Les sénatoriales ? Rien à voir avec la présidentielle !
La gauche sabre le champagne et la droite fait la soupe à la grimace. Celle-ci a raison de s’inquiéter ; celle-là a peut-être tort de se réjouir. La conquête du Sénat est l’aboutissement logique, inéluctable, d’une suite ininterrompue depuis dix ans, de victoires de la gauche aux élections locales, municipales, cantonales, régionales. L’anomalie démocratique, comme disait Lionel Jospin, a des limites. Elle s’est même retournée en faveur de la gauche. Les grandes victoires des socialistes aux élections intermédiaires ont toujours été obtenues avec une énorme abstention. À chaque fois, les catégories supérieures, diplômées et aisées des centres villes votaient pour le PS ou les Verts. Les ouvriers et les employés ne se déplaçaient pas. Jospin était tellement imprégné du romantisme populaire de la gauche qu’il n’a pas vu que la grande victoire des siens aux municipales de 2001 – Paris et Lyon furent alors conquises – avait été obtenue sans le peuple, et même contre le peuple ; qu’elle annonçait sa défaite à la présidentielle de 2002, quand l’électorat populaire s’est rendu aux urnes.
Depuis dix ans, ces tendances se sont accentuées. Le PS de François Mitterrand est redevenu la SFIO de Guy Mollet. Parti d’élus locaux, les socialistes renouent avec la grande tradition des vieux partis républicains comme le parti radical d’antan, mêlant discours progressiste, réflexes conservateurs et pratiques clientélistes. Pas étonnant que François Hollande, élu de Corrèze, la terre des rad-soc, soit son homme du moment.
Certains, à gauche, ont très bien compris la fragilité de leur victoire. Dès les premières bouteilles de champagne débouchées, Élisabeth Guigou a aussitôt conseillé à son parti de profiter de sa majorité dans la Haute Assemblée pour imposer le vote des étrangers aux élections locales. De quoi, pense sans doute l’élue de Seine-Saint-Denis, compenser – et remplacer – la désertion de l’électorat populaire français. La droite devrait donc, paradoxalement, se réjouir de la perte du Sénat. Cette cuisante défaite entraînerait mécaniquement sa revanche à la présidentielle.
Mais il y a un mais. Le coup ultime a été porté à la droite par le lâchage de nombreux maires ruraux, bastion traditionnel de celle-ci. Même le Morbihan est passé à gauche ! Les raisons en sont multiples : réforme territoriale mal digérée par les petits élus ; le parti unique UMP n’a jamais fait recette dans une droite individualiste et diverse. Mais surtout, la sociologie du monde rural a changé : il n’est plus l’univers des paysans. L’ont investi une population d’ouvriers et d’employés qui ont fui les centres des grandes villes – où ils n’ont plus les moyens de vivre – et les banlieues – où ils ne se sentent plus chez eux. Ces néoruraux sont les perdants de la mondialisation, les traces enfouies de cette classe moyenne en voie de prolétarisation. Un véritable nouveau prolétariat. Ils avaient voté Sarkozy en 2007, car ils avaient entendu son discours sur la sécurité, l’immigration, la patrie, les valeurs traditionnelles. Ils sont les grands déçus du sarkozisme. Le Président sortant n’a que sept mois pour les reconquérir.