43.
— Nudge ! Pour la dernière fois. Tu ou-blies ! C’est une mauvaise idée, a lancé Fang. Une très mauvaise idée !
Dans son for intérieur, Nudge s’étonnait que Fang soit toujours à ses côtés. Il avait menacé de la laisser toute seule plusieurs fois, mais, voyant qu’elle ne changerait pas d’avis, il avait fini par se taire pour ruminer en silence.
Ils étaient à présent à l’entrée d’un quartier composé de mobile homes. Nudge se rappelait une adresse en particulier et, vu la taille de Tipisco, ça n’avait pas été bien difficile de la trouver. Elle ne savait pas trop à quoi elle s’attendait, mais certainement pas à ça.
Des rangées sinueuses balisaient le quartier entre les Mobile homes. On pouvait les repérer grâce à des écriteaux qui portaient des inscriptions telles que Allée du coyote ou Chemin du crotale, quand ils ne se cassaient pas la figure.
— Viens, fit Fang calmement. J’aperçois la Ruelle des chaparrals.
Ils se faufilèrent entre les buissons de baies, les genévriers noueux, les appareils électroménagers abandonnés et les carcasses de voitures qui jonchaient le quartier. Pas franchement de palissade blanche à l’horizon.
Nudge posa ses yeux vifs sur un numéro, le 4625, au bout de la rangée de mobilehomes. Elle avala sa salive en un coup. Ses parents étaient peut-être là, juste à portée de main. Elle écarta des bombes de peinture de son chemin, et elle et Fang s’accroupirent tout près d’une voiture à l’abandon, couverte de graffitis.
— Et s’ils avaient déménagé ? a souligné Fang pour la énième fois. Et si tu avais mal lu et que ces gens n’ont aucun lien de parenté avec toi ? (Puis, sur un ton d’une légèreté horrible, il a ajouté :) Nudge, même si tu n’es pas un bébé-éprouvette – ce qui est peu probable –, est-ce que tu t’es déjà dit que s’ils t’ont abandonnée, ils avaient peut-être une bonne raison ? Ils ne voudront pas forcément de toi.
— Tu crois que je n’y ai jamais pensé ? a-t-elle répondu, la voix teintée d’une colère inédite. Je sais tout ça ! Mais il faut que j’essaie. C’est vrai, s’il y avait une toute petite chance, tu n’essaierais pas, toi ?
— Je n’en sais rien, conclut Fang après une pause.
— C’est parce que t’as besoin de rien ni de personne, lâcha Nudge comme elle se retournait pour observer le mobile home. Mais moi, je ne suis pas comme ça. J’ai besoin des autres.
Fang gardait le silence.
On pouvait à peine les voir, coincés entre la voiture des petits arbustes. Nudge était tellement nerveuse qu’elle tremblait presque.
À ses côtés, Fang était tendu comme un fil à linge. Tout à coup, Nudge entendit une porte s’ouvrir. Elle retint sa respiration tandis qu’une femme sortait de la maison. Ensuite, elle jeta un rapide coup d’œil à son bras pour voir si elle avait la même teinte de peau qu’elle. On aurait dit que oui. Mais c’était difficile d’être sûr à 100 %. La femme est descendue sur la pelouse couverte d’aiguilles de pin brunies, et elle s’est assise à l’ombre, dans un fauteuil de jardin bon marché.
Elle avait les cheveux mouillés, enroulés dans des bigoudis, et une serviette humide sur ses épaules. Elle s’est enfoncée dans le fauteuil, a allumé une cigarette et puis elle a ouvert une canette de coca.
— Du coca. Je croyais qu’on n’en buvait qu’au p’tit déj’moi, a soufflé Fang à Nudge qui lui balança instantanément un coup de coude.
Hummm. Nudge s’est assise sur ses talons. C’était bizarre. D’un côté, elle espérait que ce n’était pas sa mère. Disons que ça aurait été plus facile si la femme en question avait été en train de poser un plat de biscuits tout chauds sur le rebord de la fenêtre pour les faire refroidir ou en train de jardiner par exemple. Des trucs de maman quoi ! D’un autre côté, elle espérait que cette femme était sa mère parce que franchement, quelqu’un, peu importe qui c’était, ça valait toujours mieux que personne.
Il suffisait à Nudge de se lever et de se diriger tranquillement vers la femme, l’air le plus naturel du monde, Pour lui demander :
— Euh, vous n’auriez pas perdu une fille du non de Monique, il y a dix ou onze ans ?
Voilà. C’est tout ce qu’elle avait à faire. Alorc la femme répondrait…
— On cherche quelque chose, les zarbis ? Eh ben voilà, vous avez trouvé !
Pas de doute sur l’origine de ce beau rire mélodies derrière eux. C’était celui d’un Eraser.