Mercredi 11 mai 2011

Mitterrand, trente ans après

« Après moi, il n’y aura plus de grand président. » François Mitterrand l’avait lui-même annoncé. Ce n’était ni une galéjade ni de la prétention. Un fait sans forfanterie. Déjà, Chirac n’était plus qu’un grand frère sympathique. Et Sarkozy ne parvient toujours pas, en dépit de ses louables efforts, à endosser les habits de roi à la française, impérieux et lettré, hautain et mystérieux. Mitterrand fut tout cela, le dernier père de la nation, même si, avec une fausse simplicité charmante, il se laissait appeler Tonton. C’est ce grand homme que la gauche célèbre, elle qui déteste et craint plus que tout les hommes providentiels.

Mais l’idolâtrie mitterrandienne n’en est pas à un paradoxe près. Brillant pourfendeur du coup d’État permanent, il exige, dès son arrivée à l’Élysée, que tout soit fait pour lui comme pour de Gaulle. Vainqueur de Giscard, Mitterrand ne met pas deux années à accomplir le programme de son prédécesseur. Pur produit de la France terrienne et étatiste, il est l’homme de sa liquidation au profit d’une France libérale et européenne. Ses nationalisations sont désuètes, mais elles sauvent des grandes entreprises françaises qui ont presque toutes disparu depuis qu’elles ont été privatisées.

Partagé entre deux ambitions, celle de la construction de l’Europe et celle de la justice sociale, il sacrifie la seconde à la première. Orateur plus que talentueux, héritier de Lamartine et de Jaurès, c’est sous son règne que prospère le jargon des experts et la novlangue des communicants. Porte-drapeau du peuple de gauche, c’est sous son mandat que le peuple disparaît des discours, des romans, des films, des imaginaires. Les flonflons du Front populaire s’achèvent dans le « popu sublimé » des publicitaires à la Jean-Paul Goude. La gauche prétend incarner le progrès et l’avenir, et on ne cessa de parler de Pétain et de Bousquet.

Renouant avec les traditions catholiques de son enfance, il avait dénoncé « l’argent qui corrompt, qui achète, qui écrase, qui tue, qui ruine et qui pourrit jusqu’à la conscience » ; avec lui, la Bourse exulta, Tapie s’éclata ; la révolution libérale engagée par les Anglo-Saxons creusa les inégalités sociales au moment même où la gauche abandonnait la lutte des classes et criait avec Yves Montand : « Vive la crise ! » Après avoir fui devant des chars russes qui n’arrivèrent jamais, les riches prirent leur bien en patience.

Mitterrand fut l’homme des virages qu’on prend sous des contraintes, des parenthèses qui ne se referment jamais, des faux choix entre l’Allemagne et l’Albanie, entre la faillite en solitaire et le sauvetage par l’intégration européenne. Entre être Lénine et être Guy Mollet. Entre la moraline antiraciste et un fascisme de carton-pâte. Sous Mitterrand, on exalta la diversité, tandis que s’imposait la pensée unique. Ses héritiers fêtent le trentième anniversaire du 10 mai par un grand concert à la Bastille, organisé par un banquier reconverti dans la presse pour bobos branchés. C’est le temps de la Porsche tranquille.

Le Bûcher des vaniteux
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