29.
— Hum, hum… Ella ?
La fillette s’est raidie, puis a fait un bond en arrière.
J’ai avancé encore un peu plus près, quittant les sous-bois pour qu’elle voie mon visage.
— C’est moi, ai-je dit d’un air idiot, la fille de tout à l’heure.
Il faisait de plus en plus noir et la pluie continuait à tomber. J’espérais qu’elle allait me reconnaître. La chienne s’est approchée au petit trot. En m’apercevant, elle m’a lancé un « wouf » pour m’intimider, mais j’ai bien vu qu’elle n’était qu’à moitié rassurée.
— Oh, oui. Hé, merci… de m’avoir aidée, a dit Ella qui plissait ses yeux mouillés par la pluie pour mieux me voir. Ça va ? Qu’est-ce que tu fabriques ici ?
Sa voix trahissait son inquiétude. Sur ses gardes, elle jetait des regards tout autour, des fois que j’aie changé de camp depuis la dernière fois qu’elle m’avait vue.
— Ça va, j’ai répondu sans conviction. Enfin, à dire vrai, j’aurais besoin d’un coup de main.
C’était la première fois que je demandais de l’aide à quelqu’un. Dieu merci, Jeb n’était pas là pour voir ça, moi en train de jouer les abruties et les faibles.
— Oh ! a fait Ella. Je vois. Bien sûr. Est-ce que ces types… ?
— Tu ne vas pas le croire, mais l’un d’entre eux a réussi à me toucher avec son fusil, ai-je expliqué, en continuant à m’approcher d’elle petit à petit.
— Oh non ! a-t-elle suffoqué dans un sursaut de surprise, la main plaquée sur la bouche. Fallait le dire plus tôt ! Tu es blessée ? Pourquoi est-ce que tu n’es pas allée à l’hôpital ? Oh, mon dieu ! Viens ! Rentrons !
Elle s’est reculée pour me laisser passer devant, tout en chassant Magnolia qui s’était rapprochée d’une patte lourde pour renifler, l’air fort intéressé, mes vêtements imbibés de pluie.
Et vous savez quoi ? Eh bien, j’ai eu un instant d’hésitation. C’était le moment ou jamais. Jusqu’à ce que j’entre dans cette maison, je pouvais encore faire une pirouette et m’enfuir en courant. Une fois à l’intérieur, ce serait une autre paire de manches. Mettez ça sur le compte de mon excentricité si vous voulez, mais j’ai tendance à baliser lorsque je suis coincée entre quatre murs. On est tous pareils. Le reste de la bande aussi, je veux dire. Voilà ce qui arrive quand on passe son enfance en cage.
Mais ça ne servait à rien de me jouer la comédie et penser que j’arriverais à continuer comme ça, trempée, grelottante, affamée et titubant légèrement à cause du sang que j’avais perdu. Il fallait que je prenne sur moi et que j’accepte de l’aide. Même venant d’étrangers.
— Tes parents sont rentrés ? ai-je interrogé.
— Il n’y a que ma mère, a expliqué Ella. On vit seules toutes les deux. Viens. Rentre. Maman va pouvoir t’aider. Magnolia, au pied, fi-fille. (Ella a pivoté et marché à grandes enjambées vers la maison où elle a grimpé les marches en bois de l’escalier d’un pas lourd. Une fois en haut, elle s’est retournée pour m’observer.) Tu arrives à marcher, ça va ?
— Hanhan.
Lentement, je me suis dirigée vers la petite maison d’Ella, qu’une lumière baignait, rouge et chaude. Je me sentais étourdie. Et prise de panique. C’était peut-être la dernière grosse bourde de la journée que je faisais. Celle qui viendrait couronner toutes les autres depuis que le jour s’était levé.
De mon bras valide, j’ai entouré celui qui était blessé.
— Mais, mais… tu saignes ? ! s’est exclamée Ella comme elle fixait mon sweat-shirt bleu ciel. Oh, non ! Viens vite. Dépêche-toi de rentrer ! (Elle a ouvert la porte d’un coup d’épaule, manquant de trébucher sur Magnolia qui entrait elle aussi au grand trot.) M’man ! man ! Tu peux venir ? J’ai besoin de toi !
Je n’ai plus bougé. Rester ou partir ? Rester ou partir ? Rester ?