96.
— C’est interdit de monter aux arbres ici, a grondé une petite voix nasillarde mais forte.
J’ai ouvert les yeux instantanément et j’ai vu Fang qui regardait vers moi. On a baissé la tête au même moment.
Une voiture de police noire et blanche était garée juste en dessous avec son gyrophare allumé. C’est vrai qu’à New York, la police n’avait rien de plus important à faire que de poursuivre une bande de gamins en train de dormir dans un arbre.
— Comment ont-ils fait pour savoir qu’on était là ? a chuchoté le Gasman. C’est tout de même un peu bizarre de fouiller les arbres, non ?
Le flic en uniforme – une femme – s’adressait à nous grâce à un haut-parleur.
— Vous avez enfreint la loi. Veuillez descendre immédiatement.
J’ai laissé échapper un grognement. Maintenant on allait devoir descendre maladroitement le long du tronc au lieu de simplement sauter au sol pour se poser avec grâce comme les mutants extra cool que nous étions.
— Bon, écoutez, ai-je lancé. On va tous descendre et on essaie d’avoir l’air normal, OK ? Une fois à terre, on se sauve en courant. Si jamais on se perd, on se retrouve à l’angle de la Cinquante-Quatrième Rue et de la Cinquième Avenue, capish ?
Ils ont tous acquiescé d’un hochement de tête. Fang est descendu en premier, suivi d’Iggy qui descendait à tâtons, prenant mille précautions. Hé ben, pour des ados, ils grimpaient plutôt bien aux arbres. Des vrais écureuils.
Le tour d’Angel est venu, puis celui de Nudge et de Gazzy. Je suis passée en dernier.
— Vous n’avez pas vu les panneaux « Il est interdit de monter aux arbres ? » Il y en a partout, a fait un des flics sur un ton pompeux.
On s’est mis à reculer lentement, très lentement, pour que les flics ne s’en aperçoivent pas.
— Vous avez fait une fugue ? a interrogé la femme flic. On peut vous emmener quelque part où vous pourrez téléphoner, appeler vos familles.
Euh… Madame l’Agent, je ne crois pas que ça va être possible…
Une autre voiture de police est arrivée, d’où sont sortis deux policiers. Ensuite, un talkie-walkie a vibré et le premier flic l’a pris dans sa main pour répondre.
— Maintenant ! ai-je fait entre les dents et on s’est tous dispersés, partant comme des bolides dans la direction opposée.
— Céleste ! a crie Angel.
Quand je me suis retournée, je l’ai vue qui faisait demi-tour pour aller chercher son nounours. Mais deux flics fonçaient au même moment sur lui.
— NON ! ai-je hurlé en la tirant par la main.
Elle s’est presque bagarrée avec moi, rivée sur ses pieds, essayant de détacher mes doigts de son poignet un à un. Je l’ai attrapée et suis partie en courant avec elle dans mes bras avant de la donner à Fang, après l’avoir rattrapé.
D’un rapide coup d’œil en arrière, j’ai aperçu la femme flic qui avait ramassé l’ours et qui nous suivait du regard. Derrière elle, les autres flics remontaient dans leurs voitures. Alors que je tournais à toute allure à un coin, j’ai remarqué un grand flic qui se glissait dans sa voiture. J’ai cligné des yeux, deux fois de suite, pour être sûre. Mon cœur a failli s’arrêter de battre. C’était Jeb ? Je n’avais pas rêvé, si ? J’ai secoué la tête et continué à courir pour rattraper les autres.
Angel pleurait.
— Céleste ! Elle tendait les bras vers l’arrière, au-dessus de l’épaule de Fang. Céleste !
Elle avait l’air d’avoir le cœur brisé. Moi, j’en étais malade de l’avoir forcée à l’abandonner, mais à choisir entre Angel et Céleste, il n’y avait pas à hésiter. Même si elle devait m’en vouloir toute sa vie.
— Je t’en achèterai un autre ! ai-je promis en l’air tout en poussant très fort sur mes jambes pour rester à la hauteur de Fang.
— Je n’en veux pas d’autre ! a gémi Angel.
Elle a mis ses bras autour du cou de Fang et a commencé à pleurer.
— On les a semés ? a interrogé le Gasman qui regardait par-dessus son épaule.
J’ai vérifié. Deux voitures de police, gyrophares et sirènes allumés, se frayaient un chemin dans le flot la circulation.
— Non !
La tête baissée, j’ai accéléré ma course.
Parfois, j’avais vraiment le sentiment qu’on ne serait jamais libres, jamais en en sécurité nulle part, aussi longtemps qu’on vivrait. Peut-être plus pour longtemps de toute façon.