59.
Angel était vivante. Cette seule pensée suffisait à me donner la force d’affronter tout le reste.
Je savais qu’elle était en vie parce que je pouvais l’apercevoir dans la misérable cage près de la mienne. En passant les doigts au travers des barreaux au maximum, on était exactement à deux centimètres l’une de l’autre.
— Toi au moins, ils t’ont donné une grande cage, fit-elle de sa petite voix grinçante. Moi, j’en ai une taille moyenne.
Ma gorge s’est nouée. J’étais sciée qu’elle essaie encore de faire de l’humour, de faire preuve d’un tel courage. J’avais honte d’avoir mis si longtemps à arriver, honte de m’être laissé capturer avec les autres, honte d’être une erreur, une mutante défaillante.
— Ce n’est pas ta faute, a-t-elle dit en lisant mes pensées.
Elle avait une mine à faire pleurer avec ses valises sous ses yeux creux. Tout un côté de son visage était couvert d’un énorme bleu tirant sur le jaune et le vert. Elle avait l’air tellement maigre et sèche. Elle ressemblait à une feuille morte, avec ses os cassants comme des tiges et ses plumes toutes plates et sales.
De l’autre côté de l’allée, Nudge et Fang étaient eux aussi enfermés dans des cages. Nudge avait vraiment l’air secoué. On voyait qu’elle essayait de maîtriser sa peur, mais c’était peine perdue. Fang était assis, sans bouger, et serrait ses genoux contre lui. Il avait souri à Angel en arrivant, mais, le reste du temps, il gardait son air détaché, relax, distant. Il s’était réfugié en lui-même, le dernier refuge possible.
— Je suis désolée, Max, a murmuré Angel, le regard agité. Tout ça, c’est ma faute.
— Ne sois pas stupide, lui ai-je dit de ma drôle de voix d’Elmer le chasseur[8] à cause de mon nez bouché, cassé. Ça aurait pu arriver à n’importe lequel d’entre nous. Et c’est entièrement ma faute si Fang, Nudge et moi, on s’est fait prendre.
L’atmosphère était baignée d’une odeur de métal froid et d’antiseptiques qui réveillait d’horribles souvenirs enfouis au plus profond de moi. Je naviguais aux frontières de la folie à cause des flashs de néons agressifs qui se succédaient dans ma tête, mêlés à la peur et à la douleur. Mon nez avait fini par arrêter de saigner mais il me faisait mal. Ma migraine était revenue – un à se taper la tête contre les murs – et je continuais à voir d’étranges images que je ne comprenais pas.
— Max, il faut que je te dise un truc.
Angel s’est mise à pleurer.
— Chhhh. Plus tard. Essaie de te reposer un peu.
— Non. Max, c’est vraiment important…
Une porte s’est ouverte et j’ai entendu des pas lourds résonner sur le lino par terre. Le regard complètement paniqué d’Angel ressortait au milieu de son petit visage couvert de bleus. Ça me mettait hors de moi qu’un truc – quel qu’il soit – puisse faire aussi peur à une petite fille.
Je me suis recroquevillée sur moi-même, les sourcils froncés et le regard méchant. Ils allaient me le payer d’avoir touché à Angel. Ils allaient regretter d’être nés même.
J’ai serré les poings, tapie dans ma cage, prête à bondir sur la première personne qui l’ouvrirait pour lui arracher les poumons. Je commencerais par Ari, le plus pourri d’entre tous.
Angel avait rentré la tête dans les épaules et pleurait en silence. Au fond de moi, j’ai commencé à solidement flipper en pensant à ce qu’ils avaient bien pu lui faire. Les décharges d’adrénaline s’intensifiaient. J’étais folle.
Une paire de jambes s’est arrêtée juste devant ma cage. Je pouvais voir le bas d’une blouse blanche à hauteur des genoux.
Le type s’est penché pour regarder dans ma cage avec une expression mêlée de gentillesse et de regret.
Mon cœur a failli lâcher. Je suis tombée à la renverse.
— Maximum Ride, a fait Jeb Batchelder. Si tu savais comme tu m’as manqué.