24.
Fang a rejoint Nudge avant de s’immobiliser à son tour. La corniche pointait vers le ciel, en direction du sommet de la falaise. L’endroit était parsemé de petites herbes broussailleuses et de gros galets qui ressortaient sur un tapis d’argile compacte et de roche.
Sur les rochers, les plantes et entre eux se trouvaient de larges nids, d’une soixantaine de centimètres. De grands oisillons duveteux occupaient la majorité des nids, flanqués le plus souvent de leurs parents, de grands oiseaux couleur rouille qui, pour la plupart, fixaient, tendus, de leurs yeux de prédateurs, Nudge et Fang.
— Qu’est-ce que c’est ? a murmuré cette dernière en tordant sa bouche de côté.
— Des buses rouilleuses, a expliqué Fang tout doucement. Le plus grand rapace des États-Unis. Assieds-toi. Len-te-ment. Pas de mouvements brusques ou on va tous les deux leur servir de dîner.
Pigééééééé, a pensé Nudge comme elle se laissait tomber sur ses genoux au ralenti. Elle n’avait qu’une envie : faire demi-tour et partir en courant. Mais elle risquait d’être attaquée. Les quelques serres qu’elle distinguait avaient l’air mortelles… dans le premier sens du terme. Sans parler des becs archicrochus, coupants et menaçants.
— Tu crois… a-t-elle commencé à mi-voix, mais Fang lui a fait signe de se taire… une bonne fois pour toutes.
Il s’est accroupi près d’elle, sans quitter les buses des yeux. L’une d’entre elles avait un rat à moitié démembré dans le bec. Ses petits piaillaient tant qu’ils pouvaient pour en avoir un morceau.
Après quelques minutes, Nudge ressentait déjà le besoin de crier. Elle ne supportait pas de devoir rester immobile, sans pouvoir poser son milliard de questions, ni savoir combien de temps elle tiendrait encore sans bouger.
Un petit mouvement attira son attention. Fang, très délicatement, était en train de déployer l’une de ses ailes. Tous les rapaces ont tourné la tête en même temps, leurs regards assassins scotchés à son aile.
— C’est pour qu’ils me sentent.
Les lèvres de Fang bougeaient à peine.
Au bout d’un certain temps, qui parut une éternité, les buses ont semblé se détendre légèrement. Elles étaient immenses, avec des ailes d’une envergure d’un mètre cinquante environ et un air glacial tout-puissant. Les plumes de leurs ailes étaient brunes avec des bandes d’un brun-roux en haut, tandis qu’en dessous, elles étaient parcourues de bandes blanches. Un peu comme les ailes de Nudge, à un détail près : les siennes étaient plus grandes que les leurs. À peu près deux fois plus grandes.
— Pouah, Nudge ne put s’empêcher de lâcher tout bas quand l’un des rapaces ramena un serpent qui gigotait encore.
Sa vue excita les jeunes buses au point qu’elles se marchèrent presque sur la tête pour essayer d’accéder à la première bouchée.
— Re-pouah.
Fang tourna lentement la tête vers Nudge pour lui sourire. Elle sourit en retour, non sans surprise.
Ça la démangeait solidement de partir. Et elle était impatiente que Max revienne. Elle aurait voulu qu’il y ait un brin plus à manger aussi. Mais en même temps, c’était assez génial d’être assise là, au soleil, entourée d’oiseaux majestueux, gigantesques, à se dégourdir les ailes. Ça ne pouvait pas lui faire de mal de rester encore un peu, pensa-t-elle.