32.
— Viens vite, dépêche, a haleté le Gasman.
Il pressait la branche de sapin tellement fort qu’il ne sentait presque plus ses doigts.
— Qu’est-ce qui se passe ? a interrogé Iggy au bord de l’impatience. Accouche !
Il était encore tôt. Tous les deux, ils s’étaient perchés près du sommet d’un vieux et grand sapin surplombant l’une des routes menant à une exploitation forestière abandonnée. Ils étaient allés repérer les lieux et le Gasman avait vu juste : au moins deux Erasers, peut-être plus, s’étaient fait un campement de fortune non loin de l’endroit où l’hélicoptère avait atterri. C’était évident qu’ils cherchaient le reste de la bande. Peu importe qu’ils aient voulu les tuer ou juste les kidnapper : il n’était pas question qu’ils se fassent prendre tous les deux.
Le Gasman continuait de faire des cauchemars dans lesquels il se retrouvait à l’École. Il rêvait que les blouses blanches lui prélevaient du sang, qu’ils lui injectaient diverses drogues pour voir comment il réagissait, qu’ils le forçaient à courir et à sauter avant de lui faire ingurgiter un colorant radioactif pour pouvoir étudier sa circulation. Des jours, des semaines, des années passées à souffrir, à vomir, malade, exténué, enfermé dans une cage. Le Gasman préférerait mourir plutôt que de retourner là-bas. Angel aussi aurait préféré mourir, il le savait, mais elle n’avait pas eu le choix.
— Le Hummer arrive, a sifflé le Gasman entre ses dents.
— Il est sur la bonne route ?
— Han, han. Et il va trop vite.
Gazzy a eu un sourire pincé, un peu inquiet.
— S’ils ne sont pas très à cheval sur les limitations de vitesse, tant pis pour eux !
— OK, ils approchent, a marmonné le Gasman. Encore cinq cents mètres.
— Tu vois le piège ?
— Non.
Le Gasman ne quittait pas des yeux le 4 x 4 noir, couvert de boue, tandis qu’il accélérait sur le chemin de terre.
— Dans une petite seconde, a-t-il commenté à voix basse pour Iggy qui vibrait presque sous l’effet de l’excitation.
— J’espère pour eux qu’ils ont mis leur ceinture. Ah, ah !
Et puis c’est arrivé.
Comme dans un film. À un moment, le véhicule noir en forme de caisse à savon filait à toute allure sur la route. L’instant d’après, il faisait une violente embardée à gauche, dans un redoutable crissement de pneus. La voiture a entamé une série de tête-à-queue maladroits et saccadés avant de faire un saut complètement inattendu et de heurter un arbre sur le côté, avant un atterrissage fracassant sur le capot, à quelques centaines de mètres plus loin.
— Wahouuuuuuuuuuuuuuu, s’est exclamé le Gasman dans sa barbe. Hallucinant !
— T’as deux secondes pour me faire un topo, a fait Iggy, irrité.
— La voiture a glissé sur la nappe de pétrole. Elle est partie en vrille, a heurté un arbre et s’est retournée, lui a raconté le Gasman. Là, elle est sur le toit. On dirait un gros cafard mort.
— Yes ! (Iggy a levé le poing en l’air, faisant bouger la branche sur laquelle ils étaient.) Tu vois quelqu’un bouger ?
— Attends… Ah, oui ! Là ! Il y en a un qui vient d’enfoncer une fenêtre pour sortir. Ça y est, ils sont tous sortis. Ils ont l’air furax. Ils marchent, alors ils ne sont pas très blessés.
Le Gasman voulait se débarrasser des Erasers une bonne fois pour toutes, ne plus devoir s’en inquiéter. D’un autre côté, il se demandait ce que ça lui ferait s’ils étaient tous morts à cet instant précis.
Mais il s’est rappelé qu’ils avaient enlevé Angel.
Et il a fini par se dire qu’un accident mortel des Erasers ne lui poserait probablement pas de problème.
— Crotte ! (La voix d’Iggy trahissait sa déception.) Est-ce qu’on pourrait leur balancer BB maintenant ?
Gazzy a fait non de la tête, puis il s’est souvenu qu’Iggy ne pouvait pas voir.
— Je ne crois pas. Ils sont en train de parler dans des talkies-walkies. Et en ce moment, ils se dirigent droit vers les bois. Tout ce qu’on ferait, c’est déclencher un gigantesque feu de forêt.
— Hummm. (Iggy a froncé les sourcils.) Bon replions-nous et passons à la phase deux. On pourrait aller un peu à la vieille cabane, qu’est-ce que tu en dis ?
— Bonne idée, a répondu le Gasman. Allons-y. On a assez travaillé pour aujourd’hui.