Agitations en coulisse à l’hôtel de la Marine
Et si on vendait Versailles ? Cela ferait un hôtel de luxe sublime ! Les nouveaux nababs des pays émergents adoreraient dormir dans les draps de Louis XIV. Et on a déjà la décoration pour les chambres d’enfants avec les sculptures de Murakami. Bon, on se moque… Versailles n’est pas à vendre, pas plus que Fontainebleau ou Chambord. Mais l’hôtel de la Marine de Gabriel et sa sublime façade à colonnades qui donne sur la place de la Concorde, si. Pourquoi ? Parce que les marins doivent rejoindre leurs collègues militaires au sein du grand Pentagone prévu dans le 15e arrondissement de Paris. Et surtout, parce que l’État a besoin d’argent. Beaucoup d’argent. Alors on vend. Des hôtels particuliers, des casernes, des hôpitaux ; demain, sans doute, le si émouvant Hôtel-Dieu, accolé à Notre-Dame. On brade ! ont protesté de grands historiens et écrivains comme Jacques Le Goff, Pierre Nora ou Régis Debray à propos de l’hôtel de la Marine. Il est vrai que voir des boutiques de luxe et des galeries d’art contemporain envahir ce haut lieu de l’histoire de France classé Monument historique en 1862, a de quoi choquer…
Cet ancien Garde-Meuble de la monarchie fut en quelque sorte le premier musée des Arts décoratifs, puisque le peuple, entouré de gardes suisses, pouvait admirer une fois par mois les meubles, les bronzes qui y étaient fabriqués et exposés. L’ancien président Giscard d’Estaing a rejoint la protestation des historiens. Et le ministre de la Défense, Alain Juppé, n’a pu retenir un cri du cœur : « Je ne veux pas qu’on organise une élection de Miss France ici. »
Alors qu’on croyait le dossier bouclé à la hâte en faveur du patron du Royal-Monceau et de son acolyte, l’ancien ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, les propositions foisonnent. Commerciales mais aussi historiques. Pierre Nora a proposé ce lieu pour ériger le fameux projet sarkoziste si décrié de musée de l’Histoire de France. D’autres historiens jouent les coucous et, sous prétexte que c’est dans ce lieu qu’a été signée, par Victor Schœlcher, l’abolition de l’esclavage dans nos colonies en 1848, proposent de le transformer en un musée de l’esclavage et de la colonisation. On pourrait l’intituler « musée de la Repentance ». Pourtant, c’est là aussi que fut signée la condamnation à mort de Louis XVI. Mais, curieusement, ils ne proposent pas un musée de la monarchie capétienne. Ces polémiques, ces cris d’orfraie, ces appels à l’histoire, au respect pour le passé national n’arrangent pas les affaires de nos comptables publics. Ils voulaient gagner de l’argent, ils risquent d’être contraints d’en dépenser… Au-delà du cas particulier de l’hôtel de la Marine, c’est toute la gestion du patrimoine historique qui est sous les projecteurs. Contrairement à nos voisins européens, la France associe intimement l’État à la nation. Beaucoup d’historiens considèrent que c’est même l’État qui a, chez nous, forgé la nation. Il se doit donc de préserver dans son giron les lieux qui incarnent la mémoire de la France.