5.
On n’avait pas le temps de réfléchir. Jeb nous avait appris à agir, pas à réfléchir. Je me suis jetée sur un Eraser. J’ai pris de l’élan en tournant sur moi-même et je lui ai allongé un solide coup de pied dans la cage thoracique. Le souffle coupé, il a craché un « ah ! » Son haleine empestait. Une odeur d’eaux d’égout croupies au soleil.
Après ça, tout s’est passé comme dans un film – une poignée d’images superposées qui avaient tout sauf l’air réel. J’ai flanqué un nouveau coup, mais un Eraser m’a frappée si fort que ma tête a claqué en tournant violemment. J’ai senti le sang jaillir dans ma bouche. Du coin de l’œil, je pouvais voir Fang. Il donnait le change à un Eraser. Mais bientôt ils s’y sont mis à trois contre lui et je l’ai vu disparaître sous des mains couvertes de griffes qui battaient l’air.
Iggy était toujours debout, mais il avait un œil fermé tellement il était gonflé.
Le choc passé, je me suis remise debout, quand j’ai aperçu le Gasman qui gisait face contre terre, inconscient.
J’ai fait un bond vers lui, mais deux Erasers me sont tombés dessus et m’ont coincé les bras derrière le dos. Tout de suite, un troisième s’est penché vers moi, les yeux rouges, luisants d’excitation, les mâchoires pleines de crocs, la gueule ouverte. Pour prendre de l’élan, il a reculé son coude en serrant son poing, puis il me l’a enfoncé dans le ventre. Une douleur insoutenable a irradié en moi. Je me suis pliée en deux avant de tomber comme une pierre.
J’entendais vaguement Angel crier et Nudge pleurer.
Lève-toi ! me suis-je ordonné tout en cherchant à reprendre ma respiration. Debout !
Pour des gosses, on est très forts. Comme on est mutants, on est bien, bien plus forts que les adultes en général. Mais les Erasers ne sont pas des adultes « en général ». En plus, ils étaient plus nombreux que nous. On était de la véritable pâtée pour chiens. J’ai pris appui sur mes mains et mes pieds pour me relever, en me retenant de vomir.
J’avais les jambes qui flageolaient et des envies de meurtre. Deux Erasers tenaient Nudge par les mains et les pieds. Ils l’ont balancée très fort et l’ont envoyée valser tête la première contre un arbre. Je l’ai entendue pousser un petit cri de douleur, puis elle n’a plus bougé, roulée en boule au milieu des aiguilles de pin.
J’ai poussé un rugissement rauque mais le sang, dans ma bouche, l’a étouffé. Puis j’ai bondi sur un Eraser et j’ai plaqué mes mains d’un coup sec sur ses oreilles poilues. Il a mugi lorsque ses tympans ont éclaté et il est tombé à genoux.
— Max ! a braillé Angel d’une voix aiguë, terrifiée.
J’ai pivoté sur moi-même en un éclair : un Eraser la tenait par les bras. Je suis partie en flèche dans sa direction, sautant par-dessus Iggy, étendu sur le sol, inconscient lui aussi. Deux Erasers m’ont agrippée et m’ont jetée à terre. L’un d’entre eux me retenait en appuyant de toutes ses forces son genou sur ma poitrine. J’avais du mal à respirer. Comme je résistais, l’un d’eux m’a giflée violemment, laissant la marque profonde de ses griffes cassées sur ma joue.
Sonnée, je suis retombée en arrière. Les deux Erasers me clouaient toujours à terre, quand, incrédule, j’ai eu une vision d’horreur : trois autres Erasers fourraient Angel, mon bébé, dans un gros sac. Elle pleurait, elle hurlait, si fort que l’un d’entre eux l’a frappée.
Je me suis débattue comme une folle et j’ai également essayé de crier. Seulement, tout ce qui est sorti de ma bouche fut un sanglot rauque, inachevé.
— Lâchez-mot, espèces d’enfoirés de…
Mais ils m’ont à nouveau plaquée au sol.
Un Eraser s’est penché sur moi avec un sourire immonde.
— Max ! (Mon estomac s’est serré. Est-ce que je le connaissais ?) Ça fait plaisir de te revoir, a-t-il continué sur le ton de la conversation. On dirait que tu t’es fourrée dans une belle merde. Si tu voyais ta tête ! Ma parole, pour quelqu’un qui s’en sortait tout le temps mieux que tout le monde, c’est une sacrée nouvelle. Une sacrément bonne nouvelle même.
— Qui êtes-vous ? ai-je interrogé d’une voix entrecoupée, frissonnant sous l’effet de la vague glaciale qui m’envahissait.
L’Eraser a souri. Dans sa bouche, il y avait à peine assez de place pour contenir toutes ses longues dents pointues.
— Tu ne me reconnais pas ? Je suppose que j’ai changé en grandissant.
Tout à coup, j’ai écarquillé les yeux de terreur : je l’avais reconnu.
— Ari, ai-je murmuré.
Il s’est mis à rire comme un taré. Puis il s’est levé. J’ai vu ses énormes bottes noires s’approcher à hauteur de ma tête. Il m’a frappée violemment et tout est devenu noir.
Comment un truc pareil a-t-il pu arriver ? C’est la dernière chose à laquelle j’ai pensé avant de sombrer. Ari était le fils de Jeb. Ils en avaient fait un Eraser. Il n’avait que sept ans.