69.
Une heure plus tard environ, j’avais l’impression d’avoir récupéré – si seulement je savais de quoi… On se faisait un campement pour la nuit.
— Hé, fais gaffe ! ai-je lancé. Mollo avec le feu… Enlève un peu de petit bois sinon tu vas faire brûler toute la forêt.
— On dirait que ça va mieux, toi, a constaté Fang, en écartant du pied une partie des branches mortes à l’endroit où Iggy allumait un feu.
Je lui ai jeté un regard noir, puis je suis allée aider Nudge et Angel qui entouraient la pile de petit bois de grosses pierres. Vous vous demandez sûrement pourquoi c’est justement l’aveugle qui joue avec des allumettes. Parce qu’il s’y connaît là-dedans. Pour tout ce qui touche au feu, à l’allumage, aux explosions, aux plombs, aux mèches, à l’essence, Iggy, c’est l’homme qu’il vous faut. Ça fait partie de ces armes dont on dit qu’elles sont à double tranchant.
Au terme de vingt minutes, on rivalisait déjà d’ingéniosité en matière de trucs à griller sur des brochettes.
— Ce n’est pas si mauvais que ça, a sorti le Gasman en mangeant un morceau de saucisson grillé.
— Je vous déconseille les bananes, a prévenu Nudge d’un air sombre tandis qu’elle envoyait valser une espèce de purée dans les buissons.
— Hummmmmmmmmmmm, ai-je gémi de plaisir en mâchant un bout de la brochette biscuit-chamallow chocolat qui tenait en équilibre sur mes genoux.
J’ai pris une nouvelle bouchée. Aaaaaaaaaaaaaaah ! Quel pied !
— Sympa, le feu de camp, hein ? a dit le Gasman gaiement. On se croirait en colonie de vacances.
— Ouais, la colonie La Poisse, a ajouté Fang. Réservée aux jeunes mutants récalcitrants.
Je lui ai donné un petit coup de pied.
— C’est mieux que ça. C’est vachement cool.
Fang m’a jeté un œil, l’air de dire « Si c’est toi qui le dis » et il a tourné son bacon au-dessus des flammes.
Je me suis allongée, la tête sur mon sweat-shirt en boule. Il était temps de se détendre un peu. Je n’avais absolument aucune idée de ce qui avait bien pu me faire mal à ce point, mais ça allait mieux. Par conséquent, je n’allais pas me triturer le cerveau avec ça.
Mensonge ! En réalité, mes genoux s’entrechoquaient comme des castagnettes. Les soi-disant « scientifiques » de l’École avaient joué avec le feu en combinant de l’ADN humain à un autre ADN. En gros les gènes recombinés commençaient à se défaire après un certain temps et en général les organismes porteurs se… s’autodétruisaient. Ce n’était pas les exemples qui manquaient. Le mélange lapin/chien ? Un vrai désastre. Même chose avec le mouton/macaque. L’association souris et chat s’était soldée par une immense souris dotée d’un incroyable équilibre, mais terriblement hostile et surtout incapable de digérer les céréales et la viande. Résultat : elle était morte de faim.
Même les Erasers, aussi réussis qu’ils puissent paraître, avaient un gros point faible : leur durée de vie. Ils passaient du stade d’embryon à celui de bébé en cinq semaines et de celui de bébé à celui de jeune adulte en quatre ans environ. Ils dégénéraient et mouraient aux alentours de six ans. Mais plus ça allait, plus on les améliorait pour y remédier.
Et nous ? Pour combien de temps en avions-nous ? Eh bien, pour autant que je sache, nous étions les espèces recombinantes les plus âgées que l’École ait jamais créées.
Et l’on pouvait dégénérer et rendre l’âme à n’importe quel moment.
C’est peut-être ce qui venait de m’arriver. Je commençais à mourir.
— Max, réveille-toi, a fait Angel en me tapotant le genou.
— Je ne dors pas.
Je me suis redressée et Angel est montée sur mes genoux. J’ai mis mes bras autour d’elle et j’ai dégagé ses boucles blondes emmêlées de son visage.
— Qu’est-ce qui se passe, Angel ?
Elle me couvait d’un regard grave et très bleu.
— J’ai un secret. À propos de nous, d’où on vient et tout ça.