63.
Les heures passaient. Dans le dico, en face du mot « stress », il y a une photo d’une mutante de taille moyenne enfermée dans une cage et en train de se demander si sa destinée, c’est la mort ou le monde à sauver.
Bon, d’accord, ce n’est pas tout à fait vrai. Mais c’est tout de même cette photo qu’il faudrait.
Si vous avez une meilleure idée pour un truc qui mette davantage les nerfs à vif, il faut me le dire.
Je ne pouvais rien raconter aux autres, pas même en chuchotant. Si ça amusait Jeb de croire que de fermer la porte et de parler à voix basse suffisait à nous empêcher d’être surveillés, tant mieux pour lui. Mais on ne me la faisait pas à moi. Il pouvait y avoir des caméras cachées et des micros partout, jusque dans nos cages.
Impossible, donc, de mettre sur pied un plan, de rassurer les autres ou même de péter les plombs en disant :
— Oh la vache ! Jeb est vivant ! Lorsque Angel a murmuré : « Où sont Gazzy et Iggy ? », je me suis contentée de hausser les épaules. Elle a fait une mine désappointée et m’a regardée avec insistance. Ils se sont échappés. Ils vont bien.
Angel a lu dans mes pensées, puis fait un tout petit signe de tête avant de se laisser tomber contre un côté de sa cage, complètement crevée.
Après ça, tout ce que je pouvais faire, c’était décocher des regards qui en disaient long. C’est tout. Ça a duré des heures et des heures. J’avais de nouveau mal à la tête. Quand je fermais les yeux, des images défilaient sur le mur de mes paupières.
À un moment, une blouse blanche est entrée et a jeté le résultat d’une autre de leurs expériences dans la cage à côté de la mienne. Curieuse, j’ai lancé un rapide coup d’œil avant de vite tourner la tête, prise d’un haut-le-cœur. Son apparence était suffisamment proche de celle d’un enfant pour que ça me fasse mal de le regarder, mais globalement, on aurait pu le prendre pour un champignon. De monstrueuses excroissances qui ressemblaient à de gros cailloux recouvraient la majeure partie de son corps. Il avait quelques doigts mais un orteil seulement, coincé sous le bout d’un pied qui avait ! l’air d’une cosse. Il a tourné la tête vers moi et il a cligné des yeux, bleus et sans vie.
Après une demi-heure environ, je me suis aperçue que le fruit de l’expérience en question avait cessé de respirer. Il était mort, là. À quelques centimètres de moi. Saisie d’horreur, j’ai cherché du regard Angel. Elle était en train de pleurer. Elle avait tout compris.
Finalement, bien plus tard, la porte du laboratoire s’est ouverte et un groupe est entré. J’entendais des voix d’hommes et des rires ainsi que des petits bruits d’Erasers. Ils poussaient un grand chariot plat.
Ils se sont arrêtés devant notre allée et l’un d’entre eux, un homme à l’air maniaque et préoccupé, a sorti :
— Je n’en compte que quatre.
— Deux sont morts, là-bas, dans le Colorado, a fait Ari, l’air triomphant. C’est tout ce qui reste. (Il a flanqué un coup de pied dans ma cage. Les barreaux ont tremblé, dans un grand vacarme.) Salut, Max. Je t’ai manqué ?
— Le Directeur est vraiment sûr de vouloir faire ça ? a interrogé une femme. C’est tellement dommage. On avait encore tant de choses à apprendre d’eux.
— Oui, a fait une troisième blouse blanche. C’est trop risqué vu le peu de coopération de la petite.
En rencontrant le regard d’Angel, j’ai levé mon pouce en direction d’elle pour la féliciter. J’étais fière de sa résistance. Elle m’a répondu d’un demi-sourire.
Là, ils ont brutalement saisi sa cage pour la mettre sur le chariot. Elle a grimacé de douleur au moment où sa joue avec le bleu frappait les barreaux. Un accès de rage m’a reprise.
La seconde suivante, Ari a attrapé ma cage et l’a balancée près de celle d’Angel. Je me suis solidement mordu la joue en atterrissant. Comme si j’avais besoin d’une autre blessure à la tête ! Il m’a souri à travers les barreaux. Je pouvais voir ses longs crocs jaunis.
— Fort comme un bœuf, s’est-il vanté.
— C’est ton papa qui doit être fier de toi, ai-je fait sur un ton narquois.
Son sang n’a fait qu’un tour et il a flanqué un grand coup de poing dans ma cage qui m’a presque fait tomber à la renverse.
— Tout doux, a fait une blouse blanche à mi-voix ce qui lui a valu un grondement assassin de la part d’Ari.
Ensuite, deux autres Erasers ont mis les cages de Nudge et de Fang à côté des nôtres et nous ont poussés au travers de portes battantes. Ari les suivait, les pieds lourds, la mine furieuse. De l’autre côté, le couloir était plein de lumières aveuglantes et d’une odeur insupportable de désinfectants ménagers.
Agrippée aux barreaux de ma cage, je cherchais des yeux une porte, un bureau, n’importe quoi qui me permette de reconnaître la section de l’École dans laquelle on se trouvait. Les Erasers passaient leurs doigts à travers nos barreaux pour nous griffer, raillaient et tapaient contre les cages pour les faire résonner d’un bruit fracassant. Je me demandais combien de force il faudrait pour arracher un doigt d’Eraser et le casser en deux.
On a pris à gauche toute, avant de passer une nouvelle série de portes battantes. Finalement, on s’est retrouvés dehors. J’ai vite gonflé mes poumons d’air, mais à l’École, l’air pur n’existait pas non plus à l’extérieur.
Dans ma cage, je tournais sur moi-même, jetant des regards tout autour de moi, à la recherche de points de repère. Derrière, le bâtiment du labo. Devant, à une centaine de mètres, un bâtiment assez bas en briques rouges. On était dans le jardin derrière l’École.
Celui sur lequel donnait la fenêtre de notre labo et que je regardais au plus profond de la nuit à l’époque où je vivais ici.
Le même jardin dans lequel les Erasers s’entraînaient à abattre leurs proies et à les dépecer, morceau après morceau.
Ce qui était probablement la raison pour laquelle ils riaient à ce moment précis.