76.
En résumé, si vous entouriez New York d’une clôture, vous auriez devant vous le plus grand cirque non itinérant du monde.
À notre réveil, à l’aube, le lendemain matin, des gens faisaient déjà du jogging, du vélo et même du cheval sur les kilomètres de sentiers qui sillonnent Central Park. On s’est glissés au bas de l’arbre et l’on s’est mis en route, l’air désinvolte.
Au bout d’une heure à peine, artistes ambulants, patineurs à roulettes, chiens en laisse et poussettes conduites par des mamans joggeuses avaient déjà pris d’assaut le parc.
— Cette dame, elle a six caniches blancs ! a sifflé Nudge derrière sa main. À quoi ça sert d’en avoir autant ?
— Peut-être qu’elle les vend, ai-je suggéré. À des enfants aux grands yeux ronds.
— Y a un truc qui sent vachement bon, a fait Iggy qui tournait la tête dans toutes les directions pour voir d’où venait l’odeur. Qu’est-ce que c’est ? Ça vient de par là.
Il a fait signe vers la gauche.
— C’est un type qui vend à manger, ai-je répondu. Sur l’écriteau, ça dit « cacahuètes grillées au miel ».
— Humm, ça me va tout à fait, a sorti Iggy. Je peux avoir des sous ?
Iggy, Angel et moi sommes allés acheter six petits paquets de cacahuètes (ça sentait drôôôôôôlement bon en effet) tandis que Fang, Nudge et le Gasman allaient voir de plus près un clown qui vendait des ballons.
On s’apprêtait à les rejoindre quand quelque chose, dans le clown, a attiré mon attention. La femme clown fixait un type aux cheveux noirs et lustrés qui descendait un sentier en flânant. Leurs regards se sont croisés.
Un frisson a parcouru mon dos. En un clin d’œil, toute mon excitation de la journée s’en est allée. À la place, un sentiment mêlé de peur, de colère et d’un réflexe d’autodéfense s’est emparé de moi.
— Iggy, tiens-toi prêt, ai-je prévenu à voix basse. On va chercher les autres.
Angel restait collée à moi, à me serrer la main. Fang, qui balayait du regard les environs comme d’habitude, a repéré mon expression d’urgence. L’instant d’après, une main sur les épaules de Nudge et l’autre sur celles du Gasman, il leur faisait faire demi-tour pour partir en vitesse dans la direction opposée.
On s’est rejoints sur le sentier et on a pressé le pas.
En jetant un œil derrière moi, j’ai aperçu le mec aux cheveux noirs qui nous suivait. Une femme s’était jointe à lui et tous les deux avaient l’air aussi décidés et forts l’un que l’autre.
Dans ma tête, une pluie de gros mots se déchaînait que j’avais grand-peine à contrôler. Je cherchais du regard, partout, des issues possibles, un endroit où l’on pourrait décoller ou se cacher.
Les autres gagnaient du terrain.
— Ne restez pas ici. Courez ! ai-je lâché.
Mais du fait que les Erasers, comme nous, avaient été programmés par modification génétique pour courir plus rapidement que la plupart des adultes, on ne pouvait pas compter s’échapper en courant. Sans issue de secours, on était fichus.
À présent, ils étaient trois. Ils avançaient au trot, comblant toujours plus l’espace entre eux et nous.
Les sentiers donnaient dans d’autres sentiers, parfois plus étroits, parfois plus larges. À plusieurs reprises, on a failli se télescoper avec des cyclistes ou des patineurs qui allaient trop vite pour faire un écart.
— Y en a quatre maintenant, a remarqué Fang. Foncez ! ! !
Instantanément, on a accéléré. Ils étaient à plus ou moins une vingtaine de mètres de nous, un drôle de rictus sur leur visage parfait, qui trahissait leur faim.
— Six ! ai-je compté.
— Ils sont trop rapides, m’a fait remarquer Fang comme si je ne le savais pas. Et si on décollait ?
Je me suis mordu ma lèvre, la main d’Angel écrasée dans la mienne. Que faire ? Ils se rapprochaient encore… et encore…
Huit ! a lancé Fang.