79.

— Vous savez ce que j’aime dans New York ? a sorti le Gasman entre deux bouchées de hot dog. C’est plein de New-Yorkais encore plus zarbis que nous.

— C’est vrai ? On se fond dans la masse ? a fait Iggy.

Je lui ai jeté un coup d’œil. Il léchait un cône de glace à la vanille qui lui ressemblait comme deux gouttes d’eau en plus petit : long, fin et blanc. Iggy mesurait déjà plus d’un mètre quatre-vingts. Plutôt impressionnant, hein, pour un gamin de quatorze ans ? Avec sa taille, son teint pâle et ses cheveux blond clair qui tiraient sur le roux, je m’étais toujours dit qu’il était le plus repérable d’entre nous. Mais ici, sur cette grande avenue, on était entourés de mannequins canon, de rockeurs punk, de gothiques. Des gens habillés en cuir des pieds à la tête ou sur leur trente et un, des étudiants, des gens du monde entier. Alors ce n’était pas six gosses avec des coupe-vent volumineux, des vêtements miteux et une hygiène douteuse qui allaient se faire remarquer.

— C’est vrai, ouais, ai-je fait. Mais ce n’est pas ça qui va nous aider contre les Erasers.

Par réflexe, j’ai balayé le périmètre à la recherche du moindre signe de danger.

— Puisque tu en parles, a lâché Fang, on dirait qu’on a eu affaire à la version 6.0.

— Ouais, c’est exactement ce que je pensais. La récolte de l’année a l’air plus humaine. Et il y a des versions femmes. Et ça, ça craint !

Tout en prononçant ces mots, je continuais à examiner chaque visage qui passait, à l’affût d’un indice. Un air sauvage sous des poils luisants, un reflet cruel dans le regard, un sourire faux et dur, comme dessiné au couteau.

— Ouais, on sait tous que les femelles sont terriblement assoiffées de sang, amatrices de combats violents, de coups bas, etc., a souligné Fang.

J’ai levé les yeux au ciel. Quel comédien celui-là !

— Je peux avoir un burrito ? a réclamé Nudge comme on approchait d’un énième marchand ambulant. (Elle était face à moi, sautant du trottoir en arrière.) C’est quoi un nish ? Je peux avoir un burrito, dis ?

— Un Knish^[10], je l’ai corrigée. C’est une sorte de galette de pommes de terre frite et fourrée.

Je passais en revue chaque bâtiment. Pour trouver quoi au juste ? Je ne le savais pas moi-même. Un grand panneau avec écrit « L’Institut » dessus.

— C’est quoi de la choucroute ? a interrogé Angel.

— Tu n’aimeras pas, ai-je répondu. Crois-moi.

On a tous commandé un burrito. On nous les a servis chauds et emballés dans du papier alu.

— C’est le pied de pouvoir acheter à manger comme ça, en marchant, a déclaré Nudge, toute heureuse. Il y a des trucs à manger à tous les coins de rue. Et des traiteurs aussi ! Moi, j’adore les traiteurs. Où qu’on aille ici, on trouve ce qu’on veut : des banques, des stations de métro, des bus, des magasins sympas, des marchands de fruits sur la rue. On devrait peut-être s’installer ici définitivement.

— Ce serait les Erasers qui seraient contents, ai-je lancé. Ils n’auraient plus besoin de nous pourchasser au milieu de nulle part.

Nudge a froncé les sourcils tandis qu’Angel me prenait la main.

— Mais tu as raison, Nudge, ai-je ajouté, désolée de lui avoir cassé le moral. Je vois ce que tu veux dire.

Tout ça coûtait un max, cependant, et bientôt on n’aurait plus d’argent. En plus, on avait une mission à accomplir.

D’un coup, je me suis momifiée, tétanisée.

Fang m’a dévisagée un moment.

— T’as encore mal ? a-t-il demandé posément tout en cherchant du regard un endroit où m’emmener au cas où je m’écroulerais.

J’ai fait non de la tête et j’ai pris une grande inspiration.

— Des cookiiiiiiiiiies !

Il m’observait, l’air ébahi.

J’ai fait un tour sur moi-même pour voir d’où venait l’odeur. Ouvre les yeux, banane ! Ça venait d’un petit magasin à la devanture rouge situé juste… en face de nous. Chez Mrs Fields, ça s’appelait. L’odeur des cookies tout juste sortis du four venait nous lécher les narines jusque dans la rue. C’était la même odeur que chez Ella, une odeur de sécurité, le parfum de la douceur d’un foyer.

— Il me faut des cookies, ai-je annoncé avant de m’engouffrer dans le magasin, Angel trottant à mes côtés.

Ils étaient délicieux.

Mais pas autant que les cookies maison.