ou un truc de feng-shui maybe. Ah, ah !
Debout, le regard perdu dans le noir, appliquée, comme les autres, à rester à distance de nos petits copains les rats, j’ai compris ce qu’on faisait là.
Presque entièrement dissimulée dans un mur crado des égouts, je pouvais distinguer une porte métallique grise.
— On y est, les amis, leur ai-je appris. On a réussi.