48.
Le lendemain matin, j’ai enfilé mon nouveau sweat-shirt. J’avais testé mon aile et je pensais que, malgré la douleur, je pourrais voler.
J’étais soulagée de partir, de reprendre mon envol, même si je devinais que Nudge et Fang allaient vraisemblablement me tuer. Je n’oubliais pas que j’avais laissé tomber Angel. Mais je n’avais pas eu le choix, je n’aurais pas pu faire autrement. Non, pas moi, pas Max.
Pour être tout à fait franche, parfois je laisserais volontiers ma place de Max.
Le Dr Martinez m’a tendu un petit sac à dos.
— C’est un vieux… je ne m’en sers plus, s’est-elle empressée de préciser, car elle savait que je ne souhaitais plus qu’on m’aide. Prends-le, ça me fait plaisir.
— Bon, eh bien puisque ça vous fait plaisir consenti du bout des lèvres, ce qui l’a fait rire.
Ella examinait ses pieds, les épaules tombantes J’évitais de croiser son regard avec le même soin.
— Si jamais tu as besoin de quoi que ce soit, n’importe quoi, s’il te plaît, appelle-nous, a ajouté la d’Ella. Je t’ai mis mes numéros dans le sac.
J’ai menti en faisant oui de la tête, sachant pertinemment que jamais je ne m’en servirais. Je ne savais vraiment pas quoi dire. Mais il fallait que j’essaie.
— Toutes les deux, vous m’avez tellement aidée alors que vous ne me connaissiez même pas, ai-je dit, un peu coincée. Sans vous, je ne sais pas comment je m’en serais sortie.
Pas mal hein, dans le genre éloquent ? De quoi me confondre avec ce crétin de Tarzan.
— C’est toi qui m’as aidée, a rectifié Ella. Sans me connaître. Et tu t’es même fait blesser.
J’ai haussé les épaules de mon air le plus attachant.
— Bref… merci. Merci pour tout. Vous avez été super.
— De rien, a fait le Dr Martinez avec un gentil sourire. Bonne chance… quoi qu’il arrive.
J’ai répondu par un nouveau hochement de tête et là, tenez-vous bien, elles m’ont toutes les deux prises dans leurs bras en même temps. Moi, un vrai sandwich à la Max. Une envie terrible de pleurer m’a prise que j’ai chassée au plus vite en papillotant des yeux. Mais je n’ai pas repoussé leur étreinte, tapotant légèrement le coude d’Ella car ma main n’allait pas plus loin. Je ne vais pas vous raconter d’histoires : ça m’a fait du bien. Beaucoup de bien. Mais en même temps, c’était horrible aussi. C’est vrai, qu’y a-t-il de pire, après tout, que de vouloir quelque chose que vous savez très bien que vous n’aurez jamais ?
Je me suis libérée délicatement de leur étreinte et j’ai ouvert la porte. Dehors, il faisait chaud et le soleil brillait. J’ai fait un rapide signe de la main d’un air que j’espérais dégagé et je me suis dirigée vers le jardin. T’avais décidé de leur faire un cadeau. Enfin, ce qui s’en rapprochait le plus, à la mesure de mes moyens… Je trouvais qu’elles le méritaient bien.
Est-ce qu’elles me trouveraient bizarroïde ? Je me demandais à quoi on pouvait bien ressembler tous les six aux yeux des autres. Je n’en avais aucune idée et, franchement, je n’allais pas commencer à me prendre la tête avec ça.
J’ai ajusté mon sweat-shirt et mon sac à dos, puis je me suis retournée. Ella et sa mère me fixaient d’un air plein de curiosité.
Après quelques foulées, j’ai bondi et déployé mes ailes. Portée par le vent, j’ai fait une petite grimace au moment où mes muscles endoloris entamaient leurs mouvements de haut en bas et vice versa.
Cela faisait comme ça : et un coup en bas – aïe – et un coup en haut – ouille – et un coup en bas. Je connaissais la musique. Ella, les mains jointes, avait le visage rayonnant d’admiration et d’excitation. Quant au Dr Martinez, elle essuyait ses yeux, un petit sourire sur ses lèvres tremblantes.
Une minute plus tard, j’étais déjà très haut. De là, j’apercevais la maison d’Ella, toute petite, ainsi que deux minuscules silhouettes qui agitaient la main dans ma direction. Je leur ai fait coucou moi aussi avant de virer sur le côté, un sentiment de liberté et de vitesse retrouvé. Je suis montée en flèche en direction de l’horizon, au nord-ouest. Je partais à la recherche de Nudge et Fang en espérant les trouver comme par miracle l’endroit exact que je leur avais indiqué.
Merci, Ella, me suis-je dit tout bas, m’interdisant d’être triste. Merci à toutes les deux.
Angel, je viens. J’arrive enfin