73.
— Debout là-dedans ! ai-je lancé tout fort.
Vous serez soulagés d’apprendre que ma brève incursion au pays du je-m’en-foutisme avait cessé au moment où je m’étais réveillée le matin suivant, les paupières brûlées par le soleil.
Aussitôt levée, j’avais rallumé le feu – eh, on est un chef qui prend soin de ses troupes ou pas – et commencé à réveiller les autres d’un geste affectueux… un petit coup de pied.
Un concert de grognements s’est déclaré, auquel je n’ai prêté aucune attention. Au lieu de ça, j’ai positionné un plat de pop-corn en équilibre sur une branche, au-dessus du feu. Du pop-corn pour le petit déjeuner ! Pourquoi pas ? C’était des céréales après tout. Comme… comme des flocons d’avoine, en moins plouc.
En plus, c’est absolument impossible de dormir avec du pop-corn qui éclate. On dirait une mitrailleuse. Très vite, les autres m’ont donc rejointe près du feu, l’air abattu, frottant leurs yeux toujours endormis.
— On va à New York, les amis. La ville qui ne dort jamais. Je pense qu’on est à six ou sept heures de là.
Vingt minutes plus tard, on décollait, l’un à la suite de l’autre. Je suis partie en dernier, juste derrière Angel m’élançant sur cinq ou six mètres avant de prendre mon envol, battant des ailes de toutes mes forces. J’étais à trois mètres du sol environ lorsque ça a recommencé : une force invisible semblait promener une aiguille de chemin de fer dans mon crâne.
J’ai poussé un cri et j’ai fait un plat sur le sol, tellement violent qu’il m’a coupé la respiration.
Je me suis mise en boule, terrassée par la douleur, les mains sur la tête et des larmes sur les joues, faisant de mon mieux pour ne pas hurler.
— Max ? (J’ai senti Fang poser délicatement sa main sur mon épaule.) Ça recommence ?
Je ne pouvais même pas hocher la tête. Tout ce que j’arrivais à faire, c’était maintenir ma tête pour éviter que ma cervelle ne gicle partout, sur les autres. Un cri perçant m’est parvenu aux oreilles quand j’ai réalisé qu’il venait de moi.
Derrière mes paupières, des flashs orange et rouges explosaient, tel un grand feu d’artifice cérébral. Ensuite, j’ai eu l’impression qu’on projetait un film sur mes rétines comme sur un écran de cinéma. Des images clignotaient, plus rapides que l’éclair. J’en avais la nausée. Je n’arrivais à en distinguer vraiment aucune parmi les bâtiments flous, les vagues paysages, le visage de personnes que je ne reconnaissais pas, les trucs à manger, les gros titres de journaux, les vieux trucs en noir et blanc, les machins psychédéliques, les trucs en forme de tourbillons…
Je ne pourrais pas dire combien de temps ça a duré ? Un siècle ? Au bout d’un certain temps, je me suis rendu compte que je pouvais bouger et je me suis immédiatement traînée jusqu’à des buissons où j’ai vomi mes tripes. Puis je suis restée là à haleter, sur le dos, persuadée que j’allais mourir. Ça m’a pris longtemps avant de pouvoir rouvrir les yeux sur les nuages de cotons au milieu du ciel bleu… et cinq visages inquiets penchés au-dessus de moi.
— Max, qu’est-ce que t’as ?
Angel avait la voix aussi chargée d’inquiétude que son visage.
— Tu crois qu’il faudrait consulter un médecin ? a proposé Fang, la voix douce, mais les yeux perçants.
— Mais oui bien sûr, quelle bonne idée, ai-je dit faiblement. Comme ça on mettra les autorités au courant.
— Écoute, a commencé Fang, mais je lui ai coupé la parole.
— Ça va mieux, ai-je menti. J’ai peut-être un microbe dans l’estomac. Ouais, le genre de microbe gastrique qui donne le cancer du cerveau. Le genre de microbe que vous attrapez lorsque votre maquillage génétique dégouline. L’ultime microbe avant de mourir.
— Contentons-nous d’aller à New York, ai-je conclu.