47.
Nudge ne se faisait toujours pas à l’idée que Max et les autres étaient morts. Ce n’était pas possible – elle ne pouvait pas le supporter – alors elle s’est forcée à penser à autre chose.
Elle jugeait un peu déprimant de trouver confortable voire douillet, à cet instant, ce tout petit trou creusé dans la paroi d’une falaise, en plein désert. Elle était étendue sur le dos, les pieds en l’air contre le mur, ses jambes, couvertes de bleus, tendues. Elle examinait le dégradé de couleurs de la roche au-dessus d’elle, du crème au brun en passant par le rose et la couleur Pêche. Dehors, le soleil tapait dur, mais ici, à l’intérieur, il faisait frais et une petite brise soufflait.
Ça nous apprendra, s’est-elle dit. On croit qu’on a besoin de toutes ses affaires, de son verre préféré, de sa meilleure couverture, de savon, de ses parents… jusqu’au moment où l’on réalise que tout ce dont on a vraiment besoin, c’est d’être hors de portée des Erasers.
Le plus dur à accepter, c’était Ari. La dernière fois qu’elle l’avait vu, c’était encore un petit garçon. Elle se rappelait la façon qu’il avait de taper sur les nerfs de Max quand il la suivait partout. Maintenant, c’était devenu un Eraser dans toute sa puissance et le pire d’entre tous, en plus. Comment un truc pareil avait-il pu arriver en l’espace de quatre ans seulement ?
Une demi-heure plus tôt, Fang et elle avaient entendu l’écho d’un hélicoptère au loin. C’est ainsi qu’ils s’étaient réfugiés tout au fond de la grotte, aussi profond que possible, plaquant de toutes leurs forces leur dos contre la paroi froide. Au terme de vingt minutes de silence, Fang avait décrété qu’il n’y avait plus de danger et il était parti chercher à manger. Nudge attendait son retour avec impatience.
Leur maison était réduite en cendres. Tous ses amis étaient morts, à l’exception de Fang. Elle et lui étaient complètement livrés à eux-mêmes… pour le restant de leurs jours peut-être.
Fang a remonté la falaise dans un battement d’ailes et ensuite, il a atterri sur la corniche sans un bruit. Nudge a senti une vague de soulagement l’envahir.
— Un p’tit bout de rat du désert cru, ça t’intéresse ?
Il tapotait la poche de son coupe-vent.
— Ça non alors ! a répliqué Nudge, horrifiée.
Il a fait glisser son coupe-vent à coups d’épaule avant d’épousseter son T-shirt noir. Après, il a fourre quelque chose dans sa bouche qu’il a mastiqué et avalé bruyamment.
— Y’a pas plus frais ! a-t-il fait d’un ton cajoleur.
Eurk !
Nudge a frissonné puis détourné la tête. Un rat !
Voler comme les rapaces, c’était une chose. Manger comme eux, c’en était une autre.
— Bon, d’accord, a repris Fang. Et qu’est-ce que tu dirais de brochettes ? Je te laisse les poivrons.
Nudge a fait une pirouette et elle a vu que Fang défaisait un petit paquet en papier aluminium. La délicieuse odeur de viande et de poivrons grillés a aussitôt chatouillé ses narines.
— Des brochettes ! s’est-elle écriée avant de se ruer vers Fang pour s’asseoir près de lui. Où tu les as trouvées ? Tu n’as pas eu le temps d’aller jusqu’en ville, si ? Oh ! là ! là ! elles sont encore chaudes.
— Disons seulement que je connais des campeurs qui vont avoir une sacrée surprise, a raconté Fang sur un ton pince-sans-rire comme il séparait la viande d’un côté et les oignons et poivrons de l’autre.
Nudge a mordu dans un petit morceau de poivron grillé, tiède, tendre et fumé. Le paradis sur terre.
— C’est ce que j’appelle de la vraie nourriture, a-t-elle proclamé, les yeux fermés.
— Maintenant il faut qu’on décide si on continue à chercher Max ou si on file au secours d’Angel, a déclaré Fang, la bouche pleine de morceaux de bœuf.
— Mais les Erasers ont dit que tout le monde était mort. Alors, Angel et Max aussi, non ? a demandé Nudge, le cœur à nouveau gros.
— Impossible à dire, a répondu Fang. D’accord, Max n’est pas là, mais ça ne signifie pas forcément qu’elle est morte. Et puis comment auraient-ils fait pour la trouver d’abord ? Quant à Angel… (Il marqua une pause.) Ça, on le savait depuis le début qu’ils la tenaient. Tout est sûrement fini à l’heure qu’il est.
Nudge se tenait la tête entre les mains.
— Je préfère ne pas y penser.
— Je sais. Mais qu’est-ce que tu…
Il s’est arrêté net pour scruter l’horizon, les yeux mi-clos.
La main en visière, Nudge l’a imité. Loin, très loin elle distinguait vaguement deux taches sombres. Et alors ? C’était probablement d’autres rapaces, rien de plus.
Elle s’est rassise et s’est remise à manger, mâchant lentement son dernier oignon avant de lécher le papier d’emballage des brochettes. Il fallait que Fang trouve un plan, ce n’était pas plus compliqué que ça.
Mais Fang continuait à scruter l’horizon.
Nudge a froncé les sourcils. Les deux taches sombres grossissaient à vue d’œil. Elles se rapprochaient. Ces buses devaient être immenses. C’était peut-être des aigles.
Tout à coup, Fang s’est levé et a fouillé son pantalon à la recherche de son petit miroir de poche. La main tendue, il s’en est servi pour réfléchir les rayons du soleil de fin de journée.
Il a recommencé trois fois, en marquant une courte pause entre chaque.
Les rapaces continuaient à se rapprocher, toujours plus grands. Maintenant c’était sûr, ils volaient dans leur direction, dessinant des cercles de plus en plus bas.
Faites que ce ne soit pas des Erasers volants, s’est dit Nudge, soudain paniquée car elle venait de s’apercevoir que les deux silhouettes étaient bien trop grandes et bizarres pour être de véritables rapaces.
La bouche en O sous le coup de la surprise, elle les a finalement reconnus. Trente secondes plus tard, Iggy et le Gasman ont atterri maladroitement sur la corniche, projetant des cailloux et de la poussière un peu partout. Nudge est restée là à les fixer, tellement heureuse qu’elle n’en croyait pas ses yeux.
— Vous n’êtes pas morts, a-t-elle lâché.
— Non et visiblement, vous non plus, a répliqué Iggy avec irritation. Et alors, on ne dit plus bonjour ?
— Salut, les amis, a lancé le Gasman qui enlevait la poussière de ses cheveux. On ne pouvait plus rester à la maison. Il y a des Erasers partout dans la montagne. Donc, on a décidé de venir ici. Ça pose un problème à quelqu’un ?