53.
Gloups. J’ai senti mes muscles se raidir. La main sur l’épaule de Gazzy, j’ai fait « Chhh. Chhhhhht ».
Le mec, au volant, a écarquillé les yeux et, une demi-seconde après, il a écrasé le pied sur la pédale d’accélérateur, oubliant sa carte dans le distributeur. Sa voiture est partie sur les chapeaux de roues.
Ari rigolait comme un fou. Le pick-up a démarré à son tour dans une explosion de gravillons. Cinq pulsations plus tard, on entendait encore vaguement les moteurs des deux voitures rugir tandis qu’elles dévalent la route.
— Il s’en sort pas trop mal, a constaté Fang, toujours aussi impassible.
— J’ai rêvé ou Ari avait les cheveux… verts ? ai-je interrogé, troublée.
— Han, han, a répondu Nudge avec une concision inattendue.
Tous les cinq, on s’est regardés – enfin, pas vraiment Iggy – avant de revenir au distributeur de billets.
Il faisait un petit bip tranquille. On a jeté un œil autour de nous. Il y avait du monde dans les magasins, mais la machine ne leur faisait pas face. Sans un mot, on a traversé le parking en courant, au ras du sol.
Aucun de nous n’avait utilisé ce genre de truc auparavant. Pour une raison qui m’échappe totalement, les savants fous de l’École avaient négligé de nous ouvrir un compte en banque !
Fort heureusement, l’utilisation de la machine était à la portée du premier des crétins.
SOUHAITEZ-VOUS EXÉCUTER UNE AUTRE OPÉRATION ? disait-elle en lettres orange.
— Prends du fric, a lancé Fang comme s’il avait besoin de me le dire.
— T’es sûr ? ai-je ajouté en signe de raillerie.
— Magne-toi, a sorti le Gasman.
J’ai appuyé sur la touche « Retrait ». VEUILLEZ ENTRER LE MONTANT EXACT.
J’ai hésité un instant.
— Soixante dollars ? Ça devait suffire pour acheter une bonne quantité de bouffe, pas vrai ?
— C’était un gros con, a lâché Fang. Vide-lui son compte.
J’ai souri.
Hummmmmmmm, c’est diabolique ! J’aime ça !
Je suis retournée au menu principal pour pouvoir consulter son solde. En voyant le montant, on s’est tous mis à siffler.
— Géniaaaaaaaaaaaal, a entonné Nudge en se mettant à danser. On est riches ! On peut s’acheter une voiture ! Youpiiii !
Au cas où vous ne le sauriez pas, il y a un montant limite que les distributeurs ne peuvent pas dépasser chaque fois que vous retirez du fric. Du coup, nos projets de nous acheter un chez-nous se sont effondrés, mais on pouvait tout de même retirer deux cents dollars en une fois. À condition qu’on entre à nouveau le code pour des raisons de sécurité.
— Quelle poisse ! ai-je gémi. Est-ce que quelqu’un l’a vu ?
— Je l’ai entendu, a dit Iggy faiblement.
— Je crois que si on tape un mauvais code plus de deux fois de suite, la machine avale la carte, a averti Fang.
— Tu te sens d’essayer ? ai-je demandé à Iggy.
— Euh… ouais…, a-t-il fait en posant sa main sur les touches du bout des doigts.
— T’en fais pas, Ig, l’a rassuré Fang. Fais ce que tu peux.
Il y a vraiment des fois où le Fangster[6] est d’un grand soutien. Jamais avec moi, cela dit.
Iggy a entré cinq chiffres. On retenait tous notre respiration.
CODE ERRONÉ. VEUILLEZ VÉRIFIER VOTRE CODE ET RECOMMENCER.
— Essaie encore, ai-je lancé, nerveuse. T’as les meilleures oreilles de l’univers.
Comme la première fois, Iggy a hésité à mettre sa main sur les touches. Il s’est concentré et il a tapé cinq chiffres.
Rien. J’ai senti mon cœur s’enfoncer dans ma poitrine.
Puis la machine s’est mise à ronronner et une liasse de billets de vingt a jailli de sa fente.
— Ouais ! !! a lâché Fang, le poing en l’air. Vive nous !
— Prends-les et tirons-nous de là ! ai-je ordonné tandis que Nudge extrayait les billets du distributeur pour les fourrer dans sa poche.
On avait déjà fait demi-tour lorsque la machine a bipé.
VOUS POUVEZ REPRENDRE VOTRE CARTE. MERCI ET À BIENTÔT.
— C’est moi qui te remercie, ai-je répondu en reprenant la carte. Tout de suite, on a pris nos jambes à notre cou en direction de la forêt.
Enfin… on a pris nos jambes ET nos ailes à notre cou ! ! !