92.
J’ai échangé un regard avec Fang. Ça fichait un peu la trouille. Euh… beaucoup la trouille même.
— Han… qu’est-ce que tu veux dire exactement ? ai-je interrogé.
D’accord, elle pouvait lire dans les pensées de la plupart des gens et deviner leurs sentiments, mais c’était la première fois que je l’entendais parler de faire passer une pensée.
— Je lui ai demandé dans ma tête, c’est tout, a déclaré Angel, à moitié distraite, en train de défroisser les petites ailes blanches de l’ours. Et elle a dit d’accord.
Et alors elle me l’a acheté. Je vais l’appeler Céleste.
— Angel, tu veux dire que tu as influencé cette dame pour qu’elle t’achète ton nounours ? Je pesais mes mots.
— Il s’appelle Céleste, a répété Angel. Ça veut dire quoi « influencer » ?
— C’est quand on a un effet sur quelqu’un ou quelque chose, ai-je répondu. À t’entendre, on croirait que c’est toi qui as fait acheter à cette femme ce nou…
— Céleste.
— OK, Céleste. Qu’elle le veuille ou non. Tu vois ce que je veux dire ?
Angel a froncé les sourcils et haussé les épaules, l’air mal à l’aise. Puis son front s’est détendu et elle a répondu :
— Moi, je voulais vraiment, vraiment Céleste. Je le voulais plus que tout au monde.
Comme si ça l’excusait.
J’ai ouvert la bouche pour lui donner la petite leçon de morale qui s’imposait à ce moment-là, mais Fang m’a captée du regard. Dans ses yeux, je pouvais lire « Garde ça pour plus tard », donc je l’ai bouclée avec un hochement de tête, décidant d’attendre ce qu’il avait à dire.
Maintenant, retour à notre mission. Si seulement j’avais eu ne serait-ce qu’une idée de la façon de trouver l’Institut.
On s’est arrêtés pour acheter des falafels, mais on a gardé l’œil ouvert tout le temps qu’on a mangé en marchant. Angel a coincé son ours – Céleste – dans la ceinture de son pantalon de manière à avoir les mains libres.
Angel n’avait jamais que six ans et Dieu sait qu’elle n’avait pas franchement reçu une éducation normale. Pourtant, je trouvais qu’elle était assez grande pour faire la différence entre ce qui était bien et ce qui ne l’était pas. Je pensais qu’elle savait qu’« influencer » cette femme pour qu’elle lui achète son Céleste comme elle l’appelait n’était pas bien. Mais ça ne l’avait pas empêchée de le faire.
Ce qui me dérangeait.
Tout à coup, j’ai porté mes mains à mes tempes sous le coup de la douleur alors que la Voix me disait doucement : Ce n’est qu’un nounours, Max. Les enfants méritent d’avoir des jouets. Tu ne crois pas que toi aussi, tu aurais bien mérité un jouet ?
— J’ai passé l’âge d’avoir des jouets, ai-je grommelé, furieuse.
Fang m’a regardée, surpris.
— Toi aussi, tu voulais un jouet ? a interrogé le Gasman, confus.
J’ai secoué la tête. Ne vous occupez pas de moi, les gars. Je parlais juste à ma Voix. Pour la énième fois. Mais au moins, cette fois, j’avais eu moins mal à la tête qu’avant.
Je suis désolé que ça te fasse mal parfois, Max. Je ne veux surtout pas te faire de mal. Je veux juste t’aider.
J’ai gardé les lèvres bien collées pour être sûre de ne pas répondre. Lorsque j’avais besoin d’une information, la Voix se taisait. Quand je ne voulais surtout pas l’entendre, elle se lâchait, clairement décidée à papoter.
Décidément, elle m’énervait presque autant que Fang.