41.
Le Dr Martinez avait l’air soucieux.
— Max, tu es sûre que je ne peux rien faire pour toi ? J’ai secoué la tête, furieuse contre moi et contre elle pour avoir abordé le sujet.
— Nan. C’est fini quoi qu’il en soit. Finito. Terminé. Mais… il faut que je m’en aille. J’ai des amis qui m’attendent. C’est très important.
— Comment vas-tu les retrouver ? Est-ce que je peux t’emmener quelque part ?
— Non, ai-je fait les sourcils froncés, en frottant mon épaule blessée. Il faut que j’y aille en… euh… en volant. Mais je crois que c’est encore un peu tôt. Le Dr Martinez a plissé le front, l’air songeur.
— C’est dangereux de te surmener avant que ta blessure soit guérie. Ce n’est pas évident de savoir jusqu’où elle va. Il faudrait que je te fasse une radio pour ça.
Je l’ai regardée gravement.
— Et vous faites ça avec vos yeux ?
Elle s’est mise à rire sous l’effet de la surprise. Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire légèrement. Et dire qu’Ella passait tous ses jours auprès d’elle ! Une vraie maman.
— Non. On n’est pas tous dotés de super pouvoirs a-t-elle sorti sur le ton de la plaisanterie. Par contre, on a accès à des machines qui font les radios pour nous.
Le Dr Martinez partageait son cabinet avec un confrère. Ce jour-là, elle était en congé, mais d’après elle, il n’y aurait aucun problème à ce qu’on fasse un saut au cabinet. Elle me donna un coupe-vent pour cacher mes ailes, mais j’avais quand même toujours les boules de voir d’autres gens de si près.
— Bonjour, tout le monde, a lancé le Dr Martinez au moment où nous entrions dans le cabinet. J’amène une copine d’Ella qui fait un exposé sur le métier de vétérinaire. Je lui ai promis que je lui montrerais un peu le cabinet.
Les trois personnes derrière le comptoir ont souri et hoché la tête comme si cette histoire était tout à fait crédible. Peut-être l’était-elle en effet. Comment le saurais-je ?
Deux secondes seulement après notre arrivée, je me suis immobilisée sur place dans l’entrée, l’air soudain livide, terrifié.
Il y avait un homme.
Il portait une blouse blanche.
Le Dr Martinez s’est tournée vers moi.
— Max ?
Je l’ai fixée, incapable de parler. Gentiment, elle m’a prise par le bras pour m’emmener dans une salle d’examen.
— Tu vois, c’est là qu’on consulte nos patients, fit-elle d’un ton enjoué en refermant la porte derrière nous. (Alors, elle me fit face et reprit la parole à voix basse.) Max ? Qu’est-ce qui t’arrive ? Qu’est-ce qui ne va pas ?
Je me suis obligée à prendre de petites inspirations, lentement, tout en desserrant les poings le long de mes hanches.
— C’est cette odeur, ai-je répondu dans un chuchotement, embarrassée. Cette odeur chimique, comme dans un laboratoire. Et puis le type en blouse blanche. Il faut que je m’en aille, vous comprenez ? Est-ce qu’on peut y aller, maintenant ? Tout de suite.
Je cherchais des yeux une sortie, une fenêtre.
Elle m’a caressé le dos.
— Je t’assure que tu ne risques absolument rien ici. Est-ce que tu peux tenir le temps que je te fasse une radio en vitesse ? On partira juste après, c’est d’accord ?
J’ai tenté de déglutir, mais j’avais la bouche complètement sèche. Mon cœur battait la chamade au point de résonner dans mes tempes.
— Sil te plaît, Max.
J’ai fait oui de la tête, contrainte et forcée. Le Dr Martinez s’est assurée que je ne portais pas de bijoux – non mais, vraiment… — avant de me placer sur la table avec précaution. Une machine a coulissé au-dessus de moi. Mes nerfs, j’avais l’impression, étaient sur le point de lâcher.
Le docteur a quitté la pièce. J’ai entendu un petit nnnuuut. Et puis ça a été tout.
Deux minutes plus tard, elle m’a montré une grande feuille sombre avec les os de mon épaule, de mon bras et d’une partie de mon aile qui se détachaient en blanc. Elle l’a positionnée contre un cadre en verre, au mur qu’elle a allumé. La photo s’est éclairée d’un coup faisant ressortir encore plus mes os.
— Regarde, m’a-t-elle dit tandis qu’elle suivait du doigt le contour de mon omoplate. Il n’y a aucun problème avec cet os. C’est ton muscle qui est endommagé. Tu vois les tissus déchirés ? Ici. Et là.
J’ai approuvé d’un signe de tête.
— Quant aux os de tes ailes, a-t-elle repris, baissant la voix sans s’en rendre compte, ça a l’air d’aller aussi Ce qui est une bonne nouvelle. D’un autre côté, les muscles mettent généralement plus de temps à se remettre que les os, malheureusement. Même si je dois reconnaître que tes tissus ont l’air de se régénérer incroyablement vite.
Elle a froncé les sourcils devant la radio, la tapant du doigt.
— Tes os sont si fins et légers, murmurait-elle comme si elle se parlait à elle-même. Ils sont magnifiques et… Hum. Qu’est-ce que c’est que ce truc ? (Elle pointait du doigt un petit carré blanc, large d’un centimètre environ, situé en plein milieu de mon avant-bras.) Ce n’est pas un bijou, si ? (Elle a baissé les yeux vers moi.) Est-ce que c’est la fermeture Éclair du coupe-vent ? Non… je l’ai retiré pour la radio.
Le Dr Martinez s’est approchée du cliché, plissant les yeux.
— C’est… On dirait… (Sa voix s’est éteinte.)
— Quoi ? ai-je interrogé, troublée par l’expression sur son visage.
— C’est une micropuce, a-t-elle répondu avec hésitation. On en met de semblables aux animaux. Pour les identifier au cas où ils se perdent. La tienne ressemble à ces puces qu’on utilise pour les animaux de luxe, comme les champions de concours canins par exemple. Grâce à elles, on peut retrouver leur trace en cas de vol. Où qu’ils soient.