101.
Quelques rues plus loin, on a tourné à gauche en direction de l’East River. Je sentais la tension monter en moi. Et ma respiration était devenue haletante. Chaque pas nous rapprochait de l’endroit où se trouvait peut-être l’Institut, avec tous les secrets qu’il renfermait, toutes les réponses qu’on s’attendait à y trouver.
Mais si vous voulez tout savoir, je n’étais plus trop sûre de vouloir de réponses à mes questions. Et si ma mère m’avait donnée de son plein gré, comme celle d’Angel et du Gasman ? Ça se trouve, mes parents étaient horribles, méchants. Ou alors ils étaient super géniaux et n’auraient rien à faire d’une fille de quatorze ans avec des ailes de quatre mètres de large dans le dos. Tout compte fait, c’était presque plus facile de ne pas savoir.
Pourtant, on continuait à marcher et à examiner chaque bâtiment sur notre passage. Je ne sais pas combien de fois les autres m’ont regardée, mais la réponse était toujours la même : un hochement de tête qui voulait dire « Non, pas ici ». À chaque pas, le long des interminables rues qu’on parcourait, je me crispais un peu plus. Exactement comme les autres.
— Je me demande à quoi il ressemble, l’Institut, a fait Nudge, sur un ton de nervosité apparente. Je suppose que c’est comme à l’École. Est-ce qu’il faudra qu’on entre de force ? Comment font-ils pour cacher les Erasers à l’abri des gens normaux ? Qu’est-ce que vous croyez qu’ils ont comme dossiers sur nous ? D’après vous, il y a les noms de nos parents là-dedans ?
— Nom de Dieu, Nudge. Tu nous casses les oreilles ! a sorti Iggy avec son tact habituel.
Lorsque son doux visage s’est assombri, j’ai rapidement passé un bras autour de ses épaules.
— Je comprends que tu te fasses de la bile, lui ai-je dit gentiment. Je suis pareille, tu sais.
Elle m’a décoché un petit sourire. Au même moment, je l’ai reconnu : 433, Trente-et-Unième Rue Est.
C’était l’immeuble dont j’avais vu le dessin dans ma tête.
Vous ne trouvez pas que c’est une phrase bizarre ? Relisez-la une fois pour voir.
Le bâtiment était haut – quarante-cinq étages environ – et la couleur verdâtre de sa façade lui donnait un aspect rétro.
— On y est ? a interrogé Iggy.
— Ouais. Vous êtes prêts ?
— Oui, capitaine ! a répondu fermement Iggy, avec un salut militaire.
J’aurais tellement voulu qu’il puisse me voir lever les yeux au ciel.
On a grimpé les marches pour franchir la porte à tambour de l’entrée. À l’intérieur, le lobby n’était que bois, cuivres et grandes plantes tropicales. Le sol était composé de dalles de granité poli.
— Ici, a lancé Fang à voix basse, un doigt pointé vers le tableau d’affichage sous verre qui répertoriait tous les bureaux et les entreprises de l’immeuble, ainsi que leur étage et leur numéro d’appartement.
Aucune trace de l’Institut des sciences de la vie. Aucune trace d’un Institut du tout d’ailleurs.
Naturellement, ç’aurait été trop facile, pas vrai ?
J’ai massé mon front, me retenant de prononcer les mots amers qui auraient trahi ma déception. Mais au fond de moi, mes envies se résumaient à : 1. pleurer, 2. hurler, 3. trépigner. Ah oui, et 4. prendre une douche chaude dans laquelle je continuerais à pleurer.
Au lieu de ça, j’ai pris une grande inspiration et j’ai tenté de réfléchir. J’ai regardé partout autour, à la recherche d’un autre panneau d’affichage, mais il n’y en avait qu’un.
À la réception, une femme se tenait assise derrière un ordinateur portable. De l’autre côté du lobby, un employé de la sécurité lui faisait face.
— Excusez-moi, ai-je commencé poliment. Y a-t-il d’autres sociétés ici que celles qui sont dans le répertoire ?
— Non.
La réceptionniste nous a toisés de haut en bas, puis elle s’est remise à taper quelque chose de terriblement urgent… Vraisemblablement sa lettre de motivation pour un nouveau boulot. Juste comme on faisait demi-tour, la réceptionniste a laissé échapper un petit cri de surprise. En jetant un œil dans mon dos, j’ai vu que l’écran de son ordinateur s’était éteint. Le creux dans mon estomac commençait vraiment à faire mal.
Tout d’un coup, des lettres rouges ont défilé sur l’écran de la fille : Il y a un pot rempli d’or au pied de chaque arc-en-ciel. La taille des lettres a rapetissé, mais la phrase a continué à défiler, encore et encore, partout sur l’écran.
Un pot d’or au pied de chaque arc-en-ciel… À croire que c’était des lutins[19] qui travaillaient ici… Bientôt, on allait voir Judy Garland[20] apparaître et pousser la chansonnette. Était-ce trop demander que d’avoir des infos claires ? Évidemment, puisqu’il s’agissait d’un puzzle, un test. J’ai grincé des dents. Un pot rempli d’or… Humm.
— Il y a un sous-sol dans ce bâtiment ? ai-je interrogé.
La réceptionniste a froncé les sourcils avant de nous dévisager des pieds à la tête, avec un regard plus noir encore cette fois.
— Qui êtes-vous ? a-t-elle fait. Qu’est-ce que vous voulez ?
Elle a haussé le menton pour faire signe au type de la sécurité. Était-ce des Erasers ? Pas impossible. Cet immeuble était peut-être plein d’ignobles hommes-loups.
— Laissez tomber, j’ai finalement marmonné tout en poussant les autres dans le tambour.
On avait déjà le gardien aux fesses, alors une fois qu’on a tous été sortis, j’ai bloqué la porte avec un stylo. Le mec, coincé dans l’un des compartiments du tambour, s’est aussitôt jeté contre la vitre de tout son poids.
Une fois au bas des marches, on a pris nos jambes à notre cou.